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    Madame Hilyard est veuve et vit dans une belle maison de Los Angeles avec son fils Malcom qui n’arrive pas à prendre son indépendance. Il choisit pourtant de s’absenter un long week-end, justement en espérant qu’à cette occasion les choses changeront. Il lui laisse à cet effet une lettre pour lui dire que sinon il se suicidera. Sa mère qui s’est cassé la hanche, utilise un ascenseur privé dans lequel elle va rester enfermée à cause d’une panne d’électricité déclenchée bien involontairement par des ouvriers qui travaillent dans le quartier. 

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    Malcom essaie d’échapper à son envahissante maman 

    Cornelia va commencer à angoisser, même si elle essaie de prendre son mal en patience. Elle active une sonnerie d’alarme, à laquelle personne ne répond. Seul un ivrogne, George, surnommé « Repent », va l’entendre, attiré par ce bruit il va pénétrer dans la maison et commencer par y repérer des bouteilles d’alcool. Ce qui lui fait un grand plaisir. Il ignore évidemment les appels au secours de Cornelia. Cependant, il va chercher Sade, une prostituée, avec qui il veut voler quelques objets. Ils dérobent quelques objets pour aller les vendre chez Monsieur Paul un fourgue du quartier. 

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    Cornelia reste bloquée dans l’ascenseur 

    Pour le malheur de tous, il va croiser la route de Randall et de sa bande réduite à sa maîtresse Elaine qu’il n’hésite pas à battre à l’occasion et d’un mexicain, Essie, un rien soumis, un rien dégénéré. Ceux-ci décident de suivre George et vont rapidement comprendre qu’ils peuvent piller la maison. Ici va commencer une longue série de scènes de terreur. Ils commencent par bousculer George et Sade, tandis que Cornelia assiste impuissante à leur torture sadique et sans frein. 

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    Sade et George L. commence à piller la maison 

    George va arriver à s’échapper un moment pour alerter Paul et ses sbires. Tout cela finira très mal pour tout le monde. Seuls Paul  et ses acolytes vont finalement profiter de l’aubaine, et embarquer une grande quantité de biens de luxe, tandis que Randall aura les yeux crevés et que probablement Malcolm se suicidera n’ayant aucune nouvelle de sa mère. 

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    Randall et la  petite bande vont croiser la route de George chez le fourgue 

    C’est donc un film assez hybride qui mêle dans un même mouvement une présentation de la délinquance juvénile et la terreur pure d’une femme doublement paralysée dans son ascenseur, handicapée de surcroit par sa hanche. En même temps il y a une opposition entre la richesse égoïste d’une femme très riche et une bande de dégénérés complètement fermé à la morale la plus élémentaire. Los Angeles est une ville individualiste où les objets, de l’ascenseur aux automobiles, enferment la société dans une indifférence coupable.

    Nous sommes au début des années soixante, l’Amérique est prospère, mais elle développe en même temps des tendances destructrices. Ses enfants sont complètement pervertis par l’argent, la vie facile et l’absence de garde-fou. Malcom ne saurait se satisfaire de la richesse matérielle de sa mère, mais Randall et ses amis sont aussi engagés dans un cycle de violence – Randall rentre et sort de prison en permanence – qui les dépasse aussi. 

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    Ils suivent George jusque chez Cornelia 

    La mise en scène va donc jouer de ces oppositions et déboucher sur la terreur pure d’individus toujours plus impuissants à faire face. Le soleil de la Californie, le bien-être matériel, sont seulement des illusions que la violence latente de la jeunesse suffit à remettre en cause radicalement. 

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    Les jeunes délinquants déchaînés vont d’abord terroriser Sade et George 

    Le film fit grosse impression à sa sortie et la critique le salua. A vrai dire il s’inscrit à la fois dans la lignée des films d’Aldrich, Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? ou Hut… Chut Chère Charlotte qui mettent en scène des femmes vieillissantes et tourmentées par leur passé aussi bien que par leur richesse et les films comme Le temps du châtiment de John Frankenheimer ou Graine de violence de Richard Brooks et La fureur de vivre qui insistent sur la délinquance juvénile. 

