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    Voilà un film qui a une grosse réputation, certains allant jusqu’à dire qu’il s’agit du chef-d’œuvre d’Alain Corneau.  C’est une adaptation assez fidèle dans le déroulement de l’histoire de A hell of a woman de Jim Thompson. Et d‘après ce qu’on comprend l’adaptation s’est faite sur la base de la traduction de cet ouvrage paru en Série Noire en 1967. Ce qui peut poser des problèmes d’interprétation, voire d’incompréhension, parce que la fin de l’ouvrage est clairement différente dans la version de la Série Noire. 

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    Poupart fait du porte à porte 

    Frank Poupart fait du porte-à-porte dans la banlieue parisienne. Un jour il tombe sur une vieille qui lui propose sa nièce en échange d’un produit assez médiocre. Cédant à la tentation, il va manifester de la compassion pour la jeune Mona. De la même manière que dans le livre, après être passé par la case prison, il va mettre au point un scénario pour s’emparer du magot de la vieille. Mais les choses ne se passeront pas comme il l’entend, son patron le dépouillera, il assassinera sa femme et se retrouvera seul face à Mona, en attendant probablement que la police vienne le trouver.

    L’adaptation du roman de Jim Thompson est due à Georges Pérec et à Alain Corneau. Ce qui saute aux yeux tout de suite, c’est que c’est une trahison totale de l’esprit de Jim Thompson dont ils n’ont conservé que le côté matériellement sordide de l’histoire, oubliant un peu trop facilement la folie de Poupart. Certes ici on le perçoit comme quelqu’un d’un peu étrange, mais pas comme quelqu’un de fou, et d’ailleurs toutes les obsessions du livre, à commencer par celle de la castration et des ciseaux n’apparaissent jamais. 

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    Il rencontre la très jeune Mona 

    La difficulté vient du fait que le roman est un long monologue qui nous fait pénétrer peu à peu dans le cerveau malade de Frank. Or ici la voix off qui pourrait être l’équivalent de l’écriture à la première personne, n’est que très rarement utilisée. Cela fait apparaître Poupart plus victime des circonstances que de sa propre folie. La transposition que Corneau et Pérec réalise passant de l’Amérique profonde à la banlieue parisienne n’est pas convaincante non plus. On retrouve le même problème qu’avec le film de Bertrand Tavernier, Coup de torchon, qui avait situé 1275 âmes en Afrique noire pendant la guerre, pensant trouver là un équivalent à la lourdeur du climat social des Etats du sud des Etats-Unis. Mais la façon de réagir, de sentir et de se comporter dans les relations humaine sont chez Thompson typiquement américaines : la solitude et la difficulté d’avoir des relations normales avec des femmes. Corneau passe complètement à côté de son sujet en n’évoquant jamais cette question de la castration et du retour en enfance.

    Dans le même ordre d’idée, il ne donne pas de corps aux personnages féminins, que ce soit la femme de Poupart ou Mona bien entendu. Or dans l’ouvrage de Thompson, même s’il est malhonnête, Frank ressent de l’amour pour ces femmes qu’il peut dans le même temps abandonner ou même tuer.   

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    Sa femme le traite par le mépris et annonce qu’elle va le quitter 

    Il y a une scène qui est parfaitement déplacée et ridicule dans le film, c’est Poupart qui se retrouve dans un bar un peu sordide où de soi-disant Hell’s angels font la loi. Non seulement cette scène n’a rien à voir avec le roman, mais elle n’apporte rien sur le plan de la compréhension de la mécanique psychologique de Poupart. De même si dans le film et dans le livre le héros tue sa propre femme, dans le film il ne la fait pas disparaître de son logement, ce qui change complètement sa destinée puisqu’on croit comprendre que la police l’arrêtera pour cela.

    Egalement le personnage de Staplin (Staples dans le roman) n’est pas très développé, alors que Corneau bénéficiait de Bernard Blier pour l’incarner. Or celui-ci est une triste canaille qui dans le roman payera ses mauvaises actions envers Frank puisqu’il sera accuser de l’assassinat de Frank et de sa femme, mais aussi d’avoir récupéré de l’argent d’une rançon pour kidnapping. D’ailleurs dans le roman, Thompson laisse entendre que Mona a été enlevée et élevée par la vieille, ce qui éclaire un peu mieux sa volonté de la prostituer. 

