•  Thomas Pillard, Le film noir français, 1946-1960, Jospeh K., 2015

    A l’évidence le film noir français a bel et bien existé, il forme un corpus très intéressant. Genre à la fois populaire et grave, il a été souvent minoré par une critique un peu paresseuse qui pense que le film noir est seulement et d’abord un genre américain. Il faut dire à la décharge de ceux-là que pendant longtemps il était assez difficile de voir les films discutés qu’ils n’étaient pas considérés comme s’élaborant dans le cours d’une cinéphilie sérieuse et savante, disons un peu bourgeoise sur les bords. Deux événements ont fait que le film noir est aujourd’hui mieux apprécié. D’abord leur numérisation permet une circulation sous la forme de DVD ou de Blu ray maintenant, des œuvres qui en forment le corpus. Pour dire la vérité je découvre toute les semaines ou presque grâce à ces nouveaux circuits de distribution des films noirs dont j’ignorais jusqu’à l’existence. Et puis le support numérique facilite l’étude du genre. On peut s’arrêter revenir en arrière, prélever des images ou des scènes complètes pour illustrer le propos. A l’époque de Borde et Chaumeton, la critique cinématographique se basait uniquement sur les films vus en salle. Certes c’était bien mieux pour apprécier les films, mais cela les rendait aussi plus difficile d’accès. Si on n’était pas Parisien c’était une vraie galère que de voir seulement les films des « grands » réalisateurs. On faisait des kilomètres, d’une ville à l’autre, on hantait les ciné-clubs où parfois on était accueillis sur de simples sièges de bois et où les copies étaient projetées sur des sortes de draps blancs. O n’imagine pas la galère que c’était de voir Gun Crazy ou Detour, ou même encore l’œuvre de Pierre Chenal.

    Et puis, la critique était bien moins développée qu’aujourd’hui. Peu de livres, même quand on lisait l’anglais, sauf sur des « grands » réalisateurs, on se contentait des revues, Positif à laquelle je suis resté fidèle, Les Cahiers du cinéma, auxquels j’ai toujours été allergique pour cause de Nouvelle Vague, et quelques autres revues comme Cinéma avec derrière le numéro de l’année.

    Cet ouvrage qui est la thèse de doctorat de l’auteur, sans doute refondue, part de l’idée très juste me semble-t-il  que si le film noir américain a eu une importance décisive sur le cinéma en général et sur la manière de filmer, il n’a pas été la seule influence sur le film noir français. Autrement dit sa thèse s’articule sur le fait que si le cinéma français a été très fortement influencé après la guerre par le film noir américain, d’autres influences comme le réalisme poétique d’avant-guerre et le douloureux souvenir de l’occupation ont été déterminantes. Il rappelle fort à propos que le terme même de film noir n’a pas été créé par Nino Franck à propos de la cinématographie américaine, mais avant-guerre par la critique française. Par ailleurs, il va mettre l’accent sur le fait que par-delà la période de l’Occupation, le « noir français » des années cinquante s’inspire des films noirs d’avant-guerre. Des auteurs comme Carné ou Duvivier ou encore Pierre Chenal assurant la liaison entre les deux époques.  La thèse s’articule sur l’idée que le noir à la française entre 1946 et 1960 se débat avec son passé, tente de sauver la tradition française et donc serait particulièrement rétrograde.

    Autrement dit, il prend le contrepied exact de la thèse un peu fanée de Borde et Chaumeton selon laquelle il n’y a pas de film noir français. C’est une thèse évidemment que je partage et que j’ai développée assez souvent sur ce blog.  C’est donc le premier ouvrage important sur le film noir français et à ce titre il doit être salué chaleureusement.

     Thomas Pillard, Le film noir français, 1946-1960, Jospeh K., 2015 

    Dans son ouvrage illustre son propos avec un document publicitaire à propos du film de Pierre Chenal, document qui rappelle l’atmosphère « noire » du film 

    L’ouvrage se présente au-delà de ces principes comme une succession ordonnée d’analyses minutieuses de films. Pillard a un bon œil pour repérer la succession des plans et leur donner une signification à partir des objets, des attitudes en les historicisant. Et très souvent il apporte un regard nouveau sur des films très connus comme Nous sommes tous des assassins ou Manèges. Souvent cependant, les analyses sont un peu hâtives, et faire de Duvivier un cinéaste antisémite est exagéré. S’il y a des rémanences d’antisémitisme dans Panique, c’est plutôt à Simenon qu’on le doit. Il a tenu pendant plusieurs années une rubrique intitulée Le péril juif dans La gazette de Liège entre 1919 et 1922.

     Thomas Pillard, Le film noir français, 1946-1960, Jospeh K., 2015 

    La prose antisémite de Simenon 

    Parmi les critiques qu’on peut adresser à Pillard, il y a d’abord cette manie de construire un « corpus » d’étude selon des principes discutables. En effet, en retenant trois moments et une poignée de film, il oblitère ce qu’a été vraiment le film noir français dans ces années-là. Or sa sélection pose problème puisqu’en effet il ne prétend pas discuter d’un échantillon, mais d’un ensemble qui formerait de façon exclusive un genre. Le choix des films qu’il range dans ce corpus n’est pas vraiment expliquer, il est justifié seulement à posteriori par les propres réflexions de Pillard.

