•  niagara1.png

    Film noir en couleurs flamboyantes, Niagara est l'histoire d'un homme trompé qui va devenir l'assassin de sa femme presque par nécessité. En effet, celle-ci met au point le meurtre de son mari, avec la complicité de son amant. Tout cela est relativement banal, sauf que le couple Loomis est balancé par un autre couple en vacances aux chutes du Niagara, un couple à l'inverse très propre et gentillet, ou qui du moins joue cette comédie. C'est plus cette curieuse opposition entre deux couples qui tient le spectateur en haleine, que le suspense lui-même.

     niagara2.png

    Rose Loomis rêve à la disparition de son mari

    Une des idées de mise en scène est d'utiliser le cadre grandiose des chutes du Niagara. Cela permet d'opposer l'aspect factice de la vie des touristes à la réalité sombre du couple Loomis qui s'enfonce dans la haine. Mais en même temps cette utilisation des chutes du Niagara va permettre de sortir le film noir de ses lieux confinés, les rues, les chambres, les espaces clos. Cette nature n'est cependant pas amicale, bien au contraire, elle est tout autant menaçante qu'une arme à feu. D'ailleurs l'amant de Rose sera emporté par les rapides.

     

    niagara6.png

     Rose dit à ses voisins qu'elle va faire le marché

    C'est également un des premiers grands rôles de Marylin Monroe. Elle n'avait jusqu'alors tenu la vedette dans Troublez moi ce soir, un autre film noir plutôt très bien. Après Niagara, elle va changer de style de film et délaisser le film noir. Ici elle joue la femme adultère, préoccupée par son charme et sa capacité à tromper ceux qui l'entourent. Contrairement aux apparences, le film est ainsi fait que Marylin n'en a pas la vedette, même si évidemment son allure se remarque très facilement et si son rôle est tout à fait dans la continuité de la jeune femme déséquilibrée de Troublez-moi ce soir. Mais le récit est éclaté entre les quatre personnages principaux et ne saurait être confondu avec un simple film de Marylin Monroe. Joseph Cotten est un mari jaloux et malmené par la vie, son âme est sans repos. Il faudrait peut-être consacrer un article entier à la contribution de Joseph Cotten au film noir.  A mon sens elle est décisive, ne serait-ce qu'à cause de son physique particulier qui dérange, on ne sait jamais s'il est bon ou mauvais. Casey Adams joue le rôle de Ray Cutler, un mari fade et conventionnel. Lui aussi a un physique bien particulier qui colle assez à cette sorte de cauchemar américain qui voit son idéal dans le tourisme et une partie de pêche.

    niagara4.png

     George Loomis ne supporte plus les provocations incessantes de sa femme

    niagara5.png

    La naïve Rose aime danser et écouter des chansons romantiques

    Le personnage le plus compliqué et le plus intéressant à mon sens de l'histoire est sans conteste celui de Polly, incarnée par Jean Peters. En effet, elle semble à la fois protéger Loomis, être attirée physiquement par lui, mais en même temps elle le dénonce à la police, alors qu'il ne la menace en rien. C'est d'ailleurs ce personnage de Polly qui fait de Niagara un film sur la roublardise des femmes : l'une, Rose, est plutôt transparente dans ses intentions, elle cherche à se débarrasser de son mari pour s'enfuir avec son amant, l'autre, Polly, joue le jeu d'une femme simple et gentille, mais au fond elle est attiré par Loomis, et pire encore c'est elle qui le perd. Elle a du reste une manière de regarder son benêt de mari d'une manière qui est plutôt curieuse. Jean Peters est très bien dans ce rôle avec son physique mi-ange, mi-démon, loin de la perversité affichée et presque trop simple de Marylin Monroe. C'est donc un film sur des couples mal assortis : Rose ne supporte plus son mari choqué par la guerre de Corée et vogue vers un rêve sucré dans les bras d'une sorte de maquereau aux chaussures bicolores, Polly porte un regard des plus sévères sur son mari, une sorte de schtroumpf qui sourit béatement à sa vie de touriste.