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    Poupart se saoule dans un bar mal famé 

    Alain Corneau disait que c’était un film à petit budget et qu’il fallait faire attention au moindre centime dépensé pour la mise en scène. Est-ce cela qui donne ce caractère étriqué au film ? Les gros plans sont souvent trop multipliés, accroissant le caractère hystérique du jeu de Dewaere. Les images de Pierre-William Glenn qui avait déjà fait la photo des premiers films de Corneau et qui fera celle de Coup de torchon, renforce cette approche typique de la banlieue dans les années soixante-dix, comme le contrepoint de la crise sociale qui accompagne la modernisation hâtive de la société française.

    Ce n’était pourtant pas le premier film de Corneau et il avait déjà connu de bon succès publics avec les deux films policiers qu’il avait tournés avec Yves Montand au faîte de sa gloire, Police Python 357 et La menace. Il semble donc que l’idée de faire un film noir adapté de Thompson n’ait pas beaucoup enthousiasmé les producteurs.

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    Poupart commet un double meurtre et s’empare du magot 

    Reste l’interprétation. Patrick Dewaere porte entièrement le film sur ses épaules, il est présent du début à la fin, et on dit qu’il s’était beaucoup investi dans ce rôle. En revoyant ce film, près d’un quart de siècle après sa sortie, je suis un peu choqué par cette interprétation hystérique. Il crie beaucoup, faisant monter sa voix dans les aigus, renforçant un accent parisien à couper au couteau qui donne un côté grotesque au personnage. Il saute, tourne, danse. Le générique s’ouvre d’ailleurs sur les images d’un Frank Poupart – on a traduit Dolly qui veut dire Poupée par Poupart – qui fait un numéro assez raté où les extravagances comportementales sont censées expliquer la suite.

    C’était également le premier rôle de Marie Trintignant qui devait connaître un tragique destin. Elle n’avait que 17 ans, et son jeu était plutôt emprunté, même si on comprend bien qu’en lui faisant jouer les mutiques Corneau limitait les dégâts. Bertrand Blier, vieux routier du cinéma français, paraît lui-aussi s’être trompé de film et reproduit une pâle copie de ce qu’il avait l’habitude de faire chez Audiard ou chez Lautner. Seule Myriam Boyer semble tirer un peu son épingle du jeu.

    La mise en scène reste assez empruntée, et les gros plans probablement trop nombreux, étouffe le film, freine l’action. Le montage serré, ni les mouvements désordonnés de Patrick Dewaere ne compense pas cette difficulté générale avec le rythme.

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    Staplin menace Poupart de le dénoncer à la police s’il ne lui donne pas l’argent 

    Je me rends compte que j’ai un avis très négatif sur ce film, mais j’avais déjà été très critique sur le malheureux remake que Corneau avait réalisé du Deuxième souffle. Et je me demande si une partie de cette critique ne tient pas plus au fait que je le juge comme une adaptation d’un roman de Jim Thompson, plutôt que comme un film à part entière de Corneau, une œuvre originale, comme on juge aussi son film Le deuxième souffle par rapport à l’adaptation de Jean-Pierre Melville. 

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    Alain Corneau et Patrick Dewaere sur le tournage de Série noire

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    Ce roman est paru aux Etats-Unis en 1954, année de forte productivité de Jim Thompson. C’est alors un auteur assez peu fortuné qui peine à gagner sa vie correctement. Hell of a woman est très bon, mais ce n’est pas le meilleur ouvrage de Jim Thompson. Il est écrit juste avant The nothing man qui va traiter de thèmes similaires. Il était paru antérieurement en Série Noire sous le titre assez bizarre de Des cliques et des cloaques en 1967, dans une traduction assez traficotée. Il réapparaît aujourd’hui dans une nouvelle traduction de Danièle Bondil qui a une longue expérience de traductrice et qui s’est notamment occupée de la version française du Ventre de New-York de Thomas Kelly  chez Rivages. Sans faire un fromage des questions de traductions – après tout Jim Thompson s’est fait connaître par les traductions très contestées et contestables de la Série Noire – la comparaison rapide des deux versions montre des changements significatifs, notamment à la fin, où l’écriture très particulière de Thompson devient particulièrement déjantée pour montrer l’accélération de la folie de Frank Dolly. On sera ainsi bien plus près de la logique de Thompson.

