• L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

     Ce sujet adapté d’un roman de Vieri Razzini, Terapia mortale, non traduit en français, était un vieux projet de Lucio Fulci qui, pour des raisons très confuses, n’avait pas été réalisé. Ceux qui ont lu le roman nous disent que le rapport entre le livre qui a mauvaise réputation et le film est très succinct. Mais entre l’excellent Non se seviza un paperino et ce quatrième giallo, il n’était pas resté sans rien faire, il avait tourné deux Croc-blanc avec Franco Nero et Virna Lisi qui avaient eu un bon succès, un Lando Buzzanca, un western un peu gore et une comédie érotique avec Edwige Fenech. Cette prolifération désordonnée a d’ailleurs nuit à sa crédibilité en tant qu’auteur comme on disait dans Les cahiers du cinéma. Ces films n’avaient rien de remarquables et en tous les cas n’étaient pas représentatifs de son talent. Le scénario avait été réécrit plusieurs fois, et on a cité comme source possible par exemple le film de Claude Chabrol adapté de Frédéric Dard, La magiciens. Cela n’est en vérité guère probable parce que si le film de Chabrol est sorti un peu avant, Fulci travaillait sur ce projet avant Les magiciens soit mis en production, dès 1972 selon Roberto Cuti. Le fait cependant que plusieurs projets cinématographiques traitent dans le même moment de la prémonition, de la voyance et des visions est significatif d’une époque. En Italie, dans la retombée du Mai rampant italien, les sciences paranormales étaient à la mode. C’est sans doute pour ça que le livre de Frédéric Dard porté à l’écran, médiocrement, par Chabrol a été produit en Italie et non France  du reste. En 1975 Dario Argento avait sorti Profondo rosso qui intégrait la voyance[1]. Mais plus généralement on trouve ce thème très tôt dans le film noir, par exemple dans The Night has thousand eyes de John Farrow en 1948, sur un sujet adapté d’un roman de William Irish. L’autre thème est bien sûr celui de l’emmuré ou de l’enterré vivant cher à Edgar Poe et à Roger Corman. Pour ces dernières raisons, Roberto Curti ne veut pas voir dans ce film un giallo, mais plutôt un gothique féminin[2]. Mais si on regarde l’idée de voyance comme une manière de poursuivre une enquête, on ne peut pas le suivre sur ce terrain.  

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977  

    En 1959, alors qu’elle encore enfant, Virginia qui est en pension en Angleterre à la vision de la mort de sa mère qui s’est suicidée. Beaucoup plus tard, devenue adulte, elle s’est mariée avec le riche Francesco Ducci. Elle a l’idée de restaurer une maison qui lui appartient. Avant d’y arriver, elle a des visions en traversant des tunnels. Ces visions traitent d’une femme morte violemment et emmurée vivante. En visitant la maison, elle va découvrir un squelette de femme qui manifestement a été emmurée. La police avertie va interroger le mari et l’incarcérer car il avait eu une liaison avec cette jeune femme dont on a découvert seulement les  os. Le meurtre sembleremonter à quatre ou cinq ans en arrière. Virginia avec l’aide de Luca, un parapsychologue qui est amoureux d’elle en secret, va tenter de l’innocenter. Francesco prétend en effet que, au moment des faits, il était aux Etats-Unis. Or le portrait de la jeune morte qui illustre une photo détenue par Francesco, est celui que Virginia a vu dans ses visions à la une d’un journal hebdomadaire. En enquêtant, ils vont être mis sur la piste d’un chauffeur de taxi qui a son tour va leur indiquer celle d’un riche collectionneur de tableaux nommé Rospini. Virginia le rencontre, mais elle se fait éconduire. Il semble que ce soit lui qu’elle ait vu dans ses visions en train de tuer une malheureuse. 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    La mère de Virginia s’est suicidé 

    Virginia avec Luca va chercher dans les musées une image qu’elle avait associé au meurtre. Mais si elle ne la trouve pas, elle tombe sur une reproduction d’une oeuvre de Vermeer sur laquelle elle avait vue une adresse. Tandis qu’elle continue son enquête, Francesco s’impatiente de sortir. Rencontrant un palefrenier et lui montrant la photo d’un magazine de 1973, celui-ci indique que le cheval avec lequel a été photographiée la défunte, ils en conclut que sa mort ne peut pas remonter à 1972, et donc que Francesco est innocent. La justice tarde à libérer Francesco et Virginia est encore victime de visions. Celles-ci vont l’attirer chez Rospini. Quand elle arrive chez lui, elle trouve du sang qui dégoutte de l’étage. Rospini la voit, et tente de la rattraper. Elle s’enferme d’abord dans un salon rouge, le même qu’elle avait rêvé, puis s’enfuit, elle se retrouve dans une église, toujours poursuivie par Rospini, elle grimpe dans le clocher, Rospini arrive, tente de la rejoindre, mais sous ses pas une planche cède et son corps se fracasse au sol. Francesco a été libéré, il rejoint Virginia qui vient de découvrir une lettre compromettante pour Francesco. Pendant ce temps Luca de son côté va comprendre le sens des visions de Virginia et se dépêche d’intervenir en la rejoignant. Rospini de son côté a fait des révélations sur Francesco, l’accusant de meurtre. Mais Francesco assomme Virginia et l’emmure dans une nouvelle cachette. Luca arrive avec la police. Au premier abord ils ne trouvent rien, mais Luca devine le lieu où Virginia a été emmurée. 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Virginia se propose de restaurer une maison de son mari 

    Le scénario est très riche, et très embrouillé et beaucoup d’aspects de cette histoire restent énigmatiques. Qui est cette vieille femme qui hante les visions de Virginia ? La fin du film est assez étrange. Pour certains, les visions de Virginia indique qu’elle a vu sa propre mort, et donc que même si Francesco sera démasqué, il est bel et bien morte. Mais ce n’est pas clair, on peut aussi imaginer que Luca ayant trouvé la cachette, il a encore le temps de sauver Virginia. Chacun se fera son opinion. Si le film navigue entre le rêve et la réalité, sa structure est celle d’un film noir. L’influence de Phantom lady de Robert Siodmak[3], sauf qu’ici l’homme que la femme protège et veut innocenter est bel et bien coupable. Tout va reposer sur l’analyse des visions de Virginia. Parlent-elles du passé ou de l’avenir ? Se tromper sur leur signification conduit à sa perte. La voyance n’est pas tout à fait le sujet du film, mais elle a un double intérêt : d’abord de devenir une sorte d’auxiliaire de l’enquête et qui donc permet de contourner les obstacles de la vraisemblance des situations. Ensuite de mettre en évidence une idée selon laquelle le temps ne s’écoule pas que dans un sens. En effet, si on peut prévoir l’avenir, c’est bien que celui-ci a existé avant le présent ! 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977

    L’avocat explique à Virginia et à sa soeur pourquoi la police garde Francesco 

    Une autre interprétation de ces visions, est que Virginia en réalité à travers l’enquête se cherche elle-même puisque d’une manière ou d’une autre, quelle que soit l’interprétation que l’on donne à la fin, toute l’intrigue aboutit à elle-même. Pour signifier cela on verra la sœur de Francesco offrir une montre à celle-ci. Cette montre qui déclenche au mauvais moment une sonnerie, est une parabole sur l’inexorabilité du temps qui s’écoule. Mais laissons là cette discussion sur la temporalité. Au cœur du film, on va trouver une analyse du rapport à l’image. Les tableaux jouent un rôle décisif. D’abord parce qu’ils ont figés le temps, ils sont présentés dans une quasi obscurité. On retrouve cette fréquente utilisation de la peinture dans le giallo justement. Retenant la leçon de Preminger avec Laura[4], cela permet de faire du cinéma et de ses images animées un art supérieur et vivant. Mais l’image figée est aussi source de mensonge. Ça c’est la vieille idée d’Antonioni dans Blow Up, idée récupérée souventes fois dans les gialli. Il faut savoir la lire, et Virginia, comme Luca, a toujours un temps de retard dans la compréhension de ce qu’elle a vu. C’est là l’ambiguïté du réel qui interdit les interprétations univoques. 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Virginia va voir Francesco en prison 

    Au-delà de ces aspects qui donnent du caractère au film, l’intrigue est construite autour de l’idée du trio. Et il n’y en a pas qu’un ! Le premier et le plus important est celui formé par Francesco, Virginia et Luca. Ce dernier est évidemment amoureux de Virginia qui s’est bêtement donnée à Francesco le meurtrier. Luca est un savant, mais Francesco est riche ! Virginia est donc trompée par les apparences. Le parapsychologue est sans doute jaloux, mais il sait se tenir. Ensuite le deuxième trio est formé par Virginia, Francesco et son ancienne maîtresse assassinée. Autrement dit il y a une concurrence entre la vivante et la morte, bien que Francesco ait caché cette liaison, et que Virginia fait mine de lui faire confiance puisqu’il lui dit que c’est du passé. Mais justement c’est un passé qui ressurgit par la volonté de Virginia, en mettant au jour le cadavre, elle met à nue l’âme perverse de son mari. Ces figures se multiplient, quel est le rôle de la sœur de Francesco ? La femme de Rospini avoue que celui-ci lui prend son argent et le dépense avec d’autres femmes. La fidélité est la chose la moins bien partagée dans cette Italie des années soixante-dix. 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Bruna a retrouvé le chauffeur du taxi jaune 

