•  James Bond, Roger Moore et l’antiracisme

    Un querelle un peu débile a éclaté sur le net à propos de Roger Moore, un des acteurs qui ont endossé le costume de James Bond. Il aurait spécifié que tous les acteurs qui ont incarné le célèbre 007 n’ont jamais été des Anglais, Gallois ou Ecossais, mais pas Anglais-Anglais. Et il a ajouté que l’acteur Idris Elba ne pouvait pas selon lui incarner James Bond. Consécutivement à cette déclaration du vieux Roger Moore, la machine à déconner s’est emballée. L’antiracisme est devenu au fil des années la seule question politique à ce qui semble, et on traque le racisme de partout, sauf où il se trouve vraiment. 

    Ian Fleming auteur raciste 

    A l’origine pourtant c’est Ian Fleming qui est un auteur raciste. Personnage névrosé et alcoolique, mythomane et d’extrême-droite, il développe un James Bond qui épouse ses vues. La plupart de ses romans – que par ailleurs j’ai toujours trouvés très mauvais – mettent en scène des méchants qui sont Juifs – Goldfinger est par exemple juif, allemand et a travaillé à la fois pour les nazis et les communiste – ou noirs, il y a parfois quelques gentils noirs qui sont en général des serviteurs ou des collaborateurs zélés qui ne sont que des auxiliaires. Ses ouvrages n’ont d’ailleurs commencé à marcher en France qu’avec la sortie des deux premiers films interprétés par Sean Connery, les James Bond publiés en Série noire ne trouvaient pas leur public. Si on regarde les deux images ci-dessous, on voit la différence du point de vue marketing.  

    James Bond, Roger Moore et l’antiracisme

    Non seulement l’image qui illustre les éditions Plon rappelle le succès du film James Bond contre Dr No, mais en outre, les couleurs sont vives sur un fond blanc, les polices de caractère modernes. On est dans le moment de l’explosion de la société de consommation. Les marques de voitures, d’alcool, d’armes, sont des éléments tout autant déterminants du roman que l’intrigue proprement dite. Mais ce snobisme pour classe moyenne inférieure, pour ceux qui n’en ont pas les moyens, vise à la distinction, au moins imaginaire, et cet « effet de distinction » s’accompagne naturellement d’un racisme plus ou moins ordinaire parce que de remettre les noirs, les Juifs et les Arabes ou les Russes à une place inférieure est aussi travailler pour la distinction. S’il y a un auteur qui nous permet d’identifier clairement « racisme » et « fétichisme », c’est bien Ian Fleming. C’est ce que comprendra d’ailleurs très bien un des disciples de Ian Fleming, Gérard de Villiers qui saturera les aventures de Malko Linge d’un déferlement de marques plus ou moins grand public, avec un très grand succès. Gérard de Villiers était lui aussi tout à fait raciste et d’extrême-droite, comme Ian Fleming. 

    James Bond, Roger Moore et l’antiracisme 

    Incarner James Bond 

    Les « James Bond » ont été en général de très gros succès, et en général les films tirés des romans d’une médiocrité sans nom. Seuls les deux premiers interprétés par Sean Connery sortent du lot, et Bons baisers de Russie est visible. Tout le reste est à jeter. Le premier à avoir incarné James Bond est un obscur acteur anglais, très anglais, Barry Nelson en 1954 dans Casino Royale. Il est aujourd’hui complètement et fort justement oublié, on trouve cependant ce film assez facilement sur Internet pour ceux que la curiosité démange de connaître toute l’hsitoire. Le second est Sean Connery. C’est lui qui a apporté la gloire internationale au personnage et à Ian Fleming qui pourtant ne voulait pas de lui, le trouvant trop vulgaire, pas assez anglais-anglais justement. Il lui aurait préféré un Cary Grant par exemple[1]. C’est du moins ce qu’il disait. Mais dès le troisième opus, Goldfinger, la série dégénère complètement : le scénario est de plus en plus léger, la mise en scène joue sur les effets spectaculaires, et le film devient une bande publicitaire à la gloire de la sociétyé de consommation. 

