•  Made in France, Nicolas Boukhrief, 2016

    Très souvent on dit que les Français évitent les sujets politiques et sont, contrairement aux Américains, peu intéressés à mettre en images l’actualité brulante. Mais voilà que coup sur coup deux films viennent de sortir sur des sujets plus que brulants : l’un est une œuvre de fiction, Made in France, de Nicolas Boukhrief sur le parcours des djihadistes de l’intérieur, et l’autre est un documentaire sur les salafistes, intitulé sobrement Les salafistes. Le premier devait sortir le 18 novembre 2015, mais pour cause d’attentats, la date a été repoussée puis finalement le film ne sera visible que sur Internet. Le second a mis en scène les longues tergiversations de la malheureuse Fleur Pellerin, ministresse de l’inculture qui se flattait naguère de ne jamais avoir lu Patrick Modiano.

    Si l’on voulait une preuve que nous sommes en guerre : la voilà ! On en est d’une manière ou d‘une autre à s’autocensurer, à dénier toute parole libre. La peur règne, et sans doute est-ce cette atmosphère malsaine qui entoure le film qui nous oblige quelque part à le regarder. Mais même si le contexte de ce film est capital pour comprendre ce qu’il peut bien vouloir dire, revenons au film lui-même. Il s’agit bel et bien d’un film noir, un thriller mâtiné de réflexion politique. Après avoir vu ce film, on ne comprend pas vraiment ce que les distributeurs craignaient en le projetant. Il semble bien que rien ne redeviendra comme avant tant qu’on ne pourra pas faire et voir ce genre de film sans être menacé. On remarque évidemment que les religieux, musulmans ou catholiques, dès qu’ils versent dans l’intégrisme, se hâte de vouloir interdire des films, voire de mettre le feu dans les cinémas. Il me souvient que le film de Scorsese sur le Christ – La dernière tentation du Christ – avait été projeté dans une ambiance menaçante et avait entraîné des attentats à Paris, un cinéma avait brûlé.   

    Made in France, Nicolas Boukhrief, 2016

    Les prêches habituels contre l’Occident dégénéré 

    Made in France est un film noir. Sam est un journaliste franco-algérien, marié, père d’un enfant, féru de culture musulmane, il va infiltrer une cellule djihadiste en formation presque par inadvertance. Hassan qui revient d’Afghanistan veut convaincre Sam, Driss, Sidi et Christophe de commettre des attentats en plein Paris au nom du Djihad. Devant cette menace, Sam va se rendre à la police et balancer toute la cellule. Celle-ci va exercer un chantage sur lui, et lui demander de continuer à participer à la mise en place des attentats pour essayer de remonter jusqu’aux commanditaires. Le petit groupe hésite sur la cible, ce ne sont pas des professionnels. Mais l’affaire va tourner très mal : Sidi va mourir dans un affrontement ridicule avec la police, et Hassan va tuer Driss. Néanmoins le projet d’attentat va se développer jusqu’à ce qu’Hassan se rende compte que Sam les a dénoncés. Ce sera un miracle si l’attentat n’a finalement pas lieu.

     Made in France, Nicolas Boukhrief, 2016

    Sam se rendant compte que les choses vont trop loin va à la police 

    La façon dont est écrit le film ne laisse aucune place pour une réflexion sociologique sur les raisons qui poussent certains jeunes de la banlieue à se propulser dans des entreprises plus qu’hasardeuses, ces raisons qui ont fait couler beaucoup d’encre. Et la réalisation de Nicolas Boukhrief ne nous en dira pas plus sur les déterminations réelles des uns et des autres. C’est à peine si on comprend que le groupe est fait de personnalités très dissemblables où chacun a une vision très particulière de la religion et des règles de vie qui vont avec. Le récit est articulé dans l’affrontement indirect entre Sam, musulman très modéré, et Hassan qui est traversé par une sorte de folie criminelle dont on ne connaitra jamais les raisons. C’est sans doute la première lacune du film. Mais il y a d’autres insuffisances scénaristiques. Par exemple la police laisse curieusement seul Sam face à la menace d’Hassan. Les états d’âme de Driss ne sont pas très compréhensibles. Ou encore lorsque Sam sur la fin du film ne fait pas attention au fait qu’Hassan a encore un flingue dans la main et menace de le tuer. Il ne s’en sortira qu’en faisant exploser la voiture de Christophe.

    Cependant, il y a de très bonnes choses, le portrait d’Hassan qui se révélera être un affabulateur doublé d’un paranoïaque. Et qui montre que finalement l’exemple des attentats filmés et diffusés tous les jours sur Internet ou à la télévision va servir de détonateur pour des vocations djihadistes plus ou moins bien formulées : on verra du reste Christophe prendre un plaisir évident à filmer les préparatifs de l’attentat. Les hésitations de Sam qui cherche à se retirer de sa propre enquête parce qu’il a peur sont bien analysées. Ou encore quand Hassan cherche à justifier des attentats qui tueront nécessairement des enfants en renvoyant à la situation dans les Territoires palestiniens. Cela sonne juste.

    Made in France, Nicolas Boukhrief, 2016

     Driss a des états d’âme 

    Plus problématique est la réalisation. J’avais assez apprécié Le convoyeur de Boukhrief, mais ici ça manque manifestement de moyens. Sans doute est-ce pour cela que les gros plans sont multipliés et que les décors extérieurs sont aussi mal utilisés, or il y a bien une insertion spatiale des djihadistes autoproclamés dans la banlieue parisienne qui par endroits s’apparente à un sanctuaire pour les terroristes, et de cela on ne verra rien. Le film est plutôt bavard, même Zora la silencieuse épouse d’Hassan se met à parler sans raison. Boukhrief hésite sans doute trop entre l’action et l’explication, cela penche parfois vers le film à thèse dans l’opposition entre Hassan, un musulman finalement peu au fait de la religion, et Sam, un bon connaisseur de celle-ci mais qui en a une interprétation très modérée. Ce qui n’empêche pas qu’il y ait de très belles scènes dès que le film retourne vers les codes du polar, la visite aux marchands d’armes par exemple, la confrontation directe avec la police lors du vol des explosifs. Ou la scène qui ouvre le film dans laquelle un imam ordinaire prêche contre l'Occident dégénéré. C’est vigoureux et enlevé.

     Made in France, Nicolas Boukhrief, 2016

    Hassan pense que Sam est un flic 

    La distribution est dominée évidemment par Malik Zidi et Dimitri Storoge qui incarnent respectivement Sam et Hassan. Mais on ne peut pas dire qu’elle soit particulièrement efficace. Il y a un peu de mollesse dans la direction d’acteurs. Malgré toutes ces réserves, le film existe et a le mérite de s’attaquer à un sujet des plus brulants. Et comme je l’ai dit en commençant cette chronique c’est une manière de lutter contre une censure implicite que de le voir.

    Détail assez amusant, l’affiche du film où se mêlent la Tour Effel et une Kalachnikov a été ensuite détournée par Daesch pour sa propre propagande.

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  •  Scorpio, Michael Winner, 1973

    Michael Winner a été un cinéaste à succès dans les années soixante-dix. Mais ce n’était pas pour autant un auteur sans imagination qui ne faisait que des mises en scène commerciales. Loin de là. Certes, ce sont les films de la série du Justicier dans la ville qui lui ont assuré un grand succès, mais il a fait bien autre chose. Notamment deux très bons westerns, The lawman avec déjà Burt Lancaster, Robert Ryan et Lee J. Cobb, en 1971, mais aussi Chato’s land avec Charles Bronson la même année. Il ne faut pas oublier que pour un cinéaste britannique ce n’est guère évident que de s’attaquer au western. Toujours en 1971 – ce fut certainement la grande année de Michael Winner – il tourne encore The nightcomers d’après Le tour d’écrou d’Henry James avec un Marlon Brando au mieux de sa forme. Ce film n’aura aucun succès, mais à mon sens il est à redécouvrir car il contient de très belles choses.

    Scorpio, Michael Winner, 1973

    A Vienne Cross attend un contact 

    C’est donc fort de cette expérience que Michael Winner va mettre en scène Scorpio avec deux immenses stars, Burt Lancaster et Alain Delon. Le titre, même s’il est le surnom d’Alain Delon dans le film, provient sans doute que les deux acteurs principaux sont du signe du scorpion et Michael Winner aussi, comme Charles Bronson d’ailleurs, mais c’est anecdotique. L’histoire est celle de Cross, agent de la CIA vieillissant qui veut se retirer de son activité d’espion. Mais ses employeurs pensent qu’en réalité il va trahir et passer à l’Est. Dès lors ils vont envoyer Jean Laurier, alias Scorpio pour l’éliminer. Laurier connait en effet très bien Cross qu’il estime énormément : c’est lui qui l’a formé. Dès lors une chasse à l’homme va être entreprise qui mènera Laurier sur les traces de Cross jusqu’à Vienne. La confrontation entre les deux hommes tournera au drame. C’est un thème qui est bien rodé. Ici il reprend comme cadre la Vienne à peine modernisée du Troisième homme. C’est le lieu de tous les compromis où les espions de tout bord se retrouvent, se vendent et s’achètent. Il y a une parenté aussi assez évidente avec le film de Jacques Deray, Avec la peau des autres. Preuve que ce thème était dans l’air depuis au moins L’espion qui venait du  froid. Ce sont en quelques sortes des films qui annoncent la fin de la Guerre froide qui apparaît de plus en plus comme extérieure à la réalité : une simple affaire de bureaucraties et d’intérêts privés mélangés. Cependant il y a aussi pas mal de rebondissements internes à l’histoire qui font qu’on n’est jamais sûr de rien. Qui est qui ? Mais qui est le traître ?

     Scorpio, Michael Winner, 1973

    Cross découvre Lang assassiné 

    Le lieu principal du tournage est Vienne. Auparavant on aura fait un tour par Paris et Washington. Mais ce n’est plus la Vienne détruite de l’après-guerre qu’on pouvait voir dans Le troisième homme. C’est une ville riche, ensoleillée, ouverte qui justement a dépassé les vieilles rivalités entre les USA et l’URSS. Certes elle a encore ses zones d’ombres et de nombreux plans rappellent justement Le troisième homme, par exemple quand Cross par à la recherche de Zharkov. On retrouve cette ambiance d’ombres du vieux centre-ville, avec les pas qui résonnent sur les pavés. Les contre-plongées se multiplient et donnent plus de poids à un décor qui se rêve lui-même comme un décor de drames qui n’arriveront pas.  

    Scorpio, Michael Winner, 1973

    Scorpio est à deux doigts de coincer Cross 

    Même si la qualité de la réalisation est bonne, le montage nerveux et l’ensemble bien mené, le clou du film est la confrontation entre deux immenses stars qui par ailleurs s’estimaient. Delon rendra d’ailleurs un hommage vibrant à son partenaire lors du décès de celui-ci. Ici, Delon est au mieux de sa forme, bondissant, vif, aux aguets, aimant les chats comme le samouraï du film de Melville. Burt Lancaster est déjà vieillissant et s’il a les moyens de se défendre il est évident qu’il est très fatigué des guerres de services qui ne mènent à rien. Il aspire à autre chose, ayant compris la fausseté de la mise en scène de la lutte d’une idéologie contre  une autre. Si Scorpio apparaît comme le plus déterminé, c’est aussi le plus naïf. Il croit d’ailleurs longtemps qu’il s’en sortira. On a remarqué évidemment que ce film brassait un sous-thème : la relation père/fils et pire encore le meurtre du père. Les deux stars figurent en effet aussi le passage du témoin entre deux générations. Celle du glorieux Hollywood à laquelle appartient Lancaster, et celle du cinéma des années soixante-dix, volontiers critique et cynique, représenté par Alain Delon producteur, acteur et bientôt réalisateur. On dit également que les deux hommes n’ont pas été doublés pour leurs cascades. Mais il n’y en a pas tant que ça.

    Scorpio, Michael Winner, 1973 

    Scorpio n’aime pas qu’on le menace 

    Paul Scofield est bien, mais sans plus. Acteur trop marqué par le théâtre, il a du mal à nous donner l’image d’un espion aventurier et cynique. Gayle Hunnicut ne fait que passer, ce n’est pas un film de femmes, Sarah, l’épouse de Cross est interprété par Joanne Linville dont le physique est particulièrement terne mais elle ne fait que passer ! Il y a cependant deux trois personnages au physique singulier comme Shmuel Rodensky dans le rôle de Lange, ou Vladek Sheybal dans celui de Zementkin. L’excellent J.D. Cannon qui était une figure habituelle du film noir de la fin des années soixante et du début des années soixante-dix, incarne Filchock, le second qui rêve de s’installer dans le fauteuil de son patron sans faire de vague.