     

     niagara7.png

     Les Cutler assistent impuissants aux déchirements du couple Loomis

    niagara8.png

    Les Cutler recueillent les confidences de Rose

    Le film est surtout caractérisé par un traitement flamboyant des couleurs qui ressort encore plus dans la version blu ray du film. Du rose, du jaune vif, du bleu, c'est bien cette palette criarde qui va donner plus de noirceur à cette histoire. il faut voir Marylin - alias Rose - qui annonce à ses voisins d'un air bien innocent qu'elle va faire le marché, perchée sur ses talons, le cul serré dans un tailleur bleu qui la fait repérer à un kilomètre à la ronde. Ou encore cette robe fuchsia au milieu des touristes qui dansent. On reconnait également le caractère malfaisant de l'amant de Rose, pourtant à peine entrevu au fait qu'il porte des chaussures bicolores ! C'est bien là la marque de sa veulerie et de sa fainéantise ! Il ne sera d'ailleurs pas plus détaillé autrement que par des objets, c'est à peine si on l'entend parler.

     niagara9.png

    Que cherche Polly auprès de Loomis derrière les stores tirés de sa chambre ?

    niagara10.png

    Polly essaie de calmer Loomis et soigne sa blessure

    L'ambiguité est au rendez-vous bien sûr, et pas seulement chez Polly. La naïve et roublarde Rose est également un personnage qui se donne des émotions en écoutant des vieilles rengaines. Et peut-être qu'au delà du meurtre de son mari elle rève à des histoires d'amour tout à fait romantique. Le film laisse le doute planer sur le comportement de Rose. A l'évidence ce n'est pas l'argent qui l'intéresse, mais est-ce pour autant qu'elle est amoureuse de celui qui est censé occire son époux ? Et son amant, qu'est-ce qui le motive ? A part un baiser humide au milieu des chutes du Niagara, on ne sait pas qu'elle est la nature de leurs relations. Au spectateur de l'imaginer.  D'ailleurs c'est un film humide, très humide. Les acteurs sont affublés d'impermébales destinés à les protéger des embruns, et à la fin Jean Peters et Joseph Cotten prennent des douches en veux-tu, en voilà.

    niagara11.png 

     Rose combine le meurtre de son mari

     niagara12.png

    Rose découvre que le mort n'est pas son mari

    Si on peut juger l'histoire un brin inégale - la fin n'est pas très intéressante, un peu comme si le film s'achevait avec la mort de Rose - en revanche, la mise en scène est impeccable et contient des scènes très prenantes. Il y a d'abord ces confrontations feutrées derrière les stores de la chambre des Loomis. Mais également la poursuite de Rose par George Loomis, la traversée de la gare, la montée dans le clocher, et enfin le meurtre filmé d'une manière indirecte comme un jeu d'ombres et de lumière. Le contrepoint du décor grandiose des chutes du Niagara ne change pas grand chose à ce sentiment d'enfermement des différents protagonistes. Les producteurs ont certainement misé sur le décor naturel, mais ce n'est pas cela qui intéresse manifestement Hathaway.

    niagara13.png

     Rose va chercher à fuir

     niagara14.png

    George veut se venger

    C'est loin d'être un film mineur et le passage du temps le rend encore meilleur si on veut. Plus encore il s'inscrit dans la longue lignée des films noirs d'Hathaway qui en fut en quelque sorte un des maîtres indispensables, on reconnait tout à fait sa patte dans les clairs obscurs, les regards jetés derrière des stores tirés ou encore les mouvements de caméra qui jouent de la profondeur de champ dans les scènes qui se passent dans le clocher ou à la gare. Le fait que le film soit tourné avec des couleurs flamboyantes annonce le virage du film noir vers cette forme de sophistication de l'image qui va mettre encore plus en accusation le modèle américain de surconsommation des images et des marchandises. L'influence sur les films d'Hitchcock est évidente, c'est en effet après Niagara qu'Hitchcock va tourner des films en couleurs dans une esthétiquer proche de celle de Niagara, et qu'également il va surutilisé des blondes évaporées qui se font étrangler ou maltraiter.

          niagara15.png 

    Rose voit son mari fondre sur elle et elle a peur

     niagara16.png

    George réussit à coincer Rose dans le clocher

    Evidemment revoir ce film en blu ray lui donne une nouvelle vie et on ne saurait qu'en recommander la vision dans ce format qui renvoie au rang d'objet préhistorique les formats DVD antérieurs. 

     niagara17.png

          Rose en a terminé de son parcours tortueux

     niagara18.png

          Le triste Cutler assiste impuissant à la dérive du bateau

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  Tight-spot-1.png

    La trame de ce film reprend celle de La femme à abattre de Richard Brooks. Un procureur et un policier cherchent à confondre un chef de bande pour des crimes divers et variés. Pour cela, et après que leur principal témoin ait été assassiné, ils vont chercher en prison une femme Sherry Conley. C’est leur dernière chance. Mais celle-ci est une « affranchie » et c’est bien difficile de la convaincre de témoigner. C’est donc la peur qui va dominer une garnde partie du film, car les gangsters vont tenter de l’éliminer. Recluse dans une chambre d’hôtel, gardée jour et nuit pas des policiers, le film pourrait ressembler à un huis clos. Ce n’est pourtant pas le cas car Karlson aère le film avec des extérieurs qui non seulement le font sortir du huis clos mais qui en outre permettent d’enchaîner des retournements de situation innattendus.