    James Bond, Roger Moore et l’antiracisme

    Barry Nelson dans Casino Royale 

    Il est remarquable que les acteurs ayant incarné James Bond, à part Sean Connery, n’aient finalement rien fait d’autre. Le dernier acteur à incarner l’agent 007 est Daniel Craig, un acteur musclé qui fait la gueule sans qu’on sache vraiment pourquoi et qui est aussi expressif qu’une planche à repasser. Et voilà qu’aujourd’hui on parle d’Idris Elba pour le rôle. Cet acteur, lui aussi très musclé, n’a pas fait grand-chose jusqu’ici. Et c’est sûr que pour lui ce serait une sacrée promotion. Mais à l’évidence, ce serait une trahison complète de Ian Fleming et de son oeuvre. Certes il pourra toujours incarner un héros machiste, mais il aura plus de mal à démontrer la supériorité de la race blanche et des anglais-anglais sur le reste du monde ! 

    James Bond, Roger Moore et l’antiracisme 

    Cependant, il est évident que la série des James Bond a évolué vers une sorte de « politiquement correct » qui la rend encore plus insipide que les premiers numéros. C’est à la fois la conséquence de la chute du mur de Berlin et de l’évolution des mœurs qui justement donnent aujourd’hui plus de place aux femmes et aux « minorités visibles » comme on dit. James Bond n’est pas un produit culturel, c’est une franchise dont le but est la promotion de la marchandise sous toutes ses formes. Le probable engagement d’Idris Elba pour le rôle devrait le confirmer. Non seulement la franchise « James Bond » prouvera ainsi qu’elle n’est pas raciste, et d’autre part elle élargira son public. Au fond ce qui était plaisant pour nous français dans les tous premiers James Bond, c’est ce côté anglais justement, ce qui nous faisait remarquer combien l’Angleterre était un pays lointain qui vivait dans le passé de sa grandeur en allée. On était fasciné aussi probablement par cet absence d’humour typiquement anglaise. Ne reste plus aujourd’hui que les effets spéciaux et les mécaniques de scénarios sans contenu et bien sûr la promotion de BMW et de quelques autres marques. 

    James Bond, Roger Moore et l’antiracisme

    A mon sens, plutôt que de s’intéresser au pseudo racisme de Roger Moore, il serait plus profitable de s’attaquer au fond de commerce de la franchise « James Bond » comme promotion d’une sous-culture débilitante.

     

    Liens 

    http://www.lemonde.fr/culture/article/2015/03/28/roger-moore-se-defend-de-tout-racisme-apres-ses-propos-sur-james-bond_4603421_3246.html

    http://www.digitaltrends.com/movies/idris-elba-responds-casting-james-bond-rumors/

     

     


    [1] Pour la petite histoire, il est bon de rappeler que si Sean Connery a été engagé, c’est avant tout parce que son cachet était très faible

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  • La polizia e al servizio del cittadino, Romolo Guerrieri, 1973. 

    Le commissaire Sironi enquête sur un homme qu’on retrouve pendu dans le port de Gênes. A ce meurtre va être rattaché d’autres crimes qui tournent tous autour d’un gang qui rackette toute la filière alimentaire, la viande, le poisson, les fruits et légumes. Sironi est un policier entreprenant qui n’hésite pas à s’affranchir de la légalité pour obtenir des résultats. De fil en aiguille il va remonter jusqu’à un ponte important du port de Gênes, Brera, qui sous des aspects rigoristes est en fait l’homme de la mafia. Mais il a d’autres soucis, Marino, son adjointl’a trahi, et s’est vendu à la canaille. Il va le retourner et ainsi progresser. Marino mourra pour se racheter en quelque sorte et Sironi s’étant fait tancer par sa hiérarchie se fera justicier et éliminera Brera. 

    La polizia e al servizio del cittadino, Romolo Guerrieri, 1973. 

    Un homme est retrouvé pendu à une grue sur le port de Gênes 

    Le poliziottesco, genre typiquement italien, a multiplié les très bons films dans les années soixante-dix. Il visait un public populaire, mais surtout il s’essayait à un ancrage social et politique qui reflétait bien la tension qui existait probablement plus en Italie qu’en France. Romolo Guerrieri est un réalisateur assez obscur, même dans le genre, mais ce film est très bon et mérite, malgré les années qui passent, un détour, une redécouverte. Ce souci de rélaité  ne s’appuie pas que sur une mise en scène de la violence, il repose aussi sur une utilisation particulière des décors. Dans mon précédent billet, je déplorais que La French, n’utilisait pas beaucoup ou très mal le fabuleux décor de Marseille. On a ici la démonstration inverse. Le poliziotttesco nous fait souvent voyager, on visite Naples, Milan, Rome, Turin. Ici c’est Gênes et son port qui servent magnifiquement de décor et qui donnent une épaisseur à l’histoire. 

