• La cinématographie de Guy Debord compte sept films et s’échelonne de 1952 à 1994. Longtemps invisibles, ces films sont maintenant disponibles soit dans un coffret de 3 DVD, soit sur différents sites Internet.

    Longtemps Guy Debord s’est prétendu cinéaste. Mais bien sur ses fonctions dans ce genre d’entreprise demeuraient non-conventionnelles. Le développement de ce cinéma marginal s’est fait dans les marges de la contestation de la séparation de l’art et de la vie.

    L’idée générale du cinéma de Guy Debord est de contester l’hégémonie des formes fictionnelles et commerciales dans le développement du 7ème art. A l’instar des surréalistes, il croit que ce médium est porteur d’un grand avenir : c’est en effet un art populaire et en même temps qui utilise les technologies nouvelles. C’est d’ailleurs la seule forme artistique propre au capitalisme industriel, toutes les autres formes artistiques sont apparues avant.

    Le cinéma de Guy Debord va cependant évoluer dans ces cadres. Son premier film, Hurlements en faveur de Sade, projeté en 1952, est seulement une provocation dans le droit fil de la cinématographie lettriste. On le sait, le film fit scandale au sein des cinéphiles germanopratins des années cinquante : il s’agit d’une succession de plans blancs et de plans noirs. Des paroles sont associées à l’écran blanc, tandis que l’écran noir plonge le spectateur dans le silence. Le film est donc invisible. Mais on retiendra que ce film, outre qu’il inspirera Godard pour Alphaville, contient déjà des paroles qui seront comme un leitmotiv chez Guy Debord : l’ennui de la jeunesse, ses tendances au suicide, ou encore les démêlées avec la justice. Ces paroles sont prononcées d’une façon monocorde par Guy Debord et ses amis de l’époque, Gil J. Wolman ou encore Isidore Isou.

    Manifestement à cette époque Guy Debord se cherche. Quelques temps auparavant, il avait publié le scénario de Hurlements en faveur de Sade dans la revue lettriste dissidente Ion, scénario qui comprenait des images filmées. Le film réalisé est ainsi loin du projet initial qui ressemblait plus au film d’Isou, Traité de bave et d’éternité, qui avait fait scandale à Cannes l’année précédente. Le changement de cap de Guy Debord semble provenir aussi bien de sa volonté de se démarquer d’Isou, que de se faire remarquer par un scandale radical. Rappelons que c’est à la suite de ce film que Debord s’offrira un autre scandale en s’attaquant à Charles Chaplin qui était venu assurer la promotion de son dernier film à Paris. Avec quelques amis, il avait distribué un tract incendiaire contre le père de Charlot, acte qui lui permit aussi bien de s’éloigner encore un peu plus du cinéma courant, que de rompre avec Isou et sa bande.

    Debord va rester de longues années sans s’occuper de cinéma. Il y reviendra en tournant deux courts métrages en 1959 et 1961. Entre temps il a beaucoup évolué. D’une part il s’est créé une place majeure dans le monde de l’avant-garde artistique, nouant des amitiés profondes avec  Asger Jorn ou Constant, et d’autre part, il est arrivé à créer l’Internationale situationniste qui va évoluer de la critique radicale de l’art, vers le développement d’une théorie révolutionnaire.

    Ces deux petits films, Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps (1959) ; «Critique de la séparation (1961), réalisés grâce au financement d’Asger Jorn, sont très intéressants, ils permettent à Guy Debord de démontrer qu’on peut produire des films à la fois poétiques et révolutionnaires en utilisant des techniques minimales. Aux plans tournés dans Paris sont joints des documents, des photos, des citations qui le plus souvent sont sortis de leur contexte.


    Guy Debord filmant avec une équipe réduite Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps

     

    Ces deux petits films montrent un tournant dans l’attitude de Debord, non seulement vis-à-vis de l’art, mais aussi vis-à-vis de la technique cinématographique. Les deux films s’inscrivent si on peut dire à l’extrême gauche de la Nouvelle Vague. Mais l’ambition est ailleurs, elle se trouve dans la volonté de joindre dans un même mouvement une production artistique avec une approche politique : le dépassement de l’art doit déboucher sur la transformation de la société dans toutes ses dimensions.