    La mise en scène est remarquable, en ce sens qu’elle utilise des formes qui sont adéquates aux principes de l’intrigue. Il y a d’abord le passage de Virginia dans les tunnels. Ces tunnels représentent une traversée de l’Italie qui, à cette époque, doute de son identité. Ils ajoutent à l’atmosphère clautrophobique du films. Mais ces tunnels successifs sont comme des passages à travers des niveaux de conscience différents qui ne mènent qu’à la révélation du fait que nous sommes mortels. Un aspect important du comportement de Virginia réside dans le fait qu’elle est attirée en permanence par les murs, et qu’elle veut toujours ouvrir ces murs sur lesquels elle se heurte. Elle apparaît donc en quête de son propre échec. Et elle le trouvera ! L’aspect claustrophobique du film est encore renforcé par la séquence où Virginia, fuyant Rospini, elle ne trouve rien de mieux que de s’enfermer dans une pièce dont elle ne peut sortir. 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977

    Luca et Virginia recherche un tableau qu’elle a vu dans ses visions 

    Lucio Fulci reprend bien sûr le thème de la maison comme personnage maléfique, on l’a vu déjà dans de nombreux gialli, que ce soit chez Bava ou Argento, et encore plus précisément chez Pupi Avati dans l’excellent La casa dalle finestre che ridonne[5]. Ces maisons sont toujours chargées de mystère, souvent abandonnées, elles se vengent sur les vivants. Cette attention délicate à une architecture qui renvoie à un passé plus glorieux de l’Italie, permet de jouer sur les contrastes de couleurs, d’un côté le rouge profond typique du giallo, et les couleurs délavés des maisons qui sont un peu mortes. C’est comme si, dans les images de ces pièces préservées, ne restaient dans ces maisons que leur cœur qui bat encore au milieu des décombres. Cela permet de renouveler la signification de ce rouge profond. On remarquera que Fulci film une église abandonnée. Celle-ci lui permettra d’utiliser lamontée du clocher comme une référence à Vertigo d’Hitchcock. Mais en même temps cette église vide n’est d’aucun secours à Virginia, elle a été abandonnée par Dieu ! La religion étant supplantée par la voyance et les sciences dites paranormales. 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Le palefrenier indique la date de la prise de la photo 

    La réalisation est rigoureuse, la photo de Sergio Salvati est bonne. Sergio Salvati deviendra par la suite un des pilier du système de Lucio Fulci, ce qui veut dire que le réalisateur avait trouvé là quelqu’un capable de rendre compte de son esthétique. Mais si les scènes de poursuite, l’enquête sont bien travaillées, il y a des critiques qu’on peut adresser à Lucio Fulci. D’abord cette manie de filmer les dialogue de profil exclusivement, avec une opposition gauche-droite, privant la caméra de mobilité et donc d’une meilleure emprise sur l’espace et sa profondeur. Ensuite il y a des effets de zoom, Franco Bruni, le’ chef opérateur, parlait d’un usage frénétique du zoom pour appuyer les effets des découvertes de Virginia, avec un gros plan bien lourd sur les yeux et les pupilles horrifiées de Virginia. Notez que cette fois Fulci ne filme pas trop les corps sanguinolents qui sont projetés dans le vide et qui se fracassent sur les rochers. Mais ne chipotons pas, le rythme est bon, sauf peut-être vers la fin avec l’arrivée de Luca qui tarde à se concrétiser, le montage est serré. 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Virginia se retrouve dans le salon dont elle avait rêvé 

    La distribution n’est pas terrible, elle manque de charisme. Jennifer O’Neil incarne Virginia. Cette actrice américaine qui avait eu du succès dans le film de Robert Mulligan, Summer of ’42, n’a par la suite eu que peu de rôles marquants, mais pour l’exportation, il fallait des américains aussi. Elle n’est pas très bonne à vrai dire et se retrouve très souvent à contretemps. Ensuite il y a Gianni Grako, vedette de westerns spaghetti à petit budget. Il est Francesco, le fourbe mari. Plus intéressant est la prestation de Marc Porel dans le rôle de Luca le parapsychologue. Il avait déjà tourné avec Fulci dans Non si sevizia un paperino. Et justement en voyant ces deux films on voit qu’il aurait pu faire une belle carrière, puisqu’entre les deux films il passe d’un curé austère et criminel un parapsychologue débonnaire et amoureux. Si Evelyn Stewart est à peine décorative dans le rôle de la sœur de Francesco, Jenny Tamburi est éclatante dans celui de la jeune fille qui mène l’enquête pour le compte de Luca. Gabriele Ferzetti est assez inconsistant, mais son rôle est étroit. 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Dans l’église abandonnée, Virginia voit Rospini arriver 

    Il se dit que le film n’a pas eu de succès en Italie. C’est bien possible, en France il n’est sorti que quatre ans plus tard dans un circuit un peu misérable, comme si les distributeurs français voulaient mettre l’embargo sur le giallo ! Mais depuis il a été redécouvert. Certains pensent même que c’est là le sommet de l’œuvre de Fulci. C’est un très bon film, mais je le trouve tout de même un peu inférieur à Non si sevizia un paperino, non seulement pour la, thématique, mais aussi pour son esthétique[6].   

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Rospini sur son lit de mort se confesse 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Francesco récupère la lettre qui l’accuse 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Luca arrive pour confondre Francesco 


     L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Les qualités de ce film sont très suffisantes pour vouloir le conserver et le revoir. C’est Le chat qui fume qui en a sorti une belle version en Blu ray, même si je trouve les analyses de Jean-François Rauger un peu insuffisante. On y trouvera à côté des témoignages de Dardano Sachetti, le scénariste avec qui Fulci travailla soiuvent, et de Fabio Frizzi le compositeur de la musique qui lui aussi deviendra un alter ego de Fulci.



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/les-frissons-de-l-angoisse-profondo-rosso-dario-argento-1973-a213265539

    [2] Italian Gothic Horror Films, 1970-1979, McFarland & Company, 2017.

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/les-mains-qui-tuent-phantom-lady-robert-siodmak-1944-a148583314

    [4] http://alexandreclement.eklablog.com/laura-otto-preminger-1944-a154702974

    [5] http://alexandreclement.eklablog.com/la-maison-aux-fenetres-qui-rient-la-casa-dalle-finestre-che-ridono-pup-a213042705

    [6] http://alexandreclement.eklablog.com/la-longue-nuit-de-l-exorcisme-non-si-sevizia-un-paperino-lucio-fulci-1-a213812679

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  • La longue nuit de l’exorcisme, Non si sevizia un paperino, Lucio Fulci, 1972  

    Après une comédie un peu érotique au titre imprononçable, Nonostante le apparenze... e purché la nazione non lo sappia... All'onorevole piacciono le donne, avec le comique Lando Buzanca, qui avait eu beaucoup d’ennuis avec la censure, mais qui avait été un succès mondial – sauf en France – Lucio Fulci va revenir au giallo, d’autant qu’il y a obtenu des bons succès. Tourné en 1972, le film ne sera distribué chez nous que six ans plus tard. Ce délais montre en quelle estime les distributeurs français tenait Lucio Fulci à cette époque. Le titre français frise l’escroquerie intellectuelle. Il n’a rien à voir ni de près ni de loin avec l’exorcisme, mais la distribution très tardive du film en France a tenté d’utiliser le titre du film de William Friedkin qui était un très gros succès public dans le monde entier et qui donnera d’ailleurs de nombreuses suites. Le titre italien est énigmatique et dans la tradition du bestiaire du giallo, et il a quelque chose à voir avec l’histoire, littéralement il signifie ne torturez pas un canard. Beaucoup ont vu ce film comme très original parce que ce serait un giallo dépaysé dans le sud profond de l’Italie, abandonnant une approche purement urbaine. En vérité les décors et une partie des protagonistes sont semblables à ce qu’on pouvait voir dans certain poliziotteschi qui traitait de la mafia sicilienne ou sarde, ou calabraise et qui resituait tout cela dans un contexte d’arriération des populations. Par exemple Sequestro di personna[1] ou certains films de Damiano Damiani comme il giorno dlla civetta[2]. A l’origine ce film devait être tourné en ville, à Turin, mais ce serait Lucio Fulci lui-même qui aurait voulu ce dépaysement. Le simple fait de passer du Nord au Sud change complètement le point de vue, puisqu’ainsi le film va apparaître aussi comme un combat pour la civilisation et contre une superstition entretenue par l’Eglise. Quoi qu’il en soit, ce film est le préféré de Lucio Fulci lui-même. Il a écrit lui-même le sujet, avec toujours la complicité de Roberto Gianviti. Il s’est dit que l’histoire avait été inspiré d’une série de crimes d’enfants bien réels qui firent les beaux jours de la presse transalpine. Contrairement aux deux précédent gialli de Fulci, on peut y voir un retour vers  le naturalisme, du reste c’est moins la découverte du coupable qui est importante que le contexte social dans lequel ces crimes ont eu lieu. 

    La longue nuit de l’exorcisme, Non si sevizia un paperino, Lucio Fulci, 1972

    La mère du petit Michele lui demande de porter un jus d’orange à Patrizia 

    Une sorcière pratique la magie noire sur trois petites poupées. Dans un village perdu de Basilicate, des enfants, Bruno, Michele et Tonino, observent des prostituées qui viennent y vendre leurs charmes. Ils sont rejoints par Barra un simplet qu’ils moquent. Quelques temps après le jeune Bruno Lo Cascio est assassiné, mais ses parents croyant qu’il a simplement disparu reçoivent une demande de rançon. La police piège Barra qui est venu récupérer l’argent et qui avoue avoir trouvé le corps déjà mort du petit Bruno. La police le croit et le soustrait à la vindicte de la population du village. Mais un second meurtre va avoir lieu, celui de Tonino qu’on a noyé. Barra ne peut être coupable. Il faut chercher quelqu’un d’autre. Le journaliste Martelli enquête et se rapproche du curé Don Alberto qui s’occupe aussi des enfants. Patrizia, une jeune femme que son père a exilée dans le Sud pour la soustraire à la consommation de drogue provoque les hommes du villages et même le jeune Bruno à qui elle propose de faire l’amour. Par téléphone elle lui donne un rendez-vous. Il va s’y rendre, mais sur le chemin il croise Zio Francesco, une sorte de sorcier qui vit dans la montagne avec la Maciara. Bruno se cache, mais il va être lui aussi assassiné. Sur les lieux du crime, Martelli a trouvé le briquer de Patrizia. 