    La polizia e al servizio del cittadino, Romolo Guerrieri, 1973. 

    Sironi et son adjoint Marino sont chargés de l’enquête 

    Le souci de réalisme vient également de ce qu’on nomme un chat, un chat, et la mafia, la mafia. N’oubliez pas que dans les années soixante-dix beaucoup, notamment dans la Démocratie Chrétienne, niaient l’existence de la mafia. C’était même une vision de gauche que de la dénoncer. Certes on savait que ça existait, mais on en parlait à mots couverts, et surtout comme une spécialité qui n’avait pas débordé les frontières de la Sicile. De même la police est ici mise en accusation, opposant le teigneux Sironi à sa hiérarchie. D’ailleurs le titre pose directement la question de savoir si la police est au service du citoyen. Cette mise en cause s’accompagne d’ailleurs d’un discours politique qui dit qu’au fond la police s’intéresse un peu trop aux agissements sans conséquences d’une jeunesse trubulente et anticapitaliste, plutôt que de s’attacher aux exactions des puissances d’argent. 

    La polizia e al servizio del cittadino, Romolo Guerrieri, 1973. 

    Pour éviter les bavards on les défenestre 

    Pour autant les policiers ne sont pas vraiment des héros. Marino est corrompu, et même s’il essaie de se racheter de sa trahison en y laissant la vie, ceci n’excuse pas cela. Sironi quant à lui est un flic aigri dont la famille est brisée, il a des rapports excrables avec son fils comme avec sa femme avec qui il ne vit plus. Mais enfin, vaille que vaille il essaie de faire son devoir et de protéger les « petits », ici représentés par les petits commerçants qui n’en peuvent plus de faire tondre et racketter. 

    La polizia e al servizio del cittadino, Romolo Guerrieri, 1973. 

    On demande à Sironi de ne pas en faire une affaire personnelle

    Tout ce que je viens d’avancer suffit pour dire que c’est un très bon film et que ceux qui ne le connaissent pas doivent s’y précipiter dessus. Mais il nous faut aussi saluer la qualité de la mise en scène. Non seulement il y a une belle utilisation de l’espace, mais les scènes d’action sont très réussies aussi, les angles de prise de vue sont multipliés à bon escient. Parmi les scènes très intéresdsantes, il y a les filatures, notamment celle de Christine qui aboutit à la gare de Gênes. La défénestration de Mancinelli, l’agression en pleine ville du commerçant en fruits et légumes sont des scènes particulièrement enlevées, à la fois violentes et sobres. Il y a également une bonne intensité dans les scènes qui gravitent autour de la clinique où Sironi cache le cadavre du malheureux commerçant pour attirer les gangsters dans un piège qui leur sera fatal. 

    La polizia e al servizio del cittadino, Romolo Guerrieri, 1973. 

    Un commerçant qui avait osé témoigner est attaqué 

    L’interprétation est plutôt bonne, avec un Enrico Maria Salerno omniprésent. Il campe une sorte de Maigret aigre, qui change de chapeau presque toutes les scènes. Il donne d’ailleurs une raclée mémorable à coups de ceinturon à Marino qui l’a trahi.celui-ci est interprété par Giuseppe Pambieri plutôt de belle façon. Les femmes sont particulièrement absentes de ce film. Par ailleurs il y a des petits rôles assez intéressants, comme celui de Mancinelli interprété par Venantino Venantini qui promène sa longue silhouette dans des tenues extravagante, un pantalon rose à patte d’éléphant, des cravattes larges et colorées. La distribution est complétée par un Daniel Gélin au mieux de sa forme, jouant une canaille de haute volée.

    La polizia e al servizio del cittadino, Romolo Guerrieri, 1973.  

