•  Yakuza, The yakuza, Sydney Pollack, 1974 

    Il fut un temps lointain maintenant où tout ce que touchait Sydney Pollack se transformait en or. Il a connu des succès critiques et commerciaux considérables, notamment grâce à sa collaboration régulière avec Robert Redford avec qui il réalisera sept films dont Jeremiah Johnson, The way we were ou encore Out of Africa qui a récolté sept Oscars. Tous ces films ont triomphé dans le monde entier, alliant grand spectacle populaire et profondeur d’analyse. Il venait directement de la télévision comme les Robert Mulligan, les Robert Altman et quelques autres. Il avait appris à travailler vite. C’était un cinéaste éclectique qui fonctionnait comme s’il revisitait un peu tous les genres. Il se fit d’abord connaitre en 1965 avec The Slender Thread, un film avec Sydney Poitier qui jouait le rôle d’un jeune étudiant qui grâce au téléphone arrive à sauver une personne du suicide. Puis il enchaîna l’année suivant avec This Property Is Condemned, un superbe film sur les années de la dépression avec déjà Robert Redford. Passant d’un sujet à l’autre, il aimait à s’emparer des problèmes de société, tout en maintenant des formes de romance. The Way We Where est ainsi un film sur la chasse aux sorcières à Hollywood, qui se fait passer pour une romance entre un homme et une femme dont les origines sociales sont divergentes. L’idée de ce film vient de loin, ce n’est même pas une idée de Sydney Pollack. C’est un scénario original de Paul Schrader, plusieurs réalisateurs avaient été envisagés dont Robert Aldrich, puis Martin Scorsese. Avant même que le réalisateur soit désigné, la Warner avait aussi testé plusieurs acteurs, Charles Bronson, Lee Marvin, et même William Holden, mais c’est Robert Mitchum qui fut choisi. Puis on engagea Sydney Pollack qui sortait de trois gros succès commerciaux. L’acteur japonais avait été choisi si on peut dire par les frères Scharder, Ken Takakura les fascinait dans des films de Yakuzas très ritualisés. Paul Schrader passant à la réalisation mettra en scène en 1985 une méditation sur la vie du sulfureux écrivain Yukio Mishima. 

    Yakuza, The yakuza, Sydney Pollack, 1974

    Tono demande à son affidé de partir à Los Angeles 

    Il y a toujours eu une fascination des Américains pour le Japon et pour sa civilisation qui semble bien au-delà de la logique mercantile. La réciproque est vraie, et les Japonais ont adopté après la défaite de nombreux signes de la civilisation américaine, notamment le jazz. On a, dans le cinéma américain, des relations un peu symétriques entre le Mexique et les Etats-Unis, et le Japon et les Etats-Unis. Notez que quand les Etats-Unis s’intéressent à un pays particulier comme le Mexique ou le Japon, ce sont des pays où il y a une cinématographie originale et importante. Le cinéma mexicain disparaitra dans les années soixante, et le cinéma japonais dans les années quatre-vingts. Dans les années soixante-dix et quatre-vingts, le Japon jouer un peu le rôle de la Chine aujourd’hui. C’est un pays qui se développe très vite – après-guerre c’est avec la Corée du Sud le pays qui va le plus vite. Et comme tel, il est craint autant qu’admiré par les Américains qui commencent à se débattre avec des crises récurrentes, économiques, sociales et politiques, la fin calamiteuse de la Guerre du Vietnam a été un traumatisme profond. Il est vrai aussi que les Américains avaient culpabilisé le largage des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki et ses centaines de milliers de morts. On trouve ce sentiment chez des réalisateurs de gauche comme Samuel Fuller par exemple dans House of Bamboo[1] ou The Crimsom Kimono[2]. Si pendant de longues années les Japonais étaient désignés comme des ennemis furieux, histoire de justifier ex-post l’injustifiable[3], peu à peu le Japon est devenu un objet d’interrogation, et on a monté en épingle une tradition plus ou moins vivace qui conservait au Japon son identité, malgré sa modernisation à marche forcée. Il y a toujours eu une forme de paternalisme dans l’approche que les Américains ont de ce que sont les Japonais. Je pense aussi bien à Sayonara de Joshua Logan avec Marlon Brando qui date de 1957 qu’à The Geisha boy de Frank Tashlin avec Jerry Lewis qui est sorti l’année suivante. Le film de Sydney Pollack n’échappe pas à cette simplification, malgré ses précautions oratoires. C’est seulement avec des films isolés comme Bad Day at Black Rock de John Sturges en 1954 qu’on regardera les Japonais ou les Américains d’origine japonaise comme autre chose que des vicieux asiatiques, ou comme des personnes faibles à protéger.

     Yakuza, The yakuza, Sydney Pollack, 1974

     L’envoyé de Tono rencontre Tanner 

    N'oublions pas qu’à l’époque, en Occident, on commence aussi à s’intéresser aux arts martiaux asiatiques au cinéma et à la télévision. La série Kung Fu, créée avec la complicité de Bruce Lee et avec David Carradine est un succès planétaire, avec un mélange de combats sophistiqués et une sorte de philosophie assez sommaire toutefois. Les films avec Bruce Lee en vedette étaient une forme d’intrusion dans la mise en scène de la violence qui était une sorte de monopole américain Cette manière d’accompagner les combats d’homme à homme d’une philosophie plus ou moins stoïcienne, sera par la suite parodiée par Jackie Chan. Inconsciemment ou non, ce sont les films de Sylvester Stallone, les franchises Rocky et Rambo, qui vont contester cette vogue asiatique pour les combats d’arts martiaux, par exemple en valorisant des hommes bodybuildés exhibant leurs muscles contrairement aux films asiatiques où un petit bonhomme comme Bruce Lee peut vaincre tout une bande de grands costauds. On comprend que dans les films hollywoodiens où se confrontent des Américains et des Japonais, il se joue en sourdine une autre bataille, celle d’une hégémonie culturelle dans les représentations de la virilité. Et les films américains finissent toujours par imposer une supériorité des Etats-Unis sur le reste du monde. C’est vrai pour des films classés à droite qui emploient des John Wayne ou des Sylvester Stallone, et ça reste vrai, même quand ce sont des réalisateurs marqués à gauche comme Samuel Fuller ou Sydney Pollack. Ce dernier aura d’ailleurs le même problème avec Out of Afrika 

    Yakuza, The yakuza, Sydney Pollack, 1974

    Harry retrouve Eiko son amour de jeunesse 

    Tono, un chef de Yakuzas charge un de ses hommes pour aller à Los Angeles réclamer de l’argent à un trafiquant d’armes, Tanner, pour des marchandises qu’il n’a jamais livrées. Par précaution il a enlevé sa fille et la garde comme possibilité d’échange. Devant cette possibilité menaçante, Tanner fait appel à Harry Kilmer pour qu’il tente une médiation par l’intermédiaire d’un yakuza nommé Tanaka Ken. Celui-ci est en effet le frère d’une femme, Eiko, qui a été la passion amoureuse d’Harry qui a vécu avec elle au temps de l’occupation étatsunienne par l’armée américaine. Ken n’est plus yakuza, il se contente d’enseigner le sabre. Mais quand Harry vient le chercher pour l’aider, il ne peut refuser car dans le temps Harry a sauvé la vie de sa sœur. Rapidement Harry, Ken et Dusty le garde du corps de Tanner, vont récupérer sa fille d’une manière violente. Mais Tanner est aussi au Japon et va rencontrer Tono auquel il avoue qu’il n’a pas livré les armes parce qu’il avait perdu l’argent qui lui avait été confié au jeu. Harry et Dusty échappent à un attentat aux bains publics.  

    Yakuza, The yakuza, Sydney Pollack, 1974

    Ken est devenu professeur d’arts martiaux 

    En vérité Dusty va apprendre à Harry que Tanner l’a embauché aussi pour le surveiller, et qu’en réalité Tono et lui sont de mèche pour éliminer Goro à la tête des Yakuzas. Goro est en réalité le frère ainé de Ken, et connaissant la situation, il les autorise à tuer Tanner et Tono. Harry va tuer Tanner. Les yakuzas s’introduisent dans la maison de Wheat, menaçant de tuer Eiko. Ken et Harry arrivent une bataille s’engage. Dusty et Hanako, la fille d’Eiko, sont tués, mais tous les yakuzas sont morts.  Peu après, Harry apprend par Goro que Ken n’est pas la frère d’Eiko, mais son mari ! Mais aussi que le propre fils de Goro est passé dans le clan adverse et s’est fait tatouer sur le crâne une araignée. Goro leur demande de l’épargner s’ils le peuvent. Harry et Ken se pointent chez les yakuzas, Ken tue Tono. Une longue bataille s’engage, parmi les nombreux morts, il y a aussi le fils de Goro que Ken n’a pas pu ménager. Après la bataille Ken qui se sent coupable de la mort de son neveu, propose de se suicider devant son frère, mais Goro refuse et Ken s’excusera en se coupant le petit doigt ! Plus tard, Harry qui veut rentrer aux Etats-Unis, offrira lui aussi son petit doigt à Ken pour s’excuser de tous les tracas qu’il a pu apporter à cette famille. 