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    L’histoire est relativement simple, Frank Dolly est un démarcheur qui vend de la camelote en porte à porte, souvent à crédit. Il a peu de succès, a des difficultés pour faire payer les clients, et trafiaque ses fiches de vente pour pouvoir subsister. Maid un jour il croise la route de Mona, une toute jeune fille que sa tante semble vouloir prostituer. La vieille lui propose qu’il lui laisse une ménagère contre la possibilité d’utiliser la jeune Mona. Dolly a un élan de comapssion à l’endroit de cette très jeune fille, mais il est marié à Joyce avec qui il a une relation très tendue pour ne pas dire plus. A partir de là va se mettre en place un engrenage fatal : se retrouvant en prison pour avoir escroqué son patron, Dolly est tiré d’affaire par Mona qui a payé sa  caution. Comprenant que la vieille possède un magot, il va s’arranger pour la tuer, faisant accuser de ce meurtre un pauvre travailleur allemand immigré de fraiche date. Il est censé partir avec l’argent et avec Mona, mais il temporise et semble se retrouver piégé par Joyce qu’il va assassiner aussi. Son patron ayant compris le crime de Frank, il va exiger de lui la totalité du butin. Pris d’un accès de folie, il sautera par la fenêtre.

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    Jim Thompson 

    Le point de vue est celui de Dolly, le roman est écrit pour cela à la première personne, il marque l'empathie de Thompson pour son triste héros. Et son écriture un peu compliquée montre le chaos qui règne dans son esprit. D’ailleurs on n’est pas très certain d’avoir bien compris la fin de l’histoire car la réalité devient de plus en plus fantasmée et Dolly mélange volontiers le passé et le présent.

    Au-delà de l’intrigue proprement dite le roman est exemplaire des obsessions morbides de Jim Thompson au moins à cette époque-là. Hell of a woman est en réalité un roman sur la castration et la difficulté d’établir des relations normales et relativement paisibles avec les femmes. Dolly doute de tous et de toutes, dans un délire paranoïaque il pense que Joyce comme Mona sont mauvaises et ne visent qu’à le garder un peu plus prisonnier. En même temps il a besoin de la femme – n’importe quelle femme – essentiellement parce qu’il a besoin de la mère, de revenir en enfance, et c’est pourquoi il se méfie comme de la peste de leurs pulsions sexuelles.

     

    Un moment on avait expliqué ce fantasme qui se retrouve évidemment dans le roman suivant, The nothing man – traduit en français sous le titre de Mr Zéro – qui raconte l’histoire d’un homme qui a perdu ses testicules, par le fait que Jim Thompson avait eu lui-même une vie très difficile avec les femmes, et que sa propre épouse l’avait plus ou moins obligé à faire une vasectomie car elle ne voulait pas tomber enceinte. Mais bien sûr la déconfiture pécuniaire de Dolly est aussi le reflet des propres difficultés de l’auteur à gagner sa vie correctement à cette époque. 

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    Voilà l’archétype d’un film noir de série B. Ce genre qui a permis à de nombreux jeunes réalisateurs de talent de faire leurs premières armes. On connait le principe, un sujet simple et linéaire, des acteurs peu chers, une mise en scène nerveuse, un tournage rapide destiné à cadrer avec un budget très bas. Le tout pour un produit qui doit occuper le spectateur environ une heure de temps. Cet ensemble de contraintes a donné lieu à de très grands films, voire à quelques chef-d’œuvre. 