    Il ne survivra pas à l’opération 

    Malgré tout le bien qu’on peut penser de ce film, il y a quelques petits défauts assez évidents. D’abord les scènes représentant les manifestations de jeunes étudiants sont plutôt pâles et niaiseuses, il n’est pas sûr que cela soit dû au simple manque de fonds. L’affrontement entre Sironi père et fils est aussi assez maladroit. Ensuite il y a des questions d’esthétique, Enrico Maria Salerno porte une perruque du plus mauvais effet qui gâche un peu. Dans les scènes de rue, le public n’est pas toujours maitrisé et regarde un peu trop la caméra. Mais bon, ces critiques, c’est histoire de dire que la perfection n’est pas de ce monde, et surtout pas qu’on  boude son plaisir. 

    La polizia e al servizio del cittadino, Romolo Guerrieri, 1973. 

    Pour piéger Brera, Sironi va s’appuyer sur les marchands de poisson 

    La polizia e al servizio del cittadino, Romolo Guerrieri, 1973. 

    Sironi cherche des preuves dans le coffre de Brera 

    La polizia e al servizio del cittadino, Romolo Guerrieri, 1973. 

    Marino sera à son tour assassiné pour avoir approché de trop Brera 

    La polizia e al servizio del cittadino, Romolo Guerrieri, 1973.  

    Sironi fera justice lui même

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  •  De la promotion du polar 

    « Le polar » est pour les magazines littéraires un produit de saison. Ça revient tous les printemps, en alternance avec le numéro spécial sur Céline ou sur Camus. C’est un thème qui fait vendre. En général on y apprend rien, c’est à peine si ce genre de produit s’adresse à un public qui n’a pas trop l’habitude de fréquenter les librairies… et le polar. Ça commence très fort avec un éditorial de François Busnel qui nous explique – comme chaque année – que le polar est maintenant un sous-genre reconnu, qu’il fait partie de la littérature la vraie. On cite à l’appui de ses vastes connaissances, l’incontournable Jean-Patrick Manchette ou encore Dashiell Hammett. C’est plus que du réchauffé, ça frise l’escroquerie intellectuelle. 

    De la promotion du polar

    Ensuite le dossier proprement dit commence par un classement assez imbécile puiqu’il prétend nous donner une image du polar en train de se faire, alors que manifestement il ne s’agit que de promotion, parce que le « Quai du polar » de Lyon c’est pour bientôt, et que les auteurs ici cités seront présents à cette foire pour signer leurs livres. Entendons nous bien, je n’ai rien contre ces auteurs qui sont censés représenter le meilleur de la production polardière, mais plutôt contre cette manière de faire, de nous imposer une vision restreinte, convenue et tronquée de celle-ci. En outre, on se demande pourquoi en retenir 10, est-ce parce que les lecteurs de Lire n'iront pas  au-delà ? Est-ce parce qu'il s'agit d'un chiffre porte-bonheur ?

    On continue ensuite avec un long article sur Michael Connelly. Ce dernier est un poids lourd du polar à l’échelle mondiale, et ses romans avec Harry Bosch ont un fort intérêt. Comme on voit, Lire n’innove pas, l’an dernier c’était Ellroy parce qu’il venait en France faire la promotion d’Extorsion – une sorte de demi roman – cette fois c’est Connelly. On aurait bien fait Donna Leon, mais elle ne vend pas assez. On verra bien l’an prochain. 

    De la promotion du polar 

    Ci-dessus le numéro de l’an dernier de Lire 

    Ajoutons pour boucler l’affaire deux sous-dossiers, l’un sur les rapports entre finance et délinquance, avec en prime une photo de Madoff, et l’autre sur le polar espagnol. Car c’est un phénomène assez récent finalement le polar a du succès par son exotisme. Avant il y en avait que pour le polar qui venait d’Amérique, après une longue domination de la forme angalise avec énigme à tiroir, aujourd’hui les destination polardières touristiques se diversifient, et maintenant que le polar nordique a fini de lasser, on essaie de trouver autre chose. L’an prochain je suggère le polar israélien, ou le polar à l’italienne. Y’a de quoi faire.