    De même la périodisation en trois périodes qui se chevauchent forcément paraît verser dans le principe, comme si ces périodes se succédaient malgré tout. Par ailleurs faire de La série noire pour rire – c’est la terminologie un peu niaise dont ce sert Pillard et qu’il emprunte semble-t-il à la critique de l’époque pour désigner ces divertissement un peu policier, un peu empruntant à l’espionnage qui seront des véhicules pour des vedettes comme Eddie Constantine – un sous genre du film noir c’est un peu abuser. Même le critique le plus obtus ne peut pas confondre un film de Fernandel avec un film noir. Et même si on convoque l’idée de parodie de film noir, on ne parle plus du film noir en lui-même, et dès lors le titre de l’ouvrage ne correspond plus à grand-chose. 

    Thomas Pillard, Le film noir français, 1946-1960, Jospeh K., 2015 

    Eddie Constantine dans Les femmes s’en balancent 

    C’est faire comme si le film noir français n’était pas très sérieux. Mais en même temps c’est aussi le résultat d’un manque de définition plus précis de ce qu’est le film noir, même si on sait bien qu’une telle définition est assez problématique. Le problème posé par cette partie sur la Série noire pour rire est qu’en rien elle n’est représentative de l’esthétique du film noir, même en étirant la définition dans un sens large. Certes il est intéressant de se pencher sur ce sous-genre qui fut très populaire, mais pourquoi le faire seulement autour des acteurs comme Eddie Constantine et Raymond Rouleau ? Ne pouvait-on y adjoindre des stars comme Henri Vidal par exemple ? Je remarque aussi que si Pillard tient compte de l’apport d’Audiard à ce segment, il ne fait guère d’incursion vers les autres auteurs qui ont donné des histoires pour le film noir, Georges Simenon ou Frédéric Dard ne sont pas abordés. Audiard d’ailleurs n’a rien publié à la Série noire, contrairement à Jean Amila par exemple dont la plupart des romans furent portés à l’écran. Ce n’est pas du tout un hasard, il ne rentrait pas dans la ligne éditoriale de la collection : ses livres n’étaient pas vraiment du « noir ».

    Pour résumer le principe, Pillard produit une thèse en trois volets – « le réalisme noir », « la série noire pour rire » et le « film de gangsters ». Ensuite il sélectionne une poignée de films qui vont soutenir sa thèse et enfin si cela ne suffit pas il va tordre l’analyse de ces films pour que sa thèse apparaisse comme incontournable. Mais avec une autre sélection on aurait pu avoir exactement la thèse inverse de celle de l’auteur ! A la fin de l’ouvrage on n’est guère plus renseigné sur ce que c’est que le film noir, et encore moins sur le film noir à la française.

     Thomas Pillard, Le film noir français, 1946-1960, Jospeh K., 2015 

    Raymond Rouleau et Martine Carol dans Méfiez-vous des blondes 

    D’ailleurs de ce manque de définition découle une construction du corpus très discutable. Par exemple Pillard qui pourtant veut peser à travers son récit le poids des années noires, retient d’André Cayatte Le miroir à deux faces, mais pas Nous sommes tous des assassins, à peine cité, qui est tout à fait en phase avec ce qu’il dit de l’importance de l’occupation, de la résistance et de ses séquelles et qui en outre à le mérite d’être un vrai film noir. De même comme il s’intéresse fort justement à la figure de Jean Gabin comme d’un pilier important du film noir français, on ne comprend pas pourquoi il ne retient pas Au-delà des grilles de René Clément. Comme la plupart des critiques français, il ne prend pas en considération Quand tu liras cette lettre de Melville, ni même les films de Robert Hossein. Quant au film de gangsters, on remarque que des films biens plus sombres que ceux qui ont été choisis par Pillard, forment un tout autre corpus : par exemple les films de Willy Rozier, ou encore le film de Claude Sautet Classe tous risques. Pourquoi mettre Razzia sur la chnouf parmi les films de gangsters, alors qu’il s’agit finalement du point de vue d’un policier infiltré ?

     Thomas Pillard, Le film noir français, 1946-1960, Jospeh K., 2015 

    Lino Ventura, Jean Gabin et Jeanne Moreau dans Touchez pas au grisbi 

    Mais il y aussi derrière un apparent rigorisme des principes de l’étude, un flottement important. Par exemple, on sait que la question sexuelle est centrale dans le film noir et que souvent elle est gérée comme une dévirilisation du héros. A l’évidence le film noir manifeste une prise de pouvoir de la femme. Or Pillard montre à la fois que cette dévirilisation est déjà bien présente avant la guerre, tout en la considérant dans les films d’après-guerre comme le résultat de l’humiliation de l’occupation allemande. Il semble bien qu’en réalité cette dévirilisation – Pillard parle de remise en cause du modèle patriarcal – s’inscrive dans le temps plus long du développement économique capitaliste et de l’urbanisation qu’il engendre.