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    Mike est un flic brutal et un peu tendu

    Bodyguard est un des premier films de Richard Fleischer, et son premier film noir. Suivrons bientôt les films de même genre mais plus connus comme L’assassin sans visage, Le pigeon d’argile, Armored car robbery ou encore L’énigme du Chicago express. C’est cependant 20000 lieues sous les mers qui le propulsera vers les sommets, un spécialiste des films à grand spectacle. Par la suite il alternera le bon et le moins bon, sans trop s’enfermer dans un genre, on lui doit aussi bien Les vikings que Soleil vert, Les inconnus dans la ville ou L’étrangleur de Boston. Mais quoi qu’il en soit, il restera toujours assez fidèle au film noir, y revenant périodiquement.

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    De riches propriétaires d’un abattoir veulent l’engager comme garde du corps 

    Le scénario de Bodyguard qui présente la particularité d’avoir été travaillé par Robert Altman, n’est pas des plus riches. Un flic un peu violent, Mike Carter, qui préfère la justice au respect tatillon du règlement et de la loi, s’oppose à son supérieur qui le met à pied. Il décide de démissionner. Alors qu’il est au stade en train d’admirer, avec sa fiancée Doris, un match de base-ball (c’est donc un vrai américain) on lui propose de devenir garde du corps d’une femme assez âgée, propriétaire de grands abattoirs, pour une somme élevée. Mais il refuse, une fois, deux fois. Puis face à l’évidence d’une tentative d’assassinat, il va céder. Mal lui en prend parce qu’alors qu’il suit la vieille Gene Dysen qui se rend à un rendez-vous mystérieux à 4 heures du matin, il est assommé et se retrouve dans sa propre voiture avec le cadavre du policier qui l’a mis sur la touche. Un train fonce sur la voiture, et c’est un miracle s’il s’en sort.

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    Ayant perdu l’automobile qu’on lui a confiée, Mike doit prendre un taxi 

    Le décor ainsi planté, on va assisté aux efforts de Mike pour faire éclater la vérité et trouver les vrais coupables. Car bien évidemment il est soupçonné de meurtre et se trouve pris entre les vrais meurtriers et la police. Mais il peut compter sur l’aide de la ravissante Doris qui le soutien de tout son amour. La fin, un rien paresseuse, permettra que tout rentre dans l’ordre, les méchants seront punis – et salement encore – et Mike et Doris se marieront. Avant de partir en lune de miel, Mike sera réintégré dans la police parce que son travail aura été reconnu enfin à sa juste valeur.

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    Quelques vues de Los Angeles sont particulièrement réussies 

    Comme on le voit ce ne peut pas être un grand film. Le scénario est bourré d’invraisemblances aussi bien factuelles que psychologiques : le gangster qui veut assommer Mike dans le cabinet de l’ophtalmo sort de nulle part. Mais c’est un film qui présente des qualités de mise en scène évidentes. Les extérieurs dans les rues de Los Angeles sont très bons, et donnent du corps au film. Les noirs et blancs sont excellents, particulièrement dans les scènes nocturne. La mise en scène du travail dans les abattoirs, ces scies électriques qui découpent des grands quartiers de viandes, apporte un côté inédit et un peu angoissant. On regrettera cependant la multiplication de gros plans plutôt lourdingues. 

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    L’ophtalmo n’est pas très sympathique 

    Outre la faiblesse du scénario, le film souffre cruellement de son casting. Si Laurence Tierney est excellent dans Born to kill de Robert Wise parce qu’il y joue le rôle d’un psychopathe, il a bien du mal à être crédible en policier sympathique et bon. Cela vient je suppose de la rigidité de son visage et de son corps. Il fera néanmoins une très longue carrière, souvent cantonné à des seconds rôles, et Quentin Tarantino lui rendra hommage en l’employant dans Reservoir dogs. L’ennui est que c’est lui qui porte le film sur ses larges épaules, c’est filmé de son point de vue.

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    Mike a la capacité de voir dans son dos 

    Priscilla Lane est un petit peu mieux, servie par un physique avenant et un joli sourire. Au passage on reconnaîtra Steve Brodie dans un petit rôle, un autre habitué des films noirs de série B. Le reste de la distribution ne se remarque guère, Philip Reed joue le fils dégénéré sans grande conviction, peut-être se pensait-il à cette époque destiné à une carrière de jeune premier.

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    La police a rendez-vous à Pasadena 

    Si le film se voit sans ennui, et s’il est exemplaire d’un certain genre, on peut dire aussi qu’il est aussi vite oublié que regardé.  

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    Doris qui a surpris le criminel en pleine action, risque sa peau

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    Marseille est une ville qui a toujours fait couler beaucoup d’encre, et les livres qui l’ont pris pour sujet ne se comptent plus. Ce n’est pas un hasard si elle a donné naissance à un genre littéraire nouveau, le polar marseillais, genre qui n’a d’équivalence dans aucune autre ville de France. Aujourd’hui encore, ses règlements de compte, ses turpitudes politiques, en font un sujet de choix pour les journalistes pressés.

    Emmanuel Loi qui n’est pas né ici, qui ose même avouer être natif des Vosges, en propose une vision qui est aussi peu touristique et pittoresque que possible. Loi s’est fait, pour des raisons qu’il n’élucide pas, marseillais d’adoption. Ville faite de bric et de broc, elle présente une réalité unique pour le meilleur et pour le pire. C’est une ville de bandits, où on peut choisir cette profession de père en fils, mais Emmanuel Loi s’est exercé aussi un peu dans cette voie avant de prendre plusieurs années de prison. Sensible à la misère de Marseille, il l’est aussi à sa violence latente.

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    Une ville qui s’étale sur plus de 240 km2 

    La première singularité de cette ville est son immensité : c’est la plus grande entité urbaine en France, ce qui évidemment amène des problèmes sans fin. Par exemple cette fameuse coupure entre les quartiers Nord pauvres et déglingués, presqu’à l’abandon, et les quartiers Sud dont une partie au moins est très riche.

    Cette dimension géographique singulière fait qu’elle est construite comme une mosaïque de quartiers ayant chacun une identité singulière, une couleur, une odeur bien à lui. L’étalement de la ville lui permet de conserver des formes archaïques, on n’ose pas dire villageoises, qui côtoient des extravagances modernistes dans les nouveaux quartiers. Je n’ai pas le temps de m’attarder sur cette question ici, mais un jour il faudra bien s’interroger sur la santé mentale des architectes-urbanistes qui produisent de telles horreurs, et sur celle aussi de leurs commanditaires, l’actuel maire de Marseille étant de ce point de vue certainement le pire que la ville ait connu.

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    L’abominable tour Zaha Hadid construite malencontreusement dans le quartier de la Joliette 

    Emmanuel Loi raconte ces fractures, ces oppositions, avec la violence qui va avec. Il donne, à travers sa propre expérience, le compte rendu d’une sorte de longue dérive paradoxale. Opposant ses différents emplois dans les structures socio-culturelles nombreuses de la ville, à ses rencontres qui les remettent en question. Car Marseille est une ville où pullulent les structures socio-culturelles, où chacun peut se revendiquer artiste et créateur. Il est d’ailleurs assez curieux que ces actions nombreuses et variées soient le plus souvent impulsées par des « intellectuels » qui ne connaissent pas grand-chose à la ville et qui en ont une vision très extérieure. Au passage il donne un portrait en creux de toute cette faune qui est à la fois drôle et déprimante.

    Le fait qu’Emmanuel Loi ait été impliqué dans ce genre d’activités scabreuses, lui amène quelques remords et c’est à travers ces remords qu’il perçoit la ville. C’est donc une approche très subjective de la ville. Et selon moi c’est ce qui est intéressant. Je n’ai aucunement le même point de vue qu’Emmanuel Loi, mais c’est parce que j’y suis né et j’y ait grandi pendant les années Defferre, à une époque où la ville semblait s’améliorer d’année en année. Loi, lui, n’est arrivé à Marseille que dans les années soixante-dix, au moment où la ville a commencé de décliner en se débarrassant peu à peu de ses activités portuaires et industrielles. Il venait d’Aix-en-Provence, ville bourgeoise et provinciale à cette époque, où il suivait avec peu d’assiduité des études de lettres, intéressé par les chemins chaotiques de la subversion. Car si l’approche de Loi est subjective, elle est aussi psychogéographique et inscrite dans l’histoire, la sienne, plus que celle de la ville.

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    La dernière horreur architecturale à Marseille qui défigure le Vieux Port  a coûté 45 millions d’euros ! 

    C’est cela qui fait tout l’intérêt de Marseille Amor. En mêlant son parcours personnel à la découverte de la ville, il en révèle les marges. C’est un parcours heurté, et même si j’en reconnaît la plupart des lieux visités dans leur intimité, ceux-ci m’apparaissent sous la plume de Loi différents, misérables ou poétiques, c’est selon l’humeur du lecteur aussi bien que celle de l’auteur. Cette vision éclatée et intense de Marseille s’accorde avec un style volontairement décousu, fait de petites notations éparses, sans exigences de continuité.

    Le livre est publié dans la collection Fiction & Cie qui a déjà à son actif le très bon livre d’Eric Hazan, L’invention de Paris.

     

    Gaston Defferre fut le maire de Marseille de 1953 à 1986, année de sa disparition. Emmanuel Loi a écrit aussi unn petit ouvrage sur lui.

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    Bruno Sulak est une légende du grand banditisme. Mais il faut bien reconnaître que c’est une figure à part. d’abord parce qu’il n’appartient pas à une logique de bande et qu’il n’a jamais ni trafiqué dans les stupéfiants, ni dans la prostitution, qui sont comme on le sait les deux mamelles du grand banditisme. C’est un aventurier. Mais ce qui est peut-être plus remarquable c’est que c’est un aventurier doté d’une certaine morale et d’une conscience.

    Philippe Jaenada va retracer l’itinéraire particulier de Sulak. Et son enquête est sérieuse, aussi complète que cela semble possible. Il a rencontré les derniers témoins de la saga de Sulak. Partant de son enfance jusqu’à sa tragique disparition, il n’a rien oublié, ni de ses braquages, ni de ses amours. A ce titre c’est un ouvrage intéressant. D’autant qu’en mettant Sulak en perspective, on voit à quel point le banditisme a évolué avec son temps. Par exemple Sulak braquait les supermarchés, comme Mesrine braquait les banques avant que celles-ci s’équipe sérieusement pour éviter les hold-up intempestifs. C’est typique de la fin des années quatre-vingts, avant que la déferlante des paiements par carte bleue n’entrave la circulation des liquidités, obligeants les truands à faire preuve d’un peu plus d’imagination. Sulak c’est donc la fin d’une époque où il suffisait d’avoir du courage pour remonter de la monnaie.

    Il n’y a pas grand-chose à dire sur le fond de l’ouvrage qui est tout à fait excellent. C’est une enquête patiente et documentée. Il n’y a pas de révélation à proprement parler, mais des détails abondants, sur ses différents faits d’armes, sur sa vie en prison et sur la cruauté des matons qui lui en ont fait baver. Sa dernière tentative d’évasion est décrite méticuleusement, avec le détail des différentes complicités. On est aussi un peu étonnés de voir que le sous-directeur de la prison de Fleury-Mérogis et un des gardiens de cette boutiques, qui se rendirent complices de Sulak, sombrèrent dans la délinquance après quelques longues années de prison. On peut regretter aussi que les différents écrits de Sulak, les articles pour L’autre journal, ses lettres, ne soient pas plus utilisés, on pourrait peut-être en faire une édition séparée. Je les avais lus à l’époque et la fraicheur du ton m’avait frappé.

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    Bruno Sulak en légionnaire 

    Par contre le style de Jaenada pose un peu plus de problèmes au lecteur. Jaenada utilise un style un peu sautillant qui se veut ironique. On suppose que de cette façon il vise à prendre de la distance avec son sujet, ne voulant ni se manifester pour ou contre, mais seulement décrire. Bien sûr ici et là il laisse transparaître de l’affection pour Sulak. Mais cette manière de faire gêne parce qu’elle finit par faire apparaître Sulak comme une sorte de voyou un rien farfelu : c’est comme s’il le mettait en position d’infériorité par rapport à lui-même. Or, d’après ce qu’on en sait, et ce qu’en dit lui-même Jaenada, Sulak était aussi un personnage moral dont les choix de vie en valent bien d’autres.