     

    Après cela, Debord utilisera son temps principalement à développer l’Internationale situationniste, et à faire évoluer cette petite organisation au renom grandissant, de plus en plus vers une approche politique et révolutionnaire qui la fera identifiée avec les groupes d’ultra-gauche. C’est cette action qui assurera la célébrité à l’IS et à Guy Debord. Mais en 1971, pour des raisons très compliquées, Debord décide de dissoudre l’IS. C’est dans ce contexte qu’il va reprendre ses activités cinématographiques.

     

    En 1973, il met en image son ouvrage théorique La société du spectacle. Entre temps, il a trouvé un nouveau sponsor en la personne de Gérard Lebovici. Bien qu’il en ait gommé les traits les plus violemment révolutionnaires qui étaient censés annoncé l’avènement d’une révolution prolétarienne, le film est très démonstratif. S’appuyant sur des morceaux de films classiques, For, Walsh, ou encore Eisenstein, les images illustrent les thèses de Guy Debord. L’exercice est assez laborieux, même s’il y a de bons moments, comme cette sorte de télescopage dans le temps entre les formes révolutionnaires du passé et du présent. Ou encore le visage fermé de ces ouvriers qui écoutent le leader cégétiste, Georges Séguy leur expliquant qu’ils doivent cesser la lutte et reprendre le travail.

     

    Ouvriers écoutant un discours de Georges Séguy

     

    Le principal défaut réside probablement dans la position inconfortable de Debord. Car en effet, il n’a pas encore tiré toutes les conclusions de la défaite de mai 68 et semble croire à une reprise de la lutte rapidement.

     

    En 1978 il tourne Ingirum imus nocte et consumimur igni. Ce film opère un changement dans la continuité si on peut dire. C’est en effet par ce biais que Debord va devenir un personnage acceptable. La mélancolie du film le fait classer maintenant parmi les poètes de la révolution. C’est la première fois qu’il se raconte, mais ce n’est pas la dernière puisqu’il écrira deux autres petits ouvrages sur sa personne, Panégyrique en  1989 et Cette mauvaise réputation en 1993.

     

    Café Chez Moineau, image filmée dans In girum imus nocte et consumimur igni

     

    Cette manière de tirer le bilan de sa jeunesse est comme le signal de l’abandon du combat. Certes, Debord n’a pas changé, il déteste toujours autant la société bourgeoise, mais s’il en décrit la décrépitude, il n’en annonce plus nécessairement sa défaite face au parti de la révolution. Ceci étant, le procédé reste le même : détournement de films classiques, de publicités, photographies anciennes ou modernes, mais également cartons venant illustrer par-dessus la voix monocorde le commendataire filmé. Là encore il y a peu de plans filmés par Debord lui-même. Mais contrairement à la société du spectacle qui n’était réalisée qu’à partir de matériaux pré-existants, il y en a quelques uns, comme ces images de Venise.

     

    Pour finir, en 1994, il réalisera un dernier film pour Canal+, mais cette fois en se faisant assiter de Brigitte Cornand. Guy Debord, son art, son temps. Le film est entièrement fabriqué à partir d’images empruntées à la télévision. Le résultat est assez décevant, le procédé trop illustratif et répétitif. Le film ne sera diffusé qu’après la mort de Guy Debord.

     

    Le cinéma de Guy Debord est resté orphelin. Même si certains cinéastes se sont inspirés de certains de ses procédés, il n’a pas eu de suite. On retiendra dans cet ensemble les deux grandes réussites de ses deux courts métrages et de In girum imus et consumimur igni qui m’apparaissent, avec le recul du temps, encore tout à fait intéressants à voir et à revoir.

     

    Bibliographie

     

    Antoine Coppola, Introduction au cinéma de Guy Debord et de l'avant-garde situationniste, Sulliver, 2003.

    Guy Debord, Œuvres cinématographiques complètes, Champ Libre, 1978.