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    Randall perdra la vue 

    Depuis le film de Grauman, la violence à l’écran a progressé si on peut dire et les scènes de terreur sadique ont franchi un palier, oubliant au passage leur contenu social et critique. Cela impressionne moins. Mais il n’empêche que ce portrait de l’impuissance individuelle face à une violence gratuite porte toujours et fascine.

    Ce n’est donc pas un vrai film noir, ni dans sa thématique, ni même dans sa manière d’être filmé. L’écran large, la place importante et décisive des objets dans la détermination des gestes les plus incongrus est neuve pour l’époque. L’écran large justifie ce traitement et participe du renouvellement du film criminel.

    Grauman qui fut plutôt un réalisateur de télévision, rend un travail très propre et très sûr. Les plongées et contre-plongées à partir de l’ascenseur complètement bloqué rendent compte de ce vide abyssal de la modernité. Le téléphone, l’alarme électrique, tous ces objets sensés rapprocher et protéger les individus ne servent plus à rien et au contraire souligne la fragilité des relations sociales plongées dans une impossibilité de communication. 

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    Cornelia essaie d’échapper à la colère de Randall 

    La  distribution est tout à fait à la hauteur du propos. Olivia de Havilland est complètement dépassée par les événements, et ses colères ne lui permettent pas, avant la catastrophe finale de comprendre vraiment ce qui se passe. James Caan est Randall, exhibant ses pectoraux velus, il est une sorte de Marlon Brando du pauvre, c’est aussi son premier rôle important, celui qui déterminera sa longue carrière. Il cabotine bien un peu, mais cela va bien finalement avec le rôle. On peut juger que le personnage de George, interprété par Jeff Corey est un peu outré tout de même et manque de nuances. 

    Sans être un film majeur, c’est un film intéressant qui soutient l’attention jusqu’à l’ultime dénouement.


     

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    L’année 1950 fut une année particulièrement prolifique pour le film noir. Ce film à petit budget de Norman Foster est intéressant à plus d’un titre. Tout d’abord parce qu’il démontre que Norman Foster qui a signé au moins deux autres films noirs de première importance, Voyage au pays de la peur qu’on attribue souvent à tort à Orson Welles, et Les amants traqués, est un vrai réalisateur, avec un style personnel et original. On peut regretter qu’il se soit un peu gâché en travaillant sur des séries cinématographiques ou télévisées. Ensuite parce que le scénario en lui-même recèle des idées valables derrière la simplicité apparente de l’histoire.

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    Eleanor est interrogé par l’inspecteur Ferris 

    Un homme qui promène son chien le soir est témoin d’un meurtre. La personne assassinée était citée à comparaître pour témoigner contre un gangster, Danny boy. La police arrive, et Frank Johnson, l’homme qui promenait son chien déclare qu’il a très bien vu l’homme qui a tiré. Seulement voilà, Johnson qui n’est pas spécialement courageux apprenant qu’il est le seul témoin capable d’identifier le coupable, prend peur et s’enfuit. La police va interroger sa femme Eleanor. Celle-ci paraît marquer une grande indifférence au sort de son mari, et ne leur donne guère d’aide pour que ceux-ci le retrouve. Mais en réalité Eleanor, apprenant que son mari souffre de problèmes cardiaques décide de faire son devoir et va le chercher pour lui remettre ses médicaments, médicaments qu’il ne peut se procurer en pharmacie car la police surveille toutes les officines. Pour échapper à la surveillance de la police, elle va se faire aider d’un journaliste, Legget, et tous les deux vont suivre une sorte de jeu de piste à travers San Francisco pour retrouver Frank. Nous sommes à la moitié du film et l’histoire ici bascule puisqu’on apprend que Legget est justement le fameux Danny boy que la police recherche. Pour se protéger il assassine une jeune danseuse chinoise qui pourrait le reconnaître à partir du portrait-robot que Frank a dressé de lui. Ayant récupéré le dessin Legget va continuer avec Eleanor qui ne se doute de rien à chercher Frank, avec l’intention de le tuer. Finalement ils vont retrouver Frank qui se cache dans une fête foraine. Mais cela finira bien, Legget sera tué et Frank et Eleanor vont se retrouver, amoureux comme au premier jour. 

