• Robert Giraud, La petite gamberge, Denoël, 1961

    Il fait partie de ces auteurs qu’on redécouvre tout le temps. Il est d’ailleurs assez difficile à qualifier. Moins préoccupé par la conduite de sa carrière littéraire que par la fréquentation des bistrots de la Maube et d’alentours, il écrivait de temps à autre, parfois parce qu’il en avait envie, parfois parce qu’il fallait qu’il remonte un peu de fraîche. Il a écrit plusieurs ouvrages sur l’argot et sur le milieu, certains ont bien marché, mais il arrondit aussi ses fins de mois avec de la publicité pour les vins du Postillon ! 

    Son ouvrage le plus connu est Le vin des rues, paru en 1955 chez Denoël, qui a eu un énorme succès, et ensuite de multiple fois réédité, avec de belles photos de Robert Doisneau. Il avait passé sa jeunesse à Limoges, puis, après avoir été très actif dans la Résistance, il monta à Paris dont il tomba amoureux, à une époque où cela était possible. C’était pourtant un vrai provincial, mais à l’instar de Léo Malet ou d’André Héléna, il se naturalisa lui-même parisien, en adoptant ses bistrots et aussi sa langue populaire si particulière dans l’immédiat après-guerre. Il écrivit d’ailleurs de nombreux ouvrages sur l’argot. 

    Robert Giraud, La petite gamberge, Denoël, 1961 

    Il fréquente essentiellement des marginaux, des clochards, des chiffonniers, des petits marlous. S’il connait le milieu, c’est plutôt le milieu d’en bas, des petites combines qui nourrissent assez peu son homme et qui mènent de temps en temps au ballon, et probablement aussi parce qu’il a vécu de cette manière. Ce sont ces héros négatifs qui l’intéresse. Il avait écrit un roman, La route mauve, publié en 1959 chez Denoël qui contait les aventures de trimardeurs qui traversaient la France à pieds pour aller de Paris jusqu’à Limoges. C’était déjà un roman assez noir.

    La petite gamberge raconte une histoire qui aurait pu être écrite par André Héléna. Cinq copains, Bouboule, le Manchot, la Tenaille, Roger et la Douleur, sont des cambrioleurs. Ils se réunissent à la Bonne Treille, le bistrot du grand René, où ils ont leur table et leurs habitudes. Là parmi les manchards, les pionnards, les chiftirs et autres vaincus de la vie, ils montent des coups plus ou moins foireux. La plupart du temps cela consiste à déménager des objets et à la revendre ensuite à un receleur – une sorte de reprise individuelle. Mais voilà que la Tenaille a la mauvaise idée de tomber amoureux de la toute jeune Pierrette qui chante accompagnée à l’accordéon par Pépère, un vieux presqu’aveugle. Ils se mettent à la colle. La bande va monter un superbe coup, pour une fois. Ils pillent une villa de banlieue appartenant à des gens du cinéma. Ils déménagent tout ce qu’ils peuvent avec le camion de la Douleur. C’est ce dernier qui va être chargé de planquer le butin. Tout va bien donc, mais voilà que Roger se fait arquepincer par les chaussettes à clous. Le reste de la bande se disperse, cependant, ils en viennent à soupçonner la Douleur de l’avoir donné. Cette méprise va mener la bande sur la pente fatale.

    Si l’histoire ne recèle guère de surprises, son style en fait une œuvre excellente. Bien qu’il ait été écrit au tout début des années soixante, c’est un roman déjà plein de nostalgie qui nous parle d’un Paris en train de s’effacer sous les coups de pelleteuses des entrepreneurs immobiliers et de la modernité. Ce qu’on sent là, c’est la fin d’une identité, d’une culture, et l’émergence d’un Paris qui n’est plus qu’une succession d’images sans âme, une sorte de paradis des consommateurs. Déjà le Paris des marginaux, des cloches et des petits marlous, se replie vers des tapis de moins en moins nombreux. Bouboule se ballade de la Mouffe à Rambuteau, jusque vers les Halles, il glisse dans les encoignures, les redans du social ne se frottant qu’incidemment au Paris de la normalité. Il s’impose par sa présence, mais seulement sur ses terres, il a son public, ses affidés. La Tenaille serre les mains comme une tenaille ! Ce sont des caractères, et même le Pépère qui est aussi vieux que jaloux.  

    Robert Giraud, La petite gamberge, Denoël, 1961

    Giraud ne calcule rien, ou pas grand-chose, son récit va comme je te pousse, mais c’est beau cette manière qu’il a de décrire les petites joies et les grands malheurs de ce petit peuple de Paris. Pierrette qui chante tout en cherchant à ce que Pierre la remarque. C’est pas mal aussi. C’est un roman d’hommes, mais les femmes ne comptent pas qu’un peu. Outre Pierrette, on aura le portrait de la concierge qui est en ménage avec la Douleur et qui compte ses sous. La Douleur se trouve du reste malencontreusement un boulot presque normal, en travaillant pour les antiquaires des Puces de Saint-Ouen pour qui il déménage et livre des objets de toutes sortes avec son vieux camion. C'est d'ailleurs ce qui causera sa perte et celle de ses aminches.