    Guy-Claude Marie,  Guy Debord : De Son Cinéma En Son Art Et En Son Temps, Vrin, 2009 

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  • Comme on le sait, Sean Connery a commencé sa carrière de star en jouant James Bond. Cela l’a rendu célèbre, immensément célèbre, mais l’a amené à une carrière généralement médiocre. Il n’aimait pas le personnage raciste et réactionnaire de James Bond, bien qu’il s’en soit servi pour amasser une fortune considérable, et il a essayé de s’en défaire dès qu’il est devenu célèbre, répétant partout qu’il ne voulait pas qu’on l’identifie au célèbre agent. En dehors des jamesbonderies, Sean Connery a participé à quelques films très intéressants, comme Marnie d’Hitchcock par exemple ou L’homme qui voulut être roi de John Huston.

     

     Sean Connery a manqué une carrière à la Schwarzy... heureusement

     

    Sean Connery a manifesté très tôt des idées politiques anticonformistes. Partisan d’une indépendance pour l’Ecosse, son pays natal, il a contrebalancé le poids du réactionnaire James Bond, en soutenant, grâce à sa popularité, des films plus difficiles très marqués politiquement par des idées ouvertement anarchistes.  Trois films me semblent importants : The hill, The molly maguires et The great train robbery.

     

    La colline des hommes perdus (The hill), 1964

     

    Ce film de Sidney Lumet a reçu en son temps un excellent accueil critique, à défaut d’être un immense succès public, notamment à Cannes où il avait été présenté. C’est une sorte d’huis-clos, quasi théâtral, le scénario est d’ailleurs tiré d’une pièce, qui prend pour cible l’armée britannique raconte l’histoire d’un camp militaire disciplinaire destiné à faire marcher droit les têtes brûlées.

    La colline c’est une sorte de mythe de Sisyphe puisque les soldats doivent grimper en haut d’une colline pour y déverser des sacs de sable qui viendront en accroître peu à peu la hauteur. C’est autour de cette absurdité que vont s’affronter ceux qui détiennent le pouvoir, et ceux qui le subissent. Le règlement étant l’exutoire qui permet de développer des tendances sadiques.

    Filmé en noir et blanc, très dialogué, l’action est soutenue par une distribution d’acteurs britanniques venant massivement du théâtre : Ian Bannen, Michael Redgrave ou encore l’excellent Harry Andrews. La mise en scène, quoi qu’assez convenue et démonstrative, est efficace. C’est un film très britannique bien qu’il soit filmé par un américain qui retrouve là des thèmes habituels de sa propre thématique.

     

     

     

    Selon la loi du genre chaque personnage est un caractère spécifique sans trop de nuance, destiné à soutenir la forme parabolique du discours. Malgré ses limites évidentes dans ses emprunts à la technique théâtrale, c’est un très bon film, non seulement parce que les acteurs, Sean Connery en tête, sont très bons, mais parce que la réalisation de Sidney Lumet rend tout à fait compte de l’enfermement des individus.

     

    Traître sur commande (The molly maguires), 1970

     

    Des trois films commentés ici, c’est le plus importants. C’est du moins celui qui  m’avait le plus marqué à sa sortie. L’action se passe aux Etats-Unis dans les mines de charbon de Pennsylvanie au XIXème siècle. Les ouvriers irlandais, maltraités, forment une société secrète qui sabote l’exploitation pour essayer de faire entendre raison aux dirigeants. Les molly maguires sont cette société secrète d’inspiration anarchiste.

    Nous sommes dans l’univers de la lutte des classes aux Etats-Unis. De nombreux films américains ont été réalisés sur ce thème à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix. Cette volonté de revenir en arrière pour regarder les fondements du rêve américain s’appuyait aussi sur de nouvelles analyses de la Grande Dépression, comme le Bertha Boxcar de Scorsese  par exemple.

    On pourrait le lire dans un premier temps comme une justification d’actions terroristes servant à appuyer la lutte des classes. Et déjà souligner que, contrairement aux apparences, les Etats-Unis possèdent un passé révolutionnaire bien plus riche que ce qu’on croie généralement. La méticulosité des reconstitutions, le vérisme des détails, tout cela suffirait pour décrire les Molly Maguires comme un film admirable.