    Yakuza, The yakuza, Sydney Pollack, 1974 

    Sur la route Harry, Ken et Dusty rencontrent l’homme de Tono 

    Je ne vais pas m’attarder sur les fantasmes de Paul Schrader en ce qui concerne le Japon. Il faudrait presque commenter toutes les scènes dans ce sens. Fantasme ou pas, le thème central c’est d’abord la nécessité de travailler au rapprochement du Japon et des Etats-Unis en admettant que ces deux pays sont deux cultures très différentes. C’est évidemment très ambigu, parce que parfois on a l’impression que le film est une apologie de la tradition, et parfois au contraire une mise en valeur de la tendance naturelle des Japonais à devenir semblables à des Américains. Le scénario se veut patiemment équilibré, au sournois Tanner correspond l’opportuniste Tono, au courageux et désespéré Harry, correspond le sombre Ken Tanaka. Mais derrière ce message, il y en a un autre : l’attirance que les Américains pour un pays, le Japon, où le sens de l’honneur existe par-dessus toutes les magouilles mercantiles. Et donc, il vient que le Japon est un pays plus sain, plus dynamique que les Etats-Unis qui sombrent dans le mensonge et dans la vieillesse. On verra d’ailleurs Ken qui sort vainqueur de son combat au sabre, relever Harry qui s’est effondré. Bien évidemment, il est facile de comprendre qu’Harry est rongé par un sentiment de culpabilité, c’est pourquoi il se tranchera le petit doigt ! En effet après que les Américains aient largué deux bombes atomiques sur le Japon, Harry est venu occuper ce pays et prendre la femme d’un Japonais vaincu. C’est un trophée. Un aspect de ce film n’a été guère commenté, c’est la question du jeu que pourtant Pollacjk semble avoir bien comprise. Les Japonais ont une approche sérieuse du jeu, même quand il s’agit de jouer au pachinco, dont les machines sont évidemment sous le contrôle des yakuzas. Ce jeu peu conduire d’ailleurs jusqu’à la mort ou à se couper un doigt.   

    Yakuza, The yakuza, Sydney Pollack, 1974 

    Tanner est en combine avec Tono 

    Si on accepte ce principe de base d’un choc des civilisations c’était déjà le thème de Jeremiah Johnson, on trouve deux autres thèmes importants. D’abord celui de l’amour impossible, thème cher à Pollack, Paul Schrader disait que ce n’était pas dans le scénario original et que ça nuisait à ce qui selon lui aurait dû être l’élément moteur de l’histoire. Le problème de ce segment ce n’est pas qu’Harry ait aimé dans le temps Eiko, mais que celui qu’elle a présenté comme son frère n’était en réalité que son mari ! Et effectivement ça devient un peu la famille Tuyau de poêle, avec ensuite la découverte d’un autre frère – un vrai cette fois – Goro, le gentil yakuza. Certes c’est un effet de surprise qui sidère Harry, mais surtout qui embrouille un peu plus l’histoire. Cette histoire d’amour impossible entre le Japon et les Etats-Unis est d’ailleurs redoublée par une ébauche de flirt entre Dusty et Hanako, deux jeunes gens qui semblent vouloir répéter les erreurs de leurs aînés, et qui finiront assassinés tous les deux, avant même que d’avoir consommé leur passion. Ces histoires sentimentales sont un peu lourdement appuyées. Cependant on ne saurait reprocher à Pollack de n’être que lui-même et de ne pas avoir assimilé les apports du cinéma asiatique où les sentiments existent bien entendu, mais restent à l’arrière-plan de l’action. Le scénario dérape un peu parfois, notamment quand on a l’impression que pour les protagonistes le temps de l’occupation américaine du Japon était assimilable au bon vieux temps. C’est osé, parce que  jusqu’au début des années soixante non seulement le Japon reste misérable et meurtri, mais en plus les manifestations de masse contre l’occupation américaine sont très fréquentes et violentes. 

    Yakuza, The yakuza, Sydney Pollack, 1974

    Ken est parti à la recherche de Tono 

    Pollack hésite, comme il hésite pour dresser un parallèle entre l’amour de deux hommes pour Eiko et l’amitié qui va naître entre eux par-delà les malentendus de la guerre. Ken et Harry vont se retrouver dans l’action et surtout lorsque d’une manière symbolique ils se couperont le petit doigt, image symbolique du renoncement à Eiko et donc au sexe. Cette question d’amitié s’étend d’ailleurs  à l’ensemble de la vie de Harry : le point de départ de cette tragédie est évidemment Tanner qui trahit l’amitié d’Harry, mais il se retrouve dans une position particulière avec Dusty qui va trahir Tanner et lui proposer son amitié en échange d’une intégration dans cette famille baroque qui s’est construite autour du couple Ken-Harry. Ici on ne peut pas parler vraiment de trio en intégrant Eiko, parce que les enjeux la dépassent et c’est pour cela qu’elle se tait. Ce pourrait être d’ailleurs la philosophie de Pollack lui-même, comme disait Ludwig Wittgenstein dans Tractacus logico-philosophicus : « Tout ce qui peut être dit peut être dit clairement, et sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence ». Une variation de « Parle si tu as des mots plus forts que le silence, ou garde le silence. » Euripide, Fragments. Pollack va s’efforcer de filmer le silence si on peut dire, celui-ci est associé soit aux deux femmes, Eiko et Hanako, qui subissent, soit à Ken Tanaka qui porte le poids de sa dette. A un moment on entendra un chanteur de Karaoké dire qu’un homme qui n’a pas de cette, n’est pas un homme. 

    Yakuza, The yakuza, Sydney Pollack, 1974

    Dusty et Harry ne se doutent pas du danger 

    Pollack est un très bon technicien qui connaît son métier. On lui a reproché d’être un peu trop classique dans sa manière de filmer. Mais c’est sa conception du cinéma et de l’image qui est ainsi faite. Même si certaines formes lui échappent, il filme directement une histoire sans s’embarrasser de symboles et de sous-entendus. La mobilité de la caméra, la capacité à donner un rythme au montage l’ont désigné comme le chaînon manquant entre le vieil Hollywood et le Nouveau. Cependant s’il filme les scènes d’action sans trop les décomposer, avec de nombreuses ellipses, évitant les trop fortes effusions de sang, c’est une question de philosophie. Les actions violentes sont toujours assez brèves, filmées avec des plans resserrés et un montage très rapide, autrement dit il refuse de chorégraphier cette violence, comme s’il en avait peur. Là on un Tarantino aurait délayé les batailles au sabre, Pollack abrège volontairement, se privant de ce public qui adore les combats qui n’en finissent plus. De même quand Harry et Ken se coupent le petit doigt, on ne voit même pas du sang couler. Au passage il recyclera le plan de Point Blank de John Boorman où on voyait Lee Marvin tirer sur un lit vide. Il utilise beaucoup les travelling à contresens dans l’action, comme pour en prendre mieux le recul, mais aussi pour donner de la vitesse. 

    Yakuza, The yakuza, Sydney Pollack, 1974

    Ken et Harry se sont éloignés de la maison de Wheat 

    Le film a été tourné en majeure partie au Japon. Ce que filme Pollack, ce n’est pas vraiment le Japon touristique et « fascinant », mais plutôt la nuit de Tokyo. Les couleurs sont choisies en ce sens. Si cela accentue le caractère sombre du film, cela le ramène dans la logique du film noir. Il y a encore toutes ces scènes qui opposent le Japon moderne en train de se construire et le Japon plus traditionnel, comme pour rappeler que ce pays ne veut pas mourir avec sa modernisation accélérée. On verra donc des lignes verticales et des buildings de fer et de verre, mais aussi des trains qui traversent les mornes paysages et en excluent le voyageur. Par contre on ne verra pas comme chez Fuller dans House of Bamboo des paysages naturels, des jardins, comme s’il n’existait pas au Japon de zones où il est possible de se reposer. Pollack utilise l’écran large 2,35 :1 et le justifie même quand il s’agit de travailler sur des espaces étroits. C’est le format qui lui convient le mieux, conséquence de sa préférence pour la mobilité de la caméra. 

    Yakuza, The yakuza, Sydney Pollack, 1974 

    La bande de Goro s’en prend à Eiko 

    L’interprétation repose sur le duo Robert Mitchum-Ken Takakura. Mitchum trouve là un de ses derniers rôles où il est la tête d’affiche. Il est venu sur le projet après bien d’autres, notamment Lee Marvin, et c’est lui qui a fait renvoyer Robert Aldrich pour imposer Sydney Pollack. Les raisons pour cela sont assez peu connues. Il est donc Harry Kilmer. Très sobre il affiche beaucoup de retenue et d’humilité envers Ken Takakura, au point que celui-ci semble parfois lui voler la vedette. Mitchum s’est fait pousser les cheveux et ressemble moins au Mitchum habituel, mais il est dans la continuité d’Eddie Coyle, c’est un homme brisé et sans espoir qui ne fonctionne plus que selon une sorte de code de l’honneur. Ken Takakura est bien entendu Ken Tanaka. Il est plutôt remarquable, démontrant sans le dire une souffrance intérieure stoïque. C’est un acteur très connu au Japon, il a fait plus de 200 films, et on le retrouvera dans un autre film où l’Amérique est une nouvelle fois confrontée au Japon, Black Rain de Ridley Scott. C’est probablement grâce au film de Pollack qu’il a été engagé sur celui de Ridley Scott. Brian Keith est Tanner, le fourbe Tanner. Il est bien, surprenant même quand il énonce devant Tono qu’il a tout magouillé à cause de ses pertes au jeu. Goro, le frère aîné, est interprété James Shigeta qui était Joe Kojaku dans The Crimson KImono de Samuel Fuller, ce qui n’est sûrement pas dû au hasard et qui marque une certaine filiation entre les deux réalisateurs. On retrouve également au générique Richard Jordan dans le rôle de Dusty, le garde du corps qui change de camp. Il était déjà dans The Friends of Eddie Coyle. Ici, sans doute amené sur le tournage par Robert Mitchum, il est un peu plus effacé. C’est un film d’hommes comme on l’a compris et les femmes n’ont guère de place même si Eiko est présentée comme l’amour de sa vie par Harry. Les actrices qui les incarnent ne présentent rien de particulier. 

    Yakuza, The yakuza, Sydney Pollack, 1974

    Harry vient pour tuer Tanner 

    Le film a été un gros échec commercial, il avait coûté 5 millions de dollars, et n’en avait rapporté qu’1,5. Mais la critique avait été tiède. Sans doute il y a eu de l’incompréhension, comme si le public aurait dû être celui des amateurs de combats d’arts martiaux au lieu d’un public réfléchissant sur les rapports compliqués entre les Etats-Unis, le cœur de l’Empire, et sa périphérie. Depuis la critique s’est améliorée et le film a été réévalué à la hausse. J’aime bien ce film, malgré ou à cause peut-être de ses incertitudes, par les questions qu’il pose. La très bonne photo, notamment celle de Kozo Okazaki pour les passages filmés au Japon, apporte beaucoup et justifie l’édition en Blu ray, même si elle est chez Warner qui ne se casse pas trop la tête pour ajouter des bonus au film, comme si cette firme ne croyait plus à la nécessité de valoriser son riche patrimoine. Notez que Pollack s’est beaucoup plaint de la lourdeur des règles de tournage au Japon, mais cette plainte des réalisateurs américains est récurrente dès qu’ils doivent se plier aux règles d’un pays d’accueil. 

    Yakuza, The yakuza, Sydney Pollack, 1974

    Ken doit affronter le reste de la bande de Goro 

    Yakuza, The yakuza, Sydney Pollack, 1974

     

     


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/la-maison-de-bambou-house-of-bamboo-samuel-fuller-1955-a130337024

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/le-kimono-pourpre-the-crimson-kimono-samuel-fuller-1959-a130376798

    [3] Voir le film des sœurs Clara & Julia Kuperberg, Yellowface : Asian Whitewashing and Racism in Hollywood, 2019

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  •  Les copains d’Eddie Coyle, The Friends of Eddie Coyle, Peter Yates, 1973

    Dans le film néo-noir, Peter Yates a eu quelques succès, à commencer par Bullitt[1]. D’origine britannique, il avait d’ailleurs commencé à se faire connaître en 1967 avec un film, Robbery, basé sur l’attaque du train postal, un coup audacieux qui avait défrayé la chronique en 1963. C’est ce film, animé de poursuites automobiles dans les rues de Londres qui l’avait amené sur le tournage de Bullit. Quand il attaque le tournage de The Friends of Eddie Coyles, il sort d’un bon succès avec The Hot Rock, un film de casse, plus proche de la parodie toutefois. The Friends of Eddie Coyle est beaucoup plus sombre. Le scénario est de Paul Monash, un scénariste qui a surtout travaillé pour la télévision, et le plus souvent dans le genre noir, films de gangsters. Il a écrit plusieurs épisodes de la série The Untouchables. Ici il sera aussi crédité comme producteur. Le matériel de départ est le livre de George V. Higgins qui porte le même titre. C’était là son premier roman publié. Il eut du succès, notamment à cause d’un style très dialogué qui répercutait l’argot de la rue des truands irlandais. C’est une histoire de mafia, mais de la mafia irlandaise, très présente à Boston et sa région. On pourrait dire que les films de mafia irlandaise, s’ils sont presque tous situés dans la région de Boston, sont presque toujours ancrés dans la vie quotidienne des quartiers, par exemple le très bon film de Ben Affleck, The Town[2]. Higgins ayant fait des études de droit se retrouva au bureau du procureur de Boston, et à ce titre il eut à connaître de nombreuses histoires scabreuses. Il y a donc un souci de vérité qui va justifier le film. Dans l’approche des phénomènes mafieux et de leurs conséquences dramatiques, c’est l’inverse du film de Coppola, The Godfather, sorti l’année précédente avec le succès que l’on sait. Il n’y a rien de glamour dans cette histoire, et les personnages n’ont rien de charismatiques, et il n’y aura pas de courses de voitures spectaculaires ! 

    Les copains d’Eddie Coyle, The Friends of Eddie Coyle, Peter Yates, 1973 

    Une bande de voleurs dévalise les banques de la périphérie de Boston après avoir pris en otage la famille du directeur de banque. Ils agissent masqués et après avoir repéré les lieux. Ces actions sont bien menées, discrètes et millimétrées. Ils prennent beaucoup d’argent. Pendant ce temps Eddie Coyle mène des transactions avec un revendeurs de flingues, le jeune Jackie Brown. Eddie trouve que Jackie n’est pas assez prudent et qu’il devrait faire un peu plus attention. Jackie cloisonne cependant correctement ses activités. Mais Eddie a bien d’autres soucis, il doit passer devant la commission qui risque de le condamner à 2 ans de prison pour avoir conduit un camion de trafic d’alcool, et parce qu’il a refusé de donner ceux qui chapeautaient cette affaire. Il s’ouvre de ce souci à Dillon, le propriétaire d’un bar qui est aussi indicateur de police pour le compte de Dave Foley. Tandis que Jackie transactionne pour vendre des fusils mitrailleurs à de jeunes révolutionnaires un peu hippies, les hold-ups continuent. En vérité Eddie sait que c’est la bande der Scalise qui monte les coups, puisque c’est lui qui leur fournit les armes nécessaires. Ayant eu vent des armes que Jackie Brown doit livrer, il le balance en espérant que cela le sortira de la situation. Par ailleurs la bande Scalise ont dû abattre un employé de banque trop zélé, ce qui va déchaîner les policiers contre eux. Jackie Brown réussit deux coups, d’abord l’arrestation de Jackie Brown, puis celle de la bande à Scalise. Mais Eddie ne le sait pas.  Quand il revoit Dave Foley, celui-ci refuse de l’aider, à moins qu’il devienne un indic en bonne et due forme. Eddie propose cependant de balancer la bande de Scalise. Mais Jackie Brown se moque de lui et lui dit qu’il les a déjà coincés. Eddie est alors un homme mort d’abord parce que Dillon a fait courir le bruit que c’était Eddie le délateur, et donc Scalise et sa bande veulent le tuer, mais également Jackie Brown qui a compris que c’était Eddie qui l’avait balancé. La mafia irlandaise va donc payer Dillon – ne sachant pas qu’il est un indic de la police – pour le descendre. Dillon saoule Eddie, puis l’emmène voir un match de hockey. Dans la voiture du retour, Eddie s’endort, et Dillon le tue. Bien entendu quand il reverra Foley, il ne dira rien du meurtre d’Eddie. 

    Les copains d’Eddie Coyle, The Friends of Eddie Coyle, Peter Yates, 1973

     Eddie demande à Jackie de rester plus prudent

    C’est un film amer, transporté d’une immense tristesse. L’univers dans lequel se meuvent tous ces gangsters plus ou moins importants est assez déglingué. C’est le Boston qu’on connaît moins, et cet aspect de la ville, surtout dans les années soixante-dix quand la ville faisait de la lutte contre la mafia irlandaise une priorité, est plutôt crasseux, éloigné de la ville donnant dans les start-ups et le high-tech. L’histoire d’Eddie Coyle est démarquée de celle de Billy O’Brien qui a été assassiné par le célèbre James « Whitey » Bulger qui devint un informateur zélé du FBI qui lui permit de développer une carrière criminelle hors du commun. Longtemps en cavale, il finit ses jours en prison, et sa vie a inspiré plusieurs cinéastes, dont Black Mass de Scott Cooper[3], et plus indirectement celui de Frank Costello dans The Departed de Marin Scorsese[4] Mais évidemment Dillon n’a pas le côté flamboyant de Bulger, il est plutôt discret, faisant ses petites affaires sans se faire remarquer, encaissant le prix de ses meurtres tout en vivant comme un patron de bistrot plutôt misérable. 

    Les copains d’Eddie Coyle, The Friends of Eddie Coyle, Peter Yates, 1973 

    Les gangsters prennent la famille du directeur de banque en otage 

    Nous sommes dans le début des années soixante-dix, époque où les grandes villes de l’Est s’enfonçaient dangereusement dans la délinquance. Les attaques de banque étaient encore possibles, pour peu qu’on ait les couilles de le faire. Dans ce moment particulier la délinquance traditionnelle rejoignait celle qui était issue de la contestation anticapitaliste. On l’a oublié, mais à la fin des années soixante et au début des années soixante-et-dix, une partie des révolutionnaires sans révolution – qu’ils soient black panthers ou simplement anticapitalistes – avaient aux Etats-Unis développé une rhétorique sur la nécessité de la lutte armée. Des bandes comme la bande à Baader en Allemagne, ou les Brigades Rouges en Italie, ont été finalement assez nombreuses et ont été violemment réprimées elles-aussi. 

    Les copains d’Eddie Coyle, The Friends of Eddie Coyle, Peter Yates, 1973 

    Foley tente de pousser Eddie à devenir un mouchard 

    Mais peu importe la vérité documentaire, car quelle sur soit la vérité des situations présentées, ce portrait partiel de la mafia irlandaise met en scène toute une série de personnages faiblement déterminés sur le plan moral. Ils passent tous à se vendre les uns les autres. Si Eddie Coyle a des excuses, il ne veut pas retourner en taule, Dillon a fait de la délation un fructueux business, jouant sur tous les tableaux en même temps, vendant Eddie pour se dédouaner auprès du milieu de ses propres turpitudes. Le sens de l’honneur n’est pas quelque chose qui les motive. Le policier Foley est un vrai salopard, menteur et tricheur, il enfonce consciencieusement Eddie, et c’est lui qui est son vrai meurtrier, même si c’est Dillon qui appuie sur la gâchette. Il y a donc autant de portraits, de type, que d’attitudes face à la morale et à la mort. Le plus ambigu est bien entendu Eddie Coyle qui contrairement à ce que dit le titre, n’a pas d’amis et il ne peut pas en avoir. Il y a des obligés, Eddie est l’obligé de la mafia qu’il ne peut trahir, mais aussi des policiers. Il est usé par la vie qu’il a menée, il a fait de la taule, ilvivote et voudrais bien mener une vie normale avec sa femme et ses enfants. A cet égard c’est encore lui qui parait le plus normal, les autres ont encore moins d’ambition, mais il lui manque de l’énergie pour se sortir de ce pétrin. Il pourrait fuir, mais il ne le fera pas, c’est pourquoi quand il remet sa vie entre les mains de l’ignoble Foley, cela équivaut fatalement à un suicide. 

    Les copains d’Eddie Coyle, The Friends of Eddie Coyle, Peter Yates, 1973 

    Jackie Brown traite avec des révolutionnaires qui veulent braquer des banques 

    Le film a, au fil du temps, pris de l’importance. Sans doute à cause de la mise en scène. Si nous comprenons bien vers quoi la mise en scène tend, il n’est pas certain qu’elle soit tout à fait adéquate. Certes Peter Yates veut filmer la ville de Boston sans lui donner l’aspect d’un personnage. C’est un tort. Et donc cela le conduit à resserrer le cadre et à ne jouer que très peu sur la profondeur de champ. La photo rend cependant très bien les couleurs de l’automne à Boston, donnant une tonalité crépusculaire à l’ensemble. Les hold-ups sont très bien travaillés, logiques, rationnels, sans perte de temps, visant à mettre d’abord en avant le sang froid des gangsters. Les scènes dans le bar de Dillon qui sont nombreuses manquent clairement de caractère, en ce sens qu’elles ne font pas ressortir sa spécificité. Dans les dialogues, Peter Yates manque le plus souvent de mobilité de sa caméra. En revoyant ce film, je comprends mieux pourquoi à sa sortie il n’a pas eu de succès : le rythme est très lent et l’action contenue à la périphérie. A vouloir éviter le spectaculaire le réalisateur finit par manquer d’émotion, or commettre de tels hold-ups n’est pas une partie de plaisir, même chose pour les risques qu’encourt Jackie Brown lorsqu’il se procure et revend des armes. 

    Les copains d’Eddie Coyle, The Friends of Eddie Coyle, Peter Yates, 1973 

    La bande de Scalise continue les hold-ups 

    Les acteurs par contre sont excellents. C’est un très grand rôle pour Robert Mitchum qui incarne Eddie Coyle. Il s’était beaucoup investi dans la préparation du film, au point de rencontrer des truands de la mafia irlandaise. Il porte le poids du monde et de l’échec sur ses larges épaules. À cette époque il cherchait des grands rôles, mais les films qu’il fera, bien qu’il y soit excellent n’auront guère de succès public, que ce soit The Friends of Eddie Coyle ou Yakuza. Il était clairement sur la pente déclinante ce qui au fond allait parfaitement avec Eddie Coyle. Mais enfin ce film révèle aussi que Mitchum lorsqu’il est face à une solide intrigue est un très grand acteur. C’est lui qui domine le film. Derrière lui on trouve l’étonnant Peter Boyle dans le rôle de Dillon la balance. Il est parfait de fourberie, il n’a pas cependant beaucoup de présence à l’écran. On remarque ensuite Steve Keats dans le rôle de Jackie Brown le trafiquant d’armes. C’était le premier film de cet acteur qui décédera assez jeune, apparemment il se serait suicidé. Il est excellent mélange de prudence et d’extravagance. Il parait relativement soumis face à Coyle, mais il donnera la leçon aussi bien à ceux qui lui fournissent du matériel qu’à ceux qui veulent s’en servir pour mener un combat douteux. Richard Jordan dans le rôle de l’antipathique Foley manque cependant un peu de carrure pour faire la morale à Robert Mitchum ! Un œil exercé reconnaitra aussi Alex Rocco dans le rôle de Scalise et aussi Joe Santos, figure incontournable des films de gangsters de cette époque, dans le rôle d’Artie Van. 

    Les copains d’Eddie Coyle, The Friends of Eddie Coyle, Peter Yates, 1973 

    Cette fois la bande de Scalise est tombée sur les policiers 

    Ce film a eu une influence certaine sur Quentin Tarantino qui l’appréciait beaucoup et qui appellera son film avec Pam Grier justement Jackie Brown. Martin Scorsese récupérera le personnage du trafiquant d’armes pour Taxi Driver. Mais il engagera aussi Peter Boyle très certainement en référence au film de Peter Yates. 

    Les copains d’Eddie Coyle, The Friends of Eddie Coyle, Peter Yates, 1973 

    Eddie est piégé par Foley et n’a plus rien à lui vendre pour éviter la prison 

    The Friends of Eddie Coyle a été un échec commercial et même critique à sa sortie ne couvrant péniblement que la moitié de son budget. Je crois que la raison principale – outre la lenteur de son rythme – c’est l’absence de personnage auquel le public peut s’identifier. Mais au fil des années, il est devenu une référence du néo-noir, et pas seulement à cause de Mitchum. Curieusement ce film très célébré n’existe pas ou plus sur le marché français. Ses qualités, malgré quelques réserves, sont telles qu’il serait bon que quelqu’un le ressorte en Blu ray. 

    Les copains d’Eddie Coyle, The Friends of Eddie Coyle, Peter Yates, 1973 

    Dillon et son complice abandonne la voiture et le corps d’Eddie 

    Les copains d’Eddie Coyle, The Friends of Eddie Coyle, Peter Yates, 1973 

    Dillon ne donnera pas d’information sur l’assassinat d’Eddie 



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/bullitt-peter-yates-1968-a150995948

    [2]

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/strictly-criminal-black-mass-scott-cooper-2015-a125676288

    [4] http://alexandreclement.eklablog.com/les-infiltres-the-departed-martin-scorsese-2006-a165079930

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  •  Des nouvelles de Frédéric Dard et de son double !

    Le Monde de San-Antonio vient de publier son 98ème numéro. Celui-ci me tient particulièrement à cœur parce que j’ai travaillé à l’édition des nouvelles de Frédéric Dard, sous son nom comme sous ses différents pseudonymes, me doutant bien toutefois qu’il serait toujours très difficile de boucler la boucle. Parfois ce sont de nouveaux pseudonymes qu’on découvre, d’autrefois ce sont des nouvelles signées Frédéric Dard. Lionel Guerdoux s’y est particulièrement employé dans les deux cas. Donc voici une nouvelle signée Frédéric Dard qui n’avait été éditée qu’une seule fois en janvier 1944 dans L’illustré, un magazine suisse ! C’est une nouvelle dont l’action se passe dans le Grand Nord, thème que Frédéric Dard avait beaucoup exploité dans sa jeunesse, parfois sur un ton grave, parfois avec une manière plus enlevée. Cette nouvelle retrouvée est intitulée La corde au cou. Si les nouvelles que Frédéric Dard a écrites sur l’Amérique, sont souvent amusantes et parodiques, ici le ton est grave et évoque le suicide par pendaison, thème vers lequel Frédéric Dard reviendra souvent comme une fascination qui le conduira d’ailleurs lui-même à tenter le Diable avec une corde[1]. C’est une nouvelle indispensable qui vient compléter toutes celles qu’il a écrites sur le Grand Nord, le froid, la misère des chiens de traineau. Mais il y a aussi les rapports compliqués entre les blancs et les autochtones. L’influence de Jack London – avec ce sens du tragique très particulier – et de Maurice Constantin-Weyer est très sensible. Ces deux auteurs avaient de très gros succès. Si le premier a conservé son prestige de grand écrivain, le second, un auteur français fasciné par les Amériques, est très oublié de nos jours, alors que ses œuvres se vendaient très bien et qu’elles avaient été portées avec succès au cinéma. Cette nouvelle tragique est présentée par l’ami Jacques Bernard qui explique combien il fut à la fois compliqué et hasardeux de la retrouver et qui souligne fort justement la qualité de l’écriture de ce jeune homme de 22 ans. Cette nouvelle justifie évidemment l’existence de MSA qui, nous dit-on par ailleurs pourrait très bien disparaître, ce que nous regretterions beaucoup évidemment car ce bulletin nous a beaucoup apporté en inédits bien sûr, mais aussi en amitiés. 

    Des nouvelles de Frédéric Dard et de son double ! 

    Par ailleurs, et semble-t-il toujours à l’initiative de Joséphine Dard qui se démène beaucoup pour la gloire de son père, Ivan Brytov vient de publier un ouvrage luxueux sur L’épopée d’Armand de Caro. Cet ouvrage complète celui de Loïc Artiaga & Matthieu Letourneux dont j’ai déjà parlé[2]. Bien entendu la liaison avec Frédéric Dard est évidente. D’abord parce que Frédéric Dard sous son nom et sous divers pseudonymes a été un pilier de cette maison d’édition, ensuite parce que sa fille Joséphine est aussi la petite fille d’Armand de Caro. Celui-ci a été l’un des créateurs du Fleuve Noir, révolutionnant le système de production et de distribution de la littérature populaire. L’ouvrage est richement illustré, mettant en valeur l’esthétique très particulière des collections développées par le Fleuve Noir de la série La Flamme – romans plus ou moins érotiques pourchassés par la censure – jusqu’à la collection Engrenages. Une large place est faite aux illustrations de Michel Gourdon qui aujourd’hui sont très valorisées, alors que dans les années soixante on les décrivait comme vulgaires. Mais à l’époque Frédéric Dard n’était pas considéré comme un grand écrivain, il fallait le lire en cachette pour ne pas subir des moqueries, on lui préférait des auteurs qui aujourd’hui sont cruellement oubliés mais qui avaient les honneurs des suppléments littéraires  du Monde ou du Figaro. Cet ouvrage seulement vendu par la librairie L’amour du noir, a été tiré en un tout petit nombre d’exemplaires et deviendra rapidement rare et recherché ! Il contient des photos inédites, mais aussi des petites notices intéressantes. 

    Des nouvelles de Frédéric Dard et de son double !  

    Bref tout cela nous incite à revenir vers l’œuvre multiforme et passionnante de Frédéric Dard, si par hasard on s’en serait un peu éloigné : un véritable fleuve qui a finalement mis la critique à ses pieds !


    [1] Frédéric Dard, C’est mourir un peu, Plon, 1967. Dans cet ouvrage essentiel, mais jamais réédité, il raconte son expérience de pendaison qui tournera au cauchemar.

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/loic-artiaga-matthieu-letourneux-aux-origines-de-la-pop-culture-le-fle-a213407465

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  • Les tueurs sont nos invités, Gli assassini sono nostri ospiti, Vincenzo Rigo, 1974 

    Exhumons aujourd’hui un poliziottesco pratiquement d’outre-tombe. Un film fait de bric et de broc, avec des bouts de ficelles, et c’est à peine si Roberto Curti le mentionne dans sa bible sur le film criminel italien[1]. Un film donc passé par pertes et profits, une série C comme disait lui-même son réalisateur Vincenzo Rigo qui ne le défendait pas. Il le trouvait déjà vicié dans son scénario, des dialogues, n’en parlons pas. Et donc me direz-vous si son réalisateur ne veut pas le défendre, même un peu, pourquoi donc je le défendrais. Au nom de quoi ? L’affiche est très bien, la musique aussi, mais cela ne serait pas suffisant. En vérité ce film possède une vraie valeur dans l’histoire du film noir à l’italienne. D’abord parce qu’il est une sorte de croisement entre le poliziottesco et le giallo. Ensuite parce qu’il est l’exact contemporain de Cani arrabbiati, l’excellent film de Mario Bava qui pour des raisons que j’ai tenté d’expliquer n’a pas pu être achevé et montré du vivant de son réalisateur[2]. On ne sait pas grand-chose de Vincenzo Rigo, si ce n’est qu’il a été un chef opérateur et qu’il a réalisé trois films assez obscurs et un épisode d’une série télévisée. On ne peut pas se faire vraiment une idée de ce qu’ont été ses ambitions ni même ses intentions, même quand on a écouté son interview en bonus de la version Blu ray publiée par Le chat qui fume à la fin de l’année 2022

    Les tueurs sont nos invités, Gli assassini sono nostri ospiti, Vincenzo Rigo, 1974

    Les gangsters attaquent la bijouterie Genaro

    À Milan, Eliana vole une voiture au nez et à la barbe - c’est le cas de le dire – d’un travesti. Plus tard, un gangster surveille depuis un établissement où il boit un café une bande der quatre malfaiteurs qui dévalisent une riche bijouterie. Tandis que l’un d’entre eux attend dans la voiture, les trois autres remplissent leurs sacs sous la menace de leurs armes. Malgré les consignes du bijoutier qui ne veut pas de mort, un de ses employés se rebelle et une fusillade éclate. Deux personnes sont mortes dans la bijouterie, et un des gangsters a été blessé. Ceux-ci arrivent à s’évacuer sous l’œil vigilant de leur chef Eddy. Ils semblent que leur fuite va réussir, mais ils ont un accident, le chauffeur est gravement blessé, Mario l’achève d’une balle dans la tête puis emporte le reste des bijoux. Eliana soutient Franco et tous les trois rejoignent la deuxième voiture qu’ils pensent ne pas être recherchée par la police. Cherchant un docteur pour soigner Franco, Eliana cherche dans l’annuaire du téléphone et trouve le docteur Malerba. Ça tombe bien, il est tout seul dans sa belle maison. 

    Les tueurs sont nos invités, Gli assassini sono nostri ospiti, Vincenzo Rigo, 1974

    Eliana soutient Franco pour aller vers la voiture de secours 

    Les trois gangsters investissent les lieux. Eliana menace de tuer le docteur s’il n’opère pas Franco tout de suite. Malerba va faire ce qu’il peut. Bientôt son épouse Mara arrive. Elle comprend la situation mais se dispute avec son mari qu’elle trouve lâche. Pendant ce temps le commissaire Di Stefano enquête et tente de retrouver les gangsters. Eddy la tête pensante du gang sa retrouver son contact dans une boîte de nuit, afin d’écouler les diamants. Dans la maison du docteur Malerba, les choses évoluent, Eliana a un flirt poussé avec Mara. Puis c’est Mario qui tente de la violer. Mara n’échappe à l’outrage que grâce à l’intervention d’Eliana. Finalement Eddy va venir à la maison pour récupérer les bijoux. Mais la police arrive. Sous la menace des gangsters, Malerba va finalement s’en débarrasser. Puis c’est Sergio, l’amant de Mara qui débarque avec ses amis, pour s’amuser. Elle se débarrassera de lui en lui offrant quelques privautés sous les yeux de son mari. Eddy se sent mal, drogué, il a besoin d’une piqure. Pendant qu’à l’étage Mario viole Mara, cette fois avec son consentement, le docteur Malerba lui administre un produit qui va le tuer. Quand Mario redescend de l’étage, le docteur le tue à son tour, puis il tue Mara. On comprend alors que le docteur et Eliana sont de mèche depuis le début et qu’Eliana cherchait juste à savoir à qui elle pourrait revendre les bijoux volés. La police vient constater les dégâts, le docteur faisant mine d’avoir été blessé dans la bagarre finale. Le commissaire Di Stefano va rechercher le quatrième homme qu’il soupçonne d’être une femme. Mais après les constats il s’en va. Pour le docteur et Eliana la voie semble libre. Mais à l’aéroport ils sont attendus, le commissaire Di Stefano les attend. Eliana a été dénoncée par le travesti à qui elle avait volé le véhicule.  

    Les tueurs sont nos invités, Gli assassini sono nostri ospiti, Vincenzo Rigo, 1974 

    Le docteur Malerba est contraint d’opérer Franco

    Le cœur de l’intrigue est centré sur les relations qui se développent entre les gangsters qui investissent la maison du docteur, et leurs otages. C’est un vieux thème du film policier dont le meilleur exemple est sans doute The Desperate Hours de William Wyler qui date de 1955 avec Humphrey Bogart. On trouve ça également dans Le tueur triste, roman de Frédéric Dard qui a été adapté pour la télévision en 1984 par Nicols Gessner. Les intrus amènent ainsi avec eux une nouvelle vérité dans la vie des otages. Ils servent de révélateur aux mensonges avec lesquels « les bourgeois » vivent. Et donc il vient qu’il semble plus que ce soit la vérité qui effraie les bourgeois que les gangsters eux-mêmes. Bien entendu, par-dessus cette évidence, va se greffer une relation d’attraction-répulsion qu’on appelle maintenant le syndrome de Stockholm pour représenter la transformation de la vision que les otages se font de leur situation. Ici le véhicule c’est Mara. Elle est d’abord attirée par Eliana qui la caresse longuement devant les yeux de son mari. Puis c’est le sinistre Mario qui tente de la violer, ensuite c’est son amant Sergio qui vient la tripoter, et enfin elle consentira à être prise par Mario. Elle passe de mains en mains, c’est un objet, mais c’est aussi le lien entre les deux parties apparemment opposées qui sont cloitrées dans la maison. 

    Les tueurs sont nos invités, Gli assassini sono nostri ospiti, Vincenzo Rigo, 1974

    Eddy va chercher son contact pour vendre les bijoux 

    Elle passe du statut de rebelle à celui de fille soumise au désir masculin le plus brutal, et ce qu’on comprend c’est que si elle trompe son mari, c’est parce que celui-ci ne la viole pas plus souvent ! N’est-ce pas au fond ce que veut Mara ? Provoquer un désir sans fin. De cette première approche découle la seconde, à savoir l’idée que le sexe c’est d’abord le pouvoir. Les gangsters investissent les corps comme ils ont investi la maison, et comme ils ont pillé la bijouterie. Les gangsters sont des transgresseurs et leur sexualité n’en est que la, prolongation. Le scénario a été écrit hâtivement et on peut supposer qu’au départ il devait donner une plus grande place à l’enquête du commissaire Di Stefano qui passe totalement au second plan. Si on avait choisi cette piste on aurait été dans le sens d’un poliziottesco classique avec une méditation endémique sur la violence des gangsters et l’insécurité de l’Italie des années soixante-dix. 

    Les tueurs sont nos invités, Gli assassini sono nostri ospiti, Vincenzo Rigo, 1974

    Eliana flirte avec la femme du docteur 

    En s’insérant dans le mode de vie des voyous, le film devient autre chose, comme Cani arrabbiati de Bava. Ce n’est pas tout à fait une apologie des conduites déviantes, mais cela s’en approche. Il s’agit de comprendre une dynamique sociale à l’œuvre. Comme dans le film de Bava les gangsters ne sont pas ce qu’on croit, et d’ailleurs de mettre en scène une femme comme moteur du groupe en est le signe : c’est bien tout un monde qui bascule dans la délinquance au motif que c’est bien plus drôle que la vie ordinaire. Le docteur Malerba est bien plus attiré par Eliana que par son épouse. Elle représente la passion et l’aventure tandis que Mara représente la fourberie et la misère sexuelle. Le film milite donc, comme beaucoup de films italiens de cette époque, pour une libération des mœurs. On aura droit non seulement au viol consenti de Mara par le méchant rouquin, mais aussi au travesti prostitué ou encore aux scènes de lesbianisme qui excite le voyeurisme de Malerba et de Mario. Je ne parle même pas de Sergio, l’amant imbécile de Mara qui se masturbe en se frottant contre elle. Eddy lui est ailleurs, il est drogué. Mais généralement le sexe débridé mène à la mort. Dans cette sarabande, le malheureux Franco est seulement une pièce rapportée qui interroge ses coéquipiers sur leur degré de bonté. Certes Eliana veut bien tenter de le sauver – Eddy lui en fera grief d’ailleurs – mais Mario ne se gênera pas pour l’étouffer dès lors que ses râles risquent d’alerter la police. 

    Les tueurs sont nos invités, Gli assassini sono nostri ospiti, Vincenzo Rigo, 1974

    Mario tente de violer Mara 

    Ceci nous amène à un point clé du film : ce sont les femmes qui mènent la barque. D’abord Eliana qui apparaît courageuse et tout en maitrise, ne paniquant jamais devant les contretemps. Ce qui fait tomber à plat l’argument d’un des gangsters qui prétend que c’était une mauvaise idée que de partir au combat avec une femme. C’est évidemment un reflet de la prise de pouvoir croissante des femmes dans la société italienne à cette époque qui remet en cause les rôles en fonction des sexes. Il est significatif de voir Eliana affronter le travesti – un homme – lui ôter sa perruque et le jeter sur la chaussée. Le travesti se vengera à la fin en lui tirant la langue après l’avoir dénoncée à la police ! Mais à côté d’Eliana, Mara n’est pas en reste. Elle aussi prend en main sa destinée, à sa manière. Elle humilie son mari, le traitant de lâche, puis elle avoue qu’elle a bien un amant, Sergio, et se donne enfin librement au sombre Mario

    Les tueurs sont nos invités, Gli assassini sono nostri ospiti, Vincenzo Rigo, 1974 

    Eddy vient pour récupérer les bijoux et mettre de l’ordre 

    L’intrigue comprend trois aspects. D’abord le hold-up, ensuite l’enfermement dans la maison du docteur Malerba, et enfin les deux retournements finaux surprenants de la situation. Ces trois temps de l’intrigue indique dans quel sens la réalisation doit travailler. La première partie est remarquable, très inspirée de Jean-Pierre Melville, elle met en scène un Milan plongé dans le brouillard. Il y a une vraie grâce dans l’usage du décor urbain et dans la manière de filmer la course poursuite. La seconde partie est plus difficile. Rigo multiplie les gros plans et les montages alternés. Sans doute visait-il à donner une atmosphère claustrophobe à son film, mais ces plans serrés donnent une allure de feuilleton télévisé qui n’est pas très heureuse. Il y a très peu de mouvements de caméra, or on sait que c’est bien le mouvement qui magnifie l’étroitesse des espaces. Il est très vraisemblable que cette pauvreté visuelle soit le résultat de la faiblesse du budget, l’obligeant à tourner au plus vite. L’ensemble manque de respiration. 

    Les tueurs sont nos invités, Gli assassini sono nostri ospiti, Vincenzo Rigo, 1974

    La police vient interroger le docteur Malerba 

    La maison est assez mal filmée et manque de personnalité, la caméra, manque de recul et ne tire pas partie des volumes extérieurs comme intérieurs. Même les déplacements d’Eddy quand il part à la rencontre de son contact pour vendre les bijoux manquent d’ampleur. Toutes les scènes de rue par contre sont adroitement filmées, notamment le prologue quand Eliana vole la voiture, se bat avec le travesti puis circule dans Milan. 

    Les tueurs sont nos invités, Gli assassini sono nostri ospiti, Vincenzo Rigo, 1974

    Sergio insiste devant la porte pour entrer 

    C’est un petit film vraiment très fauché, avec très peu d’acteurs, et donc très peu d’acteurs connus et chers. En tête de la distribution on a Anthony Steffen. C’est un acteur d’origine brésilienne, de grande taille, affligé d’une sorte de zona de la face, il n’a fait que du cinéma de genre, catégorie B, C ou plus bas encore, plutôt dans le western spaghetti. Son inexpressivité illustre le désarroi finalement du docteur Malerba. Il est toujours très raide, surtout quand il s’agit de jouer l’impassibilité. Plus intéressante est Margareth Lee. Elle aussi a fait une carrière presqu’uniquement dans le cinéma de genre italien et le western spaghetti. Elle a cependant fait une incursion chez Chabrol dans le très médiocre Le tigre se parfume à la dynamite. Actrice d’origine britannique, elle a pourtant quelque chose d’intéressant dans le regard. Curieusement elle a quasiment arrêté de tourner avec ce film. Les autres acteurs sont assez peu connus et reconnu. Livia Cerini qui en dehors de ce film n’a pas fait grand-chose est plutôt intéressante dans le rôle complique de Mara. Elle ne fait pas que montrer ces seins. C’est un peu la révélation.

    Les tueurs sont nos invités, Gli assassini sono nostri ospiti, Vincenzo Rigo, 1974

    Cette fois Mara accepte que Mario la viole 

    Luigi Pistilli, un autre abonné des westerns spaghetti, fait une toute petite apparition dans le rôle du commissaire Di Stefano qui est menacé de déportation en Sardaigne s’il ne se bouge pas un peu plus. Il y a également le rouquin Giuseppe Castellano dans le rôle de Mario, la brute épaisse. Si son nom est peu connu, par contre il a une filmographie impressionnante, toujours dans le rôle de la brute, et donc on reconnaît son visage. Il a tout de même fait une apparition chez Argento dans L'uccello dalle piume di cristallo. Je pense que c’est ici qu’il trouve son rôle le plus important. Comme on le voit le huis-clos permet de faire des économies substantielles sur le casting ! 

    Les tueurs sont nos invités, Gli assassini sono nostri ospiti, Vincenzo Rigo, 1974

    Le docteur a tué Mario 

    Le film jouit d’une très mauvaise réputation. Mais comme on vient de le voir, il y a des aspects intéressants aussi bien dans le scénario – et ses différents retournements – que dans la conduite du récit. Les 20 premières minutes sont de ce point de vue excellentes et méritent le détour. Vu la faiblesse du budget il est très possible que ce film ait été rentable. Il n’est jamais sorti en France dans les salles, mais il a été exploité aux Etats-Unis où le film de genre italien avait tout à fait pignon sur rue. 

    Les tueurs sont nos invités, Gli assassini sono nostri ospiti, Vincenzo Rigo, 1974

    Mara est tuée à son tour 

    Exhumé de l’oubli – c’est le bon côté du numérique – ce film est maintenant disponible en Blu ray chez Le chat qui fume, boutique spécialisée dans le film rare, avec des tirages relativement faibles. Il est accompagné d’une interview de Vincenzo Rigo qui est assez longue, mais qui est en contradiction avec ce qu’il disait de ce film avant qu’on ne le ressorte. Ce qui confirme que la patine du temps confère parfois une survaleur à des films ou des livres d’une manière assez inattendue. 

    Les tueurs sont nos invités, Gli assassini sono nostri ospiti, Vincenzo Rigo, 1974

    La police vient constater les dégâts 

    Les tueurs sont nos invités, Gli assassini sono nostri ospiti, Vincenzo Rigo, 1974

    Arrivés à l’aéroport Eliana et le docteur sont attendus par la police 

    Les tueurs sont nos invités, Gli assassini sono nostri ospiti, Vincenzo Rigo, 1974


    [1] Italian Crime Filmography, 1968–1980, McFarland, 2013.

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/les-chiens-enrages-cani-arrabbiati-ou-semaforo-rosso-mario-bava-1974-a212853051

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  • Le froid baiser de la mort, Il terzo occhio, Mino Guerrini, 1966

    En 1966 nous sommes encore dans les débuts de la vogue du giallo, mais aussi dans les débuts de la carrière de Franco Nero – qui hésite encore entre Frank Nero et Franco Nero. En outre c’est le premier long métrage de Mino Guerrini qui jusque là n’avait tourné que des épisodes dans des films à sketches. Il s’illustrera essentiellement dans le cinéma de genre dont un poliziottesco, Gangster ’70, un Lando Buzanca. Peu de choses de lui sont retenues aujourd'hui. Bien entendu il ne faut pas oublier sa participation au scénario du film de Mario Bava, La ragazza che sapeva troppo[1], film considéré comme fondateur du giallo. Vers ces années là, le cinéma italien qui génère de très belles recettes aussi bien sur le territoire national qu’à l’exportation, s’émancipe. C’est d’ailleurs dans le cinéma de genre bien plus que dans le cinéma d’auteur que la transgression s’opère vis-à-vis des tabous hérités de la longue histoire italienne marquée par la domination morale de l’Eglise catholique. A cause de la modernisation à marche forcée de l’économie italienne – c’est l’économie européenne qui croit le plus vite avec l’économie française – cette cinématographie va tourner la page du néoréalisme et de la morale ordinaire. On va enfin pouvoir parler du sexe et des tourments criminels qu’il engendre, mais aussi de la famille et de l’Eglise ! De ce point de vue le cinéma italien des années soixante, est en avance sur la France et les Etats-Unis. Cependant il faudra des décennies pour que ce cinéma là soit reconnu à sa juste valeur, et en France ce n’est que récemment qu’on en célèbre la créativité. C’est un film à petit budget, tourné très vite. S’il y a beaucoup d’emprunts, notamment à Hitchcock, il n’en demeure pas moins que ce film représente une avancée dans la libération de la parole. Le scénario prétend s’être inspiré de l’histoire de Gilles de Rais, rien n’est moins vrai, le célèbre chevalier était un guerrier et un massacreur de masse versant dans l’horreur prédatrice. Mais c’était la mode, on trouve ça aussi chez Mario Bava, de prétendre s’inspirer des classiques de l’horreur, probablement que cela permettait de faire mieux passer la pilule auprès de la censure, et puis cela donnait une apparence de sérieux à l’ensemble. Des problèmes avec la censure, ce film en eu beaucoup et dut faire face à des coupes intempestives qui parfois nuisent à la continuité du récit ou à sa clarté. La fin qui représente un viol a été complètement édulcorée, au point qu’on ne comprend pas de quoi se plaint la victime. Curieusement le générique est anglicisé. James Warren c’est Mino Guerrini, Diana Sullivan, c’est Erika Blanc, et tout à l’avenant, alors que l’histoire se déroule bien en Italie. 

    Le froid baiser de la mort, Il terzo occhio, Mino Guerrini, 1966

    Le comte Alberti est jaloux 

    Le comte Mino Alberti doit se marier avec la belle Laura Canti. Mais celle-ci n’est pas la bienvenue. Non seulement la mère de Mino ne veut pas de se mariage, mais Marta la servante non plus. Cela crée des tensions difficiles à supporter et Laura décide de partir en voyage. Tandis que le comte s’exerce à empailler des animaux, la jalouse Marta sabote la voiture de Laura. Celle-ci s’en va. Mais Mino qui l’apprend est furieux, il part à sa poursuite. Il tente de la rattraper, mais c’est trop tard. La voiture n'a plus de frein et finit par plonger dans lamer où Laura se noie. Pendant ce temps une violente dispute a lieu entre la mère de Mino et Marta. La servante fait chuter la comtesse dans l’escalier, puis l’achève. Quand Mino revient à la propriété, la police lui apprend que sa mère est morte et conclut à un accident. Mino est effondré, Marta joue la comédie de la tristesse, et prétend qu’elle va aider Mino a surmonter cette douloureuse épreuve. Mais Mino qui n’avait déjà pas toute sa tête, la perd complètement. Dans un cabaret, il va rencontrer une strip-teaseuse, Maria Mordan, qui est aussi un peu pute. Il la ramène chez lui. Celle-ci prend peur quand elle retrouve, dans le lit où Mino prétend la faire coucher, le cadavre de Laura. 

    Le froid baiser de la mort, Il terzo occhio, Mino Guerrini, 1966

    La comtesse Alberti espionne Laura 

    Mino l’assassine à son tour. Mais les cris de la jeune femme ont réveillé Marta qui vient voir Mino et qui constate qu’il a tué la jeune femme. Ne sachant trop quoi faire, Mino s’en remet à Marta qui propose de dissoudre le corps dans l’acide. Mais Mino ne maitrise pas ses pulsions, un soir il drague une prostituée et la ramène chez lui. Il la pay largement, mais celle-ci s’aperçoit qu’il y a le cadavre de Laura dans lelit. Il la tue également. Marta refuse de l’aider cette fois. Elle lui dit qu’il est complètement fou, et qu’elle l’aidera seulement s’il l’épouse. Désemparé, Mino accepte. Les choses semblent se calmer, mais voilà qu’arrive Daniela Canti, la sœur de Laura qui vient aux nouvelles pour savoir si on a retrouvé le corps. sa ressemblance avec Laura est tellement forte que Marta a été surprise. Mais Mino lui commence à croire que Laura est revenue. Il va commencer à parler de mariage à Daniela qui est évidemment stupéfaite. Mais Marta sentant le danger va tenter de tuer Daniela. Mino intervient et poignarde la servante. De plus en plus fou il prétend à Daniela qu’ils vont se marier. Ils s’en vont vers la mer. Mino menaçant Daniela d’un revolver, elle n’ose pas se rebeller. Cependant lors d’un arrêt à une station service pour faire le plein, elle s’arrange pour laisser tomber les papiers de  la voiture. Les employés de la station étant intrigués, ils appellent la police qui elle-même appelle chez le comte Alberti. Là ils tombent sur Marta agonisante qui leur dit de venir. Ce qu’ils font, elle dénonce Mino et les policiers partent à sa recherche. Arrivé près de la mer avec Daniela, Mino la viole brutalement. La police arrive cependant et l’arrête tandis qu’on emmène Daniela complètement choquée. 

    Le froid baiser de la mort, Il terzo occhio, Mino Guerrini, 1966

    Le comte Alberti empaille des bêtes mortes 

    Les références à Hitchcock sont évidentes et assumées, ce serait donc du côté de Psycho qu’il faudrait regarder, la mère tyrannique, le travail de taxidermiste de Mino, la maison bizarre et isolée, et bien sûr la police qui est totalement dépassée par les événements. Cette histoire se serial killer est cependant assez compliquée. D’abord parce que si Mino Alberti est un assassin, il n'est pas le seul, la sournoise servante Marta est elle aussi une criminelle qui comptera au moins deux cadavres, elle ne sera arrêtée que par la folie encore plus grande de Mino. Il est difficile de trouver un seul des protagonistes un peu sympathique, encore que Mino apparaît comme une victime de son Œdipe non résolue. Mais le personnage principal est peut-être la maison. Cette vieille demeure est plus ou moins bien entretenue, mais en tous les cas elle représente un passé glorieux dont la famille n’a pas su faire le deuil. Le fait de faire ce film semble être une interrogation sur les rapports de l’Italie des années soixante avec le progrès économique qu’elle subit et qui transforme entièrement ses repères. Et je me demande si l’ensemble de ces gialli version horrifique, et tous ces films d’horreur, à commencer par les films de Mario Bava, ne sont pas une nécessité. Tout au long du film c’est le passé qui est interrogé. D’abord évidemment le passé de Mino, puis le passé de la servitude des domestiques que la famille Alberti avait l’habitude d’exploiter. La sournoiserie criminelle de Marta semble en être la conséquence. En jetant la comtesse dans les escaliers, elle prend le pouvoir sur la maison. 

    Le froid baiser de la mort, Il terzo occhio, Mino Guerrini, 1966

    Marta a saboté la voiture de Laura 

    Mais le passé c’est aussi cette confrontation de Mino avec la vie moderne. La musique de jazz qu’il écoute dans un cabaret, la strip-teaseuse qui vend aussi son cul. Mino vit avec la mort, son travail de taxidermiste l’y pousse. Dès lors que ce soit Laura ou Daniela, ou les prostituées que Mino invite à la maison, toutes ces femmes apparaissent comme des pièces rapportées par rapport aux exigences de la vieille demeure, la gardienne du passé.  Le scénario un peu hâtif toutefois ne donne pas trop d’explications sur ce qui attire ces femmes qui se font trucider ou violer vers cette demeure. En effet on peu se demander si Laura est plus intéressée par Mino ou par son titre de noblesse et sa vaste demeure. Dès la scène introductive du film, on comprend bien que Mino trimbale de graves problèmes avec lui. Mais cette maison est aussi une sorte de prison pour tous ceux qui y habitent. La mère ressemble d’ailleurs à une gardienne de prison, non seulement par son autoritarisme sur tous ceux qui l’entourent, mais aussi par sa manie d’espionner ses invités à travers un œilleton. 

    Le froid baiser de la mort, Il terzo occhio, Mino Guerrini, 1966

    La police annonce la mort de sa mère à Mino 

    Le comte Alberti est fou, et cette folie provoquée par son Œdipe mal résolue le conduit à des pratiques sexuelles extrêmes qui incluent le meurtre comme adjuvant. Si parfois il semble se rendre compte de son malheur, il ne s’y attarde pas, et ne cherche pas à guérir, il cherche seulement à l’aménager. C’est le pacte qu’il passera avec Marta. On assiste donc à la montée en puissance de sa folie criminelle, celle-ci est toujours ravivée par un événement extérieur traumatisant, la mort de Laura, celle de sa mère, comme s’il cherchait dans le crime une compensation à ce qui lui a été enlevé. Après la mort de sa mère, il va hériter du problème créé par Marta. N’arrivant pas à la soumettre, il la tuera. Ses crimes sont donc toujours des réponses à d’autres crimes. 

    Le froid baiser de la mort, Il terzo occhio, Mino Guerrini, 1966

    Marta joue la carte de la désolation 

    Plus discrètement, ce qui se joue c’est une méditation sur la famille et son rôle délétère. La famille, pourtant fondamentale dans la culture italienne, ne protège pas, au contraire elle est le ferment de la folie car elle bride les instincts les plus basique de la vie individuelle. Le comte Alberti est très riche, mais comme pour la famille, cet argent ne le protège pas de la folie, bien au contraire, cet argent l’enferme dans ses fantasmes et la possibilité de les réaliser. Ne travaillant pas, il a besoin de ce dérivatif pour exister. A la recherche d’une pureté totalement illusoire, il voudra que Daniela soit revêtue d’une robe blanche pour un mariage pourtant fictif. 

    Le froid baiser de la mort, Il terzo occhio, Mino Guerrini, 1966

    Dans un cabaret le comte Alberti va rencontrer Maria Mordan 

    Film a tout petit budget, cela s’en ressent dans la mise en scène. On se trouve presque dans un décor unique, celui de la maison à la noble architecture. Il y a bien quelques scènes pour aérer le film, mais c’est assez restreint, du reste ces scènes qui confrontent Mino au monde véritable amènent chaque fois un meurtre. Mino Guerrini va donc s’atarder aux rapports entre les personnes. D’abord aux rapports que Marta entretient avec le reste de la maisonnée. On la voit dès le début tenter de prendre le pouvoir sur le corps de Laura qu’elle prétend masser pour la détendre. C’est d’ailleurs ce genre de scène qui a fait bondir les censeurs. Elles deviendront banales en Italie après 1968. Le viol de Laura sera tronqué comme je l’ai dit au début, toujours à cause de la censure, mais les meurtres aussi ne seront pas visualisés. C’est cependant un film très bavard, et les dialogues sont soutenus par des gros plans et unn montage assez sommaire. Mino Guerrini n’est pas un théoricien de la pellicule. 

    Le froid baiser de la mort, Il terzo occhio, Mino Guerrini, 1966

    Mino commence à croire que Laura est revenue d’entre les morts 

    Cependant, il y a de bonnes idées, à commencer par le choix des lieux qui servent de décors. L’idée d’une maison vieille et maléfique va devenir récurrente dans les gialli, chez Mario Bava, Dario Argento ou encore Pupi Avati. Cette maison permet d’utiliser les longs couloirs comme un labyrinthe dans lequel les personnages se perdent. On y verra Marta y errer un grand couteau de cuisine à la main, partant à la recherche de Daniela pour la tuer. Là encore c’est une allusion non dissimulée à Hitchcock. Cela amène de jolies travellings et une bonne utilisation de la profondeur. Mais enfin, il n’y a rien à attendre d’excellent sur le plan technique, même si la photo d’Alessandro D’Eva – crédité ici sous le nom de Sandy Deaves – est bonne. Ce bon directeur de la photo se sera fait les dents sur des films de genre, avant de travailler sur de nombreux films de Dino Risi. 

    Le froid baiser de la mort, Il terzo occhio, Mino Guerrini, 1966

    Marta cherche Daniela pour la tuer 

    La distribution est construite autour de Franco Nero dans le rôle du comte Alberti, il n’avait pas encore beaucoup de métier, il est parfois raide, parfois filmé de façon grotesque quand il roule des yeux pour simuler la folie. Mais enfin, ça passe. Il y a ensuite Erika Blanc qui tient le double rôle des sœurs Canti. Elle avait déjà une bonne douzaine de films à son actif, mais elle ne brille pas particulièrement ici. La mère de Mino est incarné par Olga Solbelli, ici sous le pseudonyme d’Olga Sunbeauty. C’est une vétérante qui avait commencé à tourner avant la guerre, très à l’aise et convaincante. Gioia Pascal incarne Marta la sournoise domestique. Cette actrice n’a fait que deux films dans sa vie. Elle est intéressante, mais son jeu est forcée. 

    Le froid baiser de la mort, Il terzo occhio, Mino Guerrini, 1966

    A la station service Daniela laisse un indice 

    Le film a connu un bon succès commercial, ignoré évidemment par la critique, mal diffusé en France. Sans être un film remarquable, il est très intéressant aussi bien pour découvrir les développement progressif du Giallo, que pour ce qu’il raconte en creux des tourments de l’Italie de cette époque. Il n’est pas ennuyeux, malgré quelques longueurs notamment lorsque Marta rampe vers le téléphone pour appeler au secours. Il va de soi que vous ne trouverez pas ce film en version  numérique dans votre supermarché préféré de la culture. Film oublié et méprisé, il vaut pourtant le détour. 

    Le froid baiser de la mort, Il terzo occhio, Mino Guerrini, 1966

    La police a rattrapé Mino


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/la-fille-qui-en-savait-trop-la-ragazza-che-sapeva-troppo-mario-bava-19-a212730005

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