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    Léo Ferré a marqué son temps, surtout ceux qui se sentaient portés par la révolte contre la société bourgeoise et ses formes. Vingt ans après sa disparition, voilà que paraît un volumineux ouvrage, plus de 1600 pages. C’est une compilation de ses chansons, mais aussi de ses textes, préfaces et autres introductions. C’est en quelque sorte une Pléiade.

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    Avant la gloire 

    Classé dans l’ordre chronologique, ces textes nous permettent non seulement d’apprécier les qualités de l’écriture de Léo Ferré, mais également d’en saisir l’évolution dans le temps. Dans les années de l’immédiat après-guerre, il fréquente Saint-Germain des Prés. Ses textes en portent la marque, il y mêle des formes argotiques, à des éclairs proprement surréalistes. Déjà il décompose la syntaxe, use de néologismes. Son écriture est spontanée, cette spontanéité qu’il conservera tout au long de sa vie d’ailleurs. Il y chez le Léo Ferré de cette époque une fibre populaire qui va ensuite s’estomper peu à peu.

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     Avec Madeleine 

    Au fur et à mesure que son histoire d’amour avec Madeleine s’approfondit, il va apprendre à mieux gérer sa carrière. Ses textes sont moins échevelés. Ils correspondent un peu plus à ce qu’on attend des chanteurs engagés « Rive Gauche ». Il n’abandonne pas ses thématiques antérieures cependant : il reste anarchiste, profondément hostile au pouvoir du général De Gaulle. Mais à ses thèmes habituels, il va ajouter celui de l’amour fou. C’est, selon moi, Madeleine qui lui inspirera ses plus belles chansons d’amour : Ça te va, Chanson pour elle, etc. Ils représentent d’ailleurs un couple atypique, comme soudé par une fidélité indestructible, en dehors des modes et des conventions sociales. Cette passion pourtant finira par s’éteindre et il s’ensuivra des déchirements, des haines qui ne s’éteindront qu’avec la mort presque consécutive de Madeleine et de Léo. C’est durant cette époque qu’il prend l’habitude de célébrer les autres poètes : Rutebeuf, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Apollinaire. C’est lui qui va donner une dimension nouvelle à la poésie d’Aragon. C’est un travail considérable parce que Léo a appris à lire la poésie à toute une génération que l’école n’avait pas séduite.  

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    Léo Ferré maître à penser des jeunes générations 

    Léo Ferré a quitté sa femme, l’a abandonnée à sa solitude et à ses animaux. Il va vivre de nouvelles histoires, recommencer une histoire d’amour avec une jeune femme – qui en fait était l’employée du couple – faire des enfants, mener une vie plus bourgeoise, amasser un gros capital. C’est qu’entre-temps la gloire est venue. Pendant toutes les années soixante, son public s’élargit, mais avec Mai 68, c’est toute une génération qui va l’aduler, en le prenant comme porte-parole de leur propre révolte. De gré ou de force le propos de Léo Ferré va changer. Il va mettre l’accent un peu plus sur l’anarchie, la nécessité d’une révolution sociale et politique. Mais la forme même de ses chansons va être radicalement modifiée. D’abord il se rapproche musicalement de rythmes plus modernes, lui qui était plutôt habitué aux tangos et à la valse, il va intégrer les formes de la pop-music en travaillant avec le groupe Zoo. Ensuite il va complètement sortir de la norme temporelle qui est dévolue aux chansons habituellement. Ses textes, de plus en plus souvent parlés, débordent, tiennent parfois sur deux faces d’un même vinyle 33 tours. Il va devenir très connu, et aux premières de ses concerts parisiens on pourra voir se bousculer tout le gratin de la capitale, Alain Delon, Dalida. Ce qui ne l’empêche pas par ailleurs de continuer à faire des concerts pour soutenir les anarchistes ou des gens qui comme Richard Martin à Marseille.  

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    Léo Ferré et Frédéric Dard à Genève en 1971

    Par sa volonté d’être populaire et ironique, on peut le rapprocher de Frédéric Dard. D’ailleurs au début des années soixante-dix, ce dernier n’arrêtait pas de s’y référer. Tous les deux sont des écrivains abondants, qui débordent les cadres, ils ont besoin de produire abondamment, et c’est à travers de cette abondance qu’on trouve des pépites. Mais tous les deux s’attaquent directement au langage, créant des nouveaux mots, tordant les formes grammaticales dans le sens qui leur convient. Léo Ferré ayant mauvais caractère, ils finirent cependant par se fâcher. La cause de la querelle était obscure, il semble que Léo Ferré reprochait à Frédéric Dard de voter à gauche bien sûr.