     

    Mais il y a plus. En effet, pour réprimer la révolte des ouvriers irlandais, les dirigeants de la mine vont faire appel à un agent secret qui va infiltrer les anarchistes. Pour cela il va se lier d’amitié avec leur leader et ensuite le trahir. Sous cet angle, le film devient une réflexion plus générale sur le mensonge, la trahison. C’est forcément un thème qui tient au cœur de Martin Ritt lui qui, comme son scénariste Walter Bernstein, a eu à souffrir de la chasse aux sorcières à l’époque de McCarthy. Il reviendra d’ailleurs sur ce thème dans un film aussi peu connu, Le prête-nom, avec Woody Allen.

    En quelque sorte, le film est l’exacte antithèse de l’ignoble film d’Elia Kazan, Sur les quais qui au contraire justifiait la délation et la trahison des idéaux de la jeunesse.  Car le film de Ritt a bien une morale évidente : malgré la défaite, c’est le leader anarchiste qui a gagné, car le traître devra vivre pour le restant de ses jours avec le fait qu’il a trahi celui qui était devenu son meilleur ami.

    Le film a été un échec retentissant à sa sortie. Je l’avait vu dans une salle absolument vide. C’est normal la complexité du sujet, l’amertume de la défaite finale des révolutionnaires, n’entraîne pas les foules. Et il est heureux qu’on le ressorte aujourd’hui en DVD, outre que cette ressortie s’accompagne d’une brassée de louanges pour son metteur en scène, le film est rétabli dans sa longueur initiale.

    The molly maguires me paraît incontournable à plusieurs titres :

    - d’abord il est la démonstration de la vitalité du cinéma américain des années soixante-dix. Avec le recul cette période est sûrement une des plus riches, même si elle se veut peu innovante sur le plan de la forme.

    - ensuite, c’est l’occasion de redécouvrir un réalisateur important, Martin Ritt, qui n’est malheureusement célèbre que pour son western avec Paul Newman, Hombre. Le succès de ce dernier film masquant les autres réussites de l’association entre Paul Newman et Martin Ritt. Sur les cinq films qu’ils ont réalisés ensemble, deux au moins sont excellent : Le plus sauvage d’entre tous et Les feux de l’été. Martin Ritt malgré son parti-pris de développer des sujets difficiles et plutôt morose, a connu quelques succès bienvenus dans sa carrière, outre Honbre, L’espion qui venait du froid et Norma Rae en font partie.

    - enfin il est la preuve indiscutable du talent de Sean Connery qui s’est malheureusement trop souvent gâché dans des blockbusters sans intérêt. Mais le reste de l’interprétation est tout aussi solide et Richard Harris est remarquable.

     

    La grande attaque du train d’or (The great train robbery), 1978

     

    Ce film a connu un meilleur sort que le précédent. Tiré du roman de Michael Crichton, qui a cette époque réalisait ses propres sujets à l’écran, il est bien plus léger et réjouissant. Edward Pierce, incarné par Sean Connery, est une sorte d’Arsène Lupin anglais qui cherche à mettre la main sur des lingots d’or qui sont destinés au financement de la guerre entre l’Angleterre et la France d’une part et la Russie d’autre part.

     

     

     

    Pour réussir son coup, Pierce va s’allier avec un autre voleur incarné par Donald Sutherland, car ils doivent voler les clés qui leur permettront d’ouvrir les coffres. Les morceaux de bravoure s’ensuivent parce qu’ils doivent réaliser ce hold-up en douceur, sans se faire remarquer, donc il leur faut voler les clés, les refaire, les remettre à leur place, etc.

    Bien que la réalité sociale et le propos anarchisant passe au second plan du récit, il n’en existe pas moins puisque nos héros sont antipatriotes et fortement opposés à la guerre. De même ils n’admettent guère de travailler comme des salariés ou encore vivre dans le cadre traditionnel de la famille et du mariage.

    Au total c’est un film plutôt bien fait, sans trop de génie, mais qui contient suffisamment de retournements de situations pour accrocher l’intérêt. Son Mais ce n’est pas un film inoubliable.

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