     Thomas Pillard, Le film noir français, 1946-1960, Jospeh K., 2015 

    Scènes de guerre dans Touchez pas au grisbi 

    Autre point assez curieux, les films de gangsters comme les appellent Pillard, qu’il analyse, seraient selon lui une manière de rejouer la guerre avec les Allemands. Il parle à propos du Rififi chez les hommes et de Touchez pas au grisbi, de scènes de guerre avec mitraillettes et grenades. Mais des guerres des gangs il y en a eu avant et après la guerre et il y en a encore aujourd’hui. On pourrait donc faire une lecture inverse et dire par exemple que la guerre initiée par les Allemands est une forme de guerre des gangs avec l’idée d’accroître son territoire et de racketter les autres pays européens, et donc que les nazis ont été inspiré plus particulièrement par une culture du gangstérisme développée en Allemagne.

     

    Si les analyses des films par Pillard sont passionnantes et souvent éclairantes, elles ne prennent pourtant le problème que par un angle étroit. Réduire le film noir, fut-il à la française, à une simple lutte pour le maintien d’un modèle patriarcal « français » est extrêmement réducteur. Le langage s’en ressent. Il y a beaucoup de « politiquement correct » chez Pillard. Il voit de la misogynie partout, même où il n’y en a pas. Je passe sur le jargon universitaire. Il y a parfois des locutions bien curieuses comme « littérature populiste » dont on se demande ce que ça peut bien être, on connaissait la littérature prolétarienne, la littérature populaire, mais la littérature populiste ça me laisse un peu pantois. A moins que cela ne recouvre le mépris qui est aujourd’hui accolé au terme « populiste’ pour désigner toutes les tendances qui ne vont pas dans le sens du progrès, qui se révèlent passéistes et donc presque par essence « fascistes ». On trouvera également le terme de « cuisine nationaliste » en lieu et place de cuisine nationale. C’est sans doute intentionnel pour montrer à quel point défendre sa culture culinaire est forcément un combat réactionnaire et condamnable par le peu de modernité dont il est porteur par rapport à la cuisine cosmopolite inventée en Amérique. Manifestement qu’il existe une culture française et que certains veuillent la défendre semble aussi gêner Pillard.

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  • Frédéric Dard, La vieille qui marchait dans la mer, Fleuve Noir, 1988    

    C’était un des ouvrages préféré de Frédéric Dard qui pourtant avait la dent dure envers sa production. Il est écrit, dans la série des grands romans signés San-Antonio, juste après Faut-il tuer les petits garçons qui gardent leurs mains sur les hanches ? Il est à son sommet dans la maîtrise de l’écriture et, grâce à ses succès il est plutôt libre d’écrire ce qu’il veut et comme il veut.

    L’histoire est assez simple. Un jeune plagiste désœuvré croise la route d’une vieille femme – elle a quatre-vingt-six ans – très riche. Il l’accompagne lorsqu’elle prend ses bains de mer pour soigner son arthrose. Il tente de l’escroquer en lui volant une bague très couteuse. Mais son arnaque tourne court et il va se trouvé embringuer dans les arnaques de la vieille qui fait équipe avec un vieillard lui aussi octogénaire, et qui montent des coups de haute volée portant sur des millions de francs ou de dollars. Le trio va faire chanter un riche industriel, puis voler le diadème serti de diamants de la fille d’un riche prince arabe, et enfin dérober de l’argent à la mafia. Evidemment cette activité débordante provoque des réactions. Deux équipes de détectives vont les pourchasser et presque réussir à la coincer. C’est donc une trame de thriller. Mais ce n’en est pas un, parce que l’enjeu n’est pas là. Il s’agit encore d’un trio, mais d’un genre particulier. Le jeune Lambert va s’immiscer bien malgré lui dans le quotidien sulfureux d’un couple de vieillards et, bien qu’il n’y ait aucune intention sexuelle là-dessous, il va contribuer à détruire ce vieux couple chamailleur. Pompilius le vieux beau va se suicider et  la Vieille Lady M. versera dans la sénescence.

    L’écriture est éclatée. Les longs monologues intérieurs de Lady M. sont relayés par le récit de la vie misérable de Lambert, et aussi par la progression de l’enquête qui vise le trio. Tous les personnages sont assez tarés et l’extravagante Lady M. paraît presque la plus équilibrée. On y croise des détectives dégénérés, des princes arabes cruels, ou encore des couples adultérins plutôt misérables. La richesse et la vulgarité qu’elle engendre forcément y est critiquée en long, en large et en travers. Dans ce foisonnement on retiendra encore cette idée pas si commune que ça que les vieillards ne sont pas seulement des morts en sursis, mais aussi des vivants qui sont tout autant obsédés par le sexe que les plus jeunes, sauf qu’ils n’ont plus les mêmes moyens. On retient encore que les récits de Lady M. qui interpelle Dieu à tout bout de champ – comme San-Antonio le commissaire – ne sont pas forcément véridiques. Et d’ailleurs ces mensonges donneront un tour encore plus pathétique à l’ouvrage. La grande réussite du livre est d’utiliser des scènes scabreuses pour faire avancer l’histoire, sans que cela tombe pourtant dans la démonstration : le grotesque, le sordide renforce le pathétique des personnages.