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    Le journaliste Legget propose son aide à Eleanor 

    Au-delà de l’histoire proprement dite, il y a une étude des caractères qui est assez intéressante. Eleanor hésite entre sa rancœur de femme frustrée et son devoir d’épouse. Elle hésite d’autant plus qu’elle est sous le charme de Legget qu’elle prend pour un journaliste dynamique et entreprenant à la recherche d’un scoop. Esprit rebelle, elle est attiré par ce qui est dans l’ombre et prend un plaisir louche à tromper la police. Mais Legget lui-même dont on ne connait rien des combines louches qui l’ont amené à être recherché par la police, semble très attiré aussi par Eleanor, il balance entre sa nécessaire sécurité qui le pousse au crime, et justement cette attirance pour Eleanor. Frank est peut-être le personnage le plus clair de tout le film, il est amoureux à l’évidence d’Eleanor et s’il a des problèmes cardiaques c’est un peu de la faute à la froideur de sa femme. Il a parié sur sa bonté naturelle. Et malgré ses handicaps multiples, il gagnera. 

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    La police piste Eleanor dans San Francisco 

    La mise en scène est efficace, elle mêle un beau noir et blanc des intérieurs à des prises directes à même la rue, ce qui fait de San Francisco un autre personnage intéressant de ce film. Il y a une utilisation intelligente des décors et particulièrement celui de la fête foraine qui est d’abord la prison d’Eleanor qui reste bloquée dans le grand huit, et qui devient ensuite le lieu de la résurrection du couple en crise. Il y a des plans obliques intéressants qui rappellent d’ailleurs la manière d’Orson Welles.

    L’interprétation est légèrement atypique. Ann Sheridan était à cette époque une actrice sur le déclin, et je suppose que c’est cela qui donne autant de vérité à son personnage d’Eleanor, femme à la fois frustrée et combattive. Dans le rôle de Danny boy, on retrouve Dennis O’Keefe, un habitué des films noirs de série B. sa silhouette massive ne l’empêche pourtant pas d’instiller un peu d’humour. Ce sont les deux acteurs qui occupent toute la place. Ross Elliot qui incarne Frank est assez effacé, mais cela vient essentiellement du fait qu’il n’a pas beaucoup de scènes à interpréter. Robert Keith est le capitaine Ferris, lui aussi est un habitué des seconds rôles dans des films noirs de série B. Ici il est un brin ridicule en se faisant balader par Eleanor ou en promenant son chien.

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    Legget semble amoureux d’Eleanor  

    Sans être un très grand film noir, Woman on the run passe bien les années et vaut le coup d’être vu.

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    Frankie sort de prison où il a passé 14 années. Il est tombé pour une histoire de trafic d’alcool qui a mal tourné. Mais il avait un ami qui devait prendre soin de lui et de ses intérêts, le flamboyant Noll qui entre temps a su prospérer avec l’argent de Frankie. Il dirige un club très sélect, Le Régent. Frankie est très choqué de l’abandon de Noll et il prétend aller lui demander des comptes. Mais Noll qui lui met d’abord dans les pattes sa propre maîtresse Kay, n’entend rien donner à Frankie, ou peu de chose. Il va s’en débarrasser et le faire accuser de meurtre. Mais Frankie grâce à l’aide de Kay va déjouer le piège et finir par confondre Noll qui mourra sous les balles de la police.