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    Le vieux lion en Toscane 

    Mais cette période va se terminer. Il va revenir à des formes musicales plus en accord avec ses goûts pour la musique classique. D’ailleurs il va se faire chef d’orchestre, diriger La chanson du mal aimé, mais aussi Ravel, Beethoven. Produisant ses disques lui-même il dirige les orchestres qui habillent sa musique. En même temps il va de plus en plus s’éloigner des formes politiques de la révolte, se replier en quelque sorte sur une poésie épurée, plus déclamatoire, et moins folle peut-être.

    Evidemment l’œuvre de Léo Ferré est inégale. Écrivant vite et beaucoup cela n’est pas étonnant. Mais il faut le prendre comme il était bloc, avec ses fulgurances et ses insuffisances, sa mauvaise foi et sa tendresse, son exhibitionnisme et sa pudeur. Se souvenir de ses chef-d’œuvre, La mémoire et la mer par exemple, de ses mélodies qui habillaient si bien ses textes. Ne pas oublier qu’il aimait la scène tournant pendant des années presque 200 jours par an.

    Sa voix aussi était très particulière, soulignant l’ironie décapante de ses textes. Et s’il a été chanté par de nombreux chanteurs, Edith Piaf, Yves Montand, Catherine Sauvage, Pia Colombo et bien d’autres, c’est à mon avis lui qui a encore le mieux interprété ses textes. Evidemment tout cela nous manque mais on peut toujours l’écouter et le lire et le relire. 

     Annie Butor qui était la fille de Madeleine et donc la belle-fille de Léo Ferré a écrit un émouvant ouvrage sur ce couple particulier, Comment voulez-vous que j'oublie - Madeleine & Léo Ferré, Phébus, 2013.

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    Le quatrième roman publié de Jean Meckert, La marche au canon, ayant été refusé par Gallimard. C’est également un des plus ambitieux et je crois un de ses meilleurs. Publié en 1947, il est une sorte de méditation tragique sur la fin de la guerre et des idéaux qui ont accompagnés la Résistance. Le succès critique ne fut pas au rendez-vous, et le public ne le suivit pas. Ecrivain professionnel, Jean Meckert ne retrouvera le succès qu’avec ses romans de Série noire, parus sous le nom de John Amila puis de Jeean Amila. Néanmoins, avec le temps, c’est un ouvrage qui a trouvé son public et qui a eu plusieurs rééditions, permettant ainsi de l’ancrer dans le paysage littéraire comme un ouvrage important.

    Le personnage central est Laurent, un jeune homme qui vient de passer deux ans en prison pour un crime peu clair où il semble avoir été en état de légitime défense. Désœuvré, il va être recueilli par une famille qui exploite une scierie dans un village de Savoie. Sans le savoir, il est tombé sur un groupe d’anciens résistants qui ne supporte guère la manière dont les collabos se sont recyclés après s’être enrichis dans les trafics sous l’occupation. De fil en aiguille il va épouser cette cause manifestement perdue et ce sera aussi son tombeau.

    Cette histoire est assez complexe et peut se lire à plusieurs niveaux. Il y a un premier niveau qui est celui du travail à la scierie, un travail d’homme où il partage l’amitié virile d’Armand. C’est cet aspect des choses qui a induit Pierre Gauyat à faire le rapprochement avec Le haut-fer, le roman de José Giovanni paru chez Gallimard en 1962. Sur cette ligne, Jean Meckert retrouve ses racines prolétariennes. L’hostilité avec le monde paysan renforce d’ailleurs cet aspect.

    Le second niveau qui est aussi la centralité du livre, c’est une réflexion sur la guerre et sur ses conséquences. On sait que Meckert était un pacifiste résolu. On ne sera donc pas étonné de retrouver sous sa plume la condamnation des conflits et une sorte de compassion pour ses victimes que celles-ci soient allemandes ou françaises d’ailleurs. A l’évidence la sortie de la guerre montre que celle-ci ne s’est pas débarrasser de la lutte des classes, et les ennemis des résistants ont retrouvé leur position de notable d’avant-guerre. Comme si rien ne devait changer. C’est l’aspect le plus dense du livre qui parfois – dans la première partie – vire un peu à la démonstration. On y trouvera la désespérance des soldats vaincus, mais aussi des réflexions amères sur le Parti communiste qui s’intègre et abandonne le combat révolutionnaire pour un monde meilleur.