    C’est un ouvrage assez lugubre dont l’angoisse de la mort n’est pas même pas compensée par une exaltation des sens. C’est le roman de la déchéance physique qui rend dérisoire tous les jeux d’argent, tous les jeux de pouvoir. Il n’y a pas trop de scènes scabreuses, si ce n’est le rapport entre les corps d’une vieille femme et d’un très jeune homme, rapports qui ont été contés en long en large et en travers par Frédéric Dard, rappelant les relations de promiscuité qu’il avait dans sa jeunesse avec sa grand-mère avec qui il partageait le lit.

    Cette référence presqu’obligée à la vie intime de Frédéric Dard n’a pourtant ici que peu d’importance. Parce que s’il y a quelque chose d’intime et de vécu dans ce lâchage programmé du corps, c’est plutôt du bien et du mal dont il est question ici. Lady M. est cynique, sadique même, elle fait œuvre de cruauté. On est là à un tournant dans l’œuvre de Frédéric Dard. C’est toutes ses œuvres publiée sous le nom de San-Antonio, mais qui ne comprend pas le commissaire et ses adjoints, qui sont une marche vers une représentation sadienne des relations humaines, et La vieille qui marchait dans la mer est une étape décisive.

    La noirceur de ce roman où il est pourtant question d‘amour semble renforcé par les épreuves que Frédéric Dard a dû traverser au moment de l’enlèvement de sa fille Joséphine. Il y a une désespérance dans le fin de Lady M. qui est aussi celle de l’auteur.

    Frédéric Dard, La vieille qui marchait dans la mer, Fleuve Noir, 1988     

    Devant le succès énorme du livre, on décida d’en réaliser une adaptation pour le cinéma en 1991. Plus fidèle à la lettre qu’à l’esprit, le film est hélas complètement raté, mais peut-être qu’il était impossible d’adapter un tel roman. Deux raisons à cela : d’abord le fait que toute l’histoire est traversée des longs monologues et des mensonges de Lady M. et d’ailleurs dans le livre on peut se pose la question de savoir si sa vie aventureuse a bien exister. La seconde raison est que Lady M. est très vieille, 86 ans. Et elle devient progressivement sénescente. Au physique, c’est une décombre humaine, elle sent mauvais, s’oublie sur elle. Aucune actrice n’aurait pu jouer un tel rôle et Jeanne Moreau est bien trop jeune pour le rôle, elle avait seulement si je puis dire 63 ans. Seul Michel Serrault surnage un peu de ce naufrage artistique. Luc Thuillier et Géraldine Danon  qui sont sensés incarner la beauté physique et la grâce dans les rôles de Lambert et de Noémie sont insignifiant. Ils n’ont tout simplement pas le physique de l’emploi. On notera également que la simplification abusive du roman a consisté à éliminer de l’histoire tout l’aspect policier : la préparation des coups, comme les enquêtes des détectives. Toute la critique de la richesse qui se trouvait dans le livre a disparu. Egalement le fait e changer les lieux, la Côte d’Azur à la place de Marbella et Paris pour New York affadi considérablement le récit. Le prince qui se fait voler le diadème de sa fille est devenu un prince hindou, peut-être que cela visait à ne pas choquer la communauté arabe dans notre pays, sinon en n’en comprend pas les raisons.

     Frédéric Dard, La vieille qui marchait dans la mer, Fleuve Noir, 1988    

    Evidemment Laurent Heynemann n’est pas un très grand réalisateur, il a œuvré surtout à la télévision. Il filme platement, incapable de mettre en valeur le luxe des lieux traversés par Lady M. C’est une succession de gros plans, avec des faibles mouvements de caméra. Quoiqu’il en soit cela n’empêcha pas le succès public du film en salles et même à Jeanne Moreau d’être récompensée d’un oscar pour son cabotinage. Notez que cette dernière a été tout au long de sa carrière une fidèle servante de l’œuvre de Frédéric dard au cinéma.

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  • Le monde de San-Antonio, n°75, 2015 

    Tous ceux qui considèrent Frédéric Dard et San-Antonio comme un écrivain de première importance doivent lire et s’abonner au Monde de San-Antonio. Cette dernière livraison est centrée sur deux sujets : le premier est la parution du DicoDard de Pierre Chalmin dont j’ai déjà parlé ici et qui m’a valu une petite polémique avec l’auteur. Grâce à une interview de Chalmin on y apprend que son ouvrage est une commande, et donc qu’il ne vient pas d’une envie en elle-même de réaliser ce travail. D’ailleurs c’est à cette occasion que Chalmin se serait mis à lire sérieusement en 2012. Ce qui explique sans doute beaucoup de choses. Je passerais sur le fait que Chalmin, dans son interview, désigne Céline comme le plus grand écrivain du XXème siècle – lieu commun s’il en est – et qui d’un même mouvement se déclare pour une sorte d’adéquation entre l’œuvre et la morale de l’auteur. Ce qui est plus drôle c’est que quelques lignes plus loin il enfonce le clou déclarant hâtivement qu’il bannit de sa bibliothèque les auteurs vaniteux, avares et lâches exactement ce qu’était le misérable Céline