    Roman d’atmosphère, Giraud utilise pourtant un style sobre, jamais saturé d’expressions argotiques. Evidemment la critique l’a toujours négligé, tant pis pour elle. Elle l’aurait sans doute pris un peu plus au sérieux s’il n’y avait pas eu d’histoire et que Giraud se soit borné à la description de caractères qu’il a certainement connus. Mais quoi qu’on en pense, Giraud aimait aussi raconter des histoires qui n'étaient pas que des calembredaines. S’il n’a malheureusement pas beaucoup donné dans le genre roman, c’est seulement par paresse. Il était aussi poète, et on notera qu’il a publié dans la revue Les cahiers du peuple, revue consacrée à la littérature prolétarienne et dirigée par Michel Ragon.  

    Robert Giraud, La petite gamberge, Denoël, 1961 

    Le dilettante vient de rééditer ce roman, après avoir réédité plusieurs textes importants de Robert Giraud. On peut leur reprocher peut-être de le faire d’une manière un peu décousue, pour le reste on ne peut que les féliciter. En tous les cas pour ceux qui ne le connaissent pas encore, on ne peut que leur conseiller de s’y jeter dessus ! 

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  • La cigarette au cinéma 

    Ne sachant plus comment emmerder le monde, voilà que la ministre de la Santé qui par ailleurs veut nous obliger à vacciner nos enfants avec onze produits différents, prétend œuvrer pour le bien public en voyant comment on peut empêcher de représenter la cigarette ou le cigare au cinéma[1]. Je précise pour bien qu’on comprenne le sens de ma diatribe, que je ne fume pas et que je n’ai pas l’intention de le faire. L’annonce de Buzyn a fait bondir de joie la Commission européenne, évidemment[2]. Mais devant le tollé que cette idée loufoque, très représentative de l’imbécilité macronienne, Buzyn a rectifié. Elle n’a jamais dit cela, on l’a mal comprise !

    Voilà ce qu’écrit Le figaro [3] : Quelques minutes après le message niant sa volonté d'interdire la cigarette dans les œuvres cinématographiques, Agnès Buzyn a toutefois tenu à rappeler, dans un second tweet, qu'une majorité de films contient des scènes de consommation de tabac et que cela pose tout de même la question de « l’indépendance des réalisateurs vis-à-vis des incitations à montrer la cigarette ». Il faut être bête comme Buzyn pour penser qu’un réalisateur va filmer un acteur qui fume parce qu’il est sous l’influence des cigaretiers.  

    La cigarette au cinéma

    Chaque fois que les macroniens disent des conneries, ils nous expliquent qu’ils sont des incompris, qu’on a déformé méchamment leur propos. Ce n’est pas d’aujourd’hui que cette idée date. Elle nous vient tout droit des Etats-Unis. La mauvaise foi de ces gens là est éclatante. La cigarette sert à tout et à n’importe quoi. Ainsi en emmerdant les fumeurs, on peut tranquillement augmenter les impôts sur les pauvres, puisqu’il est bien connu que les pauvres fument plus que les riches. On fait ainsi semblant de lutter contre quelque chose sans que ça ne coûte rien. Mais en même temps on renforce le contrôle social, et on apprend à la société de se plier à des règles qu’ils n’ont pas voulues. Les interdictions sont légions, tous les jours on en trouve une nouvelle, interdiction de rouler en dessus de la vitesse décidée par le gouvernement, et cette vitesse change constamment, un coup c’est 50 km/h un autre jour c’est 60, et puis 90 ou encore 110. Je passe sur les interdictions de stationner, l’obligation de payer un horodateur pointilleux pour occuper un espace public. Appliquant la logique stupide benthamienne la vie sociale est réglée par la maxime « surveiller et punir ». C’est là le cœur du libéralisme. On se rappelle qu’il y a quelques années la Commission européenne pour des raisons d’hygiène voulait faire interdire les fromages à pâte molle comme l’Epoisses ou le Munster. C’était sous couvert de santé publique, une incitation à consommer des fromages industriels hollandais ou allemands, vendus sous emballages plastifiés dans les hypermarchés. Devant la levée des boucliers que ce genre de proposition dictatoriale a soulevée, Bruxelles a tout de même renoncé.  

    La cigarette au cinéma

    Mais ne nous éloignons pas du cinéma. L’idée stupide des bureaucrates de l’Union européenne et de Buzyn est que si au cinéma on montre quelqu’un qui fume cela donne l’idée aux spectateurs de fumer. Cette assertion est triplement sans fondement. C’est comme si on supposait que quand on voyait un meurtre à l’écran – et il y en a beaucoup – et bien on se convertissait en assassin. Et si, on voit Rambo, on va s’engager au Vietnam. Donc si on suit ce raisonnement, si on voit Alain Delon fumer sa dernière cigarette dans Deux hommes dans la ville, avant de se faire décapiter, et bien on aura envie de faire comme lui et de se faire raccourcir. Dans ce film on le voit aussi étrangler Michel Bouquet, mais pourtant personne n’a eu envie de tuer ce grand acteur. Ainsi il ne faudrait pas présenter des images négatives à l’écran, pas de meurtre, on l’a dit, pas d’adultère, pas de course de voitures parce que ça pollue. Outre que Buzyn nous prend pour des imbéciles, on ne sait pas ce qui est bon ou mauvais pour nous, elle se propose tout simplement d’interdire le film noir. On peut comparer facilement cette tendance du jour à une sorte de fascisme rampant. En effet l’HUAC avait en son temps lancer des procès destructeurs contre les réalisateurs et acteurs du film noir, Ayn Rand cet auteur hyperlibérale, gourou de Ronald Reagan avait théorisé les règles de ce qu’on pouvait montrer ou non au cinéma[4]. Peut on faire un film noir sans alcool et sans cigarette ? Imagine-t-on Humphrey Bogart boire un coca cola, light de préférence ?  

    La cigarette au cinéma

    Le second point est que si le gouvernement voulait vraiment s’attaquer aux problèmes de santé, il ne se proposerait pas d’emmerder les réalisateurs, mais il interdirait par exemple l’agriculture industrielle qui assassine les populations à petit feu. Ou encore il interdirait la circulation des camions et des automobiles. On peut supposer que si les populations ont acquis une bonne éducation, elles sont capables d’opérer des choix par elle-même. Considérer que les spectateurs sont sous influence des images, c’est laisser croire qu’ils sont encore des enfants et que Buzyn connait la solution mieux que nos populations. Elle se comporte comme si elle ne représentait pas les Français, mais comme si elle les guidait sur le chemin de la lumière. Mais laissons là la question du mimétisme. Ce débat ne sera jamais tranché parce que si on pense que le cinéma modifie notre comportement, on peut aussi penser que les films qu’on nous montre n’auront du succès que si quelque part ils nous représentent. La causalité linéaire entre les deux termes me parait très difficile à établir. La preuve ? Les multiples hausses des prix du tabac et les multiples restrictions de son usage dans les lieux publics – y compris les cafés et les restaurants – n’ont pas enrayer la consommation. Une partie de la baisse de la vente des buralistes a été compensée par une hausse des ventes illicites[5]. On pourrait penser qu’une bonne politique de prévention des risques serait de diffuser des messages, notamment par le biais de l’école, mais ce serait faire confiance à l’intelligence des citoyens ce que manifestement on ne veut pas.  

    La cigarette au cinéma

    Ce qui est le plus inquiétant c’est que si jamais ce genre d’idée loufoque venait à être appliquée – et avec la Commission européenne ce n’est pas impossible – on se demande bien quelle serait la suite. On en reviendrait probablement à une commission de censure qui demanderait à lire les scénarios avant de donner son accord sur le tournage. Voici la liste des obligations qui pourraient être imposées dans les films d’un nouveau genre :

    - d’abord bien sûr la présence des minorités sexuelles ou les minorités ethniques, même si on tourne un film historique qui ne peut pas les intégrer. On voit déjà ça arriver avec les westerns qui font du héros un noir. Les Américains semblent avoir intérioriser ces nouvelles normes, et c’est pourquoi ils font des films de moins en moins intéressants ;

    - pour ne pas heurter les minorités religieuses, on pourrait aussi éviter de montrer des croix. Et d’ailleurs vous aurez remarqué qu’on ne voit plus un seul film sur les croisades depuis bien longtemps. D'ici à ce qu'on demande aux actrices à jouer en burka, il n'y a pas loin ;

    - pour ne pas heurter les végans, il faudrait aussi filmer des repas sans viande, sans lait et sans fromage ;

    - pour ne pas susciter la jalousie des sans-dents et des « gens qui ne sont rien », il ne faudrait pas non plus montrer de l’argent, ni se moquer des riches ;

    - les scènes violentes avec des armes seraient bien entendu interdites également pour cause de mimétisme potentiel. 

    La cigarette au cinéma 

    Bref on comprend que si on doit poursuivre dans cette voie imbécile il ne nous restera plus comme film que les comédies bien niaises avec Omar Sy et Christian Clavier, et des romances stupides avec des fins heureuses. Ce sera évidemment la fin du cinéma, mais je me demande si cette fin n’est pas déjà actée ! Tant que ce n’est pas interdit on peut encore voir des films noirs, mais il faut se dépêcher parce que les jours de ce genre semblent comptés ! 

    La cigarette au cinéma 

     


    [1] http://www.leparisien.fr/societe/la-ministre-de-la-sante-veut-elle-interdire-la-cigarette-dans-les-films-francais-17-11-2017-7399383.php

    [2] https://www.euractiv.fr/section/sante-modes-de-vie/news/commission-backs-french-idea-to-ban-on-screen-smoking/

    [3] http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2017/11/21/01016-20171121ARTFIG00144-tabac-au-cinema-agnes-buzyn-dit-n-avoir-jamais-evoque-son-interdiction.php

    [4] http://alexandreclement.eklablog.com/ayn-rand-et-la-conception-du-cinema-hollywoodien-au-moment-de-la-chass-a114844816

    [5] http://www.liberation.fr/france/2017/05/30/en-france-la-cigarette-fait-toujours-un-tabac_1573078

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  •  Vincent Quivy, Alain Delon, Le seuil 2017

    Il existe de très nombreux ouvrages sur Alain Delon. La plupart sont plutôt venimeux, comme si leur auteur avait un compte personnel à régler avec l’acteur. L’ouvrage de Vincent Quivy n’échappe pas à cette remarque, il s’essaie même à être le pire. On remarquera qu’il n’y a aucune photo de Delon dans cet ouvrage, et non plus sur la couverture, il est évident que Delon ne lui aurait sans doute pas accorder ce droit. De même Quivy fait comme s’il avait choisi de ne pas rencontrer Delon pour construire son livre. Il va de soi que, vu sa tournure d’esprit et le but qu’il s’est fixé, il aurait été plutôt mal reçu[1]. Quivy nous dit qu’il a écrit ce livre non pas parce qu’il aime Delon, mais parce que les ouvrages qui ont été écrit sur lui ne lui plaisaient pas. Entendons par là qu’ils n’étaient pas assez dans l’éreintement de la star. Il y avait pourtant un ouvrage un peu du même genre, celui de Bernard Violet, Les mystères Delon, paru chez Flammarion en 2000. Celui de Quivy est dans la même lignée, quoique plus paresseux et moins sérieux dans la quête de sources fiables. Je ne vais par reprendre les approximations qui émaillent son ouvrage, il y en a à toutes les pages, je me contenterais d’insister sur la démarche.

    Se prétendant historien, Quivy fait semblant d’avoir réalisé une enquête sérieuse sur l’acteur. Ce n’est pas vrai, il s’appui seulement sur une collection d’articles et d’interview qu’il a rassemblés de ci de là. Ce sont des sources de deuxième main, et seul un naïf s’y tromperait. Et encore il utilise les ciseaux pour découper dans ces articles ce qui peut lui servir à dénigrer Alain Delon, faisant très attention à ce que rien de positif ne puisse déranger sa diatribe. On ne sait pas trop ce que Delon lui a fait. On comprend bien qu’on puisse ne pas aimer tel ou tel acteur. Moi aussi il y a des acteurs qui m’agacent. De là à écrire un livre à charge c’est quelque chose de plutôt singulier. Il va couvrir son entreprise de dénigrement systématique en mettant en avant le fait que Delon n’est pas seulement un acteur, mais le symbole de l’histoire de la France, plus un personnage médiatique qu’un artiste. Il est vrai que Delon appartient à l’histoire de la France, et qu’il a symbolisé le renouvellement du cinéma français au début des années soixante. C’est donc aussi un phénomène culturel et social, comme Brigitte Bardot, qui a été célébré dans le monde entier.

      Vincent Quivy, Alain Delon, Le seuil 2017

    Le but unique de Quivy est donc de rabaisser Delon. D’abord de le présenter comme l’enfant de petits bourgeois, et non pas comme étant issu d’un milieu populaire, histoire de relativiser ses succès quand il entreprendra de faire du cinéma. Il le présente ensuite plusieurs fois comme un menteur en mettant en contradiction principalement des déclarations qu’il aurait faites à des journalistes différents au fil des années. Le plus souvent ces contradictions concernent des points très mineurs sur lesquels, faute de témoignages, il est impossible de trancher. Mais aussi ces contradictions proviennent également du fait que ce sont des interviews qui sont cités et que ceux-ci entraînent naturellement des approximations et des variations dans le temps.

    Plus gênant quand on écrit un ouvrage sur un acteur comme Delon, Vincent Quivy a des connaissances en matière de cinéma très lacunaires. On le verra par exemple parler de Gina Lollobrigida comme d’une gloire éphémère ! Elle a juste tourné dans plus de cinquante films entre 1946 et 1966, elle a tourné avec Pietro Germi, Luigi Zampa, Bolognini, Robert Mulligan, Roberto Castellani, King Vidor, Vittorio de Sica. Et j’en passe. Elle fut un pilier du cinéma italien dans ces années-là.  De même il parle des films d’Alain Delon, et on se demande s’il les a vus. C’est patent quand il traite de Quelle joie de vivre ! Qui est un des films préférés d’Alain Delon. Il n’est guère plus amène avec certains cinéastes, Charles Vidor est désigné comme une nullité absolue, alors que celui-ci a tout de même réalisé Gilda, ce que Quilvy ne semble pas savoir. 

    Vincent Quivy, Alain Delon, Le seuil 2017 

    Sa haine de Delon lui fait oublier que l’acteur a tourné 4 films avec René Clément, 2 avec Luchino Visconti, 3 avec Melville, 1 avec Michelangelo Antonioni, 2 avec Joseph Losey, dont le fameux Monsieur Klein qu’il a produit lui-même. De même il a produit et joué dans le superbe film d’Alain Cavalier, L’insoumis, film qui eut les pires ennuis avec la censure. Peu d’acteurs auront tourné dans autant de chef d’œuvres. A propos de L’insoumis Quivy le présente comme un échec personnel de Delon producteur. Arguant qu’il a fait peu d’entrées. Il a effectivement fait moins de 800 000 entrées. Mais la raison principale est que ce film n’a pas pu avoir une exploitation normale, il a été interdit par la justice au bout de quelques jours et retiré de la circulation pendant des années. Depuis ce film est devenu une référence pour les cinéphiles et ceux qui aiment le film noir, il reste un des meilleurs rôles de Delon et sans doute le meilleur film de Cavalier. 

    Vincent Quivy, Alain Delon, Le seuil 2017 

    René Clément, Jane Fonda, Alain Delon et Lola Albright 

    Vincent Quivy avance que Plein soleil a sa sortie fut assez mal reçu. Quivy n’aime pas ce film qu’il considère comme du sous-Hitchcock, avec trop de gros plans et une musique surchargée. Mais quelques pages plus loin il nous explique pourtant que ce film réalisa un carton au Japon et que c’est pour cette raison que Delon était très connu dans ce pays qui le célébra comme jamais un acteur français le fut. C’était une très grande vedette en Italie aussi, et plus généralement dans tous les pays européens, de l’Espagne à la Russie. On voit donc que Quivy mêle ses propres jugements esthétiques assez peu fondés à une diatribe continue contre Delon. Il minimise ses qualités d’acteur au point d’affirmer que Le guépard est ce qu’il a fait de mieux en tant qu’acteur, et qu’ensuite ce sera une longue descente. 

    Vincent Quivy, Alain Delon, Le seuil 2017 

    Evidemment sa longue carrière compte son lot de productions médiocres et d’échecs, mais c’est le cas de toutes les grandes stars qu’elles officient à Paris, à Rome ou Hollywood. Ce n’est pas de cela que Quivy discute, mais plutôt du caractère de Delon qui ne lui plait pas. Il nous en offre une sorte de psychanalyse sauvage, en partant d’une analyse assez confuse de la famille d’Alain Delon et des conflits qu’il aurait connus dans son enfance tiraillée entre son père et sa mère. Ne connaissant pas personnellement Delon, je ne me fierais pas à ce qu’on peut percevoir de lui pour produire une étude de son caractère. Les échos que j’ai eus de sa personnalité, notamment directement par René Clément qui l’a dirigé à quatre reprises, sont tout à l’opposé de ce que dit Quivy. Clément le présentait comme un homme droit et fidèle, intelligent et attentif. Certainement que les fréquentations connues de Delon avec des voyous peuvent choquer des gens bien-pensants comme Quivy. Mais quelles que soient les analyses que celui-ci fait, il est incapable d’en dire quelque chose d’intéressant et de personnel. Et d’ailleurs qui à part Delon pourrait dire quelque chose sur sa propre vie intime et ses ressorts qu’on ne connait pas vraiment en dehors de l’écume qu’en rapporte les journaux. On le sait bien que le cinéma regorge de personnages extravagants, et Delon est aussi un homme de cinéma. D’autres ont eu des relations comme on dit douteuses, à commencer par Belmondo qui s’était empêtré dans une relation avec une Barbara Gandolfi, drivée par son souteneur[2].  

    Vincent Quivy, Alain Delon, Le seuil 2017

    Mais il faut bien de temps en temps parlé de cinéma. Ne s’inquiétant pas de se contredire, Quivy finit par affirmer que Le professeur, le film de Zurlini, est excellent, peut être le meilleur film du réalisateur italien. Produit par Delon ce fut en outre un gros succès public particulièrement en Italie, car les films de Delon se vendaient aussi à l’étranger et que parfois un film passé un peu inaperçu en France était un succès dans le reste de l’Europe. Ne vérifiant pas toujours ce qu’il raconte, Quivy en vient à dire des contrevérités grossières. Par exemple il nous affirme que Delon et Melville étaient fâchés d’une manière irrémédiable après Un flic. C’est bien possible, mais cette brouille, comme c’est presqu’inévitable entre des caractères aussi peu nuancés que Melville et Delon, ne dura pas. On sait que Melville, juste avant de mourir, avait un nouveau projet avec Delon, il se serait agi de mettre en scène de nouvelles aventures d’Arsène Lupin.  

    Vincent Quivy, Alain Delon, Le seuil 2017

    Ce qui m’interpelle, c’est que dans le milieu du cinéma les caractères emportés et autoritaires pullulent. Par exemple Melville avait une sacrée réputation d’emmerdeur, et il est certain qu’il ne devait pas être facile à fréquenter. Mais pourtant quand on écrit quelque chose sur ce réalisateur tatillon, on ne passe pas son temps à décortiquer les raisons qui font qu’il était comme ci ou comme ça. On analyse son travail et sa production. On sait aussi que Lino Ventura ou Jean Gabin avaient des caractères pour le moins difficiles. Comme Delon, Gabin et Ventura n’aimaient pas multiplier les prises. Mais eux non plus n’ont pas eu droit à ce traitement qui est réservé au seul Alain Delon : on parle de leur carrière, de leurs films, on essaie d’évaluer ce qu’ils ont pu apporter au cinéma. Delon a droit à un traitement à part. Cela semble vendeur que de passer son temps à l’injurier et à le traiter comme un moins que rien. Quivy le décrit comme un adolescent capricieux et immature, même quand il est déjà devenu une vedette et qu’il a eu fait trois ans d’armée. Chez Quivy l’adolescence semble durer longtemps pour faire tenir ses salades jusqu’à la petite trentaine. Je ne veux pas prendre la défense de Delon, il n’a pas besoin de moi, sa carrière parle pour lui. Je veux juste dénoncer cette manière médiocre de tenter de gagner quelque argent en cassant du sucre sur le dos d’une personnalité qui est beaucoup plus grande que soi. Pour le reste je croyais la maison d’édition Le seuil un peu plus sérieuse tout de même. 

    Vincent Quivy, Alain Delon, Le seuil 2017

     

     

     


    [1] http://www.letelegramme.fr/france/vincent-quivy-delon-n-aime-que-delon-18-11-2017-11745075.php

    [2] http://www.lefigaro.fr/cinema/2016/12/07/03002-20161207ARTFIG00168-l-ex-compagne-de-jean-paul-belmondo-jugee-pour-escroquerie-ne-s-est-pas-presentee-au-tribunal.php

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  •  Temps noir et l’affaire Michel Audiard

    Pour le meilleur et surtout pour le pire, Michel Audiard est incontestablement un personnage qui a compté dans le cinéma français. Pendant longtemps il a été considéré comme un petit rigolo, un blagueur qui usait de méchantes petites ficelles pour vendre une soupe un peu aigre. Il était ciblé comme un homme de droite, poujadiste, réactionnaire. Ces bons mots contre les impôts par exemple plaisaient beaucoup. A moi, un peu moins. Mais au-delà de la vulgarité du propos, basée sur un argot de cuisine qui se voulait dans la lignée de Céline[1] – évidemment – il y avait des choses plus gênantes. J’avais remarqué ça dans le film Un taxi pour Tobrouk. C’était en 1961. L’histoire racontait le délicat voyage d’un groupe hétéroclite dont un Allemand. Le but était de démontrer que, Allemand ou Français, juif ou autre, on se retrouvait tous dans la même galère. Mais en outre la fin insistait sur les Résistants de la 25ème heure[2]. C’est en effet au début des années soixante que les anciens collabos relèvent la tête. Ils pensent qu’ils ont été oubliés, et donc ils vont peu à peu prendre la tête de la lutte contre le « résistancialisme ». Ces thèses ont un écho certain dans le peuple parce qu’on en a un peu marre de célébrer la Résistance à tout bout de champ, et que le général De Gaulle en revenant au pouvoir en 1958 va perdre de son aura au fur et à mesure que le temps passe et que sa politique devient de plus en plus droitière[3].

    On connaissait aussi les propos douteux de Michel Audiard sur Céline. Dans une interview à un journal d’extrême-droite (ce qui n’est pas un hasard) qui date de 1980, il disait ceci : 

    « On a oublié que les fameux écrits antisémites qu’on lui a tant reprochés ont été écrits bien avant la guerre. Donc, avant l’occupation. Alors, pourquoi cette hargne ? Jusqu’à plus ample informé, on avait bien le droit d’être anti-maçon ou antisémite. Si on n’avait pas pu, il fallait le dire. Fallait le faire savoir : « Il est interdit d’être antisémite, sous peine de prison ». Alors, il aurait été arrêté. Mais il fallait prévenir. On a donc été de mauvaise foi avec Céline.

    Mais où je m’insurge aussi, c’est au moment où les avocats et défenseurs de Ferdinand disent qu’il n’a jamais été antisémite. Alors là, c’est de la connerie. C’est idiot. Cela ne le diminue en rien, bien au contraire. (…) Car finalement, au milieu de cette apocalypse qu’il nous a proposée, la seule chose qu’on retient contre lui, c’est son antisémitisme. Il avait le droit de dire du mal de tout le monde sauf du Juif. Alors là, le Juif nous casse les couilles et vous pouvez l’écrire en toutes lettres. »[4]

    Audiard détestait les politiciens et le parlementarisme, ses dialogues en attestent. Et c’est ce qui l’a fait qualifier abusivement d’anarchiste de droite. Mais les nazis les plus enragés, à commencer par Céline avaient une telle haine de la République que cela pouvait passer pour une simple critique des lourdes turpitudes des politiciens. A la Libération, il fut inquiété fort justement parce qu’il était membre du groupe Collaboration, qui regroupait l’élite des intellectuels pro-allemands, il s’en tira en arguant du fait qu’il y aurait été inscrit à son insu, argument très peu crédible.  

    Temps noir et l’affaire Michel Audiard

    Egalement quand on lit La nuit, le jour et toutes les autres nuits[5], on se rend compte qu’Audiard faisait semblant de ne pas avoir pris parti, ni pour ni contre les Allemands, sous-entendant que malgré l’Occupation, il pouvait y avoir des gens très bien chez les Allemands comme chez les Français, nonobstant la guerre. En général quand on commence à faire ce genre de concession, c’est qu’on a quelque chose à se reprocher. Et ça n’a pas loupé. Certes, Michel Audiard, plus malin qu’intelligent, avait toujours masqué ses propres engagements politiques dans la collaboration. Et je ne parle même pas du fait qu’il travailla aussi avec Albert Simonin, un vrai collabo issu des milieux populaires qui fit aussi de la prison à la Libération pour ses écrits antisémites avec Henri Coston.

    Le dernier numéro de l’indispensable revue Temps noir [6] sous la plume avisée de Franck Lhomeau a tenté de faire le point sur Michel Audiard dans la collaboration. Le petit-fils du dialoguiste, a tenté une défense bien maladroite de son grand-père, au motif qu’il aurait changé après-guerre et que lui-même ne l’avait jamais entendu dire du mal des Juifs[7]. Evidemment Michel Audiard savait très bien que c’était plutôt mal vu de revenir sur ce sujet. Pourtant s’il avait été un peu plus attentif dans ses lectures, Stéphane Audiard se serait rendu compte que son grand-père ne s’était pas contenté de cracher sur les Juifs, mais qu’il aimait bien dénigrer aussi les Résistants, et cela bien après la Libération.

     

     


    [1] Il m’a toujours semblé que Céline, comme Audiard, ne pratiquait pas vraiment une langue argotique populaire, mais que cette recréation était plutôt destinée à épater les bourgeois.

    [2] Ce thème sera repris sans que cela nous étonne par son fils, Jacques Audiard, dans Un héros très discret en 1996. Comme quoi les chiens ne font pas des chats.

    [3] Pierre Laborie, Le chagrin et le venin, Bayard, 2011.

    [4] Le Nouvel Europe Magazine, décembre 1980. Ce magazine belge défendait une vision intégriste du catholicisme et était dirigé par un ancien collabo grand-teint, Emile Lecerf, qui pendant la guerre avait travaillé pour des revues collaborationnistes et racialistes.

    [5] Denoël, 1978.

    [6] Numéro 20, octobre 2017

    [7] http://www.lefigaro.fr/cinema/2017/11/16/03002-20171116ARTFIG00004-si-vous-me-permettez-de-defendre-la-memoire-de-mon-grand-pere-michel-audiard.php

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  • Hot Spot, The hot spot, Dennis Hopper, 1990

    C’est pour moi la meilleure adaptation cinématographique des œuvres de Charles Williams, et de loin. La maitrise technique, le classicisme de la mise en scène sont étonnantes sachant que par ailleurs Dennis Hopper a très peu tourné en tant que réalisateur et que ses films n’ont pas laissé le souvenir d’une grande réussite. The hot spot est devenu au fil des années une sorte de classique de ce qu’on qualifie de « néo-noir ». Contrairement aux histoires de bateaux que Charles Williams aimait raconter, ici il ne s’agira pas d’une histoire linéaire, les surprises sont constantes et l’intrigue très complexe. On remarquera d’ailleurs que plus l’histoire est noire, et plus l’érotisme est présent, comme une compensation. Ici elle met en scène un personnage louche en voie de rédemption, une sorte de voyou. C’est dans ce genre de portrait que Williams est le meilleur. Cynique et pessimiste, le roman ne met en scène que des menteurs et des voleurs, toujours prêts à contourner la loi pour un bénéfice somme toutes aléatoire.  

    Hot Spot, The hot spot, Dennis Hopper, 1990

    Harry Madox arrive dans la petite ville de Landers au Texas, il semble fuir quelque chose et n’a pas un passé très clair. Très vite il va s’imposer auprès de Harshaw comme un vendeur de voitures d’occasion. Il a le bagout qu’il faut et le culot aussi. Il va accompagner Gloria, la comptable de l’entreprise, qui doit encaisser les traites d’une voiture achetée par le louche Sutton. Maddox se rend compte que Gloria ment, et que sans doute Sutton la fait chanter. Peu après Maddox va faire la connaissance de Dolores Harshaw, l’épouse nymphomane et prédatrice de son patron. Elle se jette littéralement sur lui, et bien que Maddox la sente comme un danger pour sa propre sécurité, il ne peut pas s’empêcher d’avoir des relations sexuelles torrides avec elle. Un incendie accidentel va donner l’idée à Maddox qui visiblement cherche les ennuis, de cambrioler la banque du petit patelin. Il monte l’affaire d’une manière ingénieuse, déclenchant un incendie à l’aide d’un petit réveil. Pendant que la population est occupée par cet accident, il a les mains libres pour piller la banque. Il ne croisera qu’un vieux noir aveugle. Puis, après avoir mis son butin à l’abri dans le coffre de sa voiture, il vient aider à combattre l’incendie, il sauvera même un clochard de la mort. Tout le monde le remarque. Cela lui est nécessaire pour avoir un alibi. Parallèlement il va développer une relation amoureuse, plutôt platonique, avec la jeune et belle Gloria. Malgré la solidité de son alibi, le shérif le soupçonne d’être l’auteur de l’incendie, d’autant que le vieux noir reconnait sa manière de respirer. Mais c’est Dolores Harshaw qui va lui fournir un autre alibi qui lui permet d’être relâcher. Il apprend que l’horrible Sutton fait chanter la jeune Gloria. Prenant fait et cause pour elle, il va se mêler, une fois de plus, de ce qui ne le regarde pas. Il va donner une raclée mémorable à Sutton le menaçant de recommencer s’il ne laisse pas Gloria tranquille. Maddox commence à faire des projets d’avenir avec Gloria, mais Dolores est jalouse et ne veut pas le lâcher. Du reste Sutton va revenir à la charge et recommencer son chantage contre Maddox qu’il prétend avoir vu sortir de la banque, et bien sûr auprès de Gloria. Maddox va tuer Sutton et laissera des billets de banque qui sont numérotés, pour faire croire que celui-ci est le casseur de la banque. Tout semble devoir finir tranquillement, mais Dolores tue son mari en provoquant une ultime crise cardiaque. Elle convoque Maddox et Gloria pour leur dire qu’elle les garde à son service, elle fait comprendre à Maddox qu’il doit renoncer à Gloria, sinon elle le dénoncera aussi bien pour le cambriolage de la banque que pour le meurtre de Sutton. Maddox voit ses rêves bleus s’envoler, d’autant que Gloria croit qu’il l’a trahie. 

    Hot Spot, The hot spot, Dennis Hopper, 1990 

    Harshaw et Lon voient Maddox s’imposer comme vendeur 

    A quelques détails près, le scénario respecte tout à fait la lettre et l’esprit du roman, bien qu’il se passe en 1990, alors que le roman a été publié aux Etats-Unis en 1953. Pour contourner ce décalage chronologique, Dennis Hopper a usé de quelques astuces, comme par exemple d’utiliser quelques véhicules qui datent peut-être des années cinquante, la Cadillac rose de Dolores, ou la Studebaker de Maddox. Plusieurs thèmes vont s’entrecroiser. D’abord il y a Maddox, un homme astucieux assurément mais qui se croit bien plus fort qu’il n’est. Son point faible est bien sûr la femme, non seulement la perverse et nymphomane Dolores, mais aussi l’ingénue Gloria, car s’il se fait piéger finalement par Dolores, c’est bien parce qu’il a eu des élans paternalistes et protecteur pour la jeune comptable. Il est donc pris entre deux femmes : l’une qui est chaude bouillante et qui ne pense qu’à dominer et à s’envoyer en l’air avec toutes les queues qui passent à sa portée, l’autre qui est toute en retenue au contraire, mais qui est punie pour sa pureté d’intention. On est dans le schéma du Marquis de Sade qui oppose Justine à Juliette, la vertu au vice, et c’est ce dernier qui gagne toujours. Cependant l’enjeu est, au-delà de la cupidité, la femme comme trophée d’une lutte sournoise. Maddox se heurte au frustre Sutton et le tuera justement parce qu’il menace son hégémonie auprès de ses deux maîtresses. La chaleur n’arrange pas les choses, et tous ces pantins sont atteint d’une fièvre incurable qui les balance les uns contre les autres dans une sarabande frénétique. Seule Gloria paraît échapper à cette malédiction, mais elle n’a pas les moyens de ses ambitions, et d’ailleurs elle ment tout autant que les autres. Le contrepoint de ces turpitudes, ce sont les voisins de Maddox qui lisent la Bible tous les soirs avant de s’endormir ! 

    Hot Spot, The hot spot, Dennis Hopper, 1990 

    Sutton fait chanter Gloria 

    Le film devait être monté à l’origine, dans les années soixante, avec Robert Mitchum, et puis cela ne s’est pas fait. C’est le scénario de Nona Tyson de 1962 qui a été récupéré par Dennis Hopper. La réalisation est impeccable. Tourné en écran large, il y a un travail sur les couleurs qui est remarquable, comme une rémanence de Hopper, le peintre, avec cette mise en valeur de l’Amérique profonde. C’est donc un portrait d’une Amérique tourmentée, travaillée par les démons de la chair et la cupidité. La chaleur est très sensible, l’air vibre. Plusieurs scènes sont mémorables. D’abord les panoramiques qui servent à saisir l’intensité des incendies et du cambriolage de la banque. Il y a justesse dans les rapports entre Maddox et le décor qui donne à voir que celui-ci n’est qu’une pièce rapportée à l’ensemble de la petite ville. Ensuite les scènes où Maddox affronte Sutton. Il enfile ses gants après que Sutton soit arrivé, puis il le tabasse d’une manière méthodique. La violence est assez effroyable et gagne encore en intensité quand Maddox le tue. Les scènes érotiques sont aussi très explicites. Rien n’est épargné au spectateur, Dolores nous entraîne à la suite de Maddox dans une ronde du sexe dont on ne peut se soustraire. 

    Hot Spot, The hot spot, Dennis Hopper, 1990 

    Dolores arrive dans sa Cadillac rose et veut séduire Maddox 

    La grande réussite du film repose sur l’interprétation. Don Johnson a rarement été si bon dans le rôle de Maddox. Il faut dire qu’il a été habitué plutôt à des rôles assez peu nuancés. Au départ le rôle fut proposé à Harrison Ford, Kevin Costner et même Richard Gere. Mais Don Johnson est éclatant. Il présente ce mélange particulier d’arrogance, voire de vulgarité et de violence qui le désigne comme un psychopathe, en même temps qu’il devient une proie facile pour des prédatrices. Les femmes sont également bien choisies : d’un côté la vicieuse et retorse Dolores incarnée par la blonde Virginia Madsen, de l’autre la tendre et fragile Gloria qui est jouée par une excellente Jennifer Connelly, à l’origine le rôle devait aller à Uma Thurman, je pense pour ma part que c’eût été dommage. Cette dernière est bien trop grande et solide. D’une manière ou d’une autre, toutes les deux représentent une force morale qui fait défaut à Maddox. Mais les seconds rôles sont tout à fait à la hauteur, d’abord le sinistre Sutton incarné par William Sadler. Il joue beaucoup de son regard par en dessous et de sa voix traînante pour se faire encore plus menaçant que s’il avait une carrure aussi imposante que celle de Don Johnson. Ensuite Jerry Hardin qui est Harshaw, le bougon patron du commerce de voitures d’occasion, et puis le très bon Charles Martin Smith dans le rôle de Lon, le petit vendeur qui fait ami-ami avec Maddox. Plus contestable est l’interprétation de Julian par Jack Nance qui cabotine beaucoup tout de même. Mais c’est un défaut mineur. 

    Hot Spot, The hot spot, Dennis Hopper, 1990 

    Maddox est fasciné par Gloria  

    Le film n’a pas été un très grand succès commercial à sa sortie, peut-être à cause du manque de notoriété des acteurs, mais peu à peu il a gagné ses lettres de noblesses au Panthéon du film noir. C’est pourtant à mon sens la meilleure adaptation d’un roman de Charles Williams. La musique de Jack Nitzsche est excellente, les amateurs y reconnaitront aussi la trompette de Miles Davis, ce qui n’es pas rien tout de même. Wild Side a publié un très bon Blu ray de ce film en 2015. 

    Hot Spot, The hot spot, Dennis Hopper, 1990

    Maddox vient de sauver un clochard de l’incendie 

    Hot Spot, The hot spot, Dennis Hopper, 1990 

    Dolores semble avoir gagné la partie

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