    La longue nuit de l’exorcisme, Non si sevizia un paperino, Lucio Fulci, 1972 

    La police interroge les parents du jeune Bruno disparu 

    Le jour des funérailles du petit Bruno, la police remarque que la Maciara est venue à l’église, mais qu’elle en est sortie avant tout le monde. La police va la traquer. Les carabiniers l’arrêtent dans les bois. Interrogée elle avoue qu’elle les a tués tous les trois, mais qu’elle s’est servie surtout de la magie noire pour les punir d’avoir déplacer le corps de son fils qu’elle avait enterré. La police ne la croit pas coupable, surtout qu’un policier dit qu’il l’a vue le jour du meurtre à plusieurs kilomètres de là. Il faut la libérer contre l’avis du maréchal des carabiniers qui craint pour la vie de la jeune sorcière. Et en effet des villageois vont la piéger dans le cimetière et la tuer. Elle mourra sur le bord de la route dans l’indifférence des automobilistes qui partent en vacances. Martelli interroge Patrizia à qui il va rendre son briquet. Puis celle-ci est convoquée chez les carabiniers pour s’expliquer sur son emploi du temps. Elle va avouer qu’elle cherchait à acheter de la marijuana. Avec Martelli, elle va suivre une autre piste, celle d’une petite fille arriérée, Malvina, à qui Patrizia avait acheté un jouet représentant un petit canard, effigie de Donald, la créature de Walt Disney, et dont ils avaient trouvé la tête près du lieu du crime. Cette petite fille est la sœur du curé Don Alberto qui vit avec sa mère. Celle-ci a un comportement louche et va amener Malvina dans la montagne. Martelli et Patrizia pensent qu’elle va la tuer. Mais en vérité ils se trompent, elle s’enfuit pour éviter que Don Alberto tue la petite fille. Martelli va affronter Alberto, et celui-ci va mourir en tombant dans le précipice, mais Malvina sera sauvée. 

    La longue nuit de l’exorcisme, Non si sevizia un paperino, Lucio Fulci, 1972

    Giuseppe Barra est désigné comme coupable 

    L’histoire est relativement simple et son dynamisme est orienté par la quête du coupable, éliminant les uns après les autres les suspects. Le scénario est suffisamment astucieux pour éviter de présenter les policiers comme des êtres bornés qui s’arrêtent au premier coupable potentiel venu, mais également il tente de montrer que ces habitants d’Accendura s’ils différent des gens du Nord dans leurs références culturelles comme dans leurs superstitions, ne sont pas forcément des abrutis. C’est un peu le point limite du scénario, car même avec de bonnes intentions, on comprend que ces villageois sont un peu en marge de la civilisation et doivent être civilisés. Cette confrontation entre le Nord et le Sud qui fit couler beaucoup d’encre en Italie et dont on voit les traces dans Rocco e i suoi fratelli par exemple, et le thème sous-jacent, avec cette interrogation de savoir si c’est une bonne chose ou non que de réaliser cette uniformisation de la nation italienne. La réponse visible à l’œil nu du spectateur est ambiguë. Quand la Maciara meurt au bord de la route, on voit des  voitures de vacanciers passer auprès d’elle sans s’arrêter. Autrement dit c’est la défaite de cette société villageoise traditionnelle et la modernité qui s’avance avec son lot de dégâts. Patrizia représente également cette modernité milanaise dégénérée, elle se drogue, habite une maison d’architecte qui défigure le paysage et roule dans de somptueuses voitures. Elle étale aussi une liberté sexuelle sans limite en tentant d’attirer dans son lit un jeune garçon, encore un enfant. Et puis elle se drogue et n’en fait pas mystère. Martelli, le journaliste enquêteur est fait du même bois, il apporte une vérité qui, si elle convient au curé, ne convient pas aux villageois. 

    La longue nuit de l’exorcisme, Non si sevizia un paperino, Lucio Fulci, 1972

    Le journaliste Martelli rencontre le père Don Alberto 

    L’autre thème de ce récit est que les enfants ont une vie qu’ils tentent de dissimuler aux adultes. Travaillés dès leur plus jeune âge par le sexe, il s’agit de comprendre comment le machisme des hommes du Sud prend sa source dans une sorte de réalité géographique particulière : on transpire beaucoup ! Mais en ce début des années soixante-dix, les Italiens, surtout dans le cinéma, s’interrogent sur les désirs sexuels des minorités, les femmes et les enfants. Une des scènes emblématiques de cette approche est la rencontre entre Patrizia et le jeune Bruno, nue, en train de se faire bronzer, elle excite le garçonnet. Cette scène vaudra d’ailleurs un procès – un de plus – à Fulci qui n’avait pas le droit de faire paraître dans le même lieu, un mineur et une femme nue. Il gagnera ce procès contre la Démocratie Chrétienne corrompue, car c’est de ça qu’il s’agit, en démontrant que cette séquence est le résultat d’un champ-contre-champ dans lequel les deux personnes n’ont pas besoin de se trouver en même temps dans le même lieu. Mais cette approche très sexuée va plus loin. Le criminel est le curé, celui qui est justement chargé de la répression sexuelle ! Derrière ses airs débonnaires, vivant avec sa mère, il est très tourmenté par la mal qu’il assimile directement au sexe. 

    La longue nuit de l’exorcisme, Non si sevizia un paperino, Lucio Fulci, 1972

    La police questionne Patrizia sur son emploi du temps 

    Le film, plutôt choral, est une série de portraits. C’était déjà un peu le défaut du précédent giallo de Fulci. A s’intéresser à trop de personnages on ne les voit plus. Mais ici ces portraits donne de la densité au village qui devient une entité vivante et mystérieuse. Le plus intéressant est celui de la Macaria. C’est en effet une autre manière de parler du sexe, non pas que la sorcière semble  travaillée par ses désires, quoiqu’elle avoue qu’elle a été enfantée par le diable – en réalité plus probablement par Zio Francesco. Mais c’est l’image qu’on voit à l’écran qui est celle du désir féminin. Il semble que pour son portrait Fulci se soit inspiré de La sorcière d’André Michel, sorti en 1956, avec Marina Vlady. La traque, la mort de la Macaria, figure luttant contre le rouleau compresseur de la modernité, sont comme jumelles. C’est le portrait le plus réussi de l’histoire. Le portrait de Patrizia, la jeune bourgeoise est aussi bien développé. Les hommes sont moins intéressants que les femmes. Ils sont tous un peu ternes, et seul le maréchal des carabiniers donne un peu d’humanité. Martelli est assez vague, le commissaire aussi. Le curé c’est un peu mieux, sans doute parce qu’on a choisi un jeune acteur à la figure lisse, presqu’adolescente, ce qui donne plus de poids à sa folie. Beaucoup de figures sont à peine ébauchées, comme celle de la mère du curé. Mais l’ensemble donne un tableau attachant, particulièrement les parents du jeune Bruno. 

    La longue nuit de l’exorcisme, Non si sevizia un paperino, Lucio Fulci, 1972

    Les carabiniers traquent la Macaria 

    Bien entendu comme dans beaucoup de films italiens de cette époque, la critique de l’hypocrisie de l’Eglise est évidente. En vérité c’est le pendant de la critique sur le plan politique de la Démocratie Chrétienne, ce parti totalement corrompu, en bout de course et qui fit les pires ennuis à Lucio Fulci sur le plan de la censure. Mais le personnage de Don Alberto va au-delà et doit être relié avec ces scandales sexuels qui secouent depuis cette époque le Vatican. Car pourquoi Don Alberto veut-il tuer ces enfants, si ce n’est pour se les approprier ? Le puritanisme du jeune curé est bien sûr de l’ordre de la pédophilie, même si cette implication est indirecte. D’ailleurs la pédophilie est présente dans tout le film avec aussi le personnage de Patrizia, car si les enfants ont des interrogations légitimes sur les questions du sexe et de son apprentissage, il n’y pas de raison de les détourner. 

    La longue nuit de l’exorcisme, Non si sevizia un paperino, Lucio Fulci, 1972

    La police a libéré la Maciara 

    La réalisation est très soignée, et Fulci a adapté la qualité de la photo à la particularité des décors bien réels qu’il a choisi. Les couleurs s’éloignent de la stylisation des gialli antérieurs et se rapprochent plus de ce qu’on faisait dans le poliziottesco, traduire les couleurs singulières de l’Italie en image et en donner la profondeur. Même si le film est sombre, beaucoup de scènes se passent la nuit, les couleurs donnent vers les tons pastellisés, ce qui augmente l’allure de fable à l’histoire. L’usage du grand écran, 2,35 :1, et tout à fait justifiée. On reconnaît cette facilité de Fulci pour le découpage qui mène à un montage serré, fait de plans très courts. Les scènes de la chasse à la Maciara sont très forte, avec un sens de l’espace tout à fait étonnant, donnant du volume à la forêt, ou au village lui-même. Fulci est sans doute un peu moins à l’aise dans les dialogues. L’ensemble est plus sobre que d’ordinaire même si on peut trouver que certaines scènes sanguinolantes sont un peu trop complaisantes. La mort de Don Alberto apparaît un peu trop longue. 