    Le second sujet est bien plus intéressant. Il s’agit d’un gros dossier de Dominique Jeannerod sur la manière dont la critique littéraire s’est saisie de l’œuvre de Frédéric Dard à travers des revues mensuelles qui publiaient principalement des nouvelles d’auteurs plus ou moins connus. Ce dossier est capital, d’abord parce qu’il montre comment Frédéric Dard a été soutenu par des « autorités » comme Pierre Boileau, mais ensuite parce qu’il rappelle comment ces petites revues – toutes pratiquement du même format – qui ont disparu aujourd’hui, ont joué un rôle déterminant dans la valorisation de la littérature populaire noire et policière. Ces revues se raccrochaient à un nom, Alfred Hitchcock Magazine, ou à un héros Le Saint-Magazine. Elles surfaient sur le succès et en même temps elle l’appuyait. Elles publiaient des nouvelles policières, mais aussi une petite partie à la fin recenser des films et des livres. La part des nouvelles françaises était extrêmement réduite. Jeannerod ne cite pas la revue Noir Magazine qui était éditée sous le patronage d’Albert Simonin. Bâtie sur le même modèle, elle avait de l’ambition, mais elle n’eut que deux numéros faute de lecteurs. Dans le premier numéro on pouvait trouver une nouvelle de Simonin dont ce sera à ma connaissance la seule incursion dans le monde particulier de la nouvelle, La mouillette, mais aussi une nouvelle de Léo Malet et une autre de Catherine Arley. Les auteurs français représentaient plus de la moitié des nouvelles éditées. Le second numéro publiait une nouvelle de Pierre Boileau, La tête. On ne sait pas trop à quoi attribuer cet échec, mais peut-être que cela venait du ton trop noir justement de la revue. On sait que le « noir » s’est toujours moins bien vendu que le suspense ou le roman à énigme. Justement parce que sa noirceur ne le destine pas au pur divertissement.

     Le monde de San-Antonio, n°75, 2015

    Le dossier ouvert par Jeannerod sera suivi de plusieurs autres articles, nous les attendons avec plaisir. Dans ce premier épisode, on y découvrira Pierre Boileau, l’autre moitié du tandem diabolique Boileau-Narcejac. Ces deux auteurs étaient non seulement des écrivains de premier plan, faisant plutôt dans le suspense psychologique, mais ils avaient également des idées théorique sur le roman policier qui pour eux devait être forcément la résolution d’une énigme. Ils dénigraient systématiquement le roman noir, leur bête noire étant selon eux James Hadley Chase. Mais les cordonniers sont les plus mal chaussés et fort heureusement Boileau-Narcejac ne s’en sont pas tenu à leurs idées et leurs romans vont bien plus loin que les bêtises bourgeoises et boursoufflées d’Agatha Christie et autres Van Dinne. Mais ce qui est intéressant dans l’article de Jeannerod, c’est évidemment les relations de Boileau avec Dard. En effet, on pourrait se dire que San-Antonio et Boileau-Narcejac ne jouent pas dans la même cour. L’argot, les déconnades, cela devrait conduire Pierre Boileau à dénigrer les aventures du commissaire. Mais il en est rien. Boileau semble en effet adouber San-Antonio parce qu’il apprécie Frédéric Dard qui est en quelque sorte un des meilleurs disciples de Boileau-Narcejac avec Louis C. Thomas et bien sûr Sébastien Japrisot. Ces trois auteurs, bien français ce que défend d’ailleurs Boileau, forment presqu’une école avec Boileau-Narcejac, chacun avec sa spécificité propre œuvre dans le même sens. On remarque que ces auteurs ont été adaptés d’abondance au cinéma et à la télévision avec parfois des succès énormes.

    Le monde de San-Antonio, n°75, 2015  

    Thomas Narcejac, Alfred Hitchcock et Pierre Boileau 

    Les « romans de la nuit » de Frédéric Dard qui sont assez souvent des intrigues à rebondissements multiples ne pouvaient que plaire à Pierre Boileau. Certes il aurait pu aimer Frédéric Dard et pas San-Antonio qui abuse de scènes scabreuses et d’argot – quoiqu’un peu différent de celui de la Série noire. Mais s’il aime aussi San-Antonio, c’est surtout parce que derrière le style sanantoniesque, il y a des intrigues bien montées. Et en effet Frédéric a toujours pris soin de conserver une trame fictionnelle à rebondissement parce qu’au-delà du ton et de l’ironie c’est ce qui retient le lecteur. J’ai récemment relu des romans de Pierre Dac. C’est excellent bien sûr. Mais il écrivait des livres qui n’avaient aucune intrigue. On pouvait donc les laisser un jour ou deux jours, voire plus et les reprendre là où on les avait laissés. Avec Dard ce n’est jamais le cas. Qu’il soit épais ou long, on veut toujours aller jusqu’au bout.

    C’est bien pour cette raison que Boileau et Narcejac appréciaient Dard parce qu’il savait écrire une histoire qui se tenait debout et mieux encore qui se renouvelait que ce soit sous le nom de Kaput, de San-Antonio ou de Frédéric Dard et de quelques autres. 

    L’article de Jeannerod est passionnant de bout en bout. On peut lui faire un petit reproche amical, il suppose que pendant un temps assez long Frédéric Dard aurait délaissé l’écriture de nouvelles, or en 1969, il publie au Fleuve noir un très beau recueil de nouvelles La cinquième dimension sous le nom de Marcel G. Prêtre. Si de nombreuses œuvres sont plus ou moins facilement attribuables à Frédéric Dard, La cinquième dimension est incontestablement de sa plume. Non seulement l’ouvrage renvoie à une intimité flagrante, mais le style est bien le sien.