     

    La question que je me pose est de savoir si ce genre de numéro spécial fait plus de bien que de mal, parce qu’à mon avis si on compte nous faire passer le polar pour un genrre littéraire de haute volée, il faut bien reconnaître que le dernier numéro de Lire est bien maladroit. Le polar d’aujourd’hui est assez lourd, ennuyeux, reconnaissable à sa langue assez pauvre – donc facilement traduisible – donnant la primeur à des intrigues alambiquées. Ça tire à la ligne, harasse le lecteur de détails sans intérêt. Et sur cette dérive, il y a des questions intéressantes à se poser. De même il serait intéressant de se poser la question de savoir pourquoi le polar n’est plus un genre populaire, mais au contraire généralement une distraction pour classe moyenne inférieure en mal de reconnaissance.

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  • La french, Cedric Jimenez, 2015

    La french raconte d’une manière très très romancée l’affrontement entre Tani Zampa et le juge Pierre Michel. Disant qu’il s’inspire librement des faits réels, il interprête une histoire bien connue maintenant à sa manière. En effet il suppose que c’est Zampa qui a été le donneur d’ordre de l’assassinat du juge. Thèse audacieuse, s’il en est, puisque la justice a jugé Francis Girard, un autre grand bandit et trafiquant de drogue pour la commandite de ce meurtre. Le titre est accrocheur, mais à l’époque du juge Michel on ne parlait pas de la french. Enréalité l’histoire de Zampa est plutôt celle d’une guerre sans merci avec Francis le Belge et Jackie le Mat, qu’un affrontement avec le juge Michel. Bien sûr dans la mesure où il est annoncé qu’il s’agit d’une interprétation libre de la réalité tout cela n’a pas trop d’importance, sauf que justement cette volonté mi-chève, mi-choux de s’inspirer d’une réalité très forte et très dramatique, va gêner considérablement la conduite du récit et le déséquilibrer. Mais le scénario veut jouer sur les deux registres, le film de grand-bandits, et l’enquête pour démanteler un gang. 

    La french, Cedric Jimenez, 2015 

    Les amis de Zampa se réunissent pour parler business 

    Décidément les voyous marseillais n’ont pas de chance avec les adaptations cinématographiques, on se souvient du tristement célèbre l’immortel du malheureux Richard Berry, avec l’impayable Jean Reno dans un avatar de Jackie le Mat. Or Jackie le Mat est un personnage extraordinaire – d’ailleurs le seul survivant de cette époque de grands bandits – qui a échappé à un règlement de compte qui l’avait laissé sur le carreau avec 22 balles dans le corps. Il est ici représenté sous la figure du Fou – parce que le Mat ça veut dire le fou. Malheureusement pour le film, il est escamoté. 

    La french, Cedric Jimenez, 2015

    Zampa va à New-York marchander sa came 

    Le premier problème de ce film est un déséquilibre dans le scénario : non seulement il se cherche entre réalité et fiction, mais en outre, il hésite entre la traque de Zampa et une description plus large de la lutte contre le trafic de drogue, avec une embardée bien mal maitrisée vers la corruption de fonctionnaires des police. De même il donne un rôle d’homme d’action au juge Michel, alors que celui-ci était plutôt un homme de cabinet faisant bien peu d’excursions sur le terrain. On comprend que la famille du juge Michel se soit désolidarisée de cette production.

    La french, Cedric Jimenez, 2015  

    Le juge Michel essaie de reconstituer les relations des truands entre eux 

    Le scénario n’est hélas pas le seul problème du film. Cédric Jimenez est natif de Marseille, et bien sûr toutes ces histoires de grands bandits, l’ont certainement occupé une partie de sa jeunesse. Mais est-ce une raison pour ne pas se servir un peu mieux du décor ? Il multiplie les gros plans et les bavardages, son film ne respire jamais. A quelques exceptions près, cela pourrait se passer aussi bien en Lorraine qu’à Paris ou à Nantes. La photo n’est pas mauvaise, mais il manque une grammaire cinématographique élémentaire. Je passe sur la volonté de reconstituer le Marseille de la fin des années soixante-dix. Tout sonne faux, des rouflaquettes que tout le monde semble porter, à la caricature de Gaston Defferre. Ensuite faire de Tani Zampa un bon père de famille et un époux attentioné, c’est envoyer le bouchon un peu trop loin. On a l’impression que la bande à Tani est une sorte de congrégation qui a misé tout sur l’ascétisme à la poursuite d’un but extrêmement élevé. 

