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     C’est un drame qui se joue au quotidien avec des groupes d’individus qui vivent sur des planètes très différentes. Les djeuns, ou les apprenants, front bas et pantalon large, qui ont tous les droits, l’administration trouble et inquiète à la fois, les parents qui s’en foutent ou qui gobent tout ce que leurs rejetons racontent, et enfin les malheureux professeurs qui ne savent comment réagir à cette montée de l’imbécilité barbare. Il n’y a pas d’intrigue à proprement parler, des jeunes lycéens de la banlieue de Marseille, décident de se venger en dénonçant un professeur qui pourtant se donne du mal, comme un dangereux pédophile. Ils ne pensent pas à mal ! La farce tournera au drame et personne ne sera épargné.

    Sylvie Cohen veut écrire un livre noir, en ce sens que ce sont les conditions matérielles qui mènent cette population disparate sur la pente de la fatalité. L’écriture est volontairement éclatée dans une forme chorale où les points de vue se recoupent et se complètent. Des archétypes sont définis à travers Max qui deale un brin, Chloé qui se la joue gothique, etc. Les faibles sont punis et il est encore plus sage de jouer les durs et les ignares si on ne veut pas se faire dévorer par la meute. Ce pourrait être un roman sur la lâcheté, tant les protagonistes de cette affaire essaient d’aligner leur position sur ce qu’ils croient être la bonne ligne qui leur permettra d’atteindre la fin de la journée sans trop de bobo. Sylvie Cohen dessine une sorte de conjuration des imbéciles portée par un langage de 300 mots. On a peine à croire que nos djeuns sont comme ça. On se dit qu’elle force le trait, mais ce qui vient de se passer dans l’Hérault où une jeune lycéenne s’est fait tuer à coups de poings par le frère de sa rivale, nous démontre que non. Probablement a-t-elle travaillé dans l’éducation nationale pour rendre de façon si précise l’effondrement du système éducatif. Les comportements et le langage de l’administration est tout à fait bien traduit et participe de cette sinistre farce. Pourquoi un tel système criminogène persiste-t-il ? Parce que finalement personne en veut se donner la peine de résister et que la lâcheté est encouragée par tous ceux qui veulent que rien ne change.

    Le récit est écrit à la première personne du singulier et la langue utilisée sert de véhicule à la pensée. Comme la langue est dégénérée, il vient que la réflexion l’est aussi. Mamouth rodéo trash appartient à une longue lignée d’ouvrages qui jouent sur la reconstitution du langage parlé, on connait ça depuis au moins Henri Poulaille et son Pain quotidien, mais il est aussi moderne puisqu’il nous parle de la banlieue et de ses dérives. Là, il s’inscrit dans la veine de Chimo, et par certains côtés, il me rappelle aussi Sournois que j’ai publié en 2007, probablement parce qu'il s'y passe au même endroit, bien que le propos soit différent dans ses visées. Si l’ouvrage se lit si bien, c’est probablement parce qu’il dévoile ce qu’on ne veut pas voir : bien au-delà du fossé des générations, il n’y a plus aucune possibilité pour une réconciliation, ou au moins pour que les différents acteurs de cette comédie dramatique se comprennent un jour. La situation annonce une longue descente aux enfers.

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