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  Le voleur, Louis Malle, 1967

    C’est une adaptation d’un roman de Georges Darien que Jean-Jacques Pauvert avait exhumé. Ce roman qui est sensé raconter la vie de Georges Darien lui-même a été salué maintes et maintes fois, par les anarchistes, les révolutionnaires et en même temps par les surréalistes, Breton en tête, qui pourtant ne faisait guère de cas de la littérature empruntant des formes conventionnelles. C’est un roman culte comme on dit maintenant. Il s’inscrit dans toute une littérature de la révolte contre l’ordre bourgeois dont toute l’œuvre de Georges Darien est faite. L’écriture est à la première personne, ce qui permet à Darien de porter un jugement directement moral sur la société, et en même temps d’authentifier ce qu’il raconte.

      Le voleur, Louis Malle, 1967

    On n’est pas certain que l’ouvrage raconte précisément la vie der Darien. Mais on sait que Darien resta plusieurs années à Londres sans qu’on sache très bien de quoi il y vécut. Il avait déjà entamé une carrière littéraire notamment en publiant un roman à charge contre l’institution militaire, Biribi. C’est un homme en colère contre la société bourgeoise et ses institutions. Et si on le confondit un temps avec un auteur antisémite comme il y en avait beaucoup à cette époque, à cause de Gottlieb Krumm, made in England, il démentit cette assertion avec Les Pharisiens, roman dans lequel il attaque Drumont. Tous ces romans sont empreints d’une rage assez rare, même pour l’époque qui connut tant et tant de pamphlétaires. D’origine bourgeoise, il va devenir un de ses plus féroces critiques.

     Le voleur, Louis Malle, 1967 

    L’abbé La Margelle présente Roger à la Honte à Randal 

    L’histoire du Voleur est celle de Georges Randal qui, spolié de son héritage par son oncle, empêché de se marier avec sa cousine qu’il aime profondément va devenir un voleur de profession. Au fil de ses aventures il croisera toute une kyrielle de personnages qui forment une véritable contre-société, et qui tous à un titre ou à un autre, vont le transformer en une sorte de nihiliste qui va faire du vol non pas seulement une façon de gagner sa vie, mais aussi une philosophie de l’existence. L’action se passe à la fin du XIXème siècle. C’est-à-dire à une époque où l’anarchie a déjà du plomb dans l’aile : politiquement elle est en régression, et elle va se lancer dans les attentats terroristes, puis justifier la « reprise individuelle ». beaucoup seront envoyés au bagne, notamment Marius Jacob, le grand héros de la reprise individuelle qui n’abandonnera jamais l’idée de transformer la société dans un sens positif. Or le personnage de Randal n’est pas dans cette optique. S’il critique de manière féroce l’hypocrisie de la bourgeoisie, il n’espère pas pourtant la changer. C’est un « en-dehors » qui vit dans les marges. Un autre aspect important de Randal, est qu’il prend du plaisir à son métier. Voler n’est pas une nécessité que lui impose la société, mais plutôt un mode de vie, une philosophie et un hymne à la liberté individuelle.

     Le voleur, Louis Malle, 1967 

    Avec Roger la Honte, Randall joue les monte en l’air 

    Le film de Louis Malle est plutôt réussi. Il avait reçu à l’époque un accueil assez mitigé, d’une part parce qu’on lui reprochait de faire d’un pamphlet social un œuvre commerciale, et d’autre part parce qu’on critiquait sa froideur. A mon avis ces critiques ne sont pas fondées. Et des années plus tard, le film garde encore de sa force. Au contraire il apparait comme fortement critique et désespéré. C’est le meilleur film de Louis Malle, ce qui n’est pas forcément un exploit. Et curieusement c’est aussi le plus léché sur le plan cinématographique. Il faut dire qu’en ayant  Belmondo dans le rôle principal, il ne peut pas trop faire de l’expérimentation cinématographique. Avec Godard, Belmondo a déjà donné.

    Louis Malle est également un fils de grand-bourgeois en rupture de ban. Révolté contre la société, il prendra part à Mai 68, notamment en participant aux Etats Généraux du cinéma et en tournant Milou en mai. Le personnage de Randal lui convient. Le film est très proche du roman, du moins dans l’esprit. A travers un cambriolage qui va durer tout le film, Randal raconte sa vie, et les raisons qui l’ont emmené à un pessimisme social, une forme de nihilisme désespéré. L’histoire progresse à travers la formation pratique et philosophique de Randal, comme si chaque cambriolage lui permettait de progresser aussi sur le plan de la philosophie sociale. On y trouvera une critique féroce de la famille, de la religion, et bien sûr de la politique. Mais on y trouvera aussi un esprit de liberté qui se développe dans les relations amoureuses de Randal.