     Tight-spot-2.png

    Assassinat du principal témoin

    C’est un film plutôt ambigu de tous les points de vue qu’on le prenne. D’abord parce que c’est une apologie de la délation. Ce qui est assez curieux puisque dans la chasse aux sorcières à Hollywood, Edward G. Robinson avait été inquiété, mais Ginger Rogers, classée à l’extrème droite du spectre politique, avait joué le rôle du procureur réclamant d’étendre cette chasse aux sorcières à toute la société. Mais le scénario est assez subtil, puisque le policier qui s’inquiète du sort réservé au témoin est en réalité corrompu, même s’il se rachétera en sauvant Sherry. De même on peut se poser des questions sur l’obstination du procureur à poursuivre un chef de bande, dans la mesure où la fin justifiant les moyens, il n’hésite pas à sacrifier du matériel humain.

     Tight-spot-3.png

    Dans la prison pour femmes

    Il serait donc bien diffcile de chercher et de trouver dans ce film des leçons de morale et de politique. Il reste le portrait d’individus broyés par un système social et judiciaire bien aveugle.

     Tight-spot-4.png

    Sherry refuse de témoigner

     Adapté d’une pièce de théâtre de Leonard Kantor, le film souffre de cette origine. Il est trop saturé de discours sur tout et rien. Et malheureusement il se prête un peu trop aux numéros de cabotinage de Ginger Rogers qui en fait des tonnes dans le rôle de cette pauvre fille marquée par la vie et qui ne comprend pas grand-chose à sa tragique destinée. On suppose que le film a été monté pour elle. Actrice vieillissante, son heure de gloire était déjà passée et appartenait à l’époque dorée d’Hollywood, puisque ses rôles les plus significatifs avaient été développés aux côtés de Fred Astaire. Certes elle a beaucoup d’énergie, mais elle lasse un peu avec ses grimaces qui se veulent le reflet d’une vulgarité populaire.

    Tight-spot-5.png

     Un procureur obstiné

    Edward G. Robinson est le procureur incorrputible, mais il reste assez effacé et son rôle ne paraît guère décisif dans le développement de l’intrigue. Lui aussi est à cette époque un acteur sur le déclin, depuis que la Commission des activités anti-américaines s’est attaqué à lui. Il n’est guère présent. Bien plus intéressant est Brian Keith dans le rôle du policier corrompu. En effet, il va se trouvé déchiré entre son rôle de corrupteur, payé pour entraver la marche de la justice, et la pitié qu’il manifeste pour Sherry dont on peut penser qu’il est tombé amoureux.

    Tight-spot-6.png

     Passage à tabac d’un flic corrompu

    Comme on le voit, ce n’est pas un très grand film, mais il est en fait sauvé par la réalisation qui est de très haut niveau et qui montre que sur le plan technique Karlson était bien un des meilleurs. A ce propos on lira dans le dernier numéro de Positif (avril 2013) un dossier sur ce qu’on appelle « les petits maîtres » dans lequel il range aussi bien Phil Karlson que Tay Garnett. Le terme de « petits maîtres » étant réservé à des réalisateurs très doués mais que les circonstances n’ont pas autorisés à faire carrière avec constance et maîtrise.

     Tight-spot-7.png

    Cas de conscience

     Quoiqu’il en soit, le film de Karlson recèle des scènes excellentes, à commencer par l’entrée en matière nerveuse qui débouche sur l’assassinat du principal témoin sur les marches du palais de justice. Egalement le portrait de Sherry en prison, tourné en longs travellings, utilise la profondeur de champ pour mieux faire sentir cet univers angoissant et claustrophobique. On retiendra encore le passage à tabac de  Vince dans les sous-sols. Il faut dire que la photo de Burnett Guffey qui photographia tant et tant de films noirs est excellente également. Karlson est cependant moins à son aise quand il faut filmer des dialogues trop longs et trop didactiques ou le cabotinage de Ginger Rogers. 