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    Noll demande à Kay de faire parler Frankie 

    Burt Lancaster est au début de sa carrière, Kirk Douglas aussi d’ailleurs, mais ce dernier ne tient qu’un second rôle. Burt Lancaster est sorti de l’anonymat avec trois films noirs, Les tueurs de Siodmak, Brute Force de Dassin et Desert Fury de Lewis Allen. Son physique est à ce moment-là son principal atout, il est le personnage principal celui qui porte le film sur ses larges épaules. Mais il faut bien le souligner, son jeu n’est pas encore très étoffé. Il joue l’homme en colère sans trop de nuance, avec une raideur qu’il perdra par la suite. Ce n’est donc pas un très bon film. Le scénario est aussi bien trop convenu, et surtout le film hésitant en permanence entre le film noir et le polar où le héros positif s’amende de son sulfureux passé pour accéder à un happy end, avec à la clé un mariage.

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    Frankie se remémore son équipée nocturne qui a mal tourné 

    Il y a pourtant quelques tentatives pour faire dérailler une histoire de rédemption bien trop conventionnelle. D’abord l’ambiguïté de Frankie. En effet, on ne sait pas trop ce qu’il revendique, la loyauté de son ami, une part sur les bénéfices d’un argent bien mal acquis, ou au contraire est-il jaloux de sa réussite et de sa maîtresse ? Cette dernière est tout autant compliquée puisqu’on ne sait pas si elle s’allie à Frank par dépit amoureux, Noll lui préfère une autre femme pour épouse, ou si au contraire elle est sur la voie de retrouver le chemin de la morale. Sous ce double éclairage, Noll n’apparait plus comme complètement mauvais, et du reste, Frankie ne fait aucun effort pour arriver à un accord à l’amiable avec lui. Mais c’est finalement bien peu de chose dans une histoire qui s’enlise dans le simple fait divers.

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    Noll envoie ses tueurs pour éliminer Dave 

    Du point de vue de la réalisation, c’est assez plat. Adapté d’une pièce de théâtre, les scènes d’extérieur font trop studio. Quelques scènes sont tout de même réussies, celle où Frankie se remémore sa folle équipée avec Noll pour passer de la gnole en contrebande, ou encore le meurtre de Dave par le sbire de Noll. C’est bien éclairé, les contrastes du noir et blanc sont excellents. Mais les colères de Frankie sont un peu trop répétitives et ne font guère avancer l’histoire. Il est vrai que Byron Haskin n’a jamais été un grand directeur, vieux routier du cinéma muet, il était avant tout un excellent photographe. Ici les acteurs semblent un peu livrés à eux-mêmes. Si Kirk Douglas est déjà impeccable dans un rôle qui ressemble assez à celui qu’il avait tenu dans Out of the past, le chef d’œuvre de Jacques Tourneur, Burt Lancaster est très emprunté. Lizabeth Scott était déjà une actrice reconnue du film noir. Elle est ici une chanteuse de boîte de nuit, rôle qu’elle retrouvera dans Dark city. On reconnaîtra au passage quelques autres silhouettes du film noir, comme par exemple Wendell Corey, ou Mike Mazurki, le géant à l’étrange figure qui donne une raclée à Burt Lancaster. 

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    Frankie est accusé d’avoir tué Dave  

    Si le film se voie sans déplaisir, surtout à cause du casting, il n’est tout de même pas essentiel. La résolution finale de l’histoire est un peu téléphonée. 

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    Frankie va confondre Noll 

    Voici ci-dessous la liste des films auxquels Kirk Douglas et Burt Lancaster ont collaboré ensemble.  