    Et puis il y aussi les amours de Laurent. N’ayant pas connu de femmes pendant deux longues années, il rêve qu’il est amoureux, mais l’est-il vraiment ? Il hésite entre plusieurs filles mais principalement entre une fille muette et sa sœur qui a vingt ans mais est très mature, trop sans doute pour son âge et réagit aux problèmes de l’heure à coups de maximes et de raisonnement sentencieux.

    Il y a enfin le niveau de la tragédie dans laquelle le groupe en rébellion s’enfonce, avec Hélène dans le rôle d’une sorte d’Antigone. La dernière partie de l’ouvrage est très enlevée, fourmille de rebondissements, avant de plonger le lecteur dans le chaos et l’amertume.

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    Indépendamment des légères critiques qu’on peut adresser à la première partie, un peu trop didactique, l’ensemble forme un très grand roman et je me demande s’il n’a pas été à l’origine de bons nombres de romans et de pièces de théâtre qui traitent de cette période trouble de la Libération. Je pense en particulier à Batailles sur la route de Frédéric Dard, publié en 1949, et assez méconnu, mais aussi à la pièce de théâtre de Sartre, Les mains sales qui date de 1948, ou encore Les justes d’Albert Camus. Mais il est vrai qu’à l’époque de la Libération on se pose beaucoup de questions, non seulement sur l’issue des combats – de quelle société avons-nous accouché ? – mais également sur la violence que la Résistance a engendrée.

    Bien qu’il ait évité d’utiliser des tournures argotiques, Meckert utilise cependant des formes populaires dans l’écriture des dialogues, conservant un style assez neutre pour le reste du roman écrit sans fioritures. C’est tout à fait dans la ligne du roman prolétarien que cette manière de faire. La scène d’introduction, c’est-à-dire la rencontre entre Laurent et D’essartaut, est très forte, mettant l’accent sur la solitude du héros à la recherche de n’importe quelle ouverture pour exister. Tout comme la fin, qui renvoie le malheureux Laurent à son néant et à son inutilité.

    L’ouvrage engendra en 1950 une pièce de théâtre, ce qui semble vouloir dire que Meckert tenait beaucoup à son sujet. Mais de ce côté-là, il n’eut pas succès, et Gallimard le dissuada de continuer dans ce sens. Et puis, après les pièces de Sartre – Les mains sales – et  d’Albert Camus – Les justes – il semblait venir trop tard. Les éditions Joseph K. ont republié la pièce en supplément de revue Temps noir en 2010. Plus mécanique, et plus bavarde – forcément – que le roman, elle touche moins.

     

    Bibliographie

     

    Temps noir, n° 13, 2010

     

    Pierre Gauyat, Jean Meckert, dit Jean Amila, du roman prolétarien au roman noir contemporain, encrage, 2013

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    C’est le premier film de Stuart Rosenberg qui fera par la suite quelques  films intéressants avec Paul Newman, dont le très fameux Luke la main froide. Le scénario est basé sur un ouvrage de Burton Turkus, le procureur qui se rendit célèbre en mettant un terme aux activités mafieuses de Lepke, un truand de haut vol qui travailla la main dans la main avec la mafia sicilienne. Lepke était un truand multicartes comme on dit aujourd’hui, il donnait aussi bien dans l’extorsion de fonds, que la manipulation des syndicats de travailleurs, et il passe pour avoir mis en place un « syndicat du meurtre » qui envoyait des tueurs à la demande, ceux-ci pouvant ensuite échapper rapidement à la police car ils n’avaient pas de lien avec la victime, ni même quelques habitudes dans la région qu’ils visitaient.