    Tight-spot-8.png

     Tentative de meurtre contre le dernier témoin

    Au final, et près de soixante années après sa réalisation, le film passe encore très bien et reste très intéressant.

     Tight-spot-9.png

    Règlement de comptes final



     

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •   uncle-harry-2-copie-2.png

    The strange affair of uncle Harry est un film très mineur dans la filmographie de Robert Siodmak. Il est tourné en 1945, juste après The suspect, et avant les chef-d'œuvre du film noir qu'il tournera par la suite. Il est également très inférieur au précédent, The suspect. Le principal problème est qu'il s'agit d'une adaptation d'une pièce de théâtre et que ça se voit. Les coups de théâtre sont téléphonés, et les dialogues un rien lourdauds.

     

    uncle-harry-3.png

    Harry tombe rapidement sous le charme de Deborah

     Harry est un vieux garçon qui est issu d'une vieille famille dont les ancêtres ont fait la ville de Corinth, mais qui a été ruinée par la Grande crise des années trente. Pour survivre, il est obligé de travailler dans l'ancienne usine de son père qui a été rachetée et qui l'emploie à dessiner des modèles de tissus colorés. il a l'habitude d'une vie étroite et provinciale, et le seul vestige de son prestige passé est la maison familiale où il vit avec ses deux sœurs qui passent leur temps à se disputer d'une manière un peu rude. Tout cela ne viendrait pas déranger la routine tranquille dans laquelle baigne Harry, si la belle Deborah qui arrive de New York n'avait pas la curieuse idée de tomber amoureuse du tristounet Harry. et à partir de ce moment là les ennuis vont commencer à pleuvoir. En effet, Lettie est très jalouse, elle veut garder son frère pour elle seule, et va tout faire pour empêcher le mariage de Harry et de Deborah. Du reste elle va y arriver, et Deborah partira avec un autre de ses prétendants pour l'épouser. Lettie qui joue les malades imaginaires retrouve tout soudain une santé éclatante. Harry comprend qu'il a été le jouet des manigances mesquines de sa sœur et décide de l'empoisonner. Mais malencontreusement, c'est l'autre sœur de Harry qui meurt. Reste que Lettie va être accusée du meurtre de sa sœur, et qu'Harry aura fait d'une pièce deux coups en se débarrassant de ses deux encombrantes sœurs. Pris de remord, il tentera pourtant de passer aux aveux et de sauver Lettie de la pendaison, mais celle-ci refuse la dénonciation d'Harry et lui fait cet ultime cadeau de mourir à sa place.

     uncle-harry-4.png

    Harry présente Déborah à la possessive Lettie

    Ainsi qu'on le voit, l'intrigue ne casse pas trois pattes à un canard, c'est presqu'aussi mauvais que du Hitchcock, ce n'est pas un film noir, juste une sorte de jeu. Rien n'est vraisemblable dans cette histoire, tant sur le plan policier que sur le plan de la psychologie des personnages. Et le retournement final n'arrange pas les choses, bien au contraire, cela frise le ridicule.

     uncle-harry-5.png

    Lettie est heureuse de voir Déborah quitter Harry

     

    Y'a-t-il quelque chose à sauver dans ce film ? En effet la mise en scène de Siodmak ne se remarque pas particulièrement, guère de plans qui nous rappelle qu'il est un maître du clair obscur et des angles tarabiscotés. Seuls les acteurs et les actrices donnent un peu de vie à cette histoire. D'abord George Sanders qui est oncle Harry, un vieux garçon qui va se réveiller au contact d'une jeune femme délurée et entreprenante. Ensuite Geraldine Fitzgerald qui passe par toutes les facettes d'une femme à la fois malade, roublarde et profondément malheureuse. Egalement Ella Raines est très bien, quoique le scénario ne lui ménage pas une bien grande place. Donc ça se regarde assez bien parce que les acteurs sont bons. Si on voulait trouver quelque indulgence à ce film on dirait que c'est une histoire d'inceste, en avance sur son temps puisqu'elle dévoile des pulsions secrètes que la morale bourgeoise a enfoui, ou encore que les femmes martyrisent beaucoup ce pauvre Harry. Mais ce freudisme bien léger ne suffit guère à élever le niveau général de l'œuvre. Cependant comme ça ne dure qu'une heure et vingt minutes, finalement on s'en tire bien et on a amélioré notre connaissance de l'œuvre de Siodmak, ce qui n'est pas rien tout de même !

     

    uncle-harry-6.png

    Lettie préfère mourir et qu'Harry ait des remords

     uncle-harry-1.png

    On nous signale qu'il ne faut pas dévoiler la fin ultime, mais c'est juste une manière de publicité

     

    uncle-harry-7.png

    Geraldine Fitzgerald, Robert Siodmak et George Sanders sur le tournage de The strange affair of Uncle Harry

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  bas-les-masques-1.png

    Richard Brooks est un cinéaste à message, c’est-à-dire que, quitte à le simplifier, il faut que le spectateur comprenne sans ambigüité où il veut en venir. Ça tombe bien parce qu’au moment où il rencontre Bogart ce dernier est en voie de politisation accélérée pour cause de Chasse aux sorcières. Deadline USA est un film très compliqué, et c’est probablement pour cela qu’il ne fut pas un très grand succès. Ce film noir est en effet construit à partir de trois histoires imbriquées : il y a la mort d’un journal que ses propriétaires sont en train de vendre pour réaliser une bonne affaire financière à un magnat de la presse qui vise une situation de monopole et le contrôle de l'information. Ensuite il y a une enquête criminelle, le journal dans son ensemble semble vouloir remplacer la police qui est incapable de coincer un mafieux, Rienzi, qui gagne des millions mais qui a du sang sur les mains. Enfin, il y a une romance incertaine entre Hutchison, le patron du journal et sa femme avec qui il a divorcé et qui va sans doute se remarier avec un autre que lui. Cet aspect un rien niaiseux plombe tout de même l'histoire

    bas-les-masques-2.png

    Les journalistes font semblant de ne pas être inquiets

    Le mélange de ces trois niveaux, surtout en une heure et demi, brouille les lectures du film. Certes, on comprend bien l’importance de la liberté de la presse, Bogart développe sa nécessité devant un tribunal, que ce soit pour conforter la démocratie ou pour lutter contre les monopoles, comme on comprend aussi que la liberté d’opinion doit être défendue sans réserve, ce qui est une allusion directe à l’activité de la sordide Commission des activités anti-américaines. Mais ce mélange des genres disperse les personnages et les rend relativement flous. Les seconds rôles sont pourtant tenus par des acteurs très intéressants, que ce soit Paul Stewart, dans le rôle d’un journaliste qui a des allures de Dashiell Hammett, ou Ed Begley, qu’on retrouvera dans un autre film de Brooks très important, Doux oiseau de  jeunesse, et qui tiendra un rôle déterminant dans l’excellent Odds againsty tomorrow. L’étonnant Martin Gabel qu’on a vu dans The thief, curieux film muet, ou dans Quatorze heures d’Henry Hathaway, interprète magnifiquement Rienzi. Ethel Barrymore est aussi très présente, mais elle est toujours très bien quel que soit le film.

    C’est un film noir qui met en scène le journalisme, Brooks comme Fuller qui s’adonnera aussi à ce sous-genre, est un ancien journaliste d’investigation. La description du milieu, des machines, de la fièvre qui s’empare des journalistes au moment du bouclage est certainement ce qu’il y a de mieux.

     bas-les-masques-3.png

    Ed veut un journal offensif 

    Il y a cependant un idéalisme du journalisme qui passe difficilement, car cette profession n’a jamais été reconnue comme exemplaire en ce qui concerne son indépendance, même à cette époque. Toute l’histoire du journalisme tend au contraire à montrer que cette profession a toujours été corrompue, au moins autant si ce n’est plus que la police et les milieux politiques. Cette défense et illustration du journalisme d'investigation comme rempart nécessaire pour la démocratie venait probablement chez Brooks, comme chez Samuel Fuller, de sa carrière de journaliste

     bas-les-masques-4.png

    Les journalistes vont trouver un témoin inattendu 

    Le film n’est cependant pas mauvais, on peut le revoir avec plaisir, ne serait-ce que pour la forte prestation de Bogart, mais il n’arrive pas à dépasser le niveau du film de genre, que ce soit dans le scénario ou dans la réalisation. Il y a tout de même de très bons moments : l’assassinat du témoin par de faux policiers dans l’imprimerie du journal qui semble signifier d’ailleurs qu’il est bien meilleur de faire confiance à un journal qu’à la police. Il y a également de longs plans-séquence très bien venus dans la salle de rédaction qui donnent cet effet de bourdonnement.

     bas-les-masques-5.png

     La vieille Margaret Garrison fera de son mieux pour aider Ed 

    C’est, avec De sang froid, l’unique incursion de Brooks dans le domaine du film noir. Probablement n’était-il pas fait pour ce genre qui demande d’introduire un peu plus d’ambigüité dans les comportements humains comme dans les situations, encore qu'on puisse voir de l'ambigüité dans le comportement de Ed Hutcheson, car s'il traque le criminel Rienzi, ce n'est pas seulement par un souci de justice, mais aussi pour vendre du papier. Curieusement ce film est très difficile à trouver et c’est un des rares films de Bogart qui n’est pas disponible en DVD et encore moins en blu ray.

      bas-les-masques-6.png

    Ed apprend que son journal sera tout de même vendu

     Richard Brooks a eu une carrière éclectique autant que curieuse, faite de hauts et de bas, il a touché à tous les genres, allant du western au film d'aventures en passant par des formes introspectives. A côté de gros succès comme Elmer Gantry, selon moi son chef d’œuvre, ou La chatte sur un toit brûlant, ou encore le western assez peu conventionnel Les professionnels, il s’est payé quelques bides noirs, tant sur le plan commercial que sur le plan artistique, par exemple l’insipide Dollars avec Warren Beatty, ou La fièvre du jeu avec Ryan O’Neal en 1985. En réalité il a assez peu tourné, voulant avoir une pleine maîtrise de ses films, il les produisait le plus souvent ses films, mais il en écrivait aussi les scénarios.

     bas-les-masques-7.png

    Le journal ne sera pas sauvé

     bas-les-masques-8.png

    Bogart, Bacall, leur fils et Richard Brooks sur le tournage de Bas les masques

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  joe-gores-1.png

    Cet ultime ouvrage de Joe Gores, décédé en 2011, raconte l’histoire de Sam Spade, le héros du Faucon maltais, avant 1929. Ce sont les aventures du célèbre détective entre 1921 et 1928. C’est encore d’une sorte de chasse au trésor dont il s’agit : un chef debande cambriole un navire avec de multiples complicités et détourne des stocks d’or australien. Spade arrive à limiter les dégâts, mais le criminel lui échappe. Quelques années plus tard, il va retrouver fortuitement celui-ci dans le cours d’une autre affaire liée au trésor de Sun Yant-sen qui aurait été enfoui quelque part près de San Francisco.

    Si l’intrigue n’a pas beaucoup d’intérêt, par contre la façon de mener la narration est intéressante. Gores qui avait déjà écrit Hammett, un récit mettant en scène Dashiell Hammett, a repris ici, avec l’autorisation des ayant-droits le personnage de Spade. Bon connaisseur de l’œuvre d’Hammett, il en reprend les tics et les formes même d’écriture. On dirait du Hammett, dans la tournure de la phrase, comme dans la conduite du récit.  Bien sûr ce n’en est pas. D’abord parce que l’écriture est moins spontanée que chez Hammett, et ensuite parce qu’Hammett ne se préoccupait pas autant que Gores de l’aspect « reconstitution » d’une époque disparue.

      joe-gores-2-copie-1.png

    Mais ce n’est pas une critique que de marquer les différences entre Hammett et Gores. En vérité, Spade & Archer est un bon bouquin à plus d’un titre. D’abord parce que Gores a fait un travail de reconstitution de la fin des années vingt tout à fait remarquable et qu’il arrive à rendre l’ambiance particulière de San Francisco d’antan. Les scènes sur les quais sont parmi les meilleures de l’ouvrage, avec la description minutieuse de la complexité de la situation des dockers. De même la visite du quartier chinois est tout à fait saisissante.

    Gores a également bien saisi le caractère de Spade, à la fois cruel et fourbe, mais doté d’une certaine forme de morale et d’humour. Cela est traduit par des réflexions ou des colères soudaines. Certes on peut regretter une fin un rien lénifiante.

    L’ultime scène est un raccord avec l’ouvrage d’Hammett, Le faucon maltais, puisqu’Effie introduit Wonderly auprès de Spade.

     

    En lisant l’ouvrage de Gores, plus encore qu’en lisant Hammett lui-même, on comprend mieux où Léo Malet piocha pour créer son personnage de Nestor Burma. 

    Partager via Gmail

    votre commentaire



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires