• La griffe du passé, Out of the past, Jacques Tourneur, 1947 

    C’est le chef d’œuvre de Jacques Tourneur, et un des meilleurs films noirs jamais tournés. Le film a été en conséquence commenté en long, en large et en travers. Par son scénario, sa mise en scène et ses acteurs, il atteint une sorte de perfection dans le genre. Comme The killers révéla le talent de Burt Lancaster et d’Ava Gardner, Out of the past révéla celui de Robert Mitchum qui, s’il avait déjà tourné dans des films intéressants n’avait jamais atteint cette intensité. Le scénario est de Daniel Mainwaring, alias Geoffrey Homes. Basé sur un roman écrit par lui, Build my gallows hight, il s’inscrit dans ce mouvement d’explosion de la littérature noire au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Mainwaring est incidemment un des scénaristes de Invasion of the body snatchers, The big steal, This woman is dangerous, Phoenix city et travailla aussi avec Ida Lupino sur Hitch hicker. Même s’il n’est pas très connu, son nom est rattaché à la légende du film noir. La plupart de ses scénarios décrivent des petites villes dérangées par l’intrusion d’un danger rapporté d’un monde plus malsain. Quelques ouvrages de lui sont disponibles en traduction française. Aux Etats-Unis il passe pour un romancier prolétarien, impliqué à gauche dans la défense des blacklistés d’Hollywood. Il travailla aussi avec un autre banni d’Hollywood, Joseph Losey. Mais il ne semble pas avoir été inquiété outre mesure par la chasse aux sorcières.

      La griffe du passé, Out of the past, Jacques Tourneur, 1947

    On ne sait pas dans quelle mesure Build my gallow hight est inspiré ou non du film de Siodmak The killers, mais la parenté entre les deux est assez forte tout de même. Il y a l’intrusion de truands dans une petite ville paisible qui se contente de joies simples et de son labeur, il y a la duplicité d’une femme cupide et sans scrupule, et il y a un homme faible qui presque en toute conscience tombe dans les filets d’une femme fatale dont il connait pourtant l’hypocrisie sans fin. On retrouve aussi une figure récurrente du film noir avec les rapports tordus entre deux associés détectives, figure qui s’est imposée grâce au Faucon maltais, aussi bien le livre de Dashiell Hammett que le film de John Huston.

     La griffe du passé, Out of the past, Jacques Tourneur, 1947 

    Jeff voudrait bien se marier avec Ann Miller et avoir une vie normale 

    Jeff Bailey vit paisiblement à Bridgeport où il exploite une petite station-service. Amoureux d’Ann Miller, il espère bien l’épouser. Mais voilà qu’une ancienne connaissance à lui, Joe, vient lui rappeler son passé et la dette qu’il a envers un certain Whit Sterling. Au pied du mur, Jeff décide de rencontrer Whit et de raconter son passé très chargé à Ann. Ancien détective privé, il travaillait pour Whit qui lui avait demandé de retrouver sa compagne Kathie Moffat qui lui avait dérobé une forte somme d’argent et tiré dessus le laissant pour mort. Il la retrouve finalement à Acapulco, en tombe amoureux et fait mine de croire aux histoires qu’elle raconte. Pour la protéger, il ment à Whit et à son associé, Jack Fisher et finit par se terrer à San Francisco. Mais Fisher les retrouve encore et Ann le tue après une bagarre. Elle s’enfuit, laissant à Jeff le soin d’enterrer son associé. C’est le passé qu’il raconte à Ann pour soulager sa conscience et tenter de se débarrasser de la passion mortifère qu’il a entretenue pour Kathie.

     La griffe du passé, Out of the past, Jacques Tourneur, 1947 

    Joe vient rappeler à Jeff qu’il a une dette envers Whit 

    La deuxième partie du récit est maintenant le présent auquel Jeff doit faire face comme une conséquence de ses actes passés. Dans la propriété de Whit Sterling, il va retrouver Kathie qui est revenue se blottir dans les bras de Sterling. Whit toujours aussi jovial va lui demander de retrouver les livres de comptes qu’un comptable peu scrupuleux à mis de côté pour le faire chanter. Il présente cela comme une manière de solder leurs comptes. Jeff va accepter. Mais les choses vont devenir très compliquées quand il se rend compte que Whit cherche non seulement à récupérer ses livres, mais également à se venger de lui. Et ce d’autant qu’il recommence à être attiré par la vénéneuse Kathie qui veut encore partir avec lui. Mais il va accumuler les preuves de la duplicité de Kathie, notamment il comprend qu’elle a bien volé Whit la première fois, mais aussi qu’elle n’hésitera pas à le vendre pour assurer sa protection. Dès lors il la livre à Whit qui lui-même voudra la livrer à la police. Cependant elle s’en tire une fois de plus et tue Whit. Prétendant une fois de plus partir avec Jeff, celui-ci prend finalement la seule solution qui s’offre à lui, il la livre à la police.

     La griffe du passé, Out of the past, Jacques Tourneur, 1947 

    A Acapulco Jeff attend Kathie 

    C’est donc d’abord la complexité de l’histoire et des personnages qui d’abord séduit. En effet tout le monde passe son temps à se trahir pour de bonnes raisons… apparemment. Kathie trahit Whit, Jeff trahit Whit, Fisher trahit Jeff, Meta trahit Eels, Eels trahit Whit. Jusqu’à la douce Ann Miller qui finalement trahira Jeff en retournant vers Jim qu’elle avait abandonné pour Jeff. Consécutivement à toute cette duplicité, le seul moteur de ces individus qui se débattent dans des complications infinies, est la passion. Whit veut reprendre Kathie dont il ne peut se passer, alors qu’il est riche et qu’il a une position sociale des plus élevées. Kathie est d’abord cupide, mais elle aime aussi que les mâles soient à sa botte, et par instant elle retrouve une certaine innocence, une âme de petite fille qui voudrait bien que sa vie puisse se recommencer. Jeff n’est pas idiot et comprend tout de suite que Kathie est une menteuse, une tricheuse en qui il ne peut pas faire confiance. Mais il est tellement attiré par elle qu’il se laisse guider par son destin. Même après avoir fait le point avec Ann, lui assurant qu’il est bien guéri d’une passion destructrice qu’il a parfaitement analysée, il y revient encore, jusqu’à en mourir. Dans cette configuration, Out of the past oppose des hommes faibles qui ont l’apparence de la force – la richesse de Whit, les larges épaules et le courage de Jeff – à des femmes fortes qui ont l’apparence de la faiblesse, que ce soit Kathie qui mène le jeu, Meta qui trahit son amant et lui vole ses livres de comptes, et même Ann qui abandonne si facilement l’amour qu’elle avait pour Jeff. Quoiqu’en même temps la fin du film reste ambiguë parce que l’avenir d’Ann et de Jim, celui qui aurait celui de Jeff, ne parait guère enthousiasmant, ronronnant et sans passion.

     La griffe du passé, Out of the past, Jacques Tourneur, 1947 

    Kathie a tué Fischer 

    Comme on le voit tous les thèmes forts du film noir du cycle classique sont là : l’opposition entre la petite ville saine et provinciale de Bridgeport et la ville mauvaise, lieu de débauche et de passions mauvaises, la prise du pouvoir des femmes sur les mâles par cette dépendance au sexe que ceux-ci manifestent avec presque de la fierté sinon de l’arrogance, et enfin cette atroce attirance pour la richesse. Mais si Jeff voit bien toute cette corruption, il ne sera pas capable d’accéder à son rêve d’une vie simple où la pratique de la pêche aurait remplacé la passion sexuelle.

     La griffe du passé, Out of the past, Jacques Tourneur, 1947 

    Jeff a rendez-vous avec Whit 

    L’interprétation est tout à fait remarquable, mais elle est dominée par Robert Mitchum qui trouve là sa voie, beaucoup de fausse nonchalance, beaucoup d’ironie et d’amertume. S’il avait auparavant tourné dans des rôles importants, comme dans Crossfire de Dmytryk, il n’avait pas encore trouvé tout à fait son style. Notez que Mainwaring aurait préféré avoir Bogart dont il était l’ami pour incarner Jeff Bailey, mais celui-ci était sans doute trop cher pour la RKO. On ne sait si on y aurait perdu, tellement le rôle semble avoir été écrit pour Robert Mitchum.

    Jane Greer qui est Kathie est un peu moins remarquable et son physique n’explique pas vraiment pourquoi tous les hommes se feraient damner pour elle. Ce n’est pas Ava Gardner dans le rôle de Kitty. A l’époque elle était la maîtresse d’Howard Hugues le propriétaire de la RKO. Mais elle est très bien, elle n’atteindra d’ailleurs plus jamais ce niveau et sa carrière se perdra dans les méandres d’une production assez banale. Le film connaitra un grand succès, et la RKO reconstituera le couple pour un autre film noir, The big steal, une œuvre  très mineure mise en scène par Don Siegel.

    Kirk Douglas était au tout début de sa carrière. Je crois que c’était seulement son deuxième film. Mais déjà les qualités qui sont les siennes étaient évidentes. Il incarne le roublard Whit Sterling avec beaucoup d’énergie, c’est un rôle clé dans sa carrière, une preuve de plus que le film noir a produit des acteurs nouveaux : Burt Lancaster, Robert Mitchum, Ava Gardner et Kirk Douglas entre autres.

    A côté de ces acteurs principaux, le casting est excellent, on reconnaîtra au passage la très belle Rhonda Fleming dont le western saura faire par la suite un excellent usage de sa beauté. Il y a également Steve Brodie dans le rôle de Fisher, l’associé un rien véreux. Steve Brodie sera abonné aux films de série B, et n’aura que rarement l’occasion de jouer les premiers rôles.

     La griffe du passé, Out of the past, Jacques Tourneur, 1947 

    Jeff aura la preuve de la duplicité de Kathie 

    Tout cela désigne évidemment Out of the past, comme un film de premier plan, mais la maîtrise de Jacques Tourneur le fait accéder au rang de chef d’œuvre. Si on analyse trop souvent la mise à partir des mouvements d’appareil, du cadre, on néglige l’importance de la direction d’acteur. Or c’est déjà là que comme nous venons de le suggérer que Jacques Tourneur sait se montrer génial. Mais tout le reste est d’une grande virtuosité, que ce soit les longs plans tournés pour marquer la sérénité apparente de Bridgeport ou de sa campagne environnante, ou que ce soit dans cette manière fluide de filmer les actions qui se passent de nuit et dont le mystère est à peine éclairé par les reflets des néons sur la chaussée humides. Au-delà des tours de force techniques dont il serait fastidieux de faire la liste, il y a le montage en flash-back d’un récit en deux parties où le présent explique le passé en le contredisant. Cet aspect du découpage donne un équilibre singulier au film.