     Le voleur, Louis Malle, 1967 

    Pour piller le bourgeois ils se transforment en déménageurs 

    Un aspect assez peu commenté du film est l’attention que Louis Malle porte à l’aspect technique du métier de voleur. C’est en effet grâce au progrès technique que les voleurs améliorent leur efficacité, grâce au chemin-de-fer, à l’acide qui perce les blindages, etc., mais c’est encore à cause du progrès technique que le métier fout le camp et qu’il devient de plus en plus difficile. C’était en effet le bon temps de la cambriole, malgré une répression des plus féroces. C’est le genre de métier artisanal au fond qui a aujourd’hui presque disparu, non seulement parce qu’il y a de moins en moins de liquide et de bijoux en circulation, mais aussi parce que les techniques d’encadrement de ce qui reste de la liberté individuelle ont été perfectionnées. On verra donc au fil des scènes l’application de Randal et de ses amis à utiliser des techniques anciennes d’ouverture des portes et des coffres des bourgeois. Car évidemment ces voleurs ne s’attaquent pas à ceux qui n‘ont pas grand-chose, mais à ceux qui sont installés et dont la morgue dérange.

     Le voleur, Louis Malle, 1967 

    A Londres Randal fait la connaissance de Broussaille 

    Le film est une réussite grâce à une distribution éblouissante. Evidemment en tête de celle-ci il y a Belmondo. Pour une fois assez sobre. Dans les années soixante il avait l’ambition de faire du cinéma, après il fera de l’argent avec des pitreries sans nom, s’adonnant sans retenue à des rôles plutôt réactionnaires de gardien de l’ordre. Il aimait bien alors les voleurs et les voyous au grand-cœur. Il avait tourné pour Melville le très curieux et magnifique Léon Morin prêtre, ou le très sous-estimé L’aîné des Ferchaux. Il est à ce moment-là au faîte de sa renommée. Il porte le film sur ses épaules, tous les autres personnages sont des personnages secondaires, des faire-valoir. Mais la bonne idée de Louis Malle est de faire tenir ces rôles secondaires par des acteurs formidables. On peut les citer presque tous. Mais commençons par les femmes. Elles sont judicieusement choisies, de Geneviève Bujold qui incarne la cousine Charlotte, à Marie Dubois qui est la perverse Geneviève, ou Marlène Jobert qui joue le rôle de Brousaille la sœur de Roger la Honte. Et encore Françoise Fabian dans le rôle de la belle et discrète Ida.

    Dans les rôles masculins on trouvera aussi de très grands acteurs, comme Julien Guiomar dans le rôle de l’étrange abbé La Margelle, ou Charles Denner qui fait une petite apparition dans le rôle de l’anarchiste Canonnier évadé du bagne et qui mourra tragiquement. Paul Le Person est Roger la Honte, l’acolyte de Randal. On verra même Pierre Etaix dans un tout petit rôle, celui d’un pickpocket. C’est donc une distribution haut de gamme, un peu comme si tous les acteurs qui comptaient à cette époque voulaient en être de ce film férocement critique. Comme on le voit les temps ont changé et la critique de la société est de moins en moins présente sur nos écrans, sauf sous la forme d’une soupe un peu rébarbative.

     Le voleur, Louis Malle, 1967 

    Au Casino Randal et Charlotte retrouve l'oncle Urbain 

    Louis Malle affiche à la fois une certaine désespérance et une ironie mordante qui tourne en ridicule les codes et les mœurs de la société bourgeoise. Contrairement à ce qu’on peut croire le film ne sera pas vu comme une provocation, mais plutôt comme une critique de l’ordre bourgeois. Il est vrai que nous sommes à l’aube de Mai 68 et que les pesanteurs de la société demandent à être secouées.

    C’est très bien filmé, aidé en cela par la photo d’Henri Decae photographe presqu’attitré des films de Melville. Il y a de belles scènes, comme le passage des monte-en-l’air sur les toits, ou ces maisons bourgeoises chargées de solitude et qui n‘attendent que d’être pillées. Egalement on retiendra les oppositions entre la solitude de Randal et les images de cette fraternité chez les voleurs, avec une liberté sexuelle qui fait plaisir à voir, non pas dans ses manifestations pratiques, mais dans sa conception de la vie.

    Ajoutons une dernière remarque, la reconstitution de  l'époque est très maîtrisé. on sait que c'est souvent un point difficile. Souvent les coiffures, les costumes sentent le fabriqué. Mais ici ce n'est pas le cas. De même le choix des décors est tout à fait judicieux.

     Le voleur, Louis Malle, 1967 

    Randal finira par travailler en solitaire

     Le voleur, Louis Malle, 1967 

    Le travail fini Randal repart prendre le train

    Partager via Gmail

    1 commentaire
  • Pierre Dac qui a eu une célébrité très grande dans les années cinquante et soixante grâce à ses feuilletons radiophoniques – au moment où s’émancipe une littérature populaire – a été une influence décisive de Frédéric Dard, aussi bien dans les petites histoires qu’il écrivait pour des magazines que pour la saga de San-Antonio. On pourrait dire qu’il a été son professeur en loufoquerie. Considéré Frédéric Dard comme son élève ne veut évidemment pas dire que San-Antonio n’a pas son originalité. Mais Frédéric Dard était comme une éponge, et écrivant beaucoup il ressortait aussi tout ce qu’il avait emmagasiné dans ses lectures. Il va de soi que les deux œuvres sont très différentes. Elles ont des points de convergence. D’abord cet amoureux du feuilleton. A ce propos Pierre Dac cite Ponton du Sérail – en remplacement de Ponson du Terrail – vocable que Frédéric Dard reprendra à son compte.