    - L'homme aux abois (1948)

    - Au fil de l'épée (1959)

    - Règlement de compte à OK Corral (1957)

    - Le dernier de la liste (1962)

    - Sept jours en mai (1964)

    - Victoire à Entebbe (1976 

    - Coup double (1986)

    En 1981, ils ont également joué une pièce de théâtre ensemble, The boys of autumn

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    Inside Llewyn Davis est un petit film qui vient juste après l’énorme succès critique et public de True Grit. Mais il s’inscrit toujours dans cette interrogation des frères Coen sur leur place dans l’Amérique. Ce n’est pas un hasard s’ils ont choisi le thème de la musique folk au début des années soixante. Curieusement, cette musique qui est sensée représenter de la façon la plus pure ce qu’est l’Amérique est à cette époque investie par des Juifs. A la fin du film on verra apparaître d’ailleurs Bob Dylan. Les frères Coen, très marqués par le judaïsme, s’étaient réappropriés déjà de la même manière le western, autre création typiquement américaine. Comme Llewyn Davis c’est d’abord ce souci d’intégration, de rupture avec des spécificités religieuses qui est à la base de la démarche.  Une manière d’être plus américain que les Américains d’origine anglo-saxonne en quelque sorte.

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    Llewyn Davis a un certain succès à Greenwich Village 

    Présenté à Cannes, le film des frères Coen a été bien accueilli et a incité les commentateurs à se replonger vers cette période singulière qui vit l’éclosion de talents très particuliers qui obtinrent un succès considérable et qui apparurent à la pointe extrême de la modernité : Bob Dylan, Joan Baez, Peter, Paul and Mary, et bien d’autres. Le personnage qui inspire LLewyn Davis, c’est Dave Van Ronk, chanteur folk très engagé à l’extrême-gauche et qui restera au bord de la route du succès. Le titre même du film est inspiré de l’album de Dave Van Ronk, Inside Dave Van Ronk. Que ce soit les personnages, ou la bande son, il y a un effort important pour essayer de restituer le parfum de ces années-là. On peut en discuter très longtemps. Mais comme les frères Coen ne prétendent pas à produire une biographie, ils évitent ce côté souvent gênant qui fait que les acteurs ne sont que les caricatures de leurs modèles. Peut-être que de ce point de vue le principal défaut du film réside dans la photo. Elle est certes sans reproche sur le plan technique, mais trop propre en quelque sorte, trop lisse pour refléter la vérité d’une époque.

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    Dave Van Ronk ici avec Bob Dylan 

    Beaucoup de critiques se sont amusés à reconnaître tel ou  tel chanteur dans les personnages qui défilent à l’écran. Ce n’est pas le plus intéressant. Llewyn Davis est un perdant né, un inadapté social qui n’arrive pas à faire de son art un métier. Le film représente quelques jours de sa vie chaotique. Filmé en boucle, la fin du film est la même que le début, il est organisé autour d’un voyage que Llewyn veut faire sur Chicago en espérant que sa musique intéressera un producteur important. Le voyage sera un échec qui le rendra encore un peu plus amer, et surtout qui lui donnera la tentation d’abandonner la musique, mais velléitaire jusqu’au bout, même ça, il ne pourra pas le faire. Entre temps, il aura croisé la route de personnages qui au contraire de lui savent faire preuve d’un peu plus de réalisme et qui vont presque naturellement sur la route du succès. Il aura également affronté la colère de son ex-petite amie qu’il a mis enceinte, et il aura été accompagné d’un chat curieux qui lui donnera bien du souci.

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    Son ex-petite amie chante aussi dans les mêmes lieux que lui 

    Le film peut se lire à plusieurs niveaux. Il y a bien sûr le côté nostalgique. Mais à mon avis ce n’est pas ce qui a intéressé principalement les frères Coen. Il y a plutôt que l’échec de Llewyn est le début d’une décadence sans fin des sociétés occidentales impossibles à réformer dans le sens d’un humanisme débarrassé de son matérialisme sournois. C’est en effet dans ce moment que se met en place une société de consommation de masse dont, malgré les révoltes de la fin des années soixante, on n’arrivera plus à arrêter le progrès. En même temps c’est une réflexion sur la culture américaine et son hybridation, son caractère impur, à mi-chemin entre les exigences du marché et les velléités de contestation. C’est bien là le cœur même de l’opposition entre Llewyn et Jean qui finalement, bien qu’elle dise aimer toujours Llewyn glisse vers une vie plus tranquille et plus bourgeoise. Ne veut-elle pas un enfant ? C’est le portrait d’une génération qui cherche la rupture, sans y être forcément bien préparée, avec les codes du mode de vie bourgeois.