    Scorpio, Michael Winner, 1973

    Une fois de plus Cross s’est échappé 

    Il y a quelques belles scènes, avec la poursuite qui aboutit sur un chantier en construction, ce qui permet d’user des plongées et des contre-plongées en abondance et donner du champ à l’action, ou encore l’élimination de McLeod, la traque du cambrioleur qui connait le meurtrier de la femme de Cross. Et puis les habituelles vieilles ficelles des films d’espionnage de l’époque : les photos, les films sur lesquels un œil averti peut voir ce que le commun oubli… pour le meilleur et pour le pire. Il n’y a pas grand-chose à reprocher à ce film, si ce n’est un peu de bavardage superflu sur la vacuité des services de renseignements qui au bout du compte ne sont pas efficaces du tout et vivent sur leur nécessité de continuer à justifier l’entretien d’une bureaucratie glauque et sans projet. Egalement faire de Cross un espion américain, un ancien de la Guerre d’Espagne est un peu tiré par les cheveux quand on sait que bien au contraire la CIA et les FBI avaient mis ce genre de profil sur leur propre liste noire.

    Scorpio, Michael Winner, 1973

    Scorpio perdra toutes ses illusions 

    Le film a reçu un bon accueil critique et le public a suivi, moins aux USA – sans doute qu’on n’aimait pas trop voir critiquer la CIA – qu’en Europe et en Asie. Scorpio se revoit très bien malgré le passage du temps et confirme que Michael Winner n’est pas n’importe qui ! Quand à Delon et Lancaster c’est toujours un plaisir que de les retrouver ;

    Scorpio, Michael Winner, 1973  

    Lancaster, Delon et Winner sur le tournage

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  • Robert Aldrich, L’ultimatum des trois mercenaires, Twilight's Last Gleaming, 1978

    Robert Aldrich aujourd’hui un peu oublié a été un réalisateur phare de la montée en puissance des cinéastes indépendants par opposition aux studios hollywoodiens. Tout n’est pas bon dans son œuvre, mais elle compte suffisamment de sommets pour qu’on y revienne régulièrement. Robert Aldrich est ici au crépuscule de sa carrière. Pourtant il disait que malgré l’échec commercial aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe, c’était là son film préféré. 

      Robert Aldrich, L’ultimatum des trois mercenaires, Twilight's Last Gleaming, 1978

    A l’origine il s’agit d’un roman de Walter Wager qui a signé aussi sous le nom de John Tiger et qui est à l’origine de la série Die hard. Egalement son roman Telefon a été porté à l’écran par Don Siegel sous le titre d’Un espion de trop avec Charles Bronson. C’est en quelque sorte un spécialiste du polar musclé qui se balade dans les méandres sulfureux de la politique et de ses conséquences sur la vie des personnes ordinaires. On n’est jamais bien loin de la théorie du complot. La théorie du complot apparait dans la littérature et dans le cinéma dans les années soixante-dix, à partir du moment où la thématique de la Guerre froide qui fait du rouge le danger principal contre les Etats-Unis, ne fait plus recette dans l’opinion, consécutivement d’ailleurs à la désastreuse gestion de la Guerre du Vietnam. Dans les années soixante-dix, les militaires sont décrédibilisés, et l’opinion publique est remontée contre les politiciens. Cependant, la présidence calamiteuse de James Carter va précipiter les Américains dans les bras de Ronald Reagan, chantre de la guerre à outrance contre les Russes. Mais il faut dire que vers cette époque les idées de gauche commencent à refluer aux Etats-Unis et sont peu à peu remplacer par ce qui sera le fer de lance de la révolution conservatrice, avec toutes les conséquences qu’on sait.

    Robert Aldrich, L’ultimatum des trois mercenaires, Twilight's Last Gleaming, 1978 

    Willis est fasciné par les installations du silo 3 

    C’est ici l’histoire d’anciens militaires qui se sont évadés et qui, sous la direction du général Laurence Dell, vont s’emparer d’une base de lancement de missiles nucléaires pour faire chanter le président des Etats-Unis. Si le but des complices de Dell est l’argent et la liberté, celui de l’ancien général est tout autre, il veut que l’opinion publique soit avertie sur la canaillerie de la hiérarchie militaire qui a poursuivi une politique guerrière sans but, mais qui a coûté des millions de morts. Si dans un premier temps le président ne veut pas céder au chantage, il comprend que c’est Delle qui a raison et que de ne pas avoir averti le peuple des véritables buts de la guerre du Vietnam, est un véritable scandale, un déni de démocratie. Cependant les choses tourneront très mal, McKenzie fera tuer le président et les deux derniers évadés plutôt que de voir l’armée être mise en cause aux yeux de l’opinion. Entre temps on aura eu droit à la pénétration des évadés dans le silo, puis à l’encerclement du silo par les forces armées ainsi qu’à des tentatives de destruction de la position de Dell. 

    Robert Aldrich, L’ultimatum des trois mercenaires, Twilight's Last Gleaming, 1978

    Dell prend la maîtrise du poste de lancement 

    On voit que ce sujet brasse des thèmes nombreux, à commencer par cette peur du nucléaire qui était déjà présente dans Kiss me deadly. Mais aussi cette organisation parallèle de l’armée qui manipule l’opinion comme le président. Enfin, on assiste à la fin d’un idéaliste, le général Dell. La plus grande partie du film est confinée dans le bureau ovale de la Maison Blanche, ou au cœur du poste de lancement des missiles. Sans doute est-ce cela qui rend un peu le film bavard puisque tous les échanges entre Dell, McKenzie et Stevens le président, sont très didactiques et sont sensés nous édifier sur le plan politique. C’est probablement ça qui explique l’échec artistique autant que commercial. Certes on comprend bien que la canaillerie de l’armée aille jusqu’à tuer le président, après tout l’assassinat de John F. Kennedy est encore dans toutes les mémoires, et si on ne sait pas très précisément pourquoi Kennedy a été assassiné, on sait qu’il y a eu complot, et l’hypothèse qu’il ait été tué parce qu’il aurait été opposé à la guerre du Vietnam a été aussi avancée. Dans le film d’Aldrich le président apparaît bien naïf qui non seulement va vers la mort presque la fleur aux dents, mais en outre, il fait confiance en la parole du secrétaire d’Etat. Il y a aussi d’autres incongruités de ce type qui rendent l’histoire peu vraisemblable, la façon que Delle a de s’exposer physiquement en territoire découvert à la fin laisse pantois.

     Robert Aldrich, L’ultimatum des trois mercenaires, Twilight's Last Gleaming, 1978

    A la Maison Blanche on essaie de construire un plan 

    C’est le quatrième film que Burt Lancaster tournait sous la direction d’Aldrich, après Vera Cruz, Bronco Apache et Fureur apache. C’est sur son nom que le film a été construit. Il est ici manifestement vieillissant. Mais ce sont tous les acteurs qui portent la marque du temps. Richard Widmark a 63 ans, Joseph Cotten 72. Ce sont tous des noms glorieux qui sont à cette époque un peu marginalisés. Cependant la direction d’acteur est bonne, mais le plus remarquable est le toujours très excellent Charles Durning qui, dans le rôle du président qui prend conscience de l’étendue du désastre de la politique étrangère de son pays, éclipse tout le monde. Le trio qui pénétrera dans le silo est complété par Robert Young qui a l’époque jouait un peu partout, et par Paul Winfield dans le rôle de Willis Powell. Il n’y a pas de rôle pour une femme, c’est à peine si on distingue quelques silhouettes féminines dans la foule de militaire qui suit le dénouement de cette prise d’otage d’un genre particulier.

    Sur le plan plus technique, il n’y a pas grand-chose, si ce n’est l’usage du split screen qui avait eu tant de succès dans The Thomas Crow affair une dizaine d’années plus tôt. Les scènes d’action proprement dites sont bien menées et la traversée des couloirs du silo est assez impressionnante.

     Robert Aldrich, L’ultimatum des trois mercenaires, Twilight's Last Gleaming, 1978

    La réception du président est piégée 

    Ce n’est pas, et de loin, le meilleur d’Aldrich. On lui préférera tous les autres films qu’il a réalisés avec Burt Lancaster, notamment l’excellent Ulzana Raid. Les effets sont trop appuyés, le déroulement de l’histoire trop convenu. Il n’empêche, Aldrich restera un très réalisateur.

     Robert Aldrich, L’ultimatum des trois mercenaires, Twilight's Last Gleaming, 1978 

    Aldrich et Burt Lancaster sur le tournage

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  •  Quentin Tarantino, Les 8 salopards, The hateful 8, 2016

    Le cinéma clinquant de Tarantino ne m’a jamais beaucoup amusé. On peut invoquer la nécessaire légèreté pour renouveler la manière de filmer, ou encore la distance prise avec un genre – ici le western – mais le résultat reste toujours aussi médiocre. Sans doute cette médiocrité tient-elle autant à la manière de filmer qu’à la faiblesse du scénario, la complaisance ridicule avec la violence et l’étalage de l’hémoglobine. Bien entendu on peut me dire que si je n’aime pas Tarantino, je n’ai qu’à pas me déplacer et regarder ses films. Mais en réalité je suis toujours très intrigué par les films que la critique encense, par ces réalisateurs qui sont présentés comme des talents singuliers. J’essaie de comprendre pourquoi on dit sur leur compte de telles bêtises. 

    Quentin Tarantino, Les 8 salopards, The hateful 8, 2016

    Major Marqui Warren demande à John Ruth de l’amener dans sa diligence 

    Un chasseur de primes, John Ruth, accompagne en diligence Daisy Domergue qui doit être pendue à Red Rock. Sur la piste enneigée qui le mène à cette ville il va croiser un autre chasseur de primes, Marquis Warren, un ancien soldat qui a fait la Guerre de Sécession. Celui-ci se rend aussi à Red Rock pour toucher les primes des cadavres qu’il accompagne. Puis ils vont aussi prendre en route Chris Mannix qui lui doit rejoindre Red Rock pour trouver une place de shérif. Le blizzard aidant ce petit équipage va devoir s’arrêter dans le relais de Minnie. Mais celle-ci n’est pas là. A sa place il y a plusieurs personnes qui paraissent très louches à John Ruth. Dès lors va démarrer un huis-clos dont le but va être de comprendre qui est qui, et quel est le piège qui est tendu à John Ruth.

    A partir de ce moment le film va basculer dans une sorte de polar à la Agatha Christie, les différents suspects étant éliminés les uns après les autres. Le tout sera émaillé de scènes très sanguinolentes. Et les différents protagonistes de cette histoire sans intérêts mourront. On fera remarquer que cette histoire qui se voudrait à tiroirs est plutôt mal menée et que tout de suite on a compris le fin mot de l’histoire. C’est donc un faux suspense comme c’est aussi un faux western.

     Quentin Tarantino, Les 8 salopards, The hateful 8, 2016

    John Ruth se méfie de Mannix 

    La première remarque qu’on fera sur la forme est que le film est abominablement long. On pourrait dire qu’il est deux fois trop long, avec un entracte. Mais voilà Tarantino aime faire du remplissage comme ces écrivains qui sont payés à la ligne, et il gonfle à n’en plus finir les dialogues de digressions répétitives qui empêchent l’histoire d’avancer et fatiguent le spectateur. Ce qui fait qu’au bout du compte on n’a pas un western, les extérieurs ne comptent presque pas, ni un suspense, les ressorts de l’histoire sont vite éventés, mais plutôt du théâtre filmé à la manière de « Au théâtre ce soir », avec des effets très violents et sanguinolents pour masquer la mollesse de l’action. Une partie de l’inspiration semble provenir de La chevauchée des bannis d’André Toth, le magnifique western enneigé qui mettait aussi en scène une bande de brigands. Mais évidemment la différence est que le film de Toth est rigoureux et précis, construit sur un scénario solide. Ce n’est pas parce qu’on rajoute des dialogue et des digressions que cela amène une histoire plus complexe. Ici c’est même l’inverse, les rajouts permanents ne font que mettre en évidence la pauvreté du propos. C’est pourquoi la mise en scène essaie de compenser cela en mettant en scène des caricatures, des bouffonneries, ou en insistant sur le côté gore de l’histoire, ceux qui ont été empoisonné – comme dans des romans anglais – vomissent des litres de sang sur les autres personnages. Je passe sur la lourdeur de l'antiracisme militant de Tarantino qui, s'il satisfait sa bonne conscience lasse vite.

     Quentin Tarantino, Les 8 salopards, The hateful 8, 2016

    Mannix tente de se réchauffer 

    La distribution se veut originale. Kurt Russell qui n’est que rarement mauvais incarne ici John Ruth. Le moins qu’on puisse dire est qu’il manque d’entrain pour cette loufoquerie, à mon sens il n’a pas très bien compris dans quel type de film il s’était retrouvé. Samuel Jackson est Major Marquis Warren, l’ancien officier noir de la Guerre de Sécession. Il grimace beaucoup, éclate de rire à tout propos, roule des yeux gros comme des billes de loto. Bref, sous le couvert naïf de donner la part belle à un « nègre » Tarantino le ridiculise et revient aux pires clichés sur les nègres. Les provocations dont il use pour faire sortir le vieux général sudiste de ses gonds sont très lourdes et convenues. Le troisième larron, Mannix, est incarné par Walton Goggins qui en rajoute des tonnes dans les outrances. Il relève les sourcils appuie les mimiques, comme au théâtre pour bien que les personnes du fond comprennent les intentions. Mais on suppose que c’est ce que demandait Tarantino. On retrouve aussi Michael Madsen, un habitué des Tarantino dans le rôle d’un tueur, mais ici, reteint et empâté, il a perdu son côté un peu inquiétant et semble complètement éteint. C’est seulement Jennifer Jason Leigh qui a un peu de consistance, je veux dire qu’elle ne ressemble pas trop à un pantin désarticulé comme les autres acteurs. Tim Roth joue les « anglais subtils », il plisse la paupière pour nous montrer combien il est rusé dans les questions qu’il pose à John Ruth et Marquis Warren.

     Quentin Tarantino, Les 8 salopards, The hateful 8, 2016

    Oswaldo Mobray pose des questions sur le sort réservé à Daisy Domergue 

    Peut-on sauver quelque chose de ce désastre ? Sans doute non, et seule la photographie de Robert Richardson est bonne, encore que la surabondance des scènes d’intérieur ne prête guère aux exploits. l'idée de tourner en 70 mm présentée comme très originale, n'apporte pas grand-chose. Le film a eu un budget de plus de 40 millions de dollars. C’est un gros budget, rien à voir avec les trois francs six sous des westerns italiens dont Tarantino dit s’inspirer. La critique ayant été très tiède, il n’est pas certain qu’il rentrera dans ses frais. Ceux qui aiment les westerns sous la neige retourneront voir Le chevauché des bannis, ceux qui aiment les intrigues policières qui se passent dans l’hiver neigeux des campagnes préféreront Un roi sans divertissement de François Leterrier.

     Quentin Tarantino, Les 8 salopards, The hateful 8, 2016

    Ruth et Warren renouvellent leur alliance 

    Tarantino a affirmé qu’il ne ferait que 10 films. The hateful eight étant le huitième, s’il dit vrai nous n’aurons plus que deux réalisations à supporter dans le futur. C’est la seule bonne nouvelle qu’apporte ce film. Eastwood, Tarantino, et dans un autre genre Jacques Audiard font partie de cet ensemble de réalisateurs cabotins qui ont tout misé sur les effets et le discours pré et post production. Cela leur permet d’avoir l’oreille de nombreux critiques qui croient en leur talent. Mais la seule chose qu’ils démontrent c’est que le cinéma moderne est bien plat, sa grammaire s’est disloquée et il ne reste qu’une impression de vide sans fond. 

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  •  L’impasse tragique, The dark corner, Henry Hathaway, 1946

    Henry Hathaway est un réalisateur sous-estimé, principalement parce qu’il s’est révélé trop éclectique.  Il a officié dans tous les genres avec bonheur, du western au film de guerre, mais il a laissé d’abord sa marque sur le film noir. C’est du reste lui qui révèlera Richard Widmark dans Kiss of death. Parmi les autres films noirs qu’il a dirigés, on note encore les très originaux Fourteen hours et Niagara. Avant que ne débute le cycle du film noir proprement dit, on note le très beau Peter Ibbetson et aussi Johnny Appolo.

     L’impasse tragique, The dark corner, Henry Hathaway, 1946 

    Brad regarde Stauffer s’en aller 

    L’histoire est à double détente. Brad Gilford qui vient de s’installer à New York s’aperçoit alors qu’il se promène avec sa secrétaire qu’il est suivi par un personnage peu discret. Celui-ci le met sur la piste de Jardine, un ex-associé peu scrupuleux avec qui il a eu des démêlés naguère à San-Francisco. Jardine pratique le chantage sur des femmes riches qu’il séduit. Il va avoir une altercation avec Brad, mais peu après on retrouve celui-ci assassiné par Cathcart car Jardine a séduit sa femme et menace de s’en aller avec elle. Brad devra éviter de se faire repérer par la police qui le soupçonne fortement, mais il devra aussi retrouver la piste de Stauffer qui entre temps a été assassiné lui aussi par Cathcart qui ainsi veut éviter les témoins. Brad avec l’aide de sa secrétaire Kathleen remontera la piste de Cathcart et ce dernier sera assassiné à son tour par sa propre femme qui ne supporte pas l’idée qu’on ait tué Jardine. Brad et Kathleen seront blanchis et pourront aller se marier.

     L’impasse tragique, The dark corner, Henry Hathaway, 1946 

    Stauffer raconte à un mystérieux correspondant qu’il a rempli sa mission 

    Le scénario est signé Bernard Schoenfeld qui n’est pas n’importe qui puisqu’il a signé entre autres, Caged et Phantom Lady, deux films noirs majeurs. Manifestement cette histoire de détective lorgne du côté de Raymond Chandler. Le détective est à la fois dégourdi et sujet aux embrouilles avec la police. De même son enquête le mènera à une opposition entre le pauvre détective dont le bureau donne sur le métro aérien de New York et le très riche et très raffiné Cathcart. Evidemment si le film a bien résisté à l’outrage des ans, c’est essentiellement parce que sa réalisation est tout à fait à la hauteur. Toute la grammaire du film noir est là. Que ce soit les jalousies derrière lesquelles on espionne, ou les escaliers qui mènent à des situations pour le moins chaotiques. On notera qu’ici les escaliers ne symbolisent pas seulement les convulsions de l’intrigue, mais aussi l’étalage de la richesse quand il s’agit de la description de la maison de Cathcart. Henry Hathaway s’appuie sur le grand photographe Joseph MacDonald qui travaillera avec John Ford sur My darling Clementine, mais qui travaillera aussi sur plusieurs films noirs, dont les films de Hathaway justement comme Niagara, Fourteen Hours, et sur le film de Samuel Fuller Pickup on South Street.

     L’impasse tragique, The dark corner, Henry Hathaway, 1946 

    Brad envoie Kathleen au cinéma 

    Sans doute le défaut principal du film est qu’il recycle déjà un certain nombre de traits singuliers du film noir, et avec le temps on a l’impression de voir une synthèse des films noirs des années quarante. On retrouve par exemple la fascination pour un portrait comme l’image d’un amour réifié. Mais aussi un certain nombre d’acteurs qui sont devenus des figures du film noir. Clifton Webb qui joue un peu le même rôle ici que dans Laura, ou encore William Bendix qui a joué cent fois dans les films noirs le rôle de la brute épaisse. La majeure partie du film se passe la nuit, ce qui permet de rajouter des jeux d’ombres et de lumières très esthétiques. Mais au-delà de cet aspect réducteur, il y a une grande fluidité dans la mise en scène, quelques scènes de rue bien menées et un rythme soutenu. La mobilité de la caméra fait facilement oublier les grosses ficelles du scénario. On peut regretter d’ailleurs que les extérieurs ne soient pas mieux utilisés dans le film.

     L’impasse tragique, The dark corner, Henry Hathaway, 1946 

    Cathcart présente un superbe tableau à ses invités 

    L’interprétation repose non pas sur les habitués des seconds rôles de films noirs comme on a dit ci-dessus, mais sur le couple Mark Stevens, Lucille Ball. Ce n’est pas un couple très crédible, sans doute parce que Mark Stevens qui a joué dans quelques films noirs importants comme La dernière rafale, n’a pas beaucoup de charisme et ne peut remplacer au pied levé des acteurs habitués à jouer les détectives comme Humphrey Bogart ou Dick Powell. Au tournant des années cinquante il disparaitra des premiers rôles. Ici il essaie de jouer les durs, mais face à la délurée Lucille Ball ça tombe un peu à plat. Plus intéressante est Cathy Downs qui interprète Mary la femme adultère de Cathcart. Bien entendu, Bendix et Webb sont tous deux très bien et font ce qu’on attend d’eux.

     L’impasse tragique, The dark corner, Henry Hathaway, 1946 

    Brad et Kathleen recherchent Stauffer 

    Il ressort quelques scènes remarquables, l’assassinat de Stauffer par Cathcart, la poursuite de Brad par la police, après qu’il ait carrément volé un taxi, ou la visite de celui-ci à son coffre-fort pour y voir ses trésors. Mais bien que l’on range ce film parmi les classiques du film noir, ce n’est ni le meilleur film d’Hathaway, ni un chef d’œuvre, malgré la patine du temps. Cela reste cependant un très bon divertissement, très bien filmé et très bien rythmé, avec toujours un souci de la profondeur de champ. Il ressemble sans doute trop à un produit de série où les surprises et la passion abondent très peu. Parmi les lieux communs emmenés par ce film, il y a la boîte de jazz, symbole d’une liberté sexuelle plus ou moins assumée.

     L’impasse tragique, The dark corner, Henry Hathaway, 1946 

    Kathleen prépare le café

     L’impasse tragique, The dark corner, Henry Hathaway, 1946 

    Ils recherchent un teinturier

     L’impasse tragique, The dark corner, Henry Hathaway, 1946 

    Brad se rend chez Cathcart

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