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    Reles et son complice commettent un meurtre qui va les conduire à Lepke 

    Nous sommes dans la fiction semi-documentaire. Pour cela il n’y aura pas de personnages héroïques. C’est donc un film à la fois pluriel, et en même temps curieusement centré sur le personnage de Reles, petit tueur caractériel, rusé et sournois. C’est ce qui fait d’abord l’intérêt de ce film. On aura droit ainsi à une série de portraits, les flics étant finalement les moins bien développés. Les tueurs, grand sou petits, sont le plus souvent des expressions de la rue, issus du petit peuple. Typiquement américain cependant, il montre que des individus courageux, comme Dewey, ou comme Turkus d’ailleurs, peuvent enfin passer au-dessus d’un système judiciaire et policier qui est très corrompu. Il est d’ailleurs assez plaisant de voir que ce film critique implicitement le FBI. En effet, le film est censé se passer dans les années trente. Or le FBI, et particulièrement Hoover, niera jusque dans les années soixante-dix l’existence d’un crime organisé. Le film est tourné en 1960, l’année où Kennedy accède au pouvoir et ou justement le FBI est de plus en plus critiqué pour sa passivité dans la lutte contre la mafia.

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    Lepke et Mendy Weiss embauchent Reles pour tuer Sage 

    C’est film sans effet, le montage et rapide et les scènes sont autant de coups de poing. Le meurtre de Reles, les manières de Lepke qui a un ulcère à l’estomac, sont des petites touches qui donnent de la crédibilité à l’ensemble. On pourra regretter que le scénario à partir de la moitié du film abandonne quelque peu Reles qui va revenir après. Cet abandon fait perdre un peu d’unité à l’ensemble, mais c’est une critique assez légère par rapport à la qualité générale.

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    Reles va  utiliser Joey pour atteindre Sage 

    Film à petit budget, les acteurs ne sont pas très connus à cette époque. C’est le débutant Peter Falk qui va porter le film sur ses épaules. Il est tout simplement extraordinaire, aussi bien quand il joue les terreurs que quand il se transforme en balance, ou lorsqu’il viole la femme de Joey. Si les acteurs ne sont pas très connus, ils sont pourtant très bons, à commencer par David Stewart qui incarne un Lepke un rien neurasthénique. A côté de ces deux principaux acteurs, May Britt, qui fit une petite carrière et qui fut surtout connu comme la femme de Sammy Davis jr, incarne Eadie et joue avec un accent suédois à couper au couteau, mais cela se marie bien avec l’esprit du film. Stuart Whitman qui est en haut de l’affiche, non seulement est moins présent, mais il joue un peu à contre-emploi le rôle d’un homme un peu lâche qui se décidera à parler et envoyer Lepke sur la chaise électrique. Ce sera le premier grand gangster à être exécuté.

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    Lepke est sommé par le syndicat de se livrer à la police 

    La photographie est excellente surtout en ce qui concerne les scènes d’extérieur. Et l’écran large ajoute une touche de modernité à l’ensemble, modernité renforcée – pour l’époque – par la musique de jazz qu’on entend dans les cabarets et qui ressemble plus à un jazz des années soixante qu’à celui plus sautillant des années trente

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    Le détective Tobin essaie de faire parler Joe 

    Il y a pas mal d’inventivité, comme cette scène où Reles enferme une femme qui téléphone dans la cabine et l’empêche de sortir, ou alors la bataille en prison entre Joey, l’éternel soumis, et Reles qui commence à perdre de sa superbe. Le film ne fut pas un grand succès, probablement à cause de ce côté  un peu froid d’aborder la réalité du crime organisé, mais il eut de bonnes critiques, et au fil des années il trouva son public, il conserve une bonne appréciation auprès des cinéphiles. Ajoutons qu'à cette époque on a eu pas mal de portrait de tueurs à gages, comme dans The Lineup de Don Siegel, ou Blast of silence d'Allen Baron.

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    En échange d’une protection Reles accepte de balancer Lepke

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    Reles sera défénestré

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    Pour une fois le titre français est bien meilleur que le titre américain. On sait tous que les hommes politiques ou qui fricotent aux alentours sont plus ou moins pourris. Mais à mon avis la palme revient de loin à cette canaille de J. Edgar Hoover. Il est le concentré de tout ce qui est détestable chez un être humain. Menteur, corrompu, hypocrite et manipulateur, il fut le grand patron du FBI pendant une quarantaine d’années. A cet égard il a été un des hommes les plus puissants qui ont fait l’Amérique. Pendant des années et des années il a couvert les activités de la mafia qui par ailleurs le faisait chanter à cause de son homosexualité. Il a saboté l’enquête sur l’assassinat des frères Kennedy.

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    Hoover et son amant Clyde Tolson qui était aussi son second au FBI 

    Sous le couvert de développer une police fédérale, il a de fait mis en place une police politique qui travaillait au développement des idées d’extrême-droite. Un seul exemple suffit. Quand les frères Kennedy sont arrivés au pouvoir en 1960, Hoover qui les détestait, leur disait que le point le plus important était la lutte contre le communisme. Or évidemment à cette époque le Parti communiste américain qui n’a jamais été très important avait vu ses effectifs fondre. Ses membres étaient évalués à 8000, autant dire un groupuscule, et Robert Kennedy disait que la moitié au moins de ses membres étaient des agents du FBI. Il exagérait à peine. En tous les cas, à cette époque, à New York, le FBI comptait 400 agents attachés à  la lutte contre le communisme, et seulement 4 agents attachés à la lutte contre le crime organisé, la mafia. Hoover prétendait que celle-ci n’existait pas.

    Et toute la carrière de ce sinistre individu était de ce tonneau. On sait aussi que c’est lui qui sabota l’enquête sur la mort de Marilyn Monroe. Et la question qui se pose est : pourquoi une telle canaille a-t-elle pu rester aussi longtemps à la tête d’un organisme aussi puissant ?

    La réponse est double : d’abord parce qu’il avait des dossiers sur tout le monde. Il avait compris le premier l’importance du chantage. Homosexuel lui-même, ça ne le gênait pas du tout d’accumuler les preuves de l’homosexualité d’autrui pour les manipuler. Et ça ne le gênait pas non plus d’afficher une morale chrétienne rigoriste. Mais il avait aussi un sens certain de la publicité : il mettait en scène les arrestations de bandits comme Dillinger pour s’en attribuer le mérite, même s’il n’a jamais été un agent de terrain, et pour cause, son physique ne lui permettait pas. Petit et malingre, il n’a jamais arrêté qui que ce soit. Il supervisait également les films à la gloire du FBI, allant même jusqu’à y apparaître pour leur donner un accent de vérité. Pour tout cela le public l’adorait et les politiciens le craignaient.

    Hoover était très raciste, proche on l’a dit du Ku-Klux Klan. Mais il se murmurait aussi que sa haine des noirs – dont il freina longtemps le recrutement au FBI – venait de ce qu’il avait du sang noir dans les veines !! Une vraie caricature !

    On sait un peu tout ça. Le livre d’Anthony Summers qui a été une source importante d’inspiration pour le roman de Marc Dugain, fourmille évidemment d’anecdotes qui donnent une allure assez répugnante à la politique. Il n’est pas étonnant que ce personnage hors du commun ait été l’objet de nombreux ouvrages. On appréciera particulièrement l’analyse des relations d’Hoover avec la mafia et les pétroliers texans – Summers suggère que Hoover a eu un rôle important dans le meurtre de Martin Luther King. La fin est également pathétique. Même gâteux Hoover restait à son poste et inspirait la crainte à tous les présidents qui n’arrivaient jamais à s’en débarrasser. Sa mort non plus n’est pas claire, il n’y a pas eu d’autopsie, mais Summers affirme qu’il courait des rumeurs à Washington avant le décès d’Hoover qu’il allait être empoisonné ! Evidemment tous ses dossiers secrets ont disparus. Helen Gandy, sa secrétaire avait fait le ménage. Il est possible que tous les dossiers n’aient pas été perdus pour tout le monde et qu’un jour on les retrouve.

    Anthony Summers détaille la complexité des hommes et des femmes qui entouraient Hoover. Il s’attarde sur Clyde Tolson, le dépeignant comme une sorte de parasite qui avait pour principale fonction de traquer les employés du FBI qui avaient plus ou moins fauté. Mais d’Helen Gandy, on ne sait rien, pourtant Hoover lui faisait totalement confiance et c’est elle qui avait la clé du coffre où s’empilaient les secrets plus ou moins ragoutant.

    En France on est habitué aux turpitudes et aux hypocrisies de notre classe politique, mais cela semble presque bénin par rapport à ce qui a pu se passer aux Etats-Unis. On est fasciné de voir les moyens que le FBI mettait en place pour infiltrer et briser les mouvements de gauche, l’acharnement à détruire des personnes qui ne lui plaisait pas, comme par exemple Jean Seberg l’actrice qui était aussi l’épouse de Romain Gary.

    Le portrait de Lyndon B. Johnson est particulièrement savoureux, que ce soit pour ses accointances mafieuses, ou pour sa vulgarité. En parlant d’Hoover, il disait que c’était un putois et qu’il valait mieux l’avoir à l’intérieur de la tente pour qu’il pisse dehors, plus qu’à l’extérieur pour qu’il pisse dedans ! Johnson faisait le malin, mais Hoover le tenait par les couilles. Johnson comme Hoover était habité par une sorte de paranoïa, craignant en permanence de se faire assassiner.

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    Helen Gandy, la secrétaire inamovible d’Hoover 

    Les passages les plus intéressants de ce livre sont relatifs à la chasse aux sorcières où l’on voit Joseph McCarthy en créature de Hoover qui était un des instigateurs les plus importants de cette ignominie. On ne sait pas quelles étaient les convictions véritables d’Hoover sur le plan politique, et si son anticommunisme était sincère ou seulement destiné à la galerie et à s’attirer les faveurs de ceux qui l’employaient, comme par exemple les pétroliers texans dont il était très proche. Ce qu’on sait c’est qu’il avait des accointances dans les milieux d’extrême-droite et qu’il s’arrangeait pour recruter des agents de la même couleur politique que lui.

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    Joseph McCarthy et Roy Cohn, les créatures d’Hoover 

     

    Ainsi pendant des années le FBI a influencé la politique des Etats-Unis, par exemple en faisant chasser les enseignants de l’université qu’il trouvait trop à gauche. On remarque d’ailleurs que cela allait de pair avec le développement des théories économiques libérales enseignées à l’Université de Chicago. Il ne faut donc pas sous-estimer Hoover, c’était peut-être un clown, mais il a joué un rôle inégalé dans la transformation de l’Amérique. 

    Ce sinistre personnage apparaît plusieurs fois dans les ouvrages de James Ellroy, exactement pour ce qu'il était, un manipulateur et un salaud. 

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    Je suppose que ce film est une sorte de suite à celui de Sergio Gobbi, Le temps des loups qui avait connu un succès satisfaisant. Produit par la firme de Sergio Gobbi, Paris-Cannes-Production, réunissant les mêmes acteurs, Hossein, Aznavour, Minski, on retrouve Georges et André Tabet au scénario, en compagnie de Larriaga. Coproduction franco-italienne, il incorpore aussi une vedette italienne, Elsa Martinelli,  comme dans le temps des loups nous avions Virna Lisi. Le film joue de la même manière des oppositions entre les deux principaux protagonistes, Hossein et Aznavour. Dans le premier ils étaient ennemis, bien qu’ils aient été élevés ensemble, l’un truand, l’autre policier, dans celui-ci ils sont amis, mais l’un est un intellectuel rêveur Eric Chambon et l’autre un truand sorti du rang par la violence. Il y a donc une volonté de continuité. C’est toujours l’enfance qui les réunit.

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    Maurice et Eric vont rendre visite à l’homme qui les a élevés

    Eric Chambon, un homme un peu dépressif, vient de recevoir un important prix littéraire, mais les mondanités l’énervent et il s’en va rendre visite à une vieille personne, un ancien résistant qui l’a élevé avec Maurice Ménard qu’il n’a plus revu depuis longtemps. Mais le hasard faisant bien les choses, il revoie son vieux copain à l’hospice où leur père adoptif termine ses vieux jours. Ils ne se parlent guère, mais ils vont se retrouver rapidement pour l’enterrement. Renouant des relations anciennes, Eric comprend que Maurice est en fait un gangster. Plutôt solitaire, il travaille néanmoins avec Marcati. Mais le coup qu’ils projetaient avorte. Eric a donc l’idée de cambrioler la banque qui se trouve juste en face de chez lui où il possède un coffre individuel.

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    Ils se retrouvent à l’enterrement 

    Le coup réussi plutôt bien, sauf que dans la fuite un photographe ambulant prend un cliché de la main de Maurice. Dès lors la police est sur les dents. Les problèmes abondent car David qui craint qu’Eric ne parle à la police veut le descendre, d’autant qu’il s’apperçoit que celui-ci est surveillé par la police. Mais Maurice intervient, et David meurt. Maurice comprend qu’il vaut mieux qu’il s’éloigne pour un petit moment de la capitale. Pendant ce temps Grazzi mène son enquête et jouant avec les nerfs d’Eric, il pousse celui-ci à le conduire jusqu’à la maison de Marcati. Les gangsters s’enfuient, mais sont rapidement coincés dans la maison d’enfance de Maurice et Eric. C’est évidemment la fin. Si Eric ne sera que blessé, Maurice est tué par la police et Marcati se suicide.

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    Le gang braque la banque en face de chez Eric

    C’est un scénario qui se tient tout à fait bien et qui parfois lorgne du côté de Melville, notamment dans la scène du hold-up, ou les premières retrouvaillent chez Marcati. L’analogie est d’autant plus frappante, que Larriaga utilise Raymond Pellegrin et Michel Constantin, deux anciens du Deuxième souffle. C’est mieux filmé que Le temps des loups, il y a une meilleure prise en compte de l’espace et des décors naturels. Le rythme est bon.  L’histoire recèle des bonnes idées, à commencer par le personnage d’Eric Chambon, écrivain dépressif qui préfère la vie dangereuse des voyous à celle confortable d’auteur à succès. Homme solitaire, il est manifestement à la recherche d’une famille. C’est un intellectuel et c’est lui qui a l’idée d’utiliser des faux cadavres dans le hold-up pour faire peur aux employés de la banque. C’est cette intellectualité qui sera aussi sa perte car elle le fera tomber dans le piège grossier tendu par Grazzi.

    Les autres personnages sont un peu plus classiques, des truands ordinaires. Contrairement au Temps des loups, le personnage de Robert Hossein manque un peu consistance. En effet, si on comprend bien que son but dernier n’est pas l’argent, ses motivations restent tout de même assez obscures.

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    Maurice est obligé de tuer l’irascible David

    Il y a pas mal d’idées intéressantes dans cette histoire à laquelle Jean Larriaga a essayé de donner un accent réaliste, comme ces visites des deux héros à leur père d’adoption. Ou encore cet appartement vide où Maurice est censé vivre et où on ne trouve ni meubles, ni objets personnels. Le truand se veut libre de toute attache et conserver la possibilité de s’enfuir rapidement si les choses tournent mal. Cela sera repris directement dans Heat le film de Michael Mann, bien qu’on ne sache pas s’il s’est inspiré de La part des lions, à moins qu’il y ait d’autres références que je ne connais pas.

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    Maurice annonce à Annie qu’il va devoir s’éloigner 

    Film typique des années soixante-dix, il y a un passage assez savoureux sur les relations de la population avec la police. Quand Grazzi réquisitionne le conducteur d’un engin de démolition pour enfoncer la maison où les gangsters se sont réfugiés, son collègue l’incite à ne pas coopérer. Il n’a pas tord parce que de vouloir aider la police amènera le chauffeur à avoir les jambes écrasées. Du reste les méthodes musclées et sournoises qu’utilise Grazzi pour faire avancer son enquête apparaissent un peu contestable.

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    Grazzi mène son enquête tambour battant

    Le casting est intéressant. Cette fois Charles Aznavour qui incarne l’écrivain, a un rôle un peu plus développé, mais c’est le personnage de Robert Hossein qui paraît cette fois insuffisamment développé. Les deux acteurs sont très bons. Mais Raymond Pellegrin dans le rôle de Ma  rcati est aussi excellent. Il incarne un personnage proche de celui qu’il interprétait dans Le deuxième souffle, et on remarque qu’il n’avait pas besoin de Melville pour se révéler un grand acteur. Michel Constantin est moins bien utilisé, mais peut-être cela vient-il de ce que son rôle n’est pas assez développé. En tous les cas malgré sa présence physique, il paraît presque banal. Quant à Elsa Martinelli dont la carrière s’étiolait, elle ne fait qu’un courte apparition.

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    Les gangsters se réfugient dans la maison délabrée

     

    Au moment de sa sortie, la presse avait salué le film, et plus particulièrement la prestation de Charles Aznavour. Mais contrairement au Temps des loups, le public avait boudé, du moins en France. Quarante années ont passé. Sans atteindre le statut de « classique », le film tient assez bien la route et n’a pas trop vieilli. En dehors de ce film, Jean Larriaga n’a pas fait grand-chose pour le grand écran, il tournera deux ans plus tard Un officier de police sans importance, sur un scénario de l’acteur Marc Porel, toujours avec Robert Hossein qui acceptera un rôle secondaire. Ensuite il se tournera vers la télévision. Peut-être peut on expliquer l’échec de La part des lions par les hésitations entre « film noir » et « film de gangsters », le scénario n’atteignant pas la tragédie comme dans Le temps des loups.

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    Grazzi leur annonce qu’ils sont cernés

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    La maison d’écroule et Eric est blessé

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    Maurice est abattu sans sommation par la police

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