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    Llewyn Davis ne sait plus quoi faire du chat 

    Llewyn est donc seul. Seul parce qu’il est incapable de s’adapter à la vie ordinaire, celle du marché de la musique. Il ressemble quelque peu à Larry Gopnik, le personnage de A serious man. Il est coincé entre plusieurs réalités contradictoires. Sauf qu’en étant plus créatif, inséré dans la quête d’une expression poétique, Llewyn apparaît bien plus intéressant.

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    Il arrive difficilement jusqu’à Chicago 

    Si les frères Coen ont parfois du mal à convaincre en dehors du film noir, ici ils maîtrisent parfaitement leur sujet. La première partie est cependant plus riche et émotionnellement plus forte que la seconde qui multiplie les digressions qui ralentissent le cours de l’histoire, je pense par exemple à l’interruption du voyage vers Chicago par une police agressive qui agit d’ailleurs assez mystérieusement, sans que cela donne plus de corps à l’histoire. Les acteurs sont très bien, sauf peut-être John Goodman qui surjoue. Oscar Isaac est convaincant comme l’est aussi Carey Mulligan, jeune felle en colère contre son ex-petit ami, mais aussi contre le monde entier. Peut-être le plus étonnant est Stark Sands dans le rôle du jeune Nelson dont la fausse naïveté cache une cruelle ambition.

    La difficulté de reconstituer au cinéma les décors et le parfum d’une époque est ici assez habilement contournée, quoiqu’on puisse trouver les images un peu trop proprettes, notamment dans les moments où Llewyn se donne en spectacle. En effet dans ces moments s’efface le drame intime du héros au profit d’un tableau de genre esthétisé.

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    Son audition n’est pas convaincante et Llewyn ne veut pas modifier son style 

    Bien entendu, la bande son est très soignée dans le sens où elle restitue ce moment un peu à part où les chanteurs populaires visaient un peu plus que de voir leur compte en banque se gonfler.

     

    Si ce n’est pas le film le meilleur des frères Coen, c’est assurément l’un des plus intéressants qu'ils aient produits ces dernières années 

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    C’est un des tous premiers romans de Jim Thompson. Publié en 1949, il pose le style et la thématique de son œuvre à venir. Il est écrit juste avant The killer inside me qui est considéré par beaucoup comme son chef d’œuvre. La réédition de Rivages permet de le lire dans une traduction qui respecte au plus près l’œuvre qui avait d’abord été traduite en Série noire sous le titre de Cent mètres de silence. Certains critiques comme McCauley ont tendance à le sous-estimer. Mais c’est pourtant un « noir » très fort. Non seulement il possède une intrigue serrée et solide, mais il est doté d’une écriture rapide et percutante. Tous les thèmes abordés par Jim Thompson sont déjà là. Et peut-être possède-t-il une dimension sociale qui est souvent masquée dans ses autres romans.

    Joe Wilmot est le propriétaire d’un cinéma qui marche bien dans la bourgade de Stoneville. Il est marié avec Elizabeth, c’est elle qui possède le cinéma Barclay – son nom de jeune fille. Son ménage va à la dérive. Et voilà qu’Elizabeth introduit dans la maison une sorte de laideron, Carol, dont paradoxalement Joe va tomber amoureux. Surpris dans ses ébats avec Carol, le trio infernal va trouver un curieux arrangement : Elizabeth accepte de partir et de laisser Joe vivre sa vie, mais elle demande 25000 $. C’est le montant de l’assurance sur la vie qu’elle a contractée. Il s’agit alors de maquiller un crime en accident – un incendie – dans le local où les Wilmot visionnent leurs films. Pour cela il leur faudra dénicher une autre pauvresse qui prendra la place d’Elizabeth.