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    Bruno Sulak au moment de son procès à Albi 

    Toujours dans cette volonté d’ironiser sur son sujet Jaenada mêle des petites réflexions sur ses états d’âme de romancier (mais est-ce un roman ?) au déroulement de la vie de Sulak. C’est parfois un peu pénible tant cela fait système. Il est vrai qu’en même temps c’est cette manière un peu précieuse finalement qui fait que la livre de Jaenada peut être considéré comme une œuvre littéraire. Si son ouvrage avait été écrit différemment, il aurait plutôt trouvé sa place chez La manufacture de livres, mais il n’aurait pas alors concouru pour des prix germanopratins. En effet, quand on parle de voyous dans la « littérature blanche », on se croit toujours obligé de faire des manières et d’éviter de raconter simplement une histoire – c’est déjà ce qu’on avait souligné avec le dernier roman de Serge Bramly. C’est bien sûr cela qui fait la supériorité de la littérature noire sur la littérature blanche.

    Cependant vers la fin du livre, disons à partir du moment où Bruno Sulak est prisonnier et ne s’en sortira plus que les pieds devant, Jaenada abandonne ses préciosités, les parenthèses sont bien moins nombreuses, et devient terriblement émouvant. Sans le dire explicitement – il ne le peut pas à moins de risquer un procès – le propos est transparent, il ne croie ni à la thèse de l’accident ni au suicide. Ce qui veut dire qu’il y a de la place pour la thèse d’un assassinat. Car évidemment Jaenada aime Bruno Sulak, pratiquement comme tous ceux qui l’ont connu, et il arrive à en montrer aussi bien la force morale que la détresse. Il finit par le décrire comme quelqu’un de pur – c’est le mot qu’il emploie, sans pour autant approuver ou juger les choix de vie de Bruno Sulak.

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    Il y a quelques années Pauline Sulak, avait écrit un ouvrage, réédité ensuite sous le nom de Pauline Belmihoub, un texte plein de tendresse pour le frère disparu, mais aussi plein de colère pour la façon dont il est décédé. Philippe Jaenada non seulement s'est inspiré de ce livre, mais il en a recopié de longs passages entiers. Peut-être est-ce pour ça qu'il s'est donné beaucoup de mal pour mettre en avant des effets de style, pour se démarquer de l'hommage de Pauline à son frère. Ceci dit l’ouvrage de Pauline Sulak ne détaille pas l’ensemble des faits et gestes de Bruno Sulak comme le fait Jaenada, mais elle donne des lettres de son frère qui sont tout à fait passionnantes dans ce qu’elles montrent de sa vie réelle et de son caractère. Et puis elle met en valeur un trait caractéristique de Bruno Sulak, ses liens très forts avec sa famille, malgré les aléas de sa vie d'aventures. Cette très grande proximité entre les deux ouvrages n'a semble-t-il pas été remarquée par la critique, et quand le livre de Pauline Sulak est sorti, il n'a pas été considéré comme de la littérature, à peine comme un témoignage. Ce n'est pas le cas de celui de Jaenada qui comme je l'ai dit a concourru pour un certain nombre de prix. Mais cette différence articielle entre "littérature" et "témoignage" n'a pas finalement grand intérêt. J'avais lu le livre de Pauline Sulak à sa sortie, il y a presque vingt ans, et il a fallu que je le relise juste après celui de Jaenada pour me rendre compte de totu ce que le second devait au premier.

    Il existe aussi une pièce de théâtre sur Bruno Sulak écrite par Tayeb Belmihoub, ce qui semble indiquer que Bruno Sulak devient un personnage à la mode. Peut-être parce qu’on en a un peu assez des truands trop ensauvagés qui s’entretuent sans trop de discernement.

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    Ottman Belmihoub et Denis D’antoni dans la pièce de Tayeb Belmihoub

     

    Liens

     

     

    http://www.dailymotion.com/video/xfdplp_proces-sulak_news A propos du procès d’Albi

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