• L’empire de la nuit, Pierre Grimblat, 1962 

    Voilà un film d’une grande rareté. En effet, à sa sortie il n’était resté que quelques jours en salle, apparemment pour cause des histoires de procédures confuses. Mais L’empire de la nuit est aussi un film adapté et dialogué par Frédéric Dard. Grimblat retravaillera avec Frédéric Dard, c’était pour un téléfilm, Emmenez moi au Ritz. L’empire de la nuit, c’est le second long métrage de Pierre Grimblat qui, s’il ne connut pas un grand succès au cinéma, il en eut beaucoup par la suite en montant des séries pour la télévision. Sa série la plus connue est Navarro avec Roger Hanin pour dix-huit saisons et 108 épisodes, puis Série noire, d’après des ouvrages publiés en Série noire, avec 38 épisodes à la clé. Dans cette dernière série, il tournera deux épisodes lui-même, donnera l’occasion à plusieurs réalisateurs de renom d’intervenir, comme José Giovanni – deux épisodes – Yves Boisset, et même à Jean-Luc Godard pour un épisode adapté de James Hadley Chase avec Jean-Pierre Mocky comme acteur ! Il s’attaquera aussi à Simenon, pour 13 épisodes. Au cinéma il avait tenté l’aventure en mêlant comédie et film noir. Ça donnera deux films avec Eddie Constantine, et un autre film, Cent briques et des tuiles avec Jean-Claude Brialy et Marie Laforêt adaptant encore un roman de Série noire de Clarence Weff. Mais si on regarde de plus près, en réalité, L’empire de la nuit est très semblable dans sa tonalité et dans son intrigue aux Tontons flingueurs de Lautner qui sortira l’année suivante. Je ne sait pas si les scénaristes de Lautner se sont inspiré de ce film, mais en tous les cas l’idée de réaliser des parodies de films noirs était tout à fait dans l’air du temps. 

    L’empire de la nuit, Pierre Grimblat, 1962 

    Les frères Balkis prétendent prendre le contrôle de l’empire de la nuit 

    Eddie Parker et son ami Sim sont des artistes de music-hall sur le déclin. Obligés de quitter les Etats-Unis, ils trouvent opportunément un contrat de David Balkis, l’empereur de la nuit qui possède plusieurs établissements à Paris. Mais à leur arrivée en France, ils apprennent que celui-ci est décédé. Forts de leur contrat, ils rentrent en contact avec les trois frères de Balkis qui en vérité veulent dépouiller la veuve de l’empereur de la nuit. Eddie intervient pour la défendre. Dès lors, Eddie et Sim vont rejoindre la cité des artistes, une résidence que David Balkis avait faite construire. On y trouve de tout, du magicien à l’acrobate en passant par les hercules de foire. Rapidement Eddie et Sim sont adoptés. Eddie rencontre alors la jeune Juliette qui est très attirée par lui. Les frères Balkis n’en restent pas là, terrorisant les pensionnaires de la maison des artistes, ils veulent faire signer à Geneviève, avec la complicité de l’ancien comptable de David,  la veuve, un document qui leur abandonnerait la direction des cabarets. Les frères Balkis envoie leur gorille armé d’un fouet pour remettre de l’ordre dans cette cité des artistes, mais le gorille va être défait par Eddie. N’arrivant à rien, les frères Balkis décident d’enlever l’enfant de Geneviève pour la faire céder. Eddie retrouve l’enfant. Cependant, le retour inattendu de David Balkis qui n’est pas mort, change les perspectives. Il donne ses ordres à ses frères, avant de repartir mourir dans un lieu tenu secret, qui décident hypocritement de tuer Geneviève. Mais le plus jeune des frères Balkis, Gaspard, est tué en faisant une mauvaise chute en affrontant Eddie. Tout le monde va se retrouver au Gay Paris, alors que le spectacle démarre, Eddie et Sim, aidés par les personnes de la cité des Artistes, vont affronter les frères Balkis et leurs sbires. Ils sortiront vainqueurs, mais ils repartiront, Eddie ne voulant pas choisir entre Geneviève et Juliette.

    L’empire de la nuit, Pierre Grimblat, 1962 

    Eddie et Geneviève se retrouve dans une étrange pièce 

    C’est un scénario assez paresseux qui vise ouvertement la parodie du film noir. Frédéric Dard est soupçonné d’avoir écrit le scénario d’un autre film d’Eddie Constantine, Ça va barder de John Berry, dont le Fleuve Noir avait publié la novellisation. On n’en a pas la preuve formelle cependant. Mais en tous les cas, il y a une proximité évidente entre l’univers d’Eddie Constantine et celui de San-Antonio. La légèreté, un certain sens de l’humour, l’action et son prolongement dans le rôle du séducteur qui attire toutes les filles qui passent à sa proximité. Du reste chaque fois qu’Eddie Constantine s’est écarté de la légèreté, ça n’a pas été un succès, voir par exemple le fiasco du film de Jean-Luc Godard, Alphaville. Eddie Constantine à cette époque développait une image d’homme généreux, par exemple en mettant dans ses films toujours des enfants qu’il protégeait de gangsters sans foi, ni loi. Mais dans ce film il y a autre chose de très personnel à Frédéric Dard, l’amour qu’il portait aux artistes de music-hall et du cirque. C’est un thème qui revient plusieurs fois sous la plume de Frédéric Dard, sous différentes signatures d’ailleurs. La femme à barbe lui plaisait beaucoup ! 

    L’empire de la nuit, Pierre Grimblat, 1962 

    Eddie arrive dans la Maison des artistes 

    Le sujet est donc Eddie appuyé par son ami Sim, qui défend la veuve et l’orphelin, c’est le cas de le dire. Mais en même temps qu’il est attiré par la superbe veuve, il a aussi la volonté de séduire la jeune Juliette ! C’est donc bien une histoire de trio amoureux. Incapable de choisir, il renoncera à ses désirs sexuels et préférera se retirer de la scène. Par définition Eddie est un raté, c’est le contraire des frères Balkis qui accumulent l’argent et les femmes ! menant une vie errante, il n’a aucune ambition autre que celle de servir la justice, du moins ce qu’il entend par la justice. Il préférera la camaraderie d’un noir à l’idée de se fixer avec une femme. Derrière cette histoire, on trouve encore un autre thème, celui de l’opposition entre l’individualiste Eddie Parker et la communauté des artistes qui va agir sous sa direction d’une manière collective. Dès lors nous avons deux collectivités : celle des truands bas du front qui ne vivent que de leur propre méchanceté, et celle des artistes, des rêveurs quoi restent obnubilés par leur numéro qu’il perfectionne . 

    L’empire de la nuit, Pierre Grimblat, 1962 

    Le gorille des frères Balkis manie le fouet 

    On pourra y voir aussi une critique de la famille, les frères Balkis sont fourbes et se trahissent entre eux. Mais la veuve Geneviève n’est guère plus claire, que faisait elle avec son mari ? Elle dira, c’était un bon mari, mais c’est la formule d’usage pour décrire une relation où l’amour n’a pas sa place. Les gens du milieu sont représentés comme des demeurés, comme si leur seul talent était celui d’utiliser la violence. On aura droit au portrait du plus jeune des Balkis qui court dans les couloirs après Juliette, et qu’il faut enchaîné car il ne se maitrise pas. Les trois frères sont Gaspard, Melchior et Balthazar, des rois mages tellement modernes qu’ils menacent physiquement l’enfant auquel ils n’apportent pas de cadeaux ! Mais quand Eddie refuse de choisir entre les deux femmes, il refuse la famille comme une contrainte à porter, trop lourde pour lui. 

    L’empire de la nuit, Pierre Grimblat, 1962 

    On vient d’annoncer à Geneviève que son fils a été enlevé 

    La tonalité de l’ensemble est la caricature, comme le sera Les tontons flingueurs. Mais Frédéric Dard s’était déjà avancé sur ce terrain, avec La bande à papa, un film de Guy Lefranc, tourné en 1956, avec Fernand Raynaud et Louis de Funès. La veuve faussement éplorée est belle et séduisante, les gangsters sont affreux, on en verra qui évidemment parlent avec un accent corse à couper au couteau. Le comptable est véreux. Mais Eddie est aussi une caricature qui va rencontrer sa propre caricature sur laquelle on s’est exercé à faire des cartons ! Cette image fantaisiste le renvoie à sa propre dérision. Malgré la supposée gravité de la situation, il n’y a nulle crainte, et on verra très peu de morts, c’est à peine si les frères Balkis seront occis.  

    L’empire de la nuit, Pierre Grimblat, 1962 

    Les hommes de main des Balkis investissent la Maison des artistes 

    La mise en scène avait étonné à cette époque, saluée par la critique pour sa vivacité. Car Pierre Grimblat venait du milieu des films publicitaires qui ne s’accommodent pas des rythmes lents. La photographie est excellente, elle est due à Michel Kelber, prestigieux photographe dont la très longue carrière l’amènera à côtoyer aussi bien Julien Duvivier que Robert Siodmak ou Claude Autant-Lara. L’utilisation de l’écran large, 2,35:1, donne beaucoup de champ, et quelque chose de moderne dans la conduite du récit. Les bagarres sont assez platement filmées, mais il y a quelques scènes très intéressantes, la poursuite de Juliette dans les couloirs, ou encore quand Eddie grimpe dans les cintres pour agrafer Melchior. 

    L’empire de la nuit, Pierre Grimblat, 1962 

    Gaspard poursuit Juliette dans les couloirs 

    Ce côté farceur va être renforcé par la présence d’Eddie Constantine qui fait comme à son ordinaire du Eddie Constantine. Cet acteur souriant venait du music-hall, on le verra ici dans l’ébauche d’un numéro de music-hall avec Harold Nicholas, chanteur et danseur de claquettes. Cet aspect décontracté permet d’éviter de se poser la question de leur qualité de jeu d’acteur. Évidemment si vous n’aimez pas l’acteur, vous n’aimerez pas le film. dans la distribution, il faut remarquer Elga Andersen dans le rôle de la veuve éplorée, une actrice sculpturale, qui rata complètement sa carrière à cause d’une vie absolument dissolue. Geneviève Grad incarne la jeune Juliette dans son innocence, elle trouvera le chemin du succès aux côtés de Louis de Funès dans la série du Gendarme de Saint-Tropez en incarnant la fille Cruchot. Le trio des frères Balkis, les affreux est incarné mollement par Michel de Ré, une vedette de la télévision et du théâtre de l’époque, il est Melchior. Claude Cerval un habitué des polars fauchés et des pornos soft à la José Bénazéraf, incarne Balthazar, à sa manière paresseuse qui faisait merveille dans le rôle d’une crapule. Plus inattendu est Guy Bedos dans le rôle de Gaspard, l’obsédé criminel et sexuel qu’il faut tenir en laisse pour éviter les dérapages. 

    L’empire de la nuit, Pierre Grimblat, 1962 

    Le retour de David Balkis est surprenante 

    L’ensemble est un film noir parodique qui donne une idée décalée de ce qu’était la France du début des années soixante, alors qu’elle commençait à sortir de la misère et de la Guerre d’Algérie. Le film n’a eu qu’un succès tronqué pour les raisons que j’ai dite ci-dessus, mais enfin, en France il a passé le million cent milles de spectateurs et il s’est bien vendu en Espagne et en Allemagne. C’est tout de même intéressant qu’il soit de nouveau accessible, aussi bien pour les fans d’Eddie Constantine que pour ceux de Frédéric Dard, et les nostalgiques de la France des années soixante. Il est réapparu grâce à la chaîne de VOD TV5Monde qui est gratuite et facile d'accès.

    L’empire de la nuit, Pierre Grimblat, 1962 

    Eddie traque Melchior dans les cintres

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  •  La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967

    Deuxième long métrage de Philippe Fourastié, La bande à Bonnot s’empare d’un sujet dans l’air du temps, d’autant que le film tourné en 1967 ne sortira qu’en 1968 au moment des événements qu’on sait qui ont remis en lumière un courant de pensée politique anarchiste. Evidemment le film a été très critiqué parce que Bonnot et sa bande appartenait à ce courant particulier de l’anarchie qui pronait l’action violente et la reprise individuelle. Daniel Guérin qui à l’époque passait pour le pape de l’anarchie détestait l’idée même de présenter Bonnot et ses copains comme des anarchistes. En vérité derrière cette diatribe, il y avait le fait que lui-même était pour une politique anarchiste quasiment non violente qui passerait par la grève, le syndicalisme et le mouvement de masse. Pour ceux qui voulaient que l’anarchie soit un mouvement politique comme un autre, respectable, c’était dérangeant que des anarchistes prônent l’action violente. C’est un vieux débat politique qui renvoie au fait que, au moment de la mort de Bonnot, en 1912, l’anarchie est déjà un mouvement politique complètement dépassé, les révolutionnaires se tournant de plus en plus vers les syndicats et vers les partis socialistes qui veulent gouverner. Mai 68 cependant en proposera une nouvelle jeunesse. Mais si ce film a une forte raisonnance avec les événements politiques en cours, il faut le resituer dans un courant plus large qui fait qu’à la fin des années soixante, le cinéma va mettre en scène des bandits qui semblent être la subversion fatale du capitalisme, par exemple les films de Paul Newman qui sont d’énormes succès Cool Hand Luke[1] ou Butch Cassidy and the Sundance Kid de George Roy Hill en 1969 ou encore Bonnie and Clyde d’Arthur Penn en 1967. Si dans le cinéma américain il y a toujours eu une tendance anarchisante qui aime à donner une allure politique aux exploits des bandits, en France c’est beaucoup plus rare, on est plus timide. Mais juste un peu avant La bande à Bonnot sort Le voleur, avec une distribution prestigieuse avec Jean-Paul Belmondo en tête. Adapté de l’ouvrage de Georges Darien, c’est sans doute le meilleur film de Louis Malle. Le film aura un bon succès. L’ambiance est un peu la même dans les deux films. 

    La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967

    Raymond la Science tente de soulever les ouvriers 

    Callemin, dit Raymond-la-science, et quelques amis qui logent tous dans une sorte de phalanstère anarchiste, où se mêlent des illégalistes et des pacifistes, veut passer à l’action. Mais les rapports qu’ils ont avec les ouvriers les déçoivent. Ils se mettent à voler, c’est la reprise individuelle. Un jour alors qu’ils veulent voler une mallette, ils tombent sur Jules Bonnot qui évidemment ne se laisse pas faire, mais qui va les entraîner dans une série d’attaques de banques et d’encaisseurs. Bonnot est un bon mécanicien, et pour commettre leurs forfaits, la bande va utiliser une automobile volée, ce qui leur permet d’être plus rapide que la police qui a toujours un temps de retard sur eux. Mais les hold-ups, les premiers commis en se servant d’une voiture pour s’enfuir sont aussi sanglants. Ce qui va mettre la police en ébulition. Tandis qu’ils sont pourchassés en France, ils se rendent à Bruxelles pour tenter de négocier des titres qu’ils ont volés. Ils n’arrivent pas à faire affaire. On leur donne un rendez-vous dans un cinéma, mais ils ont été vendus, la police les cerne, ils n’arrivent à s’en sortir que de justesse. Ouvrant le feu sur les policiers, ils arrivent jusqu’à la gare où ils prennent un train pour Paris. Callemin en jouant avec son revolver va se blesser accidentellement. Ils doivent se séparer.  

    La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967

    Chez Kilbatchiche on discute des moyens d’action 

    La police les recherche de plus en plus activement. Pour les coincer, ils vont mettre en prison Kilbatchiche et quelques anarchistes. Pendant ce temps Bonnot et sa bande vont continuer leurs exactions, ils volent une nouvelle voiture pour réaliser le hold-up audacieux et sanglant de la Société Générale. Le sous-chef de la Sureté, Louis Jouin, multiplie les assauts. Il va faire craquer une jeune femme qui vit dans le phalanstère et qui va les donner. Le premier à se faire prendre est Soudy, le jeune tuberculeux qui se soigne au bord de la mer. Puis c’est au tour de Callemin. Anna la belge qui assiste à l’arrestation va prévenir le reste de la bande. Mais c’est ensuite Carouy qui est coincé, il se suicide lorsque les policiers l’emmènent, en croquant une pastille de cyanure. Bonnot et Garnier se sont réfugiés à Choisy-le-Roy, chez un garagiste anarchiste. Le procès des anarchistes qui se sont fait coincer va commencer. Callemin et Soudy assument leurs actes, mais ils dédouanent Dieudonné. Les deux premiers seront guillotinés, tandis que Diedonné fera de longues années au bagne de Cayenne. La police pendant ce temps à repérer Bonnot et Garnier. Ils sont cernés par la police. Mais ils se barricadent et vont livrer une bataille féroce contre la police. L’armée est appelée en renfort, la maison est mitraillée. Bonnot abattra même Jouin avant d’être tué de six balles dans le corps. Garnier sera aussi tué en tentant de s’échapper par les toits. 

    La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967

    Bonnot va rencontrer Callemin d’une étrange manière 

    Certes l’histoire est simplifiée, mais il n’y a pas de trop grosses erreurs. Par exemple Carouy ne s’est pas suicidé au moment de son arrestation, mais en prison. La culpabilité de Soudy est aujourd’hui encore discutée. Pécherot dans L’homme à la carabine, laissait entendre qu’il n’avait pas de sans sur les mains[2]. Plus gênant, il y a des anachronismes, Callemin et Bonnot chantant La jeune garde, chanson socialiste, donc non revendiquée par les anarchistes qui trouvent les socialistes trop mous, mais surtout cette chanson est devenue populaire, après la mort des membres de la bande à Bonnot. La reconstitution se voulant fidèle, elle va se heurter aux problèmes généraux qu’on rencontre à ce sujet. Le plus problématique, ce sera les vêtements, en effet, ceux des comédiens sont taillés dans des tissus modernes qui ont un apprêt qui n’a rien à voir avec les vêtements mous et toujours un peu froissés de l’époque. Pour les coiffures, c’est un peu pareil. Pour le reste, les lieux sont bien choisis, et les voitures sont d’époque, les décors sont minutieusement utilisés. Malgré les difficultés, la reconstitution est assez réussie. Il y a bien le parfum d’une époque. 

    La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967 

    Le premier hold-up en voiture est sanglant 

    Contrairement à ce qu’ont prétendu certains anarchistes comme Daniel Guérin, on ne ressent pas du tout d'un mépris pour cette bande qui semble d’abord se souder autour d’une exaspération commune. De même Jouin n’est pas caricaturé. En vérité il l’est beaucoup plus dans la série que Canal + a produite, Paris 1900. Je me demande d’ailleurs si l’idée de faire de Jouin le héros d’une série n’est pas venue d’un visionage de La bande à Bonnot. Bien que ce soit un film d’action, c’est une réflexion sur la question des moyens de la révolution sociale. Doit on attendre que les ouvriers aient acquis la conscience de leur force pour agir ? Ou au contraire doit-on agir pour démontrer que le système est vulnérable et donc l’exemplarité de l’action pourrait alors ouvrir la voie à des tem :ps nouveaux ? Ce débat était assez fréquent vers la fin des années soixante. Aujourd’hui il est remplacé par la question du terrorisme. Cependant, derrière l’illégalité de la reprise individuelle, on trouve l’idée de financer la propagande, il y a également le refus de travailler, non pas par fainéantise, mais parce qu’on refuse de se faire exploiter. 

    La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967

    Bonnot et ses amis sont à Bruxelles pour écouler des titres 

    Mais au-delà de cette rhétorique qui guide l’action, il y a une tentative pour décrire un milieu. Kilbatchiche, ce n’est pas dit dans le film, est connu sous le nom de Victor Serge pour les nombreux ouvrages qu’il a écrits. En effet après avoir fait quelques années de prison, consécutivement au procès de la bande à Bonnot, il partit en Russie pour y faire la Révolution de 1917. Lui aussi était passé à l’action d’une autre manière. Bien qu’il se dise alors communiste, il aura les pires ennuis avec le parti  bolchevik, et c’est sur cette expérience qu’il écrivit longuement. Les longues années de prison de Kilbatchiche, le jugement de Dieudonné, s’inscrivaient aussi dans une répression féroce des illégalistes. Qu’ils s’appellent Bonnot, Jacob ou avant eux Ravachol, la presse bourgeoise s’efforçait de les présenter comme de simples bandits cruels, doués pour le mal. Fourastié évidemment tente d’éviter cette caricature. Pour cela il montre assez longuement le rôle que jouent les femmes dans cette aventure, que ce soit Rirette Maîtrejean, Marie la belge ou encore la Vénus rouge qui les trahira. 

    La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967

    Ils ont été donnés à la police 

    Mais si le contexte historique a une importance, on ne doit pas oublier que c’est un film noir. Cette histoire bien réelle est marquée par la fatalité. D’abord parce que ces anarchistes sont tous des en-dehors qui n’ont pas pu trouver leur place dans la société de leur temps. Fichés comme anarchistes, ils trouvent très difficilement du travail. La mécanique du scénario nous fait comprendre rapidement qu’il n’y a pas d’issue. Mais qu’importe. Leur but n’est pas de durer, mais de vivre l’instant. Celui qui représente le mieux cela c’est Callemin. Il n’essaie pas d’échapper à son destin, contrairement à Bonnot. Il se moque de tout, tue gratuitement, je veux dire même quand la nécessité ne l’impose pas, il tue parce que le flic n’est pas dans son camp et qu’il participe à un système. Ont-ils des plaisirs ? Certainement dans l’action. Ils ne tremblent pas. Pour le reste, on les verra bien maladroits dans un boxon de Bruxelles. Les moments de tendresse sont rares, on verra bien Callemin et Marie la belge se parler tendrement, mais ils semblent tous les deux ailleurs, plus préoccupé par leur descente aux enfers que par leur confort et même leur sécurité. 

    La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967

    Le sous-chef de la Sureté, Jouin, tente de faire parler Kilbachiche 

    La mise en scène est plus compliquée qu’on ne pense parce qu’il faut à la fois saisir la dérive sanglante des anarchistes, et l’enquête de la police. C’est assez bien équilibré de ce point de vue. Rapidement on comprend que la machine policière est en route, et que les anarchistes n’ont aucune chance de triompher. Les scènes d’action se multiplient. Les braquages de la bande à Bonnot sont particulièrement bien filmés. Fourastié a fait des progrès depuis Un choix d’assassins. L’attaque de la rue Ordener et le moment où Bonnot fait arrêter une automobile pour la voler, puis quand les anarchistes assassinent le propriétaire du véhicule, sont deux scènes remarquables qui saisissent aussi bien la profondeur de champ que le mouvement en choisissant des angles de prises de vue légèrement plongeant. Ça donne une dimension spatiale qui se marie très bien avec les décors. J’aime beaucoup la séance de cinéma qui aurait pu être fatale à la bande. D’abord parce qu’elle représente un film dans le film, et dans cette mise en abime, il y a bien sûr une interrogation sur ce que montre réellement un film. Mais cette scène voit les policiers plutôt nombreux investir le café où le film est projeté, et là Bonnot déclenche la panique, en tirant de bas en haut, façon Horde sauvage. Le montage est très serré, ce qui accroît un peu plus la vitesse. Fourastié est resté tout de même sobre dans la mise en scène de l’assaut contre la maison de Choisy-le-Roy.  

    La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967

    Ils abattent froidement un bourgeois à qui ils viennent de voler une voiture 

    L’interprétation est plutôt cossue. Bruno Cremer incarne Bonnot. Ce qui est un peu curieux, parce que Bonnot faisait à peine un mètre cinquante-neuf. Et  effet, les pauvres de ce temps là étaient plutôt petits de taille, alors que Bruno Cremer était un solide gaillard qui dépassait les un mètre quatre-vingts. Bonnot avait l’air bien plus doux que Cremer ! Un visage d’ange. Cependant, Bruno Cremer était un excellent acteur, et il le prouve encore ici. Jacques Brel est Callemin, dit Raymond-la science. C’était à l’époque une personnalité très appréciée, il venait de s’extraire du monde de la chanson où il avait triomphé, et cherchait sa voie au cinéma où, à mon sens, il n’a pas très bien réussi. Il en fait un peu trop dans l’ironie. On ne peut pas dire qu’il plombe le film, mais enfin, il n’apporte pas grand-chose. Annie Girardot incarne Marie la belge, plutôt discrètement, son rôle est d’ailleurs assez étroit. A cette époque elle était vraiment une grande vedette. Jean-Pierre Kalfon est un peu trop nonchalant dans le rôle de Garnier. Je trouve plus remarquables Armand Mestral dans le rôle de Jouin, et aussi Dominique Collignon-Maurel dans celui de Soudy.

     

    La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967 

    Soudy est arrêté au bord de la mer 

    Sorti au mois d’octobre 1968, il tombait bien avec toute l’agitation révolutionnaire qu’on connaissait. Joe Dassin avait eu la même année un grand succès avec une chanson sur la bande à Bonnot. Il y avait donc une certaine sympathie pour « les bandits tragiques »  Cependant, si le public fit un très bon accueil au film de Fourastie, la critique qui le trouvait un peu trop académique dans la forme le dédaigna. Fourastié retravaillait avec Alain Levent, mais cette fois la photographie est très bonne ! Dans l’ensemble c’est un film intéressant et à voir. Ce fut le dernier long métrage de Fourastié, et c’est dommage. 

    La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967 

    Callemin est pris à son tour 

    La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967

    Lors de son procès, Callemin ne renie rien 

    La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967 

    La maison de Choisy-le-Roy est cernée 

    La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967 

    Le  vrai Jules Bonnot

    La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967 

    Le vrai Raymond Callemin


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/luke-la-main-froide-cool-hand-luke-stuart-rosenberg-1967-a130955764

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/patrick-pecherot-l-homme-a-la-carabine-gallimard-2011-a114845180

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  •  Un choix d’assassins, Philippe Fourastie, 1967

    Les carrières dans le domaine artistique sont soumises à des aléas assez étranges, et particulièrement dans le cinéma. Philippe Fourastié est un réalisateur oublié. Il est vrai qu’il n’a fait que deux films et qu’une renommée s’installe dans la durée. Si Un choix d’assassins n’a pas eu de succès, La bande à Bonnot, son second film sorti en 1968, avec une distribution prestigieuse, avait connu un assez bon succès critique et le public avait suivi. Ayant des difficultés à financer ses projets, dont une vie de Saint-François d’Assise avec Léo Ferré[1] ! Philippe Fourastié se tourna vers la télévision où il mit en scène une série consacrée à Mandrin, confirmant ses tendances anarchistes puisqu’il faisait de Mandrin un héros de la cause du peuple, série qui avait été très bien reçue d’ailleurs. En dehors des difficultés à monter les projets qui l’intéressait, il fut la victime d’une maladie qui l’emporta vers la quarantaine, c’est-à-dire sans avoir pu donner le meilleur de lui-même. Il avait appris le métier sur le tas, devenant l’assistant réalisateur de Pierre Schoendoerffer sur La 317ème section puis sur Objectif 500 millions. Il travailla aussi pour Godard et pour Robert Enrico, pour Jacques Rivette sur La religieuse. Ce qui donne une idée de l’univers sur lequel il s’est construit, en marge de la Nouvelle Vague. Un choix d’assassins sera d’ailleurs produit par Georges de Beauregard, producteur qui a lancé Godard et quelques autres.  Pour son premier film il choisit d’adapter un roman de la série noire, A choice of assassins. William P. McGivern en était l’auteur. C’est un auteur de romans noirs de première catégorie, adapté avec succès par des réalisateurs comme Robert Wise pour Odds against Tommorow[2], ou Fritz Lang pour The Big Heat[3]. D’autres films moins connus adaptés de ses romans valent vraiment le détour, Shield for murder d’Edmond O’Brien[4], ou encore l’excellent Rogue Cop de Roy Rowland[5]. J’ai déjà parlé de tous ces films qui sont tous très bons. Ils dessinent un univers particulièrement désespéré. L’ouvrage qui a servi de base au scénario situe l’action en Espagne, ce qui est plutôt rare pour William P. McGivern, et c’est ce qui facilite la transposition au Maroc. Cependant une dimension a disparu par rapport au livre, c’est la politique. L’ouvrage de McGivern parle de l’Espagne franquiste, et donc le commissaire passe plus de temps à faire semblant de surveiller les populations plutôt qu’à enquêter sur quoi que ce soit.      

    Un choix d’assassins, Philippe Fourastie, 1967 

    Stéphane est un dessinateur de bandes dessinées – il fait Lucky Luke – mais sa femme et sa fille sont mortes dans un accident d’automobile au Maroc. Désespéré, il noie son chagrin dans l’alcool. Sur la voie de la clochardisation accélérée, il commence par rencontrer une petite fille, Jennifer, sur la plage de Tanger. Mais dans un bar il va faire la connaissance d’un trafiquant, chef de bande, Domenico. Celui-ci lui paie un verre en échange d’un meurtre qu’il doit commettre. Entre deux saouleries, il va se rapprocher de Tani, une jeune femme qui travaille en réalité pour la police. Cependant la mère de Jennifer, s’est acoquinée avec un autre trafiquant d’armes, Tonio, qui se trouve en rivalité avec Domenico. Celui-ci en vérité travaille pour celui qui chapeaute les livraisons d’armes, très riche, Quesada. Domenico va demandé finalement à Stéphane de tuer le commissaire. Stéphane apprend que la mère de Jennifer a été assassinée comme son compagnon Tonio par la bande de Domenico. Mais Stéphane va au contraire tuer finalement Domenico, se libérant ainsi de sa tutelle, alors même que les trafiquants s’apprêtent à décharger les armes. Il partira ensuite avec la petite Jennifer à Lausanne et reprendra sans doute son travail de dessinateur de Lucky Luke.  

    Un choix d’assassins, Philippe Fourastie, 1967 

    Stéphane fait la connaissance de Jennifer sur la plage 

    L’intention de Philippe Fourastié semble d’avoir voulu dépasser le cadre codifié du film noir. Deux éléments vont dans ce sens, d’abord le personnage de Jennifer, une petite fille qui représente à la fois l’innocence et la conscience, deux choses qui ne sont pas l’apanage de Stéphane, dessinateur désespéré et alcoolique. Ensuite, il y a cette idée d’un pacte faustien avec Domenico. Le désespoir ayant amené Stéphane au-delà de la morale et de la crainte de mourir, il est prêt à faire n’importe quoi pour un verre d’alcool. Ce choix suicidaire va pourtant être remis en question par une somme de hasards qui le transformeront sans qu’il le veuille vraiment. Autrement dit il va renaitre. Et principalement à cause des femmes si on peut dire, d’abord de Tina avec qui il redécouvre une vie amoureuse, et ensuite de Jennifer dont il accepte d’endosser la paternité. En Jennifer Stéphane se reconnait, elle est réveuse et réinvente une vie qui ne la satisfait pas. Jetant son dévolu sur le dessinateur, elle en fait son père d’élection et en cela elle lui offre une renaissance. Tous les deux vont évoluer dans un univers où le rêve et le cauchemar font bon ménage. Ils traversent les drames qui se jouent autour d’eux, comme si cela ne les concernait pas. C’est cette forme d’en dehors qui rend l’histoire intéressante, l’intrigue policière étant réduite à sa plus simple expression. 

    Un choix d’assassins, Philippe Fourastie, 1967

    Il n’arrivera pas à prendre le train 

    Fourastié a choisi de tourner au Maroc, et plus particulièrement à Tanger. C’est une ville présentée longtemps dans l’imaginaire français comme la ville de tous les trafics. C’est d’ailleurs encore le cas aujourd’hui, puisque c’est une des plaques tournantes du commerce de la drogue, haschich et même cocaïne. Mais ce fut longtemps celui du trafic de cigarettes et d’armes bien entendu. C’est cependant qu’une sorte de décor à peine esquissé pour décrire le désarroi de Stéphane. Du reste les trafiquants de la bande de Domenico sont particulièrement grotesques. Ce sont des sortes de Pieds Nickelés. Certes, ils tuent aussi et c’est bien dommage parce que sans cela ils seraient plutôt sympathiques. On a l’impression qu’ils jouent aux gendarmes et aux voleurs et que rien d’autre n’a vraiment d’importance. Cependant Fourastié a un peu de mal à trouver la bonne distance. Cela fait penser un peu à La course du lièvre à travers les champs, cette promiscuité entre Stéphane qui se fait piéger par ses paris idiots et une bande de gangsters qui suit de objectifs de grandeurs qu’elle a du mal à atteindre. Mais Fourastié n’est pas René Clément, et son scénario est bien moins travaillé. Il hésite tout le long entre une voie rêveuse et fantaisiste et une sorte de naturalisme polardeux un peu fané. 

    Un choix d’assassins, Philippe Fourastie, 1967 

    Le commissaire lui annonce la mort de sa femme et de sa fille 

    Je l’ai dit en commençant, cela fait plus penser à David Goodis qu’à William P. McGivern, parce qu’en général ce dernier s’il se place sous le signe de la fatalité, ses héros recèlent tout de même une certaine dose d’optimisme, même s’ils se dirigent vers l’abime. Cependant Fourastié ne va pas jusqu’au bout de son propos. En effet le film part sur l’idée d’un homme suicidaire qui se moque bien de mourir et qui trouve assez drôle de jouer avec le feu. Mais bientôt on bifurque sur l’idée d’une quête de rachat. La deuxième partie c’est la longue marche vers la rédemption. Si au début il se moque de la petite Jennifer, celle-ci va le remettre dans les pas d’une morale tout à fait ordinaire. On passe du noir au rose en quelque sorte ! Pouvait-il faire autre chose dans un premier film manifestement fauché ? Ce déséquilibre fait que dans un premier temps on a un film noir, et dans un second une simple enquête policière. 

    Un choix d’assassins, Philippe Fourastie, 1967

    Dans un bar, Stéphane fait un étrange marché 

    Ces hésitations vont marquer la mise en scène. On pourrait dire que la première partie n’est pas assez cauchemardesque et que dans la seconde la dynamique de l’action est négligée. Par exemple lorsque Domenico et son gang vont récupérer les armes sur la plage, il n’y a aucune tension, ça se déroule en deux temps, trois mouvements, alors qu’il y avait tout à fait matière à soutenir l’attention du spectateur en dramatisant l’urgence du débarquement en même temps que les menaces qui vont peser sur Domenico. Il hésite donc entre un ton Nouvelle Vague adapté au budget, et une forme plus traditionnelle du thriller ou du film noir. Certains personnages sont à peine esquissés, c’est le cas de Tina, on ne comprend comment avec cet immense chagrin que Stéphane dit trimballer, il tombe  si facilement amoureux, et à l’inverse on ne voit pas très ce qui attire Tina chez Stéphane. Est-ce sa faiblesse ? Est-ce seulement de l’opportunisme ? Fourastié fait comme si Stéphane n’était pas amoureux de cette femme, comme si elle n’avait pas d’importance, mais c’est contradictoire avec l’œuvre de rédemption qu’il poursuit, et aussi le fait qu’il va être motivé pour tuer Domenico. 

    Un choix d’assassins, Philippe Fourastie, 1967

    Stéphane défie Scarlati 

    En tournant dans des décors naturels, avec une caméra très mobile, souvent portée à l’épaule, Fourastié tente de donner du corps à l’intrigue avec cet exotisme ensoleillé. Mais c’est assez maladroit, et on n’arrive pas à sentir vraiment qu’il fait si chaud au Maroc ! La photo ne rend pas bien compte de cette particularité, sans doute cela vient aussi de la volonté de filmer avec des plans plutôt resserrés. Le film manque d’ampleur visuelle. Elle est signée Alain Levent qu’on a connu mieux inspiré. La fête n’est pas très mal filmée, il y a de bons mouvements, mais elle reste sombre, et manque d’éclairage. Fourastié s’essaie à des figures traditionnelles du film noir américain. C’est typique des scènes autour du billard, avec les éclairages par en dessus, mais également avec cette scène très rajoutée de Stéphane courant après le train qu’il va manquer, comme s’il ne pouvait s’enfuir ! 

    Un choix d’assassins, Philippe Fourastie, 1967 

    Tani veut que Stéphane lui donne des renseignements 

    La distribution est évidemment faible. Le budget est très étroit, et c’est une coproduction franco-italienne, donc on n’aura pas du premier choix. Bernard Noël incarne Stéphane. Il passe totalement à côté du sujet, se contentant de réciter son texte comme on le lui a appris au théâtre d’où il venait, certes il avait une bonne diction et une belle voix, mais au cinéma cela ne suffit pas. C’était un acteur qui avait fait aussi beaucoup de télévision, célèbre pour son interprétation de Vidocq sans la série éponyme. Corinne Armand porte le rôle difficile de la petite Jennifer. Pourtant déjà habituée des plateaux cinématographiques, elle a du mal avec son corps et manque de naturel dans ses déplacements. Mais je suppose que ses tâches de rousseur étaient jugées suffisamment photogéniques. Les personnages féminins sont très sacrifiés. Duda Cavalcanti n’a fait que passer au cinéma. Elle était dotée d’un bon physique, mais c’est tout. Elle incarne mornement Tina, celle qui renseigne la police et qui semble être amoureuse de Stéphane. Manuela Oppen a un tout petit rôle, celui de la mère de Jennifer. 

    Un choix d’assassins, Philippe Fourastie, 1967

    Domenico veut que Stéphane tue Paco 

    Les seconds rôles masculins sont mieux dotés. Guido Alberti est plutôt bon dans le rôle du cruel Domenico, il était plus souvent habitué à des rôles de lâches ou de traitre. Il est solide. Comme Robert Dalban qui incarne ici le commissaire avec aisance. Son rôle est des plus courts, mais on ne voit que lui. Mario David, un ancien du Grand Guignol, qui jouait toujours les hommes de main, est Scarlati. Il passe. Marcel Lupovici plus habitué au théâtre qu’au cinéma, est très bon dans le rôle de Quesada. Ce qui nous fait regretter qu’on ne l’ait pas utilisé plus abondamment dans les films noirs français. 

    Un choix d’assassins, Philippe Fourastie, 1967

    Après la mort de Catherine, Stéphane doit s’occuper de Jennifer 

    Globalement c’est un film raté, certes c’est un premier film et malheureusement Philippe Fourastié n’aura plus beaucoup d’occasion de briller. Il va pourtant y arriver en se lançant dans un projet plus ambitieux, mieux doté, et surtout en disposant d’un panel de vedettes de qualité. Il va démontrer qu’il a su tirer les leçons de ce premier échec. 

    Un choix d’assassins, Philippe Fourastie, 1967

    Quesada propose un autre échange avec Stéphane 

    A sa sortie, le film est complètement passé inaperçu, mais Gaumont l’a récemment réédité en DVD, en 2016, dans une copie de très mauvaise qualité. Mais bon c’est tout ce qu’on a, et puis nous devons bien continuer à explorer le film noir dans sa dimension française. 

    Un choix d’assassins, Philippe Fourastie, 1967

    Stéphane va tuer Domenico 

    Un choix d’assassins, Philippe Fourastie, 1967

    Stéphane a tiré un carré d’as


    [1] Le scénario aurait été écrit avec Maurice Frot, un écrivain anarchiste qui avait connu un bon succès critique avec Le Roi des rats, publié chez Gallimard en 1965.

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/odds-against-tommorow-le-coup-de-l-escalier-robert-wise-1959-a114844916

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/reglement-de-comptes-the-big-heat-frtiz-lang-1953-a119389638

    [4] http://alexandreclement.eklablog.com/le-bouclier-du-crime-shield-for-murder-edmond-o-brien-howard-w-koch-19-a131740442

    [5] http://alexandreclement.eklablog.com/sur-la-trace-du-crime-rogue-cop-roy-roland-1954-a114844802

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  •  Young Adam, David McKenzie, 2003

    C’est un vieux projet qui date des années cinquante. Young Adam est le premier roman d’Alexander Trocchi qui sortira sous son nom, après avoir été publié une première fois sous le pseudonyme de Frances Lengel. Ce nom d’auteur lui servait à écrire des romans pornographiques qui lui permettaient de se payer des doses d’héroïne pour se shooter. Trocchi, peu connu en France, était dans le monde anglo-saxon un des héros de la beat generation, avec William Burroughs et Allen Ginsberg. Cet écossais héroïnomane d’origine plus ou moins italienne, qui avait vécu aussi en France où il travaillait à des traductions, s’était exilé aux Etats-Unis, à New York. Et là il acquit rapidement une notoriété importante dans ce milieu marginal où la poésie et la délinquance faisaient bon ménage. Il participait aussi à des happenings et autres représentations underground. Mais si tout le monde s’accordait sur les qualités de son roman, le projet de le porter à l’écran fut plusieurs fois repoussé aussi bien pour des question de censure que de financement. Entre temps le roman avait fait son chemin, il fut réédité plusieurs fois sous le nom d’Alexander Trocchi un peu partout dans le monde, puis traduit en français. La première traduction parut chez Buchet Chastel fut l’œuvre d’un grand spécialiste de la littérature américaine moderne et rageuse, Bernard Willerval, qui avait traduit Henri Miller, Salinger, Fitzgerald et j’en passe. Plus récemment, c’est Serge Quadruppani qui en a donné une nouvelle version chez Métaillé. Les raisons de cette nouvelle traduction me sont inconnues, mais Quadruppani qui fut le traducteur attitré d’Andrea Camilleri, écrit aussi des romans noirs. Le réalisateur David Mackenzie est assez peu connu en France, sauf pour le film Comancheria, un bon film noir ou néo-noir avec Jeff Bridges[1]. C’est un cinéaste britannique qui n'a pas validé jusqu’ici les espoirs qu’on avait mis en lui mais qui a acquis une réputation de savoir-faire. 

    Young Adam, David McKenzie, 2003 

    Joe et Leslie travaillent sur une péniche et cohabitent avec Ella, la femme de Leslie, et leur petit garçon, Jim. Un jour, ils découvrent le cadavre d’une jeune fille qui flotte dans la rivière. Ils le sortent de l’eau. Cette découverte va amener Joe à désirer Ella. Rapidement celle-ci qui n’est pas satisfaite de son mari impuissant, va répondre à ses avances. Si au début c’est Joe qui a l’initiative, bientôt c’est Ella qui ne pense plus qu’à ça. Un jour c’est Joe qui sauve Jim de la noyade. Mais Joe se remémore sa liaison avec la jeune Cathy qui est en réalité la jeune morte. Il laisse entendre que la mort de celle-ci a été complètement accidentelle. Mais il ne veut pas se dénoncer parce qu’il craint d’être pendu. Peu de temps après, Leslie comprend que sa femme le trompe avec Joe et il décide de partir, notamment parce que la péniche appartient à Ella. Celle-ci se sent libérer et pense à obtenir le divorce pour se marier avec Joe. Mais il élude cette proposition. La sœur d’Ella, Gwen, lui écrit que son mari est mort écrasé par un bus en sortant de son camion. Ils décident d’aller la voir. Elle s’arrange pour que sa sœur vienne avec eux sur la péniche. Mais Gwen qui est un peu pute, méprise sa sœur et drague ouvertement, quoique sans passion Joe. Rapidement Joe va quitter Ella et la péniche. il va retrouver un logement où la femme du propriétaire lui offre en sus du gîte, son lit pendant que le mari travaille de nuit. Mais tout au long Joe se rappelle Cathy, et notamment sa liaison avec elle qui fut émaillée de batailles, à un moment où il avait décidé de se mettre à écrire un roman. Parallèlement il s’intéresse au procès d’un certain Gordon qui a eu le malheur de fréquenter d’un peu trop près la malheureuse Cathy. Il craint que celui-ci ne soit condamné à être pendu. Leslie sera appelé à témoigner puisqu’il avait découvert le corps. Voyant les choses s’envenimer, Joe décide d’écrire une lettre au juge pour disculper Gordon, sans toutefois se dénoncer. Gordon sera condamné à la pendaison, et Joe reprendra son errance. 

    Young Adam, David McKenzie, 2003

    Joe et Leslie repêchent le cadavre d’une jeune femme 

    Le film est assez fidèle au livre, mais plusieurs éléments vont en édulcorer le message. Joe est un homme cynique qui prend son plaisir immédiat où il le trouve sans se soucier de qui que ce soit. Or on le voit dans le film sauver le petit Jim. Cet épisode est rajouté et ne correspond pas à l’esprit du livre de Trocchi. Il est destiné à adoucir le caractère de Joe qui passe son temps à nous dire qu’il déteste les enfants, et donc cela affaiblit le film. Autre épisode rajouté qui n’apporte strictement rien, c’est le moment où on comprend qu’Ella met son fils en pension, alors que dans l’ouvrage, il reste avec eux tout le long. D’autres petites fautes sont à relever. Par exemple nous verrons à la fête foraine, Leslie retrouver un ancien copain d’origine africaine. Or l’action se passant au début des années cinquante en Ecosse cela parait d’autant plus incongru que Trocchi ne fait jamais allusion à la race. C’est sans doute un clin d’œil à cette détestable maniaquerie qui consiste aujourd’hui à mettre des personnages originaires d’Afrique dans n’importe quel film, même si ça ne fait pas progresser l’histoire d’un iota. Le plus ennuyeux n’est pourtant pas là, mais dans le fait que le roman est écrit à la première personne, un peu comme une confession. Ce qui fait que la culpabilité de Joe n’apparait que très tardivement dans le récit. C’est d’autant plus important que Joe indique, dans le roman, qu’il s’agit d’un accident, avec des explications emberlificotées qui n’en sont pas vraiment. Mais peut-on lui faire confiance ? Il vient en effet à l’idée du lecteur que Joe a bel et bien poussé Cathy dans la rivière sachant qu’elle ne savait pas nager Et justement cet aspect intéressant, type du film noir a disparu dans l’adaptation de Mackenzie. C’est une faute majeure que de supposer que Joe soit innocent. L’ambiguïté aurait dû prévaloir à mon sens.  

    Young Adam, David McKenzie, 2003

    Avec leur péniche, ils transportent du charbon 

    Ces erreurs de perspective font sortir le film du cadre du film noir. Et cela va amener Mackenzie à s’appliquer à montrer des scènes de sexe, qui si elles existent dans le roman, sont ici survalorisées et répétitives. C’est dommage car le roman était un solide roman noir, même si les trois parties étaient un peu trop déséquilibrées. Cependant il reste autre chose dans le film. D’abord l’idée de la péniche. Elle est présente d’ailleurs dans Caïn’s book aussi, l’autre roman de Trocchi traduit en français. La péniche qu’on trouve aussi évidemment chez Simenon, représente chez Trocchi un idéal de fluidité de la vie. Cette image de l’écoulement du temps, au fil de l’eau, est celle de l’irréversibilité. La péniche donne l’allure de la lenteur à toute cette histoire, des personnages qui dérive dans des décors qui ne les concernent pas. Si le livre de Trocchi était fondé sur le désir et l’absence de morale, Mackenzie n’arrive pas à rendre cette moiteur des sentiments. Car ces personnages qui se précipitent les uns contre les autres dans une lutte obscure, ne sont pas pénétré par la passion ni un sentiment amoureux. Le personnage de Gwen est d’ailleurs emblématique, elle baise avec Joe parce qu’il faut bien le faire, mais elle s’en fout, elle lui demande de se dépêcher, elle n’a pas que ça à faire. Le sexe est un combat ! 

    Young Adam, David McKenzie, 2003 

    Joe prétexte un mal de tête pour ne pas jouer aux fléchettes 

    Toute l’intrigue repose sur la façon dont Joe s’y prendra pour éviter non seulement la pendaison, mais surtout la culpabilité. S’il écrit au juge, ce n’est pas tellement pour sauver Gordon, mais plutôt pour se dire à lui-même qu’il a fait tout ce qu’il fallait. Parmi les excellents aspects du film, il y a la description d’une classe de prolétaires qui cherchent à éviter la punition du travail. Ce sont les années cinquante, avec des rites et des loisirs particuliers, la boisson, le pub, la fête foraine. La vie s’écoule mornement, dans la pauvreté et la promiscuité qui va avec. Et cela suffit à expliquer pourquoi ils sont tous en quête d’un ailleurs que bien sûr ils ne trouveront pas. Mais le personnage de Joe va un peu au-delà, parce qu’il veut aussi échapper à la tyrannie des femmes et des rapports sexuels. Ceux-ci sont une sorte combat permanent qui va des insultes aux coups. Les femmes recherchant une sécurité que les hommes ne peuvent leur donner sans se suicider eux-mêmes. Leslie en est devenu impuissant et  passera le relais. Pour l’instant Joe tient le coup, mais c’est parce qu’il est encore jeune. C’est pourquoi la fable selon laquelle Joe a tué accidentellement Cathy ne tient pas debout, ou du moins elle est illogique. 

    Young Adam, David McKenzie, 2003 

    Joe a sauvé Jim de la noyade 

    Un aspect assez peu remarqué dans ce film, c’est qu’il est un plaidoyer contre la peine de mort, puisque Gordon qui n’a rien fait sera finalement pendu, mais contre une justice aveugle parce qu’elle joue sur les sentiments de la population plus que sur les preuves matérielles de la culpabilité du suspect. En filigrane, il y a bien l’idée qu’il s’agit là d’une justice de classe, plutôt dure avec les pauvres. C’est d’ailleurs pour cette raison que Trocchi s’était étendu encore plus que Mackenzie sur le procès, méditant sur la notion bourgeoise de justice. 

    Young Adam, David McKenzie, 2003 

    Joe, Leslie et Jim ont été à la fête foraine 

    Les figures se composent autour de trios dont Joe est le plus souvent le pivot. Le premier trio est formé par Joe, Ella et Leslie. Le second c’est Joe, Cathy et Gordon, puis il y en a encore un autre avec l’introduction du personnage de Gwen. Il saute aux yeux que le trio est l’image même de la concurrence pour le pouvoir. Leslie s’en ira la tête basse, il a perdu, essentiellement parce qu’il ne bande plus. Cathy perd à son tour quand Joe l’élimine physiquement du jeu parce qu’elle a prétendu être enceinte de lui. Et puis Ella devra s’éloigner face à sa sœur plus jeune et plus entreprenante qu’elle. Ces jeux de pouvoir pourtant n’efface pas la solitude des joueurs, bien au contraire, ils la révèlent. Que recherchent-ils ? Sans doute une porte de sortie à leur ennui et à leurs peurs. La passion les a quitté, et ils n’aiment pas leur travail. Ils le prennent parce qu’il est là, et qu’il faut bien avoir de l’argent pour vivre. On verra d’ailleurs Ella qui est maintenant en couple avec Joe, lui compter mesquinement son salaire, sans oublier les taxes afférentes. Ces personnages ne veulent pas appartenir à la classe des prolétaires, ils ne se sentent pas concernés par l’amélioration de la société qui est injuste, mais avec qui il faut bien composer. Trocchi avait pour but de ne pas en avoir. Et c’est pour ça qu’il prenait de l’héroïne, pour ne plus penser ni à la mort, ni à la vie ! S’abstraire du quotidien à n’importe quel prix. 

    Young Adam, David McKenzie, 2003

      Joe se remémore sa liaison avec Cathy 

    Du point de vue de la réalisation proprement dite, on peut dire que la reconstitution des années cinquante est bien réussie, je veux dire, elle ne fait pas trop toc, les vêtements ont se caractère avachi qui était le lot des classes pauvres. Cathy est plus soignée, mais elle a déjà un pied dans la classe moyenne, travaillant dans les bureaux. Les paysages des rivières, des canaux et des écluses sont parfaitement choisis et renforcent le côté liquide de cette histoire. Les quais où on déballe les marchandises, mettent bien en évidence les difficultés du labeur. C’est plutôt bien filmé, mais les déséquilibres du scénario qui sont pour partie déjà dans le roman, font que le rythme n’est pas très soutenu. J’avais remarqué d’ailleurs que dans le livre, la première partie était plus intéressante que la seconde et la troisième, comme si Trocchi avait du mal à boucler son récit. C’est la même chose ici. Le film fonctionne avec des flash-backs qui ne sont pas toujours très justifiés ou explicites, on l’a dit au début avec le fait que Mackenzie dévoile beaucoup trop tôt la culpabilité de Joe. La photo est peut-être un peu trop terne et masque la spécificité de l’époque. 

    Young Adam, David McKenzie, 2003 

    Cathy prétend qu’elle est enceinte de Joe 

    La distribution pose quelques problèmes. Non pas que les acteurs soient mauvais, mais ils ne sont pas à leur place. En effet dans le livre de Trocchi, les femmes sont plutôt grasses, et c’est cette épaisseur des chairs qui débordent qui représente le désir de Joe. Les femmes ont des gros seins, de grosses cuisses et un gros ventre. Dans le film elles sont plutôt minces et sportives. Tilda Swinton qui a pourtant tout fait pour gommer le caractère androgyne de son corps, incarne Ella que Trocchi décrit en commençant par ses jambes puissantes, son gros ventre et ses gros seins. Mais elle arrive cependant assez bien à passer de l’attitude de la femme soumise à celle de la femme autoritaire qui découvre son pouvoir. Ewan McGregor est sans doute un peu trop beau garçon, mais il tient sa place une fois qu’on a admis son physique, sauf sans doute quand il est censé battre Cathy d’une manière féroce.  

    Young Adam, David McKenzie, 2003 

    Joe et Ella comprennent que Leslie est au courant de leur liaison 

    Peter Mullan est Leslie, celui qui a embauché Joe, introduisant le loup dans la bergerie. Il est sans doute un peu trop clean pour jouer les maris décomposés et mis sauvagement sur la touche. Emily Mortimer incarne la frêle Cathy. Ça passe, sans plus. Par contre Therese Bradley en fait beaucoup trop dans le rôle de Gwen la sœur d’Ella, allant jusqu’à la grimace outrancière. 

    Young Adam, David McKenzie, 2003 

    Leslie est forcé de quitter la péniche 

    La musique est plutôt bonne, avec de belles lignes de basse, sauf qu’à un moment on entend dans le petit appartement de Cathy un disque de Charlie Mingus qui joue Haitian Fight Song. Le livre de Trocchi date de 1954, et le morceau de Mingus n’a été enregistré qu’en 1956 ! Mais qui s’en soucie à part moi ? 

    Young Adam, David McKenzie, 2003

    Joe se souvient de la raclée qu’il a donnée à Cathy 

    Bien que ce film ait été salué par la critique dans les nombreux festivals où il a été présenté, notamment à Cannes, il n’a pas eu suffisamment de succès pour rembourser son budget, il n’en a couvert que la moitié. On peut même parler d’un échec public. Mais il a des qualités évidentes et ne mérite pas l’oubli dans lequel il est tombé. On regrette cependant que Mackenzie ne l’ait pas tiré un peu plus du côté du noir. 

    Young Adam, David McKenzie, 2003 

    Joe a trouvé une autre logeuse complaisante 

    Young Adam, David McKenzie, 2003 

    Le procès aboutira à la condamnation à mort de Gordon 



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/comancheria-hell-or-high-water-david-mackenzie-2016-a168063058

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  • L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

     Ce sujet adapté d’un roman de Vieri Razzini, Terapia mortale, non traduit en français, était un vieux projet de Lucio Fulci qui, pour des raisons très confuses, n’avait pas été réalisé. Ceux qui ont lu le roman nous disent que le rapport entre le livre qui a mauvaise réputation et le film est très succinct. Mais entre l’excellent Non se seviza un paperino et ce quatrième giallo, il n’était pas resté sans rien faire, il avait tourné deux Croc-blanc avec Franco Nero et Virna Lisi qui avaient eu un bon succès, un Lando Buzzanca, un western un peu gore et une comédie érotique avec Edwige Fenech. Cette prolifération désordonnée a d’ailleurs nuit à sa crédibilité en tant qu’auteur comme on disait dans Les cahiers du cinéma. Ces films n’avaient rien de remarquables et en tous les cas n’étaient pas représentatifs de son talent. Le scénario avait été réécrit plusieurs fois, et on a cité comme source possible par exemple le film de Claude Chabrol adapté de Frédéric Dard, La magiciens. Cela n’est en vérité guère probable parce que si le film de Chabrol est sorti un peu avant, Fulci travaillait sur ce projet avant Les magiciens soit mis en production, dès 1972 selon Roberto Cuti. Le fait cependant que plusieurs projets cinématographiques traitent dans le même moment de la prémonition, de la voyance et des visions est significatif d’une époque. En Italie, dans la retombée du Mai rampant italien, les sciences paranormales étaient à la mode. C’est sans doute pour ça que le livre de Frédéric Dard porté à l’écran, médiocrement, par Chabrol a été produit en Italie et non France  du reste. En 1975 Dario Argento avait sorti Profondo rosso qui intégrait la voyance[1]. Mais plus généralement on trouve ce thème très tôt dans le film noir, par exemple dans The Night has thousand eyes de John Farrow en 1948, sur un sujet adapté d’un roman de William Irish. L’autre thème est bien sûr celui de l’emmuré ou de l’enterré vivant cher à Edgar Poe et à Roger Corman. Pour ces dernières raisons, Roberto Curti ne veut pas voir dans ce film un giallo, mais plutôt un gothique féminin[2]. Mais si on regarde l’idée de voyance comme une manière de poursuivre une enquête, on ne peut pas le suivre sur ce terrain.  

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977  

    En 1959, alors qu’elle encore enfant, Virginia qui est en pension en Angleterre à la vision de la mort de sa mère qui s’est suicidée. Beaucoup plus tard, devenue adulte, elle s’est mariée avec le riche Francesco Ducci. Elle a l’idée de restaurer une maison qui lui appartient. Avant d’y arriver, elle a des visions en traversant des tunnels. Ces visions traitent d’une femme morte violemment et emmurée vivante. En visitant la maison, elle va découvrir un squelette de femme qui manifestement a été emmurée. La police avertie va interroger le mari et l’incarcérer car il avait eu une liaison avec cette jeune femme dont on a découvert seulement les  os. Le meurtre sembleremonter à quatre ou cinq ans en arrière. Virginia avec l’aide de Luca, un parapsychologue qui est amoureux d’elle en secret, va tenter de l’innocenter. Francesco prétend en effet que, au moment des faits, il était aux Etats-Unis. Or le portrait de la jeune morte qui illustre une photo détenue par Francesco, est celui que Virginia a vu dans ses visions à la une d’un journal hebdomadaire. En enquêtant, ils vont être mis sur la piste d’un chauffeur de taxi qui a son tour va leur indiquer celle d’un riche collectionneur de tableaux nommé Rospini. Virginia le rencontre, mais elle se fait éconduire. Il semble que ce soit lui qu’elle ait vu dans ses visions en train de tuer une malheureuse. 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    La mère de Virginia s’est suicidé 

    Virginia avec Luca va chercher dans les musées une image qu’elle avait associé au meurtre. Mais si elle ne la trouve pas, elle tombe sur une reproduction d’une oeuvre de Vermeer sur laquelle elle avait vue une adresse. Tandis qu’elle continue son enquête, Francesco s’impatiente de sortir. Rencontrant un palefrenier et lui montrant la photo d’un magazine de 1973, celui-ci indique que le cheval avec lequel a été photographiée la défunte, ils en conclut que sa mort ne peut pas remonter à 1972, et donc que Francesco est innocent. La justice tarde à libérer Francesco et Virginia est encore victime de visions. Celles-ci vont l’attirer chez Rospini. Quand elle arrive chez lui, elle trouve du sang qui dégoutte de l’étage. Rospini la voit, et tente de la rattraper. Elle s’enferme d’abord dans un salon rouge, le même qu’elle avait rêvé, puis s’enfuit, elle se retrouve dans une église, toujours poursuivie par Rospini, elle grimpe dans le clocher, Rospini arrive, tente de la rejoindre, mais sous ses pas une planche cède et son corps se fracasse au sol. Francesco a été libéré, il rejoint Virginia qui vient de découvrir une lettre compromettante pour Francesco. Pendant ce temps Luca de son côté va comprendre le sens des visions de Virginia et se dépêche d’intervenir en la rejoignant. Rospini de son côté a fait des révélations sur Francesco, l’accusant de meurtre. Mais Francesco assomme Virginia et l’emmure dans une nouvelle cachette. Luca arrive avec la police. Au premier abord ils ne trouvent rien, mais Luca devine le lieu où Virginia a été emmurée. 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Virginia se propose de restaurer une maison de son mari 

    Le scénario est très riche, et très embrouillé et beaucoup d’aspects de cette histoire restent énigmatiques. Qui est cette vieille femme qui hante les visions de Virginia ? La fin du film est assez étrange. Pour certains, les visions de Virginia indique qu’elle a vu sa propre mort, et donc que même si Francesco sera démasqué, il est bel et bien morte. Mais ce n’est pas clair, on peut aussi imaginer que Luca ayant trouvé la cachette, il a encore le temps de sauver Virginia. Chacun se fera son opinion. Si le film navigue entre le rêve et la réalité, sa structure est celle d’un film noir. L’influence de Phantom lady de Robert Siodmak[3], sauf qu’ici l’homme que la femme protège et veut innocenter est bel et bien coupable. Tout va reposer sur l’analyse des visions de Virginia. Parlent-elles du passé ou de l’avenir ? Se tromper sur leur signification conduit à sa perte. La voyance n’est pas tout à fait le sujet du film, mais elle a un double intérêt : d’abord de devenir une sorte d’auxiliaire de l’enquête et qui donc permet de contourner les obstacles de la vraisemblance des situations. Ensuite de mettre en évidence une idée selon laquelle le temps ne s’écoule pas que dans un sens. En effet, si on peut prévoir l’avenir, c’est bien que celui-ci a existé avant le présent ! 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977

    L’avocat explique à Virginia et à sa soeur pourquoi la police garde Francesco 

    Une autre interprétation de ces visions, est que Virginia en réalité à travers l’enquête se cherche elle-même puisque d’une manière ou d’une autre, quelle que soit l’interprétation que l’on donne à la fin, toute l’intrigue aboutit à elle-même. Pour signifier cela on verra la sœur de Francesco offrir une montre à celle-ci. Cette montre qui déclenche au mauvais moment une sonnerie, est une parabole sur l’inexorabilité du temps qui s’écoule. Mais laissons là cette discussion sur la temporalité. Au cœur du film, on va trouver une analyse du rapport à l’image. Les tableaux jouent un rôle décisif. D’abord parce qu’ils ont figés le temps, ils sont présentés dans une quasi obscurité. On retrouve cette fréquente utilisation de la peinture dans le giallo justement. Retenant la leçon de Preminger avec Laura[4], cela permet de faire du cinéma et de ses images animées un art supérieur et vivant. Mais l’image figée est aussi source de mensonge. Ça c’est la vieille idée d’Antonioni dans Blow Up, idée récupérée souventes fois dans les gialli. Il faut savoir la lire, et Virginia, comme Luca, a toujours un temps de retard dans la compréhension de ce qu’elle a vu. C’est là l’ambiguïté du réel qui interdit les interprétations univoques. 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Virginia va voir Francesco en prison 

    Au-delà de ces aspects qui donnent du caractère au film, l’intrigue est construite autour de l’idée du trio. Et il n’y en a pas qu’un ! Le premier et le plus important est celui formé par Francesco, Virginia et Luca. Ce dernier est évidemment amoureux de Virginia qui s’est bêtement donnée à Francesco le meurtrier. Luca est un savant, mais Francesco est riche ! Virginia est donc trompée par les apparences. Le parapsychologue est sans doute jaloux, mais il sait se tenir. Ensuite le deuxième trio est formé par Virginia, Francesco et son ancienne maîtresse assassinée. Autrement dit il y a une concurrence entre la vivante et la morte, bien que Francesco ait caché cette liaison, et que Virginia fait mine de lui faire confiance puisqu’il lui dit que c’est du passé. Mais justement c’est un passé qui ressurgit par la volonté de Virginia, en mettant au jour le cadavre, elle met à nue l’âme perverse de son mari. Ces figures se multiplient, quel est le rôle de la sœur de Francesco ? La femme de Rospini avoue que celui-ci lui prend son argent et le dépense avec d’autres femmes. La fidélité est la chose la moins bien partagée dans cette Italie des années soixante-dix. 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Bruna a retrouvé le chauffeur du taxi jaune 

    La mise en scène est remarquable, en ce sens qu’elle utilise des formes qui sont adéquates aux principes de l’intrigue. Il y a d’abord le passage de Virginia dans les tunnels. Ces tunnels représentent une traversée de l’Italie qui, à cette époque, doute de son identité. Ils ajoutent à l’atmosphère clautrophobique du films. Mais ces tunnels successifs sont comme des passages à travers des niveaux de conscience différents qui ne mènent qu’à la révélation du fait que nous sommes mortels. Un aspect important du comportement de Virginia réside dans le fait qu’elle est attirée en permanence par les murs, et qu’elle veut toujours ouvrir ces murs sur lesquels elle se heurte. Elle apparaît donc en quête de son propre échec. Et elle le trouvera ! L’aspect claustrophobique du film est encore renforcé par la séquence où Virginia, fuyant Rospini, elle ne trouve rien de mieux que de s’enfermer dans une pièce dont elle ne peut sortir. 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977

    Luca et Virginia recherche un tableau qu’elle a vu dans ses visions 

    Lucio Fulci reprend bien sûr le thème de la maison comme personnage maléfique, on l’a vu déjà dans de nombreux gialli, que ce soit chez Bava ou Argento, et encore plus précisément chez Pupi Avati dans l’excellent La casa dalle finestre che ridonne[5]. Ces maisons sont toujours chargées de mystère, souvent abandonnées, elles se vengent sur les vivants. Cette attention délicate à une architecture qui renvoie à un passé plus glorieux de l’Italie, permet de jouer sur les contrastes de couleurs, d’un côté le rouge profond typique du giallo, et les couleurs délavés des maisons qui sont un peu mortes. C’est comme si, dans les images de ces pièces préservées, ne restaient dans ces maisons que leur cœur qui bat encore au milieu des décombres. Cela permet de renouveler la signification de ce rouge profond. On remarquera que Fulci film une église abandonnée. Celle-ci lui permettra d’utiliser lamontée du clocher comme une référence à Vertigo d’Hitchcock. Mais en même temps cette église vide n’est d’aucun secours à Virginia, elle a été abandonnée par Dieu ! La religion étant supplantée par la voyance et les sciences dites paranormales. 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Le palefrenier indique la date de la prise de la photo 

    La réalisation est rigoureuse, la photo de Sergio Salvati est bonne. Sergio Salvati deviendra par la suite un des pilier du système de Lucio Fulci, ce qui veut dire que le réalisateur avait trouvé là quelqu’un capable de rendre compte de son esthétique. Mais si les scènes de poursuite, l’enquête sont bien travaillées, il y a des critiques qu’on peut adresser à Lucio Fulci. D’abord cette manie de filmer les dialogue de profil exclusivement, avec une opposition gauche-droite, privant la caméra de mobilité et donc d’une meilleure emprise sur l’espace et sa profondeur. Ensuite il y a des effets de zoom, Franco Bruni, le’ chef opérateur, parlait d’un usage frénétique du zoom pour appuyer les effets des découvertes de Virginia, avec un gros plan bien lourd sur les yeux et les pupilles horrifiées de Virginia. Notez que cette fois Fulci ne filme pas trop les corps sanguinolents qui sont projetés dans le vide et qui se fracassent sur les rochers. Mais ne chipotons pas, le rythme est bon, sauf peut-être vers la fin avec l’arrivée de Luca qui tarde à se concrétiser, le montage est serré. 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Virginia se retrouve dans le salon dont elle avait rêvé 

    La distribution n’est pas terrible, elle manque de charisme. Jennifer O’Neil incarne Virginia. Cette actrice américaine qui avait eu du succès dans le film de Robert Mulligan, Summer of ’42, n’a par la suite eu que peu de rôles marquants, mais pour l’exportation, il fallait des américains aussi. Elle n’est pas très bonne à vrai dire et se retrouve très souvent à contretemps. Ensuite il y a Gianni Grako, vedette de westerns spaghetti à petit budget. Il est Francesco, le fourbe mari. Plus intéressant est la prestation de Marc Porel dans le rôle de Luca le parapsychologue. Il avait déjà tourné avec Fulci dans Non si sevizia un paperino. Et justement en voyant ces deux films on voit qu’il aurait pu faire une belle carrière, puisqu’entre les deux films il passe d’un curé austère et criminel un parapsychologue débonnaire et amoureux. Si Evelyn Stewart est à peine décorative dans le rôle de la sœur de Francesco, Jenny Tamburi est éclatante dans celui de la jeune fille qui mène l’enquête pour le compte de Luca. Gabriele Ferzetti est assez inconsistant, mais son rôle est étroit. 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Dans l’église abandonnée, Virginia voit Rospini arriver 

    Il se dit que le film n’a pas eu de succès en Italie. C’est bien possible, en France il n’est sorti que quatre ans plus tard dans un circuit un peu misérable, comme si les distributeurs français voulaient mettre l’embargo sur le giallo ! Mais depuis il a été redécouvert. Certains pensent même que c’est là le sommet de l’œuvre de Fulci. C’est un très bon film, mais je le trouve tout de même un peu inférieur à Non si sevizia un paperino, non seulement pour la, thématique, mais aussi pour son esthétique[6].   

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Rospini sur son lit de mort se confesse 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Francesco récupère la lettre qui l’accuse 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Luca arrive pour confondre Francesco 


     L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Les qualités de ce film sont très suffisantes pour vouloir le conserver et le revoir. C’est Le chat qui fume qui en a sorti une belle version en Blu ray, même si je trouve les analyses de Jean-François Rauger un peu insuffisante. On y trouvera à côté des témoignages de Dardano Sachetti, le scénariste avec qui Fulci travailla soiuvent, et de Fabio Frizzi le compositeur de la musique qui lui aussi deviendra un alter ego de Fulci.



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/les-frissons-de-l-angoisse-profondo-rosso-dario-argento-1973-a213265539

    [2] Italian Gothic Horror Films, 1970-1979, McFarland & Company, 2017.

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/les-mains-qui-tuent-phantom-lady-robert-siodmak-1944-a148583314

    [4] http://alexandreclement.eklablog.com/laura-otto-preminger-1944-a154702974

    [5] http://alexandreclement.eklablog.com/la-maison-aux-fenetres-qui-rient-la-casa-dalle-finestre-che-ridono-pup-a213042705

    [6] http://alexandreclement.eklablog.com/la-longue-nuit-de-l-exorcisme-non-si-sevizia-un-paperino-lucio-fulci-1-a213812679

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