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    Evidemment les choses ne vont pas se passer tout à fait comme ils l’attendaient tous les trois. En effet Joe ne s’est pas fait que des amis dans la ville, il n’a obtenu sa place au soleil qu’en écrasant les autres. Et tous ces rancuniers vont le soupçonner du crime et le faire chanter, en dépit du fait qu’il possède un alibi inattaquable. La malice de Joe lui permet de déjouer un à un les pièges qui lui sont tendus, mais il finira par succomber à la pression.

    Le récit est mené à la première personne par Joe qui ne nous est pas particulièrement sympathique. Il est vicieux comme un âne qui recule et en permanence on se demande s’il ne nous raconte pas des bobards pour essayer de nous apitoyer. Ça nous permet évidemment de rentrer dans les méandres de la logique criminelle qui est faite de frustration et de traumatismes qui remontent à la petite enfance. Il a en permanence le besoin de prendre une revanche sur les autres, sur la vie. S’il inspire la méfiance, il est lui-même méfiant, il ne fait confiance à personne, pas plus à sa femme qu’à sa maîtresse. Ses relations sexuelles sont perverses et sournoises.

    Son comportement est celui d’un homme qui pousse la logique capitaliste jusqu’au bout. Un des passages les plus étonnants de ce roman est son affrontement avec Sol Panzer, un gros propriétaire de salles de cinémas qui veut ruiner Joe. Sol a l’argent pour lui et aussi le temps. Il pense que cela lui suffira, mais Joe arrive à lire clairement dans son jeu et c’est lui qui empochera la mise.

    C’est un roman clairement anti-capitaliste. Il décrit par le menu cette soumission des pauvres à une logique qui les maintient dans une situation désastreuse.

    « Tout à coup, l’idée m’a frappé que les seuls à être dignes de confiance et à travailler dur étaient précisément ceux qui ne comptaient pas. C’était injuste, mais c’était comme ça. Et je me suis demandé pourquoi.

    Je me suis demandé pourquoi alors qu’ils étaient si nombreux, ils ne s’unissaient pas pour diriger les choses eux-mêmes. Et j’ai décidé que si jamais un jour ils arrivaient à monter une organisation – une organisation qui marche bien – je serais des leurs ! »

    Cela suffit à faire ressortir que les tendances criminelles de Joe sont seulement une réaction à un monde injuste où il faut s’adapter ou périr. La malice de Jim Thompson est de faire dire ce genre de chose justement par un homme qui a intégré la logique capitaliste encore mieux que les autres. Mais bien sûr cela passerait difficilement si l’écriture n’était teintée d’ironie. La dérision est l’arme principale de Thompson, la dérision et le désespoir. Le style de Thompson est à la fois très marqué de références à la psychanalyse, et très naturaliste. Il y aura des rappels – assez peu clairs d’ailleurs – sur le passé de Joe orphelin, mais aussi une minutie dans la description du fonctionnement du milieu de la distribution et de l’exploitation des films. Il faut dire que Thompson avait travaillé dans ce milieu et savait de quoi il parlait. Cette référence à une matérialité précise d’un milieu particulier donne du corps à l’intrigue. C’est quand même tout un art que de décrire d’une manière brève et précise un environnement tant sur le plan des mœurs que des décors urbains, sans oublier de faire avancer son histoire.

    A cette époque-là Thompson écrivait très vite. A mon avis c’est ça qui lui donnait ce style percutant : l’intrigue avance sans traîner. Mais c’est aussi pour cela que la fin de l’ouvrage est un peu téléphonée, trop simple, trop attendue. Malgré cela c’est un très grand roman, très noir, très thompsonien.

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    Jim Thompson et son chat

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