     La griffe du passé, Out of the past, Jacques Tourneur, 1947 

    Jeff va chercher les livres de comptes 

    C’est Nicholas Musuraca qui photographie le film. A cette époque il n’est pas un débutant, il a déjà travaillé sur de nombreux films noirs, Spiral Staircase du grand Siodmak, ou The locket de John Brahm.  Il avait déjà travaillé avec Tourneur sur La féline et sur Vaudou. Il y a un gros travail sur les contrastes et la lumière, les personnages clés passant leur temps à se dissimuler dans les ombres pour espionner ou ourdir des plans très compliqués. Cette précision des éclairages fait du reste sortir le film de la présentation réaliste et le nimbe de mystère.

    La griffe du passé, Out of the past, Jacques Tourneur, 1947 

    Whit veut livrer Kathie à la justice 

    Il reste de ce film des scènes marquantes comme l’arrivée menaçante de Joe à Bridgeport, l’attente de Jeff à Acapulco dans l’ombre fraiche d’une taverne, ou encore cette montée des escaliers quand Jeff va récupérer les livres de compte de Whit. Mais plus que tout, c’est une ambiance qui ressort de l’ensemble, une ambiance à la fois poétique et vénéneuse, une forme de romantisme criminel et transgressif qui est un des aspects de la modernité en acte.

    Jacques Tourneur est un très grand réalisateur qui n’a pas donné toute la mesure de son talent, entre autres raisons parce que sa carrière s’est trop dispersée entre des genres qui, sans être contradictoires, visaient d’abord à satisfaire un public. Il manifesta pourtant une singularité dans le film fantastique où l’utilisation des ombres et des lumières ouvrait tout à fait la voie aux flamboyances du film noir. plus encore que Siodmak, c’est l’œuvre de Jacques Tourneur qui est le chaînon manquant entre le film fantastique et le film noir.

     La griffe du passé, Out of the past, Jacques Tourneur, 1947 

    Jeff constate encore une fois que Kathie s’en est tirée 

    P.S. Jacques Tourneur est un réalisateur français, fils du réalisateur Maurice Tourneur, il fut élevé en France et aux Etats-Unis, sa carrière fut principalement hollywoodienne. Il tourna quelques films noirs intéressants en dehors de Out of the past : Berlin Express ou L’enquête est close. Comme tous les grands classiques de l’âge d’or du cinéma américain, Out of the past est maintenant disponible en version Blu ray. Ci-dessous on trouvera des images de tournage d’Out of the past où on reconnaitra Jacques Tourneur, Robert Mitchum Jane Greer et Nicholas Musuraca.  

    La griffe du passé, Out of the past, Jacques Tourneur, 1947

    La griffe du passé, Out of the past, Jacques Tourneur, 1947

    La griffe du passé, Out of the past, Jacques Tourneur, 1947

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  •   Le convoi de la peur, Sorcerer – Wages of fear, William Friedkin, 1977

    Lorsque Friedkin imagine tourner un remake du Salaire de la peur, il vient de réaliser deux films à très grand succès, French connection et L’exorciste. On a l’impression qu’il peut tout se permettre. En vérité la démesure du projet Sorcerer sera le début de sa dégringolade parmi les réalisateurs fabricants de block busters. L’histoire de ce projet ressemble un peu à Apocalypse now, sauf qu’au final Sorcerer si ce n’est pas un mauvais film, n’est pas un chef d’œuvre non plus. Les ennuis ont été de tous ordres pour Friedkin, d’abord le projet était conçu autour des acteurs Steve McQueen, Lino Ventura et Marcello Mastroianni. Steve McQueen s’étant désisté, les deux autres feront de même. Au final Friedkin aura Roy Scheider, Bruno Cremer et Amidou après avoir essuyé plusieurs refus notamment celui de Robert de Niro. Mais le tournage lui-même aller devenir un cauchemar. Il y a des scènes très difficiles à tourner comme la traversée d’un pont branlant qui ont demandé des dépenses de décor et une rallonge des jours de tournage qui ont plombé les dépenses. A sa sortie le film sera un échec aussi bien critique que public. Friedkin le prendra d’autant plus mal qu’il pensait que c’était son meilleur film. Il conservera cette idée et se répand continuellement en interviews dans ce sens.

     Le convoi de la peur, Sorcerer – Wages of fear, William Friedkin, 1977 

    Nilo est un tueur professionnel 

    Mais pendant des années le film de Friedkin était devenu invisible, aucune sortie en DVD ou Blu ray, ni même en salle. Aujourd’hui on peut voir ce film en salle – ce qui est toujours préférable – mais on peut aussi en trouver une version en Blu ray en anglais. La version est celle que William Friedkin avait désirée à l’époque mais que les producteurs n’ont pas voulu. C’est une bonne nouvelle et cela permet de nous faire une opinion sur ce film disparu un temps. Sorcerer s’annonce d’abord comme un hommage à H.-G. Clouzot. On rappelle que Le salaire de la peur, adapté du roman de Georges Arnaud, avait obtenu la Palme d’or à Cannes en 1953. Cela avait été un immense succès public international. Notons pour la petite histoire que le film de Friedkin s’appelle à l’origine bien Sorcerer, mais il a été rebaptise par les studios Wages of fear, soit Le salaire de la peur le même titre que celui de Clouzot, sans doute pour essayer de faire oublier son échec. En France il a toujours porté le titre du Convoi de la peur¸ sûrement pour ne pas faire d’ombre au film de Clouzot.

     Le convoi de la peur, Sorcerer – Wages of fear, William Friedkin, 1977 

    Scanlon a participé au braquage d’une église 

    C’est Walon Green qui a été chargé d’écrire le scénario. Son seul titre de gloire est cependant d’avoir co-écrit le scénario de La horde sauvage – ce qui n’est pas rien. Il semble que le scénario soit bien plus adapté du film de Clouzot que de l’ouvrage de Georges Arnaud. En tous les cas il en est plus éloigné. On pourrait dire qu’il se présente comme une variation sur un thème déjà très connu. Quatre marginaux, truand de petite lignée, escroc, tueur à gages ou terroriste, se retrouvent au fin fond de la jungle en Amérique centrale où ils se cachent et  où ils vivotent en travaillant pour une compagnie américaine de pétrole. Ils y vivent une misère effrayante, et pour essayer de se tirer de ce piège, ils vont s’engager à conduire des camions chargés de nitroglycérine destinée à éteindre le feu d’un puits de pétrole qui a explosé. Ils devront parcourir 218 kms à travers une jungle hostile où les périls naturels se redoublent des risques de rencontrer des révolutionnaires capables de les assassiner. Seul Scanlon arrivera au terme de cette aventure, les trois autres trouveront une mort atroce. Mais cette réussite sera très brève, les tueurs chargés de le rattraper sont là.

     Le convoi de la peur, Sorcerer – Wages of fear, William Friedkin, 1977 

    La police rackette Scanlon sans état d’âme 

    Ce support donne lieu évidemment à des scènes de prouesse technique, notamment le passage d’un pont branlant sous la pluie battante. Le film est d’abord un film d’action où la psychologie et le caractère des personnages n’ont que peu de place. Friedkin s’en débarrasse dans un long début où se succèdent les actions qui vont conduire les quatre criminels à s’enfuir dans un trou perdu où ils pensent ne jamais être trouvés. Nilo est un tueur à gages, Scanlon a braqué une église sous la protection de la mafia, Manzon a spéculé en bourse et fait des mauvaises affaires, Kassem est un terroriste palestinien recherché par le Mossad. Mais les camions sont aussi des personnages à part entière de cette aventure. Brinquebalants, usés jusqu’à la corde, ils menacent constamment de rendre l’âme.

     Le convoi de la peur, Sorcerer – Wages of fear, William Friedkin, 1977 

    Kassem aide à charger la nitroglycérine 

    Le premier élément décisif de ce film est le réalisme avec lequel est filmé le pays où se passe l’action, bien que celui-ci ne soit jamais formellement identifié. C’est sordide à souhait – spécialité de Friedkin tout de même. La misère est crue et sans avenir d’aucune sorte. Elle engendre une sorte de folie meurtrière comme lorsque les populations s’en prennent aux soldats qui ramènent les morts consécutivement à l’explosion du puits de pétrole. Le décor est poissé et rouillé. La chaleur use et tue. Cette insertion de l’histoire dans le caractère morbide d’une jungle qui s’empare de tout est certainement ce qu’il y a de mieux dans le film. De là découle d’ailleurs cette violence importée par la compagnie américaine d’extraction pétrolière qui détruit, corrompt les lieux et les âmes. La machine capitaliste est suffisamment bien huilée pour que personne ne puisse échapper au broyage. Avare et criminelle, elle mène le jeu pour le profit des actionnaires.

     Le convoi de la peur, Sorcerer – Wages of fear, William Friedkin, 1977 

    Scanlon accepte de conduire un des camions 

    Malgré tout, il y a des facilités scénaristiques, présenter aussi longuement les protagonistes à partir de raisons criminelles différentes ça fait un peu catalogue. De même la fin, on entend les balles qui sans doute viennent de tuer Scanlon, est assez lourde. A partir du moment où on voit les deux tueurs arriver, on comprend bien que Scanlon mourra. Il y a beaucoup de scènes répétitives et inutiles, les camions passent et repassent pas les mêmes difficultés. Et la manière dont Kassem imagine une solution pour franchir l’obstacle d’un immense arbre abattu en travers de la route est aussi compliquée que peu réaliste. En enfermant d’une manière aussi stricte les personnages dans la réalité matérielle, Friedkin prive ses personnages d’un minimum d’intériorité. C’est juste sur la fin que Scanlon après avoir traversé une étendu déserte et quasi lunaire, va manifester enfin quelques sentiments humains. Pour le reste ce sont des robots, même si Manzon a la velléité de retrouver un jour sa femme.

     Le convoi de la peur, Sorcerer – Wages of fear, William Friedkin, 1977 

    Le vieux camion s’élance sur une piste difficile de plus de 200 kms 

    L’interprétation est un des points importants du film. Il faut des acteurs qui représentent une certaine virilité et un certain désespoir aussi. Mais ici les acteurs n’ont pas grand-chose d’autre à faire que d’agir, le point de vue behavioriste de Friedkin comprime les velléités d’expression. Par exemple il n’y a pas comme il y avait dans Le salaire de la peur  une forme d’amitié trouble entre les protagonistes. Ce sont tous des très bons acteurs. Le trop méconnu Roy Scheider incarne Scanlon, un demi-sel du New Jersey. Bruno Cremer est Manzon. Sans doute, à défaut d’avoir Lino Ventura Friedkin s’est rabattu sur lui non à cause de sa prestation magistrale dans La 317ème section, mais pour l’avoir vu dans un film de Lelouch. Et puis il y a Amidou qu’il a repéré aussi chez Lelouch. Ici il en fait peut-être un peu trop dans le rôle du terroriste arabe. Mais il était toujours très bien, et s‘il atteint ici son sommet, on peut dire sans se tromper qu’il n’a pas eu une carrière à la hauteur de son talent. Il y a enfin Francisco Rabal dans le rôle du tueur Nilo. Mais il est plus effacé et se contente de trimbaler une morne ironie au milieu de l’enfer de la jungle.

     Le convoi de la peur, Sorcerer – Wages of fear, William Friedkin, 1977 

    Les conditions atmosphériques sont épouvantables 

    Que retenir de tout ça ? D’abord une grande maîtrise technique. Si celle-ci est évidente dans les scènes difficiles des camions traversant des obstacles invraisemblables, elle est pourtant bien réelle aussi dans la manière de filmer la petite ville miséreuse à coups de longs travellings arrière et de plans en profondeur qui mettent en avant son quasi enfouissement dans une jungle luxuriante qui semble devoir tout détruire par sa vigueur. Les scènes d’action du début – l’attentat perpétré par Kassem à Jérusalem, ou  le braquage de l’église – sont bien filmées, avec vigueur même mais sans atteindre la virtuosité de French connection. J’ai été surpris du format de l’image, je m’attendais plutôt à un écran large 2,39 : 1. Ici c’est plutôt du 16/9, comme si la copie avait été réalisée pour la télévision.

    A mon avis tout cela ne fait pas de Sorcerer un chef d’œuvre. C’est insuffisant et on ne comprend pas pourquoi Friedkin s’entête à la présenter comme le sommet de sa carrière. Ceci dit, ce bon film d’action, même s’il souffre de la comparaison avec le chef-d’œuvre de Clouzot, permet de reconsidérer un peu la carrière de Friedkin faite de hauts et de bas. Si à sa sortie Sorcerer ne méritait pas tant d’opprobre, il n’en mérite pas aujourd’hui autant de louanges. Mais il est vrai que ce tam-tam est relayé par Télérama et Les Inrockuptibles.

     Le convoi de la peur, Sorcerer – Wages of fear, William Friedkin, 1977 

    Kassem étudie un système pour dégager la route

    Sorcerer appartient à un sous-genre du film noir, le film de camion, sous-genre qui eut ses lettres de noblesse dans les années quarante-cinquante, avec des films comme They drive by nights, Thieves Highway ou en France, Gas-oil, et bien sûr Le salaire de la peur. 

     Le convoi de la peur, Sorcerer – Wages of fear, William Friedkin, 1977 

    Scanlon, seul rescapé offre une danse à la servante

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  •  Le fils de Dracula, Son of Dracula, Robert Siodmak, 1943

    Ce film a été tourné par Siodmak avant que celui-ci se lance dans le film noir proprement dit. Le thème est éculé, déjà à l’époque, et les acteurs sont des vedettes du genre horrifique. Si ce film intéresse c’est avant tout parce qu’il démontre la filiation qu’il y a entre le « gothique » et le film noir justement. Le film suivant de Siodmak sera Phantom lady, cette fois un film noir, un vrai, mais qui utilise certaines recettes du film d’horreur. A vrai dire Siodmak n’est pas le seul réalisateur à passer du film d’horreur au film noir. C’est aussi le cas de Jacques Tourneur qui réussira dans les deux styles avec Cat People en 1942  et I walked with the zombie en 1943, avant de réaliser son chef-d’œuvre du film noir, Out of the past en 1947. Robert Wise avait suivi la même voie, réalisant une sorte de suite à The cat people, The curse of the cat people en 1943, puis The body snatcher en 1944, avant de réaliser Born to kill en 1947 puis The set-up en 1949.

     Le fils de Dracula, Son of Dracula, Robert Siodmak, 1943 

    Les prédictions de la vieille gitane sont sombres 

    L’action se passe à la Nouvelle Orléans, terre de marais plutôt marécageuse, pleine de mystères. Kat a invité le comte Alucard, anagramme de Dracula, dans sa propriété de Dark oaks. Celui-ci arrive d’une manière inattendue, alors qu’on l’attend à la gare, il n’apparait que le soir. En vérité il est une réincarnation de Dracula qui a quitté sa Transylvanie natale pour prospecter de nouvelles âmes en Amérique, pays jeune  et dynamique. En fait Kay a vendu son âme à Dracula pour la vie éternelle. Elle aime Frank Stanley, un ami d’enfance avec qui elle doit se marier. Son plan est simplement d’éliminer Dracula et ensuite de rendre aussi Frank éternel. Mais Frank surprend qu’elle s’est mariée avec le comte Alucard. Celui-ci est fou de jalousie, et dans une altercation avec le comte il lui tire dessus. Mais les balles le traversent et tuent Katherine. Perdant presque la raison, il se livre à la police. Pendant ce temps le docteur Brewster rentre en contact avec le professeur Lazlo et comprend qu’il lui faut retrouver la tombe de Dracula pour le détruire avant qu’il n’ait fait des ravages dans la contrée. Ils arriveront à leur fin, et Frank sera contraint de détruire Kay et sa tombe afin de sauver son âme.

    Le fils de Dracula, Son of Dracula, Robert Siodmak, 1943  

    Le comte Alucard apparaît à Dark Oaks 

    Ce scénario minimaliste et sans surprise est signé Curt Siodmak, le frère de Robert Siodmak. Le film ne vaut évidemment que par la mise en scène de Robert Siodmak. Film de genre, il contient énormément d’éléments qu’on retrouvera dans ses chefs d’œuvre du film noir et qui deviendront des formes typiques par la suite. Servi par une photo impeccable de George Robinson, un spécialiste du genre horrifique, le film développe une esthétique propre à Robert Siodmak. Au-delà de cette manière de filmer des contrastes qui magnifie le noir et blanc, on y reconnait cette façon de filmer les escaliers, mais aussi cette mobilité de la caméra qui à partir de longs travellings donne à l’espace une forme claustrophobique en saisissant la lumière nocturne dans sa profondeur.

    Le fils de Dracula, Son of Dracula, Robert Siodmak, 1943  

    Katherine retrouve en cachette le comte Alucard 

    Les prouesses techniques abondent. L’arrivée du comte au moment de la petite sauterie que donne Katherine relie le mystère de la Nouvelle Orléans aux intentions morbides de Katherine. Même si le scénario parait très convenu, tant la saga de Dracula est connue, on retrouve des formes que Siodmak utilisera dans ses films noirs. D’abord le portrait de Katherine, celle-ci décide contre toute raison, et malgré les mises en garde qui arrivent de tous les côtés de poursuivre son but d’accéder à la vie éternelle. Frank est un homme faible, thème récurrent du film noir et plus encore de Siodmak. C’est Katherine qui décide au nom d’un amour fou immatériel de poursuivre une aventure morbide au-delà du monde ordinaire des vivants. Et si elle n’entraîne pas Frank jusqu’au bout de sa folie, celui-ci ne doit son salut qu’à un ressaisissement ultime qui lui permettra en sacrifiant Katherine et de rester dans le monde des vivants.  

     Le fils de Dracula, Son of Dracula, Robert Siodmak, 1943 

    Le comte Alucard veut faire un mauvais sort à Stanley 

    Toute une partie du film est centrée sur le trouble mental de Frank. Il ne sait pas réagir face à l’incongruité du plan diabolique de Dracula, mais aussi de sa fiancée. En effet, celle-ci qui l’aime plus que tout, se marie avec le comte Dracula pour mieux l’utiliser. C’est une manière de commettre l’adultère pour des fins particulières. Mais poursuivant toujours ce but de la vie éternelle, elle détruira aussi sa famille : le comte Dracula tue son père, et elle-même envisage de tuer aussi sa sœur pour avoir les mains libres. Malgré tout ce plan n’est pas mesquin, ni matériel. La rédaction d’un faux testament lui permet de conserver la propriété de son père, abandonnant volontairement le reste de sa fortune à sa sœur Claire. 

    Le fils de Dracula, Son of Dracula, Robert Siodmak, 1943

    Katherine est  bien vivante 

    Il y a une opposition entre le monde matériel et la science d’un côté, et des rêves supérieurs. D’un côté Frank, lui aussi très riche, le docteur Brewster et le professeur Lazlo, qui veulent encore que le monde ait un sens au cœur de la tradition américaine : la famille, le monde des vivants, de l’autre Dracula et Katherine qui poursuivent leurs rêves de vie éternelle nimbée de mystères. C’est la vieille gitane qui est en quelque sorte le lien entre ces deux mondes dont la logique diffère.

    Le film débute à la gare. Le comte Alucard est attendu par deux hommes en costume et chapeau, dont le professeur Brewster, c’est une scène qu’on a vu et revu dans de très nombreux films noirs. Mais la logique de cette attente est troublée par le fait que le comte n’apparait pas, seules ses malles sont là. Non seulement elles portent la marque étrange du comte, mais elles viennent déranger par leur encombrement l’ordre de la petite ville.

    L’ensemble repose comme c’est la tradition sur une autre opposition entre la nuit et le jour. La nuit est le domaine de Dracula et des morts-vivants. Le jour celui de la vie ordinaire et de l’ordre économique. Cette lutte entre le jour et la nuit est aussi celle des rêves et de la réalité quotidienne.  Ce sont bien sûr les rêves qui seront vaincus. On glissera rapidement sur les poncifs, les policiers un peu stupides qui ne comprennent rien à l’au-delà ou les pauvres serviteurs noirs qui par nature sont craintifs.

     Le fils de Dracula, Son of Dracula, Robert Siodmak, 1943 

    Le professeur Lazlo met en fuite Dracula avec une simple croix 

    On a parlé pour ce film de parodie. C’est évident, mais n’est-ce pas aussi la loi d’un genre que de développer une distance entre le sujet et son traitement ? Cette forme parodique éclate dans l’opposition entre un scénario somme toute convenu et un traitement cinématographique d’une grande rigueur formelle, comme si Siodmak prenait au sérieux cette histoire de vampire.

    Cette vision parodique est encore plus affirmée par le jeu des acteurs. Lon Chaney jr, le fils de l’immense Lon Chaney surnommé l’homme aux mille visages, interprète Dracula avec beaucoup de raideur, il ressemble un peu à un garçon coiffeur de l’ancien temps. Spécialiste des rôles fantastiques, il roule des yeux, impose un physique menaçant. La plus remarquable est sans doute la sulfureuse Louis Allbritton qui interprète Katherine avec beaucoup d’ironie autant que de glamour. Elle a malheureusement très peu tourné pour le cinéma, s’orientant très vite vers la télévision.  Sa présence fait pâlir celle de Robert Paige, une sorte de faux Tyrone Power qui ne tournera guère dans des films importants, si ce n’est pour Jack Bernhard dans le remarquable Blonde Ice. Il a quelques scènes intéressantes, notamment quand il se trouve en prison face à celle qu’il aime. Le reste du casting est juste ronronnant et sans grand intérêt

     Le fils de Dracula, Son of Dracula, Robert Siodmak, 1943

    Frank emprisonné reçoit la visite de Katherine 

    Ce n’est pas un des meilleurs Siodmak et le film est plutôt apprécié par les amateurs du genre horrifique. Mais il vaut le détour par la magistrale leçon de cinéma dont il est le véhicule. C’est sans doute le succès de ce film qui va permettre ensuite au réalisateur de se lancer dans cette série de films noirs qui en ont fait le maître incontesté du genre. Après The son of Dracula, il tournera Phantom lady. Le titre du film reste assez mystérieux parce que si Dracula est incarné ici par le fils de Lon Chaney, son « fils » ne semble ni devoir exister, ni apparaître non plus. 

    Le fils de Dracula, Son of Dracula, Robert Siodmak, 1943

    Frank retrouve Katherine dans son cercueil

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  •  San-Antonio, Viva Bertaga, Fleuve noir, 1968

    Comme on le sait San-Antonio est une écriture qui n’est jamais figée. En constante évolution, elle intègre au fur et à mesure les transformations de la société. Or cet opus a été écrit en 1968 qui fut une année charnière dans l’histoire de la France. On peut donc prendre ce livre soit pour une histoire d’aventures en Amérique latine, soit pour une méditation sur la politique et la révolution. Le premier aspect n’a que très peu d’intérêt et ne dépasse pas le courant de la production du Fleuve noir dans la collection espionnage de l’époque. Il s’agit d’empêcher les Chinois de s’emparer d’un minerai très rare dans un pays exotique, le Rondubraz.

    On s’attardera donc sur les réflexions politiques de Frédéric Dard à travers le personnage de San-Antonio. Il y a d’abord une critique larvée du général De Gaulle que Frédéric Dard n’a jamais aimé. Il le dénonce comme un marchand d’illusions grandiloquent qui met en valeur l’idée de la grandeur de la France. Car si Frédéric Dard s’est toujours voulu Français avant toute chose, il n’a jamais donné dans l’idée d’une supériorité de notre pays sur le reste du monde. De Gaulle est avec Lecanuet le personnage politique le plus critiqué dans la saga sanantoniaise. Il entame cette critique dès le retour du général à la tête de l’Etat et manifeste une méfiance contre ses tendances autoritaires.

    Les événements de Mai 68 vont lui donner l’occasion d’approfondir cette critique. Viva Bertaga renferme plusieurs réflexions fortement désapprobatrices sur la répression qui s’est abattue sur les jeunes manifestants. C’est à partir de ce moment qu’il va s’éloigner des structures policières traditionnelles et revendiquer une indépendance qui va prendre ensuite la forme d’une ouverture d’une agence de détectives privés. Un peu comme dans Laissez tomber la fille quand San-Antonio s’était mis en congé de la police pour ne pas travailler pour les allemands.

     San-Antonio, Viva Bertaga, Fleuve noir, 1968 

    Che Guevara dans la jungle bolivienne 

    Mais l’époque était aussi à une certaine admiration pour les révolutions cubaine et chinoise. Ici on trouve justement des Chinois qui vont s’implanter en Amérique latine à propos d’une sombre histoire de minerai rare. Frédéric Dard ne marche pas dans cette célébration des régimes autoritaires chinois ou cubain. Non seulement il s’en méfie, mais il prend aussi ses distances avec l’idée de révolution sur le thème un pouvoir chasse l’autre et l’oppression reste la même. Dans Viva Bertaga les révolutionnaires de profession font des révolutions presque permanentes s’alliant un coup avec les Américains, et un coup avec les Chinois sans que pour autant les choses changent beaucoup. S’il manifeste une sympathie pour la raison des révolutionnaires, à cette époque Che Guevara est une icône, il s’en méfie aussi parce qu’elles peuvent amener comme formes totalitaires.

    Viva Bertaga n’est pas seulement un virage politique pour San-Antonio. C’est aussi l’introduction d’un nouveau personnage, Marie-Marie, qui au fil des aventures suivantes prendra de plus en plus d’importance, puis s‘effacera, abandonné par son créateur pour cause de vieillissement. Ce personnage est une sorte de Zazie emprunté à Raymond Queneau[1]. San-Antonio regardera Marie-Marie grandir, puis il l’épousera, lui fera un enfant, puis il la délaissera et l’oubliera dès lors qu’elle sera devenue une femme.  Ici elle n’a que 8 ans, et pourtant San-Antonio annonce qu’elle a décidé de l’épouser un jour. Il y a ici évidemment une relation trouble qui va s’installer et qui va se développer dans ce sens.

    Marie-Marie inaugure cette série d’enfants qui vont venir poser des questions au commissaire. Il y aura ensuite Antoine, le fils abandonné d’un truand que San-Antonio recueillera, et puis Apollon-Jules le rejeton tardif des Bérurier. A chaque fois ce sont des éléments perturbateurs sur lesquels San-Antonio pose un regard à la fois amical et sévère.

    On note que c’est à partir de cette époque que les San-Antonio deviendront plus systématiquement exotiques, comme une manière de rendre compte des voyages que Frédéric Dard et sa famille vont effectuer de plus en plus fréquemment autour du monde. Viva Bertaga fait aussi allusion au premier voyage que Frédéric Dard fit aux Etats-Unis. 


    [1] Quoique la parenté entre Frédéric Dard et Raymond Queneau soit évidente, cela n’a pas empêché le premier de critiquer le second assez durement comme « n’allant pas assez loin » au niveau de l’écriture.

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  •  Les yeux cernés, Robert Hossein, 1964

    A cette époque Hossein tournait beaucoup, aussi bien comme acteur que comme réalisateur. En tant que metteur en scène il travaillait vite et avec assez peu de moyens. Le résultat est souvent étonnant, bon, oscillant entre le film noir et le film policier. Les yeux cernés n’est pas son meilleur, on lui préférera La mort d’un tueur qu’il a tourné la même année mais juste avant ou Le vampire de Düsseldorf qui est sans doute son meilleur film. Il semble que les limites se trouvent d’abord dans un scénario assez relâché, il n’y a pas assez de pistes ouvertes pour que le suspense existe réellement. Mais il est tout de même très intéressant et il se revoie sans ennui malgré les années.

     Les yeux cernés, Robert Hossein, 1964 

    Florence vient assister à l’enterrement de son mari assassiné 

    Wollmer, le patron d’une scierie située au Tyrol, a été assassiné. Mais comme il était haï par un peu tout le monde, il y a une pléthore de possibles assassins. Sa femme revient pour assisté aux funérailles et pour essayer de mettre de l’ordre dans la scierie. Elle est secondée dans cette tâche par Franz qui fait office de contremaître. Parallèlement, le commissaire Friedrich mène son enquête. Mais les choses vont se compliquer parce que Florence reçoit des lettres anonymes qui lui promettent de révéler le nom de l’assassin de son mari contre de l’argent. Dès lors, l’histoire est la résolution d’une double énigme, d’une part qui est l’assassin de Wollmer, et d’autre part qui envoie les lettres anonymes. La résolution de cette double énigme laissera  tous les protagonistes défaits.

     Les yeux cernés, Robert Hossein, 1964 

    Avec Franz, Florence essaie de remettre de l’ordre dans ses affaires 

    Bien que le film soit organisé autour du suspense que représente la recherche des coupables, et des rebondissements, il n’en demeure pas moins qu’il y a une analyse de caractère assez intéressante. Les personnages sont plutôt carrés. Que ce soit Florence à la recherche de la vérité, ou Franz qui vise à faire tourner l’entreprise sans états d’âme. C’est le personnage de Klara qui amène de la complexité au film. La jeune fille est en effet à la fois amoureuse, mais aussi plutôt neurasthénique et se retrouve empêtrée dans des contradictions difficiles à surmonter. Une certaine innocence la pousse du reste à mettre en œuvre des actions qui peuvent tout à fait la mener au pire. Le commissaire quant à lui est le fil rouge de l’histoire, sa passivité ne l’empêchera pas de finir par relier l’ensemble des éléments.

     Les yeux cernés, Robert Hossein, 1964 

    Klara est une jeune fille amoureuse et capricieuse 

    L’interprétation est bonne, avec une mention spéciale pour Marie-France Pisier qui était alors dans une relation amoureuse avec Robert Hossein qui la dirigera dans deux films, Les yeux cernés et La mort d’un tueur. Elle est à la fois espiègle et un brin neurasthénique, capricieuse et perdue. Le film a été monté sur le nom de Michèle Morgan. Evidemment ce n’était plus à cette époque la grande vedette qu’elle avait été. Mais elle s’était recyclée intelligemment dans le développement de films noirs et policiers où sa beauté froide excellait. Elle avait quelques années auparavant travaillé avec Robert Hossein dans Les scélérats d’après le roman de Frédéric Dard. La même année elle sera l’héroïne du beau film de Jacques Robin, Les pas perdus. Curieusement Robert Hossein interprète un personnage sans ambiguïté, ni même noirceur. C’est un peu inhabituel dans sa carrière cinématographique d’incarner finalement des personnages positifs.

    Les yeux cernés, Robert Hossein, 1964  

    Franz risque la mort  

    Dans la manière de filmer d’Hossein, on appréciera la capacité à rendre l’atmosphère provinciale d’une petite agglomération perdue dans les montagnes. Mais aussi le rythme est vif. Robert Hossein a fait en tant que réalisateur quelques incursions vers le film à suspense, en dehors de celui-ci, il y a Le jeu de la vérité. Ce n’est pourtant pas le terrain où il excelle. Il est meilleur quand il s’intéresse aux caractères et à leurs contradictions. Ici les choses sont un peu trop simples. Ne boudons pas notre plaisir, il y a une attention donnée à Michèle Morgan et Marie-France Pisier qui vaut tout à fait le détour. 

    Les yeux cernés, Robert Hossein, 1964

    Il finira par résoudre la double énigme

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