      Frédéric Dard et Pierre Dac 

    Frédéric Dard recevant le Prix Gaulois en 1965 pour Le Standinge, à gauche, Pierre Dac 

    La manière rapide et cavalière d’écrire les San-Antonio fait que Frédéric Dard emprunte et détourne tout et n’importe quoi, les facéties de Pierre Dac, mais aussi les poètes sérieux, ceux des manuels scolaires. Il le fait le plus souvent sans le dire. Et relever tous les détournements que Frédéric Dard réalisa des grands auteurs serait un travail de Titan.

    L’écriture de Frédéric Dard a toujours été en constante évolution. Elle n’est jamais fixée. Ou alors seulement par période. Dans les années cinquante, je dirais à partir de 1954, Frédéric Dard va s’émanciper peu à peu de Peter Cheney et du style série noire anglo-saxon. C’est à cela que lui servent les lectures et le travail avec Albert Simonin, mais c’est aussi la lecture des romans loufoques de Pierre Dac parus en 1953 et en 1954 chez André Martel.

      Frédéric Dard et Pierre Dac

    Quels sont les emprunts de Dard à Pierre Dac ? D’abord la frénésie sexuelle qui est assez absente des San-Antonio avant la deuxième partie des années cinquante. Il y a chez Dac des personnages qui anticipent tout à fait les débordements béruréens. N’oublions pas que dans ses débuts Bérurier est un pauvre garçon, cocu et mal dans sa peau. Ce n’est qu’au fil des épisodes qu’il va s’émanciper et découvrir sa voie. Mais ce sont tous les romans de Pierre Dac qui sont travaillés par une boulimie sexuelle, avec une attention particulière pour le côté féminin de cette affaire.

    Il y a ensuite une manière de fabriquer des noms, aussi bien des noms propres que des noms d’objet. Les noms de lieux et les noms de personnes qui sont inventés par les deux auteurs s’inscrivent dans une référence directe à la France profonde et encore paysanne. Les pédicures de l’âme se passe dans le lyonnais à Villeneuve-la-vieille. Cette façon de nommer montre à la fois un attachement à l’idée d’une France rurale et éternelle, et une sorte de dénigrement parce qu’elle est assez peu moderne.

    Ils ont également la même manière absurde de nommer les objets de haute technologie qui à la fois les fascinent et les inquiètent. Chez les deux auteurs on trouvera également une manière désinvolte de se moquer de la rapacité et des exigences de leurs éditeurs. Il y aussi une manière similaire de se moquer des philosophes et de ceux qui usent de leurs connaissances pour asseoir une forme de pouvoir. Et bien sûr même si c’est avec un peu de retard, Frédéric Dard rejoindra son aîné dans la critique des formes hiérarchiques.

    Enfin on pourrait rajouter une manière mélancolie de tout tourner en dérision, y compris et d’abord leur propre production. Mais Pierre Dac est celui qui ose avant Frédéric Dard, ne serait-ce que parce qu’il est son ancien, il avait vingt-huit ans de plus. Il y aussi une manière qui est commune de se moquer des gens de la haute et de se méfier à priori des hommes politiques, et finalement de garder une attention pour les gens du peuple.

     Frédéric Dard et Pierre Dac
    Frédéric Dard et Pierre Dac 

    Henry Blanc illustra Pierre Dac et San-Antonio 

    Mais il est possible également que Pierre Dac se soit lui aussi inspiré de Frédéric Dard. En effet en septembre 1951 ce dernier publie une nouvelle assez grivoise L’inébranlable dans la revue légère Minuit Pigalle. Or on retrouvera une allusion très nette à un autre inébranlable dans Du côté d’ailleurs où on découvre le Club des Onanistes (C.D.O.). Je ne sais pas si ces deux grands auteurs se sont vraiment connus, en tous les cas ils étaient faits pour s’entendre. Ils se rencontreront au moins une fois pour la remise du Prix gaulois de 1965. L’année d’avant c’est Pierre Dac qui avait obtenu ce prix pour les chroniques de L’os à moelle. Ce prix littéraire était doté de trois paquets de Gauloises et de douze bouteilles de Côtes-du-Rhône !

    Frédéric Dard et Pierre Dac

    Evidemment les différences entre les deux hommes restent énormes. D’abord parce qu’ils ne viennent pas du même univers. Pierre Dac travaille pour la radio, se produit dans des cabarets, Frédéric Dard œuvre pour produire des livres populaires en quantité. Il restera toujours dans le cadre de l’intrigue policière. Le ton général des romans de Pierre Dac reste un peu détaché, pince-sans-rire si on veut. Dard est plus direct et en appelle le plus souvent à ses lecteurs. Et dans la deuxième partie de son œuvre sanantoniesque, il sera bien plus créatif que n’importe qui dans le vocabulaire puisqu’il créera ce savant mélange d’argot parisien d’avant-guerre et de néologismes.

     

    La conclusion est évidente, comprendre San-Antonio ça passe aussi par la lecture réjouissante de Pierre Dac.

     

    PS Merci à Jacques pour la photo

    Partager via Gmail

    votre commentaire



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires