• Ce roman de François Brigneau, par ailleurs ancien de la Milice et militant de longue date de l’extrême droite[1], a défrayé la chronique il y a quelques mois. La raison en était que ce sont les éditions Baleine qui l’ont exhumé. Or, Baleine s’était fait connaître pour des prises de position plutôt à l’extrême gauche, publiant un héros récurrent Le poulpe dont les idées sont tout à fait dans cette mouvance. Du coup un certain nombre d’écrivains, dont Didier Daeninkx, ont signé une pétition pour demander que leur nom soit retiré du catalogue des éditions Baleine, ne voulant pas voir leur nom associé à celui de l’ancien directeur de Minute. Il est probable que cette polémique a fait connaître un peu plus l’ouvrage en question qui autrement serait passé plutôt inaperçu.

    Pour ma part, je ne suis que peu motivé et par les idées de Brigneau, et par les polémiques qui vont avec. Ce qui m’intéressait dans Faut toutes les buter, c’est qu’il s‘agit là d’un des tous premiers romans noirs français, et qu’en outre il est traversé par de nombreuses formules argotiques. D’ailleurs, les quelques notations un peu racistes envers les Arabes sont plutôt légères, dans l’air du temps comme on dit, sans que ça infère quoi que ce soit.

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    Le roman avait été édité en effet en 1947 d’abord sous le titre de Pol Monopol, avec comme nom d’auteur Julien Guernec, aux éditions Jean Froissart[2], puis il avait reparu en 1952 sous le nom de François Brigneau et avec comme titre Faut toutes les buter, une autre édition en 1994 avait été fabriquée par François Brigneau lui-même, et présentée comme le deuxième volume de François Brigneau en argot. Enfin, en 2010, ce sont les éditions Baleine qui ressortent ce titre, sous le nom de François Brigneau et avec un couverture plutôt médiocre. pol-monopol-2.jpg

    François Brigneau, de son vrai nom Emmanuel Allot, avait été pendant la guerre un militant d’extrême droite, engagé dans la milice, il purgera une peine de prison pour collaboration à Fontevrault, en même temps d’ailleurs qu’Albert Simonin. On peut penser que c’est dans ce contexte que Brigneau a rencontré quelques truands mouillés dans la collaboration et que c’est ici qu’il a pris ses idées d’écriture.

    Le roman est assez faible, mal écrit, les scènes d’action succèdent aux scènes d’action, sans qu’existe réellement une intrigue digne de ce nom. Paul Monopol est un vieux truand rassis qui se trouve à la tête d’une bande de malfaiteurs qui projettent de s’emparer de plusieurs tonnes d’or. Il est opposé à une autre bande de malfrats qui veulent faire le coup à sa place. Contrairement à ce qui est dit ici ou là, il y a très peu de formules argotiques, et en tous les cas le langage est bien moins riche que celui d’un Simonin, justement, ou d’un Lebreton. Mais à l’évidence, Brigneau met en scène des figures de style qui vont faire florès dans les années cinquante, et en cela on peut dire que Brigneau est un des précurseurs du roman noir à la française. La description de Paul Monopol, forban vieillissant, ressemble à s’y méprendre à celle de Max le menteur de Simonin, franc buveur, aimant les aises bourgeoises, plutôt cupide, il aime les femmes et bouffer à s’en faire péter la sous-ventrière. Brigneau inaugure une autre mode, celle de dire qu’à travers ce récit on va démystifier le milieu, présentant les malfrats comme des abrutis qui passent leur temps à trahir et à becqueter à la table des condés. Et du reste je me demande s’il existe un seul roman noir où les voyous seraient décrit comme des mecs biens. Même dans les romans d’André Héléna les voyous quoi que victimes de la fatalité ne sont pas mieux lotis du point de vue de leur moralité. La façon dont Monopol entretient des relations amicales avec le commissaire anticipe sur Le doulos de Pierre Lesou. Là encore il semble bien que Brigneau soit un précurseur.

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    Le principal défaut de Faut toutes les buter, réside dans le manque de précision sociologique du roman. Contrairement à Simonin, Lebreton, ou même André Héléna, Brigneau ne semble pas connaître le milieu dont il parle. Tout sonne faux, les attitudes, les décors, et même les formules argotiques. Tout est vu de loin, dans une incapacité flagrante à relier la délinquance au petit peuple de Paris. Et puis il est incapable de faire chanter la langue verte comme le feront Simonin, Lebreton, ou encore Alphonse Boudard qui pour moi reste le maître de la littérature argotique de l’après guerre.

    A côté de ça, l’ouvrage manque singulièrement d’humour, ce qui est probablement la raison qui l’a fait laisser de côté. Paul Monopol est tout simplement un héros inintéressant au possible.

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    Lire Faut toutes les buter aujourd’hui est seulement intéressant d’un point de vue archéologique, si on veut comprendre quels ont été les précurseurs de cette langue argotique qu’on a retrouvée dans les premiers romans noirs français. Et comme presqu’à chaque fois, on tombe sur un personnage d’extrême droite, comme des descendants tardifs de Céline.



    [1] Il fut aussi un des fondateurs du Front National.

    [2] On retrouvera le nom de Julien Guernec aux éditions Froissart comme traducteur d’un authentique auteur de romans noirs Sam Ross, pour J’ai descendu un flic. Cette maison d’édition Jean Froissart, fondée par Charles Frémanger, était spécialisée aussi bien dans la publications de romans populaires, policiers et érotiques soft, que dans les écrivains d’extrême droite. Elle ressortira Voyage au bout de la nuit, mais aussi L’Europe buissonnière d’Antoine Blondin, et encore les ouvrages de Jacques Laurent signés Cécil Saint-Laurent. Le nom des éditions Jean Froissart renvoyait au poète du XIVème siècle et donc à la tradition française.

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    3. Le vrai Jacob

     

    Pour ceux qui voudraient mieux connaître le vrai Alexandre Jacob, il existe une littérature maintenant importante. J’avais découvert son existence en 1970 à travers le livre de Bernard Thomas, le premier, celui qu’il a publié chez Tchou. Puis j’ai ensuite lu l’ouvrage d’Alain Sergent qui avait l’avantage de s’appuyer sur le témoignage direct de Jacob lui-même et que Thomas a utilisé abondamment. Il y eut ensuite l’ouvrage de Caruchet qui est très décalqué, pour ne pas employer le mot de plagiat, de ceux de Sergent et de Thomas. Cet ouvrage est préfacé par Alphonse Boudard qui au-delà des actes et des écrits plus ou moins théorique, salue la force de caractère de Jacob.

     

     

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    Plus récemment L’insomniaque a publié les Ecrits que Jacob a laissés, car c’était un grand lecteur, curieux d’un peu tout, passionné d’histoire et de science, et il mis noir sur blanc une partie de ses réflexions, soit dans des textes plus ou moins théoriques, soit à travers une correspondance abondante. Cet ouvrage a été réédité ensuite en 2004 dans une édition augmenté et révisé.

    Mais le travail le plus important à ce jour est sûrement l’ouvrage de Jean-Marc Delpech, Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur, publié en 2008 et qui est tiré de sa thèse de doctorat. Cet ouvrage, outre le fait qu’il corrige un certain nombre d’imprécisions ou d’erreurs qu’on peut trouver dans les premières biographies de Jacob, contextualise la trajectoire de Jacob, montrant combien Marseille était à la fin du XIXème siècle et au début du XXème, un terreau naturel pour le développement des idées anarchistes. Le plus important de ce travail réside dans la description des réseaux qui ont permis à Jacob d’œuvrer dans la reprise individuelle pendant de longues années. Il montre que ses agissements n’auraient pas pu se faire sans qu’il ne bénéficiât d’un solide réseau de relations, aussi bien dans les milieux libertaires que dans celui de la truanderie. 

    En ce qui concerne l’illégalisme, il montre que le parcours de Jacob se rapproche de certains autres illégalistes, comme Clément Duval par exemple dont le parcours sera plus heures puisqu’il s’évada finalement du bagne et put finir ses jours à New York, ce qui permet de l’inscrire dans un mouvement politique plus large, avec une méfiance viscérale pour les intellectuels de la révolution. Les travailleurs de la nuit, groupe de cambrioleurs dirigé par Jacob, renvoie aux Panthères des Batignolles, bande de voleurs emmenée par Clément Duval.

    L’ambition de Delpech va pourtant au-delà de la précision biographique, elle vise à restituer une vraie dimension politique à l’illégalisme, de le prendre au sérieux dans sa volonté militante, malgré son caractère minoritaire au sein de la mouvance anarchiste. C’est pour cette raison que Delpech se montre aussi pointilleux en ce qui concerne les rapprochements qui ont pu être faits ici ou  là entre Jacob et Arsène Lupin. Même s’il n’est pas très important de savoir si précisément Maurice Leblanc s’inspira directement du procès d’Amiens pour la création de son héros, il est évident qu’il y a un monde qui sépare Lupin de Jacob : c’est la conscience sociale. Le second représente la face bourgeoise si on peut dire de l’art de cambrioler.

    Il reste pourtant beaucoup de zones d’ombre dans la trajectoire de l’anarchiste marseillais. Par exemple on ne connait pas très bien la personnalité de ceux qui l’ont entour. Rose Roux, sa compagne des bons et des mauvais jours, qui termina ses jours en prison, était prostituée, mais dans quelles circonstances Jacob l’a-t-il rencontrée ? Est-ce qu’elle eût des difficultés pour quitter son état ? La connaissance des détails de cette relation permettrait de faire le point justement sur les intersections entre le milieu libertaire et celui des voyous de basse extraction.

     

    Bibliographie

     

    William Caruchet, Marius Jacob, l’anarchiste-cambrioleur, Séguier, 1993.

    Georges Darien, Le voleur, Jean-Jacques Pauvert, 1955.

    Gilles Del Pappas, Attila et la magie blanche, Au-delà du raisonnable, 2010.

    Jean-Marc Delpech, Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur, Atelier de création libertaire, 2008.

    Alexandre Jacob, Ecrits, édition  revue et augmentée, L’insomniaque, 2004.

    Alain Sergent, Un anarchiste de la Belle Epoque, Alexandre Marius Jacob, Le seuil, 1950.

    Bernard Thomas, Jacob, Tchou, 1970.

    Bernard Thomas, Les vies d’Alexandre Jacob, Mazarine, 1998.

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