    La french, Cedric Jimenez, 2015 

    Le juge Michel reçoit l’aide de Gaston Defferre 

    L’interprétation est assez pâle, si Gilles Lellouche est plutôt bon, Dujardin est assez lamentable. Pour tout dire il a l’air de s’en foutre. Benoît Magimel est pas mal, mais son personnage est complètement escamoté. Le meilleur est sans doute Moussa Maaskri dans le rôle du tueur. Les femmes sont aussi bien mal représentées. Si je devais sauver juste quelque chose de ce désastre, je dirais que les accents sont bons, assez authentiques.

    Le film a  connu un succès commercial assez moyen, mais la critique ne l’a pas épargné tant sur le plan de la forme que sur celui du fond. 

    La french, Cedric Jimenez, 2015 

    Un homme se propose de corrompre le juge Michel 

    Au final on préférera le film de Philippe Lefèbvre, Le juge, moins prétentieux, mais se contentant seulement de traiter de la perosnnalité complexe du juge Michel. Un film basé sur la vie des grands bandits marseillais des années  soixante-dix reste encore à faire. Mais la matière est très riche, et je crois qu’il y a quelque chose de très intéressant à réaliser, par exemple en décrivant cette guerre entre le Belge, Zampa et le Mat, avec des alliances et des retournements, des trahisons et bien sûr du sang qui coule à gros bouillons. Encore faut-il se donner la peine de travailler le scénario et de donner de l’air à la ville. Il est bien dommage qu’une ville extraordinaire comme Marseille ait été si rarement bien mise en valeur.

    La french, Cedric Jimenez, 2015  

    Le juge Michel est assassiné

    La french, Cedric Jimenez, 2015

     Le vrai juge Michel 

    La french, Cedric Jimenez, 2015 

    Le vrai Tani Zampa

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  •  L’évadée, The chase, Arthur Ripley, 1946

    Voilà un très bon film noir assez ignoré cependant. Pourtant le simple fait que le scénario soit inspiré par un roman de William Irish sous le nom de Cornell Woolrich devrait suffire pour attirer l’attention. Mais il est vrai qu’Irish est laissé un peu à l’abandon aujourd’hui.

    L’évadée, The chase, Arthur Ripley, 1946 

    L’histoire est celle de Chuck Scott, jeune soldat démobilisé qui a subi un traumatisme pendant la guerre. Il est seul et semble-t-il fauché. Par hasard il trouve un portefeuille au nom d’Eddie Roman. Après avoir pris sur le compte d’Eddie Roman un bon déjeuner, il décide d’aller rendre le portefeuille à l’adresse indiquée. Là il tombe sur une demeure luxueuse, avec des gens plutôt bizarres. Outre Eddie Roman qui semble être un gangster de haute volée, il y a Gino son factotum, et Job un autre domestique à la tronche patibulaire. Sa naïveté va l’amener à se faire engager par Roman comme chauffeur. C’est en tant que tel qu’il va faire la connaissance de la belle Lorna Roman, sa femme, qui en rêve que de s’évader de ce qu’elle considère comme une prison. Evidemment Chuck va accepter de l’aider en échange de 1000 dollars. Ils projettent de fuir à Cuba. Mais arrivé à Cuba les choses se passent très mal, Lorna est poignardée dans le dos et la police l’arrête.

    L’évadée, The chase, Arthur Ripley, 1946  

    Chuck rapporte le portefeuille trouvé 

    Bien entendu, Chuck est innocent, mais la façon dont cela va être démontré est originale, puisqu’elle passe par une amnésie partielle qui fait que Chuck ne sait plus s’il a révé ou vécu ce qui s’est passé à la Havane. Dès lors il se retrouve dans une sorte d’entre-deux. Il va faire appel à un médecin de la Navy pour que celui-ci l’aide à retrouver ses esprits. Contrairement à ce qui est la règle du genre, on aura pas vraiment d’explication sur ce qui s’est passé réellement. C’est le point de vue de Chuck qui compte,et celui-ci est particulièrement flou. Il ya beaucoup de retournements de situation, mais ceux-ci échappent à la rationalité habituelle. Même la fin d’Eddie Roman n’est pas claire : se suicide-t-il ?

    C’est à ma connaissance un des rares films de ce genre où le spectateur reste ignorant du déroulement linéaire de l’affaire. On est donc à l’opposé du roman policier à l’anglaise, ou d’Hitchcock si on veut – sauf si on met à part Vertigo. Ce dernier ne se serait jamais permis de ne pas boucler l’histoire en ne donnant pas toutes les explications nécessaires au spectateur.

    L’évadée, The chase, Arthur Ripley, 1946  

    Sous des airs rigolards Eddie Roman est un redoutable gangster 

    Arthur Ripley n’a pas fait grand-chose pour le cinéma, sauf un autre film noir de belle qualité aussi, Thunder road avec Robert Mitchum. Il avait pourtant toutes les qualités requises pour le film noir. Il donne d’ailleurs une dimension d’étrangeté très forte aux décors que l’histoire traverse. Que ce soit la maison de Roman, ou la boîte de nuit de La Havane, ils ajoutent une dimension onirique très forte.  Il y a deux parties très différentes, la première est plus traditionnelle, puisque c’est l’histoire d’un soldat qui aide une malheureuse femme à s’enfuir, et la seconde plus décalée, flirtant avec la folie possible de notre héros.

    On garde à l’esprit cette capacité à filmer les escaliers immenses de la maison de Roman, ou les clair-obscurs des bouges de La Havane. L’inspiration est sans doute à rechercher du côté de Siodmak. 

    L’évadée, The chase, Arthur Ripley, 1946

    Chuck inaugure ses fonctions de chauffeur 

    Bien que l’affiche soit prestigieuse, il ne semble pas cependant que le film ait bénéficié d’un gros budget. En effet, les décors extérieurs sont réduits, et les bateaux ne sont même pas filmés en plan général. Sans doute Hitchcock a-t-il vu se film car la scène où on retrouve Chuck avec un poignard qui laisse croire qu’il a tué Lorna a incontestablement été copiée pour North by northwest. Mais d’autres astuces scénaristiques serviront plus tard de référence, par exemple ce qu’on peut découvrir sur une photo prise au hasard dans un cabaret. Si la réalité ment, la photo ment beaucoup moins et elle pourrait disculper Chuck définitivement. Le scénario est dû à Philip Yordan, scénariste prolifique que certains, notamment Bertrand Tavernier, soupçonnent d’avoir signé au temps du maccarthysme des scénarios écrits par d’autres. Entre autres il a signé le scénario du magnifique The Big Combo. Mais il avait aussi écrit Detective story pour William Wyler, juste avant que la chasse aux sorcières ne débute vraiment, ce qui relativise un peu son usurpation de signature. En tous les cas le scénario de The chase est très imaginatif.

    Bien sûr on y trouvera des incongruités comme cette manière de Roman d’accélérer depuis l’arrière de la voiture sa vitesse. Mais les romans de William Irish n’en manquaient pas non plus. 

    L’évadée, The chase, Arthur Ripley, 1946 

    Lorna a enfin pu fuir 

    L’autre intérêt du film est bien sûr la distribution. Il y a Robert Cummings qui joue un Chuck complètement ahuri et désenchanté. Il est très bien. Mais le film vaut pour deux autres piliers du film noir, Peter Lorre et Steve Cochran. Le premier incarne une sorte de tueur blasé et fidèle à son patron. Le second est Eddie Roman, une sorte de canaille neurasthénique qui finalement sera perdu non pas par sa cruauté, mais par son amour la belle Lorna. Celle-ci est interprétée par Michèle Morgan au sommet de sa splendeur. Ce sera pourtant son dernier film aux Etats-Unis où elle avait été très présente durant la guerre. Pour la petite histoire, elle s’était mariée en 1942 aux Etats-Unis, et la naissance de son fils l’avait éloignée des plateaux jusqu’en 1944.

    C’est donc un film noir de grande qualité pour les amoureux du genre et pour ceux qui adore le trop méconnu Steve Cochran, il y en a encore !

    L’évadée, The chase, Arthur Ripley, 1946  

    A Cuba les deux fuyards semblent tout oublier

    L’évadée, The chase, Arthur Ripley, 1946  

    Eddie Roman continue son business 

    L’évadée, The chase, Arthur Ripley, 1946 

    Lorna est poignardée

    L’évadée, The chase, Arthur Ripley, 1946  

    La police enquête et soupçonne Chuck d’assassinat

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