    La longue nuit de l’exorcisme, Non si sevizia un paperino, Lucio Fulci, 1972 

    Patrizia est de nouveau convoquée à la police  

    Production internationale, le film bénéficiait d’un bon budget, le tournage a duré deux mois. La préparatioon a été minutieuse, au point qu’on a économisé sur les jours de tournage des acteurs. Florinda Bolkan disait qu’elle n’avait pas croisé les autres acteurs principaux du film. L’interprétation c’est d’abord Florinda Bolkan qui avait déjà travaillé avec Fulci dans Una lucertola con la pelle di donna. Sans doute devait-il être un peu amoureux d’elle car celle-ci en garde un souvenir un peu mitigé sans trop détailler l’ordre de sa rancœur. En tous les cas, elle n’a jamais été mieux filmée que dans ce film. si elle a un rôle un peu muet, elle a toutefois de beaux accès de colère. C’est sans doute son plus beau rôle. Derrière, on trouve Thomas Millian, plutôt sobre, dans la peau du journaliste investigateur Martelli. Il reste cependant un peu terne et son rôle n’est pas très large. Il y a ensuite Barbara Bouchet qui cette fois ne fait pas que montrer ses nichons et son cul. Elle joue vraiment et arrive même à émouvoir. Il est vrai que son rôle est bien écrit. Marc Porel est Don Alberto. Cet acteur français qui a fait le meilleur de sa carrière en Italie n’était pas seulement une belle gueule, mais aussi un très bon acteur, il est parfait dans le rôle du curé tourmenté, on sedit qu’il aurait pu jouer très facilement l’abbé Mouret en lieu et place de Francis Huster dans le film de Georges Franju. Les petits rôles sont tout aussi intéressants, à commencer par les enfants. C’est Massimo Ranieri, grande vedette de la chanson et de l’écran à cette époque qui devait jouer ce rôle. Mais je pense qu’on n’a rien perdu au change. Georges Wilson fait une très brève apparition dans le rôle de Zio Francesco, rôle qui devait au départ être tenu par Fernando Rey. Le maréchal des carabiniers est joué avec finesse par Ugo D’Alessio, et il nous faut mentionner aussi Vito Passeri dans le rôle de Barra, le demeuré du village. Irène Papas qui incarne la mère de Don Alberto est plutôt éteinte, mais son rôle est petit. 

    La longue nuit de l’exorcisme, Non si sevizia un paperino, Lucio Fulci, 1972

    Martelli et Patrizia pénètre la famille du père Don Alberto 

    Fulci disait qu’il avait eu une bonne entente avec les producteurs qui lui laissèrent faire exactement ce qu’il voulait. Si le succès public a bien été au rendez-vous, la critique qui a toujours un temps de retard l’a copieusement dénigré à sa sortie. Mais au fil du temps il est devenu un jalon important du giallo, et en accord avec Fulci lui-même on peut convenir que c’est son meilleur film. il est revenu à la musique de Riz Ortolani, mais celle-ci n’a rien de remarquable, au contraire elle souligne avec des effets un peu lourds les moments forts, c’est reondant. Dans l’ensemble c’est donc un très bon giallo, très maitrisé et prenant, sa réputation est justifiée. 

    La longue nuit de l’exorcisme, Non si sevizia un paperino, Lucio Fulci, 1972 

    Donna Avallone emmène sa fille dans la montagne 

    La longue nuit de l’exorcisme, Non si sevizia un paperino, Lucio Fulci, 1972 

    Martelli tente d’arracher la petite Malvina à Don Alberto 

       

    L’édition-combo en Blu ray par Le chat qui fume, date de 2017, elle est malheureusement aujourd’hui indisponible, en fait on la trouve sur Internet chez des spéculateurs qui la vendent au poids de l’or. Elle n’avait été tirée qu’à 2000 exemplaires. Et donc si j’en parle, c’est sans arrière-pensée mercantile ! Une réédition à un tarif normal s’imposerait. En effet comme les autres éditions du Chat qui fume, elle est très complète, sans parler du transfert du son et de l’image qui donne une vie nouvelle à cette œuvre. Les bonus sont très nombreux, on retrouve Olivier Père, grand amateur de gialli, Jean-François Rauger, mais plus intéressants, les interviews de Lucio Fulci et des acteurs. Florinda Bolkan parlant de son travail avec lui sur deux de ses films sur un ton assez particulier quant à la personnalité du réalisateur. L’ensemble de ces bonus dure plus de quatre heures, et donne à voir le contexte dans lequel ce genre de films pouvait se réaliser


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/le-sequestre-sequestro-di-persona-gianfranco-mingozzi-1968-a202486804

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/la-mafia-fait-la-loi-il-giorno-della-civetta-damiano-damiani-1968-a162038558

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    Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971

    Le gros succès de Una sull’altra va encourager Lucio Fulci a continuer dans la voie du giallo.  Una lucertola con la pelle di donna est un beau titre, comme seules les gialli sont capables d’en donner. On dit que ce titre a été plus ou moins imposé pour répondre en quelque sorte à la trilogie animalière de Dario Argento qui avait été un immense succès. Mais en vérité c’est une phrase d’une des scènes finales du film et qui fait allusion à des rèves de drogués. Le France qui souvent se flatte  d’être le pays de la critique cinématographique, ce qui aboutit souvent à la surestimation de réalisateurs comme Hitchcock ou Clint Eastwood, n’a pas été au rendez-vous des gialli, et ce film a été diffusé bien après sa sortie sous le titre de Carole, seulement en 1976. Plus tard il reviendra dans le circuit renommé Le venin de la peur, titre assez idiot qui laisse supposer que les distributeurs du film le réservaient à des circuits marginaux. Fidèle à la formule qui a fait le succès d’Una sull’altra, une grande partie du film est tournée pour les décors extérieurs à Londres, ce qui a pour effet, non seulement de dépayser l’histoire, mais surtout d’utiliser le caractère supposé conservateur de l’Angleterre opposé à des hippies dégénérés. Comme si une telle histoire ne pouvait pas se dérouler en Italie, pays censé avoir une civilisation plus solide que Londres ! Ce film est considéré par les aficionados de Fulci comme son meilleur. Il a des qualités. Il existe aussi un site dédié à Lucio Fulci, très fourni, très détaillé animé par l’infatigable Lucien Grenier qui du reste participa à l’édition Blu ray d’Una lucertola con la pelle d’una donna[1]. Cette reconnaissance très tardive en France de Fulci était nécessaire, car si Fulci n’a jamais atteint le niveau de Bava ou d’Argento, il est clairement un des piliers du giallo, même si certains pensent que son apport à d’autres genres est aussi important. Sa carrière a été très prolifique, passant du western au giallo, de la comédie au film fantastique, du film d’espionnage façon James Bond du pauvre au polliziotescho.  

    Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971 

    Carole rêve qu’elle se retrouve dans un train entourée de personnes nues 

    Carole, la fille d’un avocat très en vue qui veut se présenter aux élections, fait des rêves étranges, toujours un peu les mêmes, elle traverse une foule nue dans le train, puis se retrouve avec sa voisine, Julia Durer dans une partie fine, et finalement elle la tue avec un poignard. Son mari, Frank Hammond s’inquiète pour elle et de la psychanalyse qu’elle suit. Elle semble fortement perturbée. Son père s’inquiète, demande à Frank s’il ne la trompe pas. Celui-ci répond que non, mais il passe la nuit avec sa maitresse. Cependant Julia Durer est assassinée. L’enquête policière va être confiée à l’inspecteur Corvin de Scotland Yard. Rapidement la police met la main sur une sorte de hippie, Hubert, qui avoue avoir tué Julia. Mais cela s’avère une fausse piste. L’enquête va se révéler difficile. Comme sur les lieux on a retrouvé le coupe papier de Carole, son manteau de fourrure et ses empreintes, la police l’arrête. Elle va en prison, mais n’y reste pas, son père versant l’énorme caution pour la libérer. Cependant les choses ne sont pas claires, les deux hippies la contactent, et lui donne rendez-vous dans une gare désaffectée par l’intermédiaire de Joan, la fille de Frank qui elle cherche à dédouaner son père des soupçons qui pèsent sur lui. Les choses tournent mal, à la gare Carole tombe dans un traquenard poursuivie par le hippie rouquin qui veut la tuer, elle n’est sauvée de la mort que par une homme qui intervient armé d’un fusil. Corvin avance cependant et commence à comprendre que l’assassin de Julia Durer ne peut être qu’un de ses familiers. Mais le père de Carole se suicide, et laisse une lettre en se disant coupable du crime de Julia. Mais Corvin n’y croit pas et avance maintenant que c’est bien Carole qui a tué Julia, en se forgeant un alibi selon lequel l’assassin aurait copié son rêve récurrent pour commettre son crime. En vérité le jour du meurtre les deux hippies étaient sous l’emprise du LSD et pouvaient pas comprendre ce qui s’était passé chez Julia où ils se trouvaient. Corvin comprend que Julia faisait chanter Brighton, parce qu’elle avait une liaison avec Carole, et que Brighton voulait éviter le scandale pour se présenter aux élections. 

    Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971

    Edmond Brighton est inquiet pour sa fille 

    Comme on le voit l’intrigue est tirée par les cheveux, ce qui est souvent le cas de ce type de structure imitée des romans anglais d’Agatha Christie. L’histoire d’un alibi fondé sur des séances de psychanalyse n’a pas de sens. Mais le giallo n’est pas du naturalisme ! ce qui fait la différence avec le polar traditionnel, c’est la capacité à ajouter des scènes érotiques et des scènes de violence sanguinolente. Indépendamment de la cupidité de Julia Durer qui est la clé de son assassinat, c’est un film sur le désir lesbien. Celui-ci est opposé à la bourgeoisie anglaise collé monté, avec sa dose d’hypocrisie. Les policiers sont prévenus, Brighton est un potentiel élu du parlement, il doit donc être ménagé. Carole est une femme seule, délaissée probablement par son mari qui se partage entre ses affaires et sa maitresse. Manifestement il a fait un mariage dans le but de rejoindre un puissant cabinet d’avocats et d’y faire carrière. Chacun poursuit un but personnel sans tenir compte du reste de la famille. Dans cette famille recomposée, tout le monde s’épie et soupçonne tout le monde. Joan espionne sa belle-mère, Frank est espionné par son beau-père qui manifestement cherche à le coincer et à l’éjecter de sa famille. Le police par nature soupçonne elle aussi tout le monde et porte un regards désabusé sur le monde qu’elle cherche à comprendre et à pénétrer.    

    Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971

    L’inspecteur Corvin enquête sur la mort de Julia Durer 

    Bien que l’histoire soit située à Londres, la thématique est très italienne, du moins très représentative de l’amertume de l’Italie face à la décomposition du pays. De là à en faire un film politique comme certains ont voulu le voir, c’est abuser. C’est plutôt un film sur la décomposition et en cela la thématique se rapproche de celles des poliziotteschi. En effet les contestataires représentés par le couple de hippies ne sont pas meilleurs. Drogués, ils se vendraient l’un l’autre pour une dose. C’est ce que comprend Joan qui paye Jenny pour qu’elle lui dise où doit avoir lieu le rendez-vous. Egalement les policiers qui sont étroitement surveillés sur le plan politique, sont tout à fait désabusés. Mais le film déborde tout cela justement avec la prise en compte du désir féminin. Fulci n’est pas le seul réalisateur italien à en avoir fait le cœur de sa cinématographie. Mais lui le fait en mettant en scène des séquences quasiment pornographiques et surtout en montrant comment les femmes, délaissées par les mâles, les délaissent à leur tout. Ces amours saphiques cependant ne représentent aucune sororité comme on dit aujourd’hui, ni aucune pureté. Bien au contraire, ils accompagnent la décomposition sociale.  

    Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971

    Un jeune hippie avoue le meurtre de Julia 

    L’écriture du scénario mène cependant à un certain nombre de poncifs et de caricatures. Si le portrait de la bourgeoisie londonienne est assez réducteur, il passe encore, mais celui des hippies est plus difficile à avaler. La jeune femme peint en lançant des poignards par exemple. De même faire rouler l’inspecteur Corvin en Jaguar est assez osé ! Surtout que par ailleurs il est présenté et habillé comme un petit fonctionnaire, certes entêté et raisonneur, mais aussi comme obéissant à une routine. Certes la Jaguar était sûrement à l’époque une image de la voiture anglaise prestigieuse, mais pourquoi en faire une voiture de fonction ? Mais ces fautes de goût ne sont pas très nombreuses. Les scènes d’interrogatoire, ou encore celles qui nous montrent la recherche des empreintes sont suffisamment stylisées pour qu’on ne se pose pas la question de leur vraisemblance. 

    Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971 

    Les empreintes de Carole trouvée chez Julia intriguent Corvin 

    On a dit que si Una sull’altra empruntait au Hitchcock de Vertigo et de Marnie, Una lucertola con la pelle di donna s’inscrivait dans la lignée d’un autre film d’Hitchcock, Spellbound, à cause des rêves reconstitués comme éléments de la résolution de l’enquête. Il est bien possible que ce soit là une intention consciente de Fulci qui, ne l’oublions jamais, écrivait lui-même ses scénarios. Mais en réalité c’est moins dans cette mécanique que dans la description de la frigidité apparente de Carole qu’il se rapproche d’Hitchcock. Les femmes hitchcockiennes sont le plus souvent frigides et souffrent de cette frustration. C’est le cas de Carole qui se donne à Julia qui la manipule et se sert d’elle pour faire chanter son père. Les rêves de Carole sont représentés à la fois par un train bondé, une partouze sous acide, et aussi des tableaux animés démarqués de Francis Bacon. Comme Argento, et comme beaucoup de cinéastes italiens, la peinture joue un rôle important, non seulement pour affirmer la richesse de la haute bourgeoisie, mais aussi pour donner un contrepoint au rêve. 

    Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971

    Carole est arrêtée 

    Le film n’est pas vraiment horrifique, et les scènes comme celles des chiens martyrisés pour la gloire de la science, si elles sont horribles, s’inscrivent dans une volonté de faire apparaître une confusion entre le rêve et la réalité. Le film est un cauchemar pour Carole, les violences rêvées ou réelles qu’elle subit en sont la marque. Où se trouve la vérité ? Ce principe d’une ambiguïté de la vie même va guider la mise en scène. D’une part Fulci va répéter le rêve du train, en le filmant ou quand Carole le raconte à son psychanalyste. Et d’autre part Carole ne va pas comprendre pourquoi elle est poursuivi par des personnes qui manifestement veulent l’assassiner. Et donc cette ambiance de cauchemar va être révélée par la longueur des scènes plus ou moins érotiques, mais aussi par le choix des décors. Quand elle est poursuivie dans cette gare désaffectée, elle va être attaquée par des chauve-souris sans raison, nouvel hommage à Hitchcock de The birds. Dans la clinique où elle est poursuivie, elle va être conduite dans une salle où des chiens sont éventrés vivants et testés. Cette dernière scène a valu d’ailleurs à Fulci un procès pour maltraitance animalière, et il dut faire la preuve qu’il s’agissait d’un trucage. Les plaignants auraient pu s’épargner le ridicule d’un procès, étant donné que le trucage est tout à fait visible, que ce soit les organes qui palpitent ou encore la couleur du sang et des entrailles qui est bien trop vive.  

    Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971

    Brigthon va voir sa fille en prison  

    Les réalisation est bonne et bien rythmée, notamment la longue poursuite de Carole par le hippie qui nous fait visiter des sous-sols très étonnants. On grimpera des escaliers en spirale, comme une manière d’atteindre une vérité qui est restée à l’état d’inconscience. Manifestement Carole est à la poursuite d’elle-même, même si c’est elle la coupable. Le montage est habile et utilise des plans très courts, mais les mouvements de caméra sont tout aussi importants, que ce soit dans la séquence étouffante du train ou dans les scènes de poursuite qui jouent de la verticalité du décor, notamment la pénétration de l’orgue, puis de la profondeur du champ des souterrains. Cependant, les couleurs sont beaucoup moins travaillées que dans Una sull’altra. L’image est moins stylisée, ce qui empêche d’utiliser une palette d’effets beaucoup plus large. Peut-être voulait il se démarquer de Mario Bava et de Dario Argento qui commençait à devenir une référence centrale dans le genre. Les scènes dites érotiques apparaissent avec le temps assez maladroites et un peu trop longue. Fulci reviendra encore à cette fantaisie du split-screen, mais assez modérément. 

    Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971

    Carole est poursuivie par quelqu’un qui veut la tuer 

    Sans être haut de gamme, la distribution est conséquente. En vérité les films de ce type étaient tournés très rapidement, ce qui permettait d’agréger des noms au générique sans alourdir l’addition. Le film est construit autour de la personnalité de Carole, et c’est donc tout naturellement Florinda Bolkan qui attire l’attention. C’est un de ses premiers films importants, cette actrice brésilienne de grande taille, fera par la suite une belle carrière dans le cinéma de genre en Italie. Très énergique, elle semble cependant en décalage quand elle doit jouer des scènes où manifestement elle est perdue. C’est une femme qui joue difficilement la passivité. Jean Sorel qui était déjà dans le premier giallo de Fulci, interprète son mari un peu volage. Il est un petit peu effacé dans ce film, et curieusement il a été reteint, sans doute pour lui donner un air plus respectable en le  vieillissant. Stanley Baker joue l’inspecteur Corvin. Son rôle est assez étroit pour un acteur de ce rang, mais il est tout à fait à sa place. Leo Genn incarne Brighton, l’avocat et homme politique conservateur. C’est un très bon acteur à la longue carrière, il incarne l’Angleterre telle qu’on s’en faisait une idée dans les années soixante et soixante-dix. Certes il donne parfois un peu trop dans le froncement de sourcils, mais dans l’ensemble il est très bien. 

    Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971

    Ayant appris que Frank a une maitresse, il en vient à la soupçonner 

    Le cosmopolitisme de la distribution reflète le fait que ces films visaient au-delà du marché italien une diffusion internationale. Anita Strindberg assez décorative a un rôle quasi muet, mais elle est raide comme un piquet et n’exprime pas grand-chose, actrice suédoise, elle aura une carrière prolifique dans le cinéma de genre italien, sans qu’elle laisse un grand souvenir. Alberto De Mendoza, acteur argentin, qu’on avait déjà vu dans Una sull’altra interprète le sergent Brandon qui travaille sous la direction de Corvin, il n’est guère présent à l’écran. D’autres acteurs comme Silvia Monti ou le français Georges Rigaud qui joue le psychiatre ne font que passer. Plus intéressante est Ely Galleani dans le rôle de la fille de Frank qui apporte un peu de nerf à une interprétation qui en général en manque un peu. Mike Kennedy et Penny Brown qui figurent le couple de hippies dégénérés restent dans l’outrance et n’apportent pas grand-chose. 

    Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971

    Dans le tunnel Carole fuit encore 

    L’ensemble est un bon film, mais il est moins passionnant qu’Una sull’altra. La musique est cette fois d’Ennio Morricone, preuve que les producteurs ont confiance en Lucio Fulci. Je la trouve cependant moins marquante que celle de Riz Ortolani dans le précédent giallo. L’accueil critique n’a pas été bon, mais le public a suivi. C’est seulement avec le temps que ce film a été réévalué, non pas comme un chef d’œuvre du genre, mais comme un giallo original. 

    Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971 

    Le père de Carole s’est suicidé  

    Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971

    Carole se remémore une scène avec Julia Durer 

     

     Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971 

    En 2015, Le chat qui fume sortait un Blu ray dans une édition combo qui est je crois encore disponible sur le marché français. Cette édition qui comprend de nombreux bonus, notamment des entretiens avec Jean Sorel et Anita Strindberg, une présentation de la vie et de l’œuvre de Lucio Fulci par Lucien Grenier, est très complète. La maniaquerie est poussée jusqu’à présenter la version VHS française !



    [1] http://www.luciofulci.fr/

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  •  Perversion story, Una sull’altra, Lucio Fulci, 1969

    Lucio Fulci est bien moins connu et reconnu que Mario Bava ou Dario Argento qui ont œuvré un petit peu sur le même créneau du cinéma de genre. Il a eu une carrière assez éclatée, western-spaghetti, films rigolos, et pour ce qui nous concerne giallo et poliziotteschi. Entre 1959 et 1991 il n’a jamais cessé de tourner, et jusqu’en 1996 il travaillera aussi comme scénariste. Auteur complet, il  travaillait lui-même la plupart de ses scénarios. Son dernier sujet est Maschera di cera qui sera tourné après son décès par Sergio Stivaletti en 1997 avec Robert Hossein. Son manque de reconnaissance provient du fait qu’il y a chez lui une volonté de filmer un peu à plat, en évitant les flamboiements esthétiques, en se concentrant d’abord sur l’histoire. Les amateurs de gialli cependant l’apprécient justement pour sa sobriété. Una sull’altra est pourtant d’une importance capitale, d’abord parce qu’il va fixer une partie de la thématique du giallo dans la lignée des premiers Mario Bava, ensuite parce que son succès va relancer la carrière de Jean Sorel un peu stagnante. En effet, cet acteur français, d’origine marseillaise, qui avait choisi de vivre et de travailler en Italie, va devenir une sorte de vedette centrale du giallo. Il avait pour lui un physique avantageux, qui parfois le faisait comparer à Alain Delon, et il semble cela soit une des raisons qui l’avait fait choisir par Luchino Visconti pour Vaghe stelle dell’orsa aux côtés de Claudia Cardinale. Mais ce film est aussi une des premières incursions vers le giallo érotique, et donc il va accompagner cette sorte de révolution sexuelle des Italiens à la fin des années soixante. Cette tendance était de fait une réaction contre la morale corsetée proposée par l’Eglise qui, à l’époque avait encore une grande emprise sur l’Italie. Fulci est cependant resté un peu à la traîne en France, la critique l’ayant un peu dédaigné parce qu’il ne mettait pas assez en avant des révolutions formelles comme Bava ou Argento. 

    Perversion story, Una sull’altra, Lucio Fulci, 1969

    George Dumurrier s’oppose à sa femme et à sa belle-sœur 

    George Dumurrier est un médecin de San-Francisco qui a des difficultés avec sa clinique qui est fortement endettée. Mais malgré les conseils de son frère Henry, médecin également, qui travaille avec lui, il se refuse à la vendre. Il est aussi sous la pression de sa femme Susan qui est malade et aigre. Il se refugie chez sa maitresse, Jane Bleeker qui veut rompre parce qu’il n’ose pas divorcer. Elle s’en va en train, mais il la rattrape en voiture lui prouvant qu’il lui est très attaché. Après une virée à Reno, il apprend que Susan est morte. Il rentre précipitamment à San-Francisco pour constater le trépas. Les choses se compliquent quand il apprend que Susan lui a laissé une assurance-vie d’un million de dollars qui vont lui permettre en effet de tirer la clinique d’embarras. Mais cette énorme assurance amène la compagnie d’assurance à enquêter sur George. Un détective privé de la compagnie commence à le suivre partout. Il s’aperçoit qu’il a une maitresse, Jane, mais également qu’il se rend dans un cabaret où travaille une stripteaseuse, Monica Weston qui ressemble furieusement à Susan Dumurrier, si ce n’est qu’elle est blonde et que ses yeux sont clairs. 

    Perversion story, Una sull’altra, Lucio Fulci, 1969

    Jane retrouve George en train de téléphoner 

    Cette Monica Weston commence d’abord à fasciner et à attirer George et Jane. Cette femme est l’envers de Susan, manifestement elle se prostitue et d’ailleurs elle propose à Jane et George de s’amuser tous les trois ensemble. Dans un premier temps ils refusent, mais George va se rapprocher d’elle et entrer dans une relation sulfureuse, sans le dire à Jane. Le détective de la compagnie d’assurances qui est toujours sur la piste de George va rendre compte de ses découvertes à la police. Celle-ci va arrêter Monica, et va également perquisitionner chez elle. Elle va trouver des preuves accablantes, notamment en pratiquant une autopsie de Susan Dumurrier qui démontre qu’elle a été empoisonnée. Puis elle va trouver un buvard qui permet d’authentifier la signature de Susan. Mais entre-temps, Monica est aux prises avec Benjamin Wormser qui en allant payer la caution pour la libérer va découvrir que quelqu’un l’a précédé. Cela le rend jaloux et il va affronter Monica qui se moque ouvertement de lui et le chasse. L’avocat de George tente de retarder l’exécution et obtient un délai. L’analyse de la dentition de la morte va également dans ce sens. Tout cela va mener la police à accabler George. George va être condamné à la chambre à gaz. Quelques heures avant d’être exécuté George reçoit une visite de son frère et de son avocat. En tête à tête, Henry avoue à George qu’il est la victime d’une machination et qu’en fait il est depuis longtemps l’amant de sa femme, qu’il est bien content de le faire disparaitre et qu’il va rejoindre Monica qui en réalité est bien Susan. Celle-ci est partie pour Paris où Henry doit la rejoindre. C’est sans compter sur Wormser qui a suivi celle qu’il croit être Monica. Fou de jalousie, il abat les deux comploteurs ce qui a pour effet de rendre la liberté à George puisque sa femme n’est pas morte ! 

    Perversion story, Una sull’altra, Lucio Fulci, 1969 

    Susan Dumurrier est décédée 

    Le manque de vraisemblance du scénario est typique du giallo en général. On n’insistera pas sur ce point. L’essentiel se passe ailleurs, dans ce que montre les images. On a beaucoup insisté sur les références à Hitchcock, certes, il y en a, aussi bien à Vertigo qu’à Marnie. Mais à mon sens ce n’est pas l’essentiel, car dans ce scénario qu’il a lui-même écrit Fulci est bien plus audacieux qu’Hitchcock. C’est une conspiration, un complot. Ce qui est assez fréquent dans le thriller, mais ce qui compte c’est ce que cette conspiration met en scène, plus que ses raisons. Le titre français, Perversion story est déjà explicité, c’était d’ailleurs le premier titre anglais qui avait été choisi, le producteur ne voulait pas qu’on confonde le film de Fulci avec un autre giallo, Perversion, qu’il avait produit avec Alberto De Martino à la réalisation avec John Ireland également. Donc le titre fut en italien Una sull’altra, titre énigmatique comme pour beaucoup de gialli, mais qui renvoie à la manie de George Dumurrier d’empiler les femmes les unes sur les autres dans un désir d’accumulation, et aux femmes elles-mêmes de manifester leur désir l’une pour l’autre. ainsi donc l’histoire tourne autour de la manipulation d’un homme par plusieurs femmes qui le désirent et qui le haïssent. Sa femme évidemment, qui en vérité manipule aussi son frère, sa belle-sœur, et sa maitresse qui se livre à un chantage. Sa femme comme sa maitresse se servent de leur corps et de leurs sens pour l’amener où elles le veulent, l’une à divorcer, l’autre à se faire piéger pour le livrer à la chambre à gaz. Face à cette rouerie féminine la malice de George pèse peu. Et du reste c’est seulement le hasard qui lui évitera de mourir. Benjamin Wormser est dans la même position. Ce petit homme qui a l’air d’un comptable est prêt à tout pour Monica. Mais celle-ci abuse de la maitrise qu’elle a sur lui, et c’est elle qui mourra. 

    Perversion story, Una sull’altra, Lucio Fulci, 1969

    Dans un cabaret, George va faire la connaissance de Monica Weston 

    Derrière cette détermination féminine que seul le hasard est capable de vaincre, il y a l’ambiguïté. Susan se dédouble en Monica, passant d’une apparence prude à une vulgaire strip-teaseuse. Jane à cause de sa coiffure et de ses vêtements est à la fois féminine et masculine. Cependant on remarquera que la scène de séduction entre elle et Monica n’aboutit pas, le désir avorte, avant de reprendre sa place dans une norme plus policée. Il est vrai qu’en 1969 la révolution sexuelle n’est pas totalement accomplie dans le cinéma. La longue scène de séduction entre Jane et Monica est réalisée de telle manière qu’elle suggère bien plus qu’elle ne montre. Une des astuces scénaristiques est de dépayser l’histoire à San-Francisco. En effet en Amérique on est en avance en matière de divorce à l’époque où le film est tourné, on est en pleine préparation d’une nouvelle loi qui permettra enfin de divorcer contre l’avis d’ailleurs de l’Eglise. Le film est assez curieux parce qu’on ne comprend pas très bien ce que Jane et George vont faire à Reno qui est la ville des divorces rapides. La contrepartie de cette haine latente des femmes pour les hommes, on voit aussi apparaître une forme de solidarité entre les hommes, l’avocat, le procureur et même le détective Wald, qui tous semblent soutenir George, mais ils n’ont pas de preuves suffisantes pour le disculper. Les mâles sont très passifs, sauf, curieusement, le petit Wormser ! 

    Perversion story, Una sull’altra, Lucio Fulci, 1969

    George est fasciné par Monica Weston et entame une relation avec elle 

    L’ambigüité se retrouve forcément dans le comportement de George, même si cela est provoqué par la fausse Monica. Quand il fait l’amour avec elle, alors qu’il ne la touchait plus, il croit le faire avec une morte ! C’est en réalité comme s’il voulait la ressusciter ! Il se rend compte de cette absurdité, et la perplexité se lira sur son visage quand la séance sera terminée. Autrement dit, il est passé de sa femme qu’il ne veut pas quitter parce qu’il la croit malade, à sa maitresse, pour ensuite retourner vers son épouse avec qui il s’entend si mal. 

    Perversion story, Una sull’altra, Lucio Fulci, 1969

    Jane est perplexe 

    Tout cela est bien intéressant, mais ce ne serait rien sans une mise en scène adéquate à son sujet. C’était le premier giallo de Lucio Fulci, et ce fut une réussite. Premier aspect remarquable, San Francisco. A l’origine l’histoire devait se dérouler à Paris, ce qui explique peut-être le nom des deux frères Dumurrier qui est de consonnance française, comme les prénoms George et Henry. C’est le producteur qui tournait déjà aux Etats-Unis et qui y avait des intérêts qui suggéra ce dépaysement. Peut-être voulait-il compresser les frais ? Il y tournait en effet le Perversion d’Alberto De Martino, également avec John Ireland. Cette firme, Empire films, produira un peu plus tard plusieurs films de Sergio Gobbi, réalisateur franco-italien qui prolongera chez nous la veine du giallo. Peu importe en tous les cas, tourner à San Francisco est un très bon choix. Le tournage des extérieurs dura seulement 8 jours, mais les lieux sont bien choisis. Il y aura quelques scènes dans la prison de San Quentin, y compris dans la vraie chambre à gaz ! Le film ne s’attarde pas sur le seul Golden Gate et les rues en pente forte, mais il filme la nuit et ses couleurs illuminées au néon. Une des dernières scènes se passe sur le boulevard Saint-Germain à Paris. Ce n’est donc pas un film fauché, même si ce n’est pas un très gros budget.    

    Perversion story, Una sull’altra, Lucio Fulci, 1969

    Le graphologue découvre sur un buvard la signature de Susan 

    Il faudrait aussi revenir sur le très long strip-tease de Monica Weston dans le cabaret. Celui-ci est réalisé sur une moto de grosse cylindrée. C’est cependant un symbole très compliqué, une forme de liberté et de virilité. On le trouve bien entendu dans le film de Denis Hopper, Easy Rider, qui était sorti en 1969. Il permet aussi de mettre en avant le désir féminin émancipé qui existe pour lui-même, et celui-ci est associé à un objet moderne, une mécanique désincarnée. En 1968 on trouve cette allusion avec la mise en scène de la chanson de Serge Gainsbourg, Harley Davidson qu’interprète Brigitte Bardot et qu’elle utilise dans un show télévisé. C’est un succès formidable, les enregistrements se vendront comme des petits pains. Mais on retrouve encore en 1968 cette imagerie dans The girl on the motorcycle, le film de Jack Cardiff, avec Alain Delon et Marianne Faithfull toute habillée de cuir noir. Ce film n’a pas eu beaucoup de succès en France, mais, produit par Alain Delon lui-même, on en avait beaucoup parlé. Adapté d’un roman d’André Pierre de Mandiargues publié en 1963 chez Gallimard, c’était une variation sur le rapport qu’il peut y avoir entre le désir sexuel et la mort. Ce que représente exactement Marisa Mell sous les traits de Monica Weston. Son strip-tease s’inscrit donc dans cette lignée d’images qui associe la liberté sexuelle féminine à la mort et à la machine. Fulci et coscénaristes ne pouvaient ignorer ce contexte. 

    Perversion story, Una sull’altra, Lucio Fulci, 1969 

    Le détective Wald comprend que tous les faits mènent à la culpabilité de George 

    Le travail sur les couleurs est intéressant, tout à fait dans la lignée de ce que faisait au même moment Bava, notamment ce positionnement des couleurs par rapport au rouge des cabarets et de la nuit. Fulci semble même avoir filmé une scène à New York uniquement pour avoir ce jaune fameux des taxis. Généralement le rythme est très soutenu, sauf, curieusement, dans les scènes dites érotiques qui trainent un peu en longueur. Ces scènes qui justement ont été remarquées à la sortie du film et qui ont fait son succès, sont aujourd’hui plutôt datées. En dehors des références à Hitchcock qu’on a dites, j’en note d’autres. Celle à Diaboliquement votre de Julien Duvivier[1], un film trop souvent négligé en France, mais qui a marqué les débuts du giallo en Italie. Du reste Jean Sorel fait penser à Alain Delon, et c’est sans doute pour cela qu’il a été choisi car à cette époque Delon était une immense vedette en Italie. La séance de graphologie semble être démarquée de la séance de signature dans Plein soleil, le film de René Clément[2], toujours avec Delon. On peut aussi déceler une référence à Blow Up d’Antonioni avec les séances de photos. Cette référence, fréquente à l’époque dans le cinéma de genre italien, se retrouvera d’ailleurs chez Dario Argento dans Profondo rosso[3], autre giallo emblématique. Fulci utilise aussi une coquetterie en vogue à l’époque, le split screen, ainsi qu’on nommait l’écran partagé. L’usage de l’écran large permet de donner de l’air à la ville de San Francisco. 

    Perversion story, Una sull’altra, Lucio Fulci, 1969 

    Le frère de George et son avocat sont venus le voir avant son exécution 

    La distribution c’est d’abord Jean Sorel dans le rôle de George Dumurrier. C’est un bon acteur qui malheureusement à cause de son physique de jeune premier a été trop comparé à Alain Delon. Malgré ce handicap il fera une très longue carrière dans le giallo en Italie. Parfois un peu raide quand il doit jouer les hommes accablés par le destin, il est bien mieux quand il met en avant son dynamisme et sa légèreté. Il est très fermement soutenu par des actrices très emblématiques de cette période, d’abord Marisa Mell. Cette actrice autrichienne de grande taille que rien n’effrayait à l’écran, avait un jeu bien plus subtil que sa plastique sensuelle ne laissait entendre. Elle est très bien dans le double rôle de Monica et de Susan. Capable de passer de la vulgarité de la fille qui s’exhibé dans les bas-fonds à la sophistication de la grande bourgeoise éthérée. Elsa Martinelli a un rôle moins important, et semble même disparaitre dans la seconde partie du film. Elle tient très bien le rôle de cette photographe qui est attachée à son objectif comme d’autres mâles tiennent à leur sexe. Coiffée très court, elle ne perd rien de sa féminité, malgré l’ambigüité de son rôle, toute revêtue de cuir noir. Alberto de Mendoza, acteur espagnol, interprète Henry, le frère fourbe, il est surtout là pour les nécessités de la coproduction avec l’Espagne. Pour faire couleur locale, on a été cherché John Ireland, qui fut dans le temps une figure des films noirs de série B, y compris chez Anthony Mann, mais qui ici semble s’ennuyer dans le rôle du policier. Son rôle est étroit, comme celui de Faith Domergue qui incarne la belle-sœur acariâtre, qui fut non seulement la compagne d’Howard Hugues, mais qui connut une certaine renommée dans les années cinquante. Riccardo Cucciolla, habitué a joué les hommes faibles et abusés, tient le rôle bref mais décisif du jaloux et pleurnicheur Wormser. 

    Perversion story, Una sull’altra, Lucio Fulci, 1969 

    George arrive dans la chambre à gaz 

    C’est donc un très bon giallo, très soutenu et bien maîtrisé. Ce fut un très gros succès en Italie et aux Etats-Unis, assez ignorée en France, et qui encouragea Fulci a poursuivre dans cette voie. Soulignons l’excellente musique de Riz Ortolani qui a cette époque a produit quelques partitions pour des gialli, notamment pour Umberto Lenzi. C’est du très bon jazz, plutôt West Coast, mais le sujet s’y prête puisque nous sommes à San Francisco ! 

    Perversion story, Una sull’altra, Lucio Fulci, 1969

    A Paris Wormser abat Monica et le frère de George 

    Jusqu’à une date récente, on trouvait une bonne copie de ce film en Blu ray sur le marché français, éditée par Le chat qui fume. Cette édition tirée à seulement mille exemplaire contient au moins deux bonus intéressants, une analyse de Jean-François Rauger sur l’importance de Lucio Fulci dans le giallo, et une interview de Jean Sorel qui fut avec un autre Français, Luc Merenda, un des piliers du genre. Mais il semble que cette édition soit maintenant épuisée. 

    Perversion story, Una sull’altra, Lucio Fulci, 1969



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/diaboliquement-votre-julien-duvivier-1967-a206367500

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/plein-soleil-rene-clement-1960-a119531998

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/les-frissons-de-l-angoisse-profondo-rosso-dario-argento-1973-a213265539

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  •  Fauda, saison 4, janvier 2023

    Je ne regarde pas beaucoup de séries, même si certaines sont excellentes, The Wire[1], The Shield[2], The Sopranos[3], c’est très bien. Se visionner des saisons de douze épisodes, ça vous prend beaucoup de temps. J’avais dit cependant tout le bien que je pensais de Fauda[4]. Cependant comme la quatrième saison était produite par Netflix, je me méfiais énormément, vu la médiocrité générale des productions de cette plateforme. J’avais tort. Cette quatrième saison est excellente, et ses créateurs l’ont faite évoluer dans un sens très intéressant. On connaît le principe, une équipe des services spéciaux israéliens traquent des terroristes, préviennent des attentats en utilisant des techniques à la fois très modernes, drones, truquage des téléphones, interception des messages, et des techniques plus traditionnelles, infiltration, mensonge et manipulation. La toile de fond est le conflit israélo-palestinien. Mais on aurait tort de croire que c’est là le sujet, c’est seulement la toile de fond. Il est impossible en voyant cette série d’avoir un avis politique sur cette question. Bien que ce soit une série israélienne, il n’y a pas de position pro-israélienne et encore moins si je puis dire pro-palestinienne. Evidemment avec le regain de violence en Israël en ce moment, la quatrième saison prend un relief tout à fait particulier. 

    Fauda, saison 4, janvier 2023 

    A Molenbeek, l’équipe d’Eli va chercher à récupérer Gabi 

    Un braquage à Jénine tourne mal, mais il va mettre Dana sur la piste d’une cellule du Hezbollah qui prépare une grosse opération depuis Molenbeek dans la banlieue de Bruxelles. Gabi escorté de Doron se rend sur place pensant rencontrer Omar un informateur dont le père avait déjà travaillé avec lui par le passé. Mais la protection par le Mossad est mal assurée et l’affaire tourne à la catastrophe. Plusieurs agents israéliens sont tués et Gabi est enlevé. Dana envoie alors Eli et son équipe pour rejoindre Doron à Bruxelles et tenter de retrouver Gabi. Ayant appris qu’Omar avait joué un rôle important dans l’enlèvement de Gabi, sa sœur Maya qui travaille dans la police et qui est mariée à un policier juif, va être démise de ses fonctions. Cependant Gabi se fait torturer par les gens du Hezbollah afin qu’il parle et livre des noms des taupes infiltrées. Ce qui permet au Hezbollah d’éliminer des sources de renseignement importantes pour les services israéliens. L’équipe d’Eli va cependant retrouver la piste de Gabi qui est retenu dans une cité de type HLM. L’intervention au cœur de la cité, épaulé par la police belge, met les hommes du Hezbollah en fuite, mais ils arrivent a emmené avec eux Gabi qui, consécutivement à ses tortures, est très mal en point. Dana ayant appris qu’Omar travaille pour son cousin Adel, va traquer celui-ci en retournant un de ses hommes qui travaillaient avec l’Autorité palestinienne. Maya quant à elle commence à recevoir des messages plus ou moins codés de son frère Omar. Raphael va envoyer Doron auprès de Maya en espérant que celle-ci les guidera vers Omar et vers Adel. Omar est maintenant au Liban où Gabi est séquestré. Doron se fait passer pour un envoyé d’Omar et demande à Mayan de lui amener des faux passeports pour qu’ils puissent passer en Espagne. 

    Fauda, saison 4, janvier 2023 

    Nurit s’était mariée avec Sagi avant de partir en mission 

    Doron et Maya vont faire ensemble un long voyage, ils passent en Syrie puis vont revenir sur le Liban par le Nord. Pendant ce temps Adel prépare des missiles de fortune pour déclencher une nouvelle guerre avec Israël en espérant que les Palestiniens se mobiliseront pour soutenir le Hezbollah. Mais les choses se compliquent car Doron et Maya sont repérés. Les supérieurs d’Omar commencent à se méfier de lui. Mais Doron est arrivé au Liban et l’équipe d’Eli, adossée à un commando israélien va passer à l’attaque. Avant que le Hezbollah ne mette la main sur Omar qui est maintenant considéré comme un traitre, Doron va le retourner. Grâce à lui ils vont repérer l’endroit où est détenu Gabi. Ils arrivent à délivrer Gabi, mais dans la confusion celui-ci abat Omar. Tout l le monde revient en Israël. Maya et sa famille vont organiser les funérailles d’Omar. Gabi voit là une possibilité pour faire sortir Adel de son trou. L’équipe d’Eli se déguise en soldats du Hamas et enlève le corps d’Omar. Adel qui veut que le Hezbollah considère Omar comme un héros et un martyre va intervenir, mais il a le temps de faire tirer ses missiles de fortune. Lors des funérailles, les choses s’enveniment sérieusement. Maya comprend que les hommes du Hamas sont des Israéliens camouflés. Elle les dénonce. Le chaos s’ensuit, l’équipe d’Eli poursuit Adel, mais elle va se trouver coincée dans une sorte de nasse où les tireurs d’élite du Hezbollah vont descendre Doron et ses collègues un après l’autre. Adel sera aussi tué. 

    Fauda, saison 4, janvier 2023

    Maya va être convoquée par le Shin‘bet et démise de ses fonctions

    Ce rapide résumé ne suffit pas à rendre la densité de la saison 4 et ne dispense pas de la regarder. Il met seulement en avant les axes de la double intrigue. La recherche de Gabi qui a été enlevé et la traque d’Adel qui a des projets meurtriers pour la sécurité d’Israël. Il y a donc une double enquête policière, avec des filatures, des interrogatoires, des fausses pistes aussi. Mais comme nous sommes dans une situation très conflictuelle sur le plan militaire, même si le Hezbollah n’a pas les moyens de déclencher une offensive militaire de grande ampleur, les services secrets utilisent des moyens pas toujours orthodoxes. Ils exercent le chantage sur plusieurs de leurs cibles, mais ils les manipulent aussi, comme le fera Doron avec Maya. C’est un univers glauque où tout le monde ment, le Hezbollah comme les Israéliens. Gabi est choqué d’apprendre qu’Omar l’a trahi, il ne le supporte pas, mais n’a-t-il pas fait la même chose avec son père ? Ces formes particulières de lutte ne ressortent pourtant pas de la morale, mais de la nécessité. Ce qui est le plus frappant dans cette saison, c’est qu’on comprend le point de vue de chacun par cette nécessité de survie. Maya, la sœur d’Omar, est à priori une policière israélienne arabe. Elle joue le jeu de l’intégration, comme son père l’avait fait. Mais elle va se trouver rapidement face à ses contradictions. D’abord il y a son frère dont elle n’approuve pas la conduite et qui la conduit à enfreindre la loi pour l’aider. Ensuite le manque de confiance que lui accordent les services de sécurité israéliens la choque et la fait voir à son insu comme rejetée par la société. Elle aura une scène avec son mari qui a un moment donné laissera échapper au-delà de la compassion qu’il éprouve pour sa femme, une exaspération qui en dit long sur cette société divisée. La quasi-totalité des protagonistes se trouvent dans une situation ambiguë. C’est ainsi que Doron qui ment comme il respire pour manipuler Maya, se trouve manifestement très attiré par elle, avec comme une envie de la protéger. Il ne lui avouera que tardivement qui il est vraiment. 

    Fauda, saison 4, janvier 2023 

    Gabi est méchamment torturé par le Hezbollah 

    Cependant, les Israéliens ne sont pas les seuls à pratiquer le chantage et le mensonge. Les hommes du Hezbollah qui se méfient même de leurs ombres, ne font confiance à personne, et sous des manifestations d’amitié et de grandes claques dans le dos, ne disent jamais la vérité. Car le camp palestinien est extrêmement divisé, d’un côté l’Autorité palestinienne qui joue plus ou moins le jeu d’une coopération avec Israël en matière de sécurité, mais qui est infiltré et travaillée par le Hezbollah. Ce dernier se place en situation d’ennemi des Palestiniens qui ne veulent pas passer sous le joug de l’Iran chiite. Mais il y a encore le Hamas qui semble tenir Gaza. Cette division explique pourquoi ils se font la guerre entre eux, avec des assassinats et autres rackets. Chacun cherche à conserver sa place en espérant qu’un jour ils représenteront une forme d’Etat légitime, même si cet Etat est nain et se trouve en exil à Molenbeek. Mais si la série met l’accent sur ces divisions, si elle montre qu’elles servent finalement les services israéliens, elle n’insiste pas sur leur caractère « naturel » ou perpétuel. Car ces divisions n’existent que d’une manière conjoncturelle, et si on fait tout pour les amplifier et pour les utiliser, on ne parie pas non plus sur leur caractère pérenne. 

    Fauda, saison 4, janvier 2023

    Une taupe israélienne auprès de l’Autorité palestinienne est abattue 

    Au fond, le chantage, le mensonge, voir les meurtres sont les aspects « humains » de cette histoire bien ancrée dans une réalité politique criante. Mais si les Israéliens dominent dans le combat contre le Hezbollah, le Hamas en perte de vitesse et même le Fatah, c’est aussi à cause de leur avance technologique. On l’a déjà vue dans Téhéran, cette avance permet de gagner de nombreuses batailles[5]. Cependant, dans la saison 4 de Fauda, ce n'est pas présenté seulement comme un avantage. C’est aussi une forme deshumanisation dans la lutte. Ceux qui gèrent l’usage de cette technologie, sont aussi des bureaucrates, engoncés dans leurs règles, ne tenant pas compte de la densité des personnes qui se trouvent manipulées et en difficultés. Si Raphael apparait comme celui qui ne veut pas s’écarter du protocole, Dana est plus tourmentée par cette ambiguïté. Il est vrai qu’elle se confronte souvent, en tête à tête, à des terroristes et donc qu’elle les connaît aussi du point de vue de leurs faiblesses. Si elle en joue, elle se rend aussi tout à fait compte de leur misère, et partant on voit bien qu’elle doute, non pas de sa mission, mais des manières de la mener. Le doute habite d’ailleurs presque tous les protagonistes de l’histoire. On verra d’abord Omar regretter les tortures qu’on inflige à Gabi qu’il a connu alors qu’il n’était qu’un enfant. Gabi doute de lui-même, car sous l’effet de la torture, il a parlé, Doron doute de son rapport avec Maya. Mais même le sinistre Adel va montrer des signes de lassitude et hésiter à lancer son attaque avec des missiles de fortune sur des cibles israéliennes, mais il est coincé par son statut et ses postures antérieures, il ne peut plus reculer, ne serait-ce que parce qu’il est devenu aux yeux de certains jeunes une sorte de héros. On verra du reste les membres du Hezbollah s’interroger sans le dire sur l’appui que le gouvernement iranien leur accorde. 

    Fauda, saison 4, janvier 2023

    L’équipe d’Eli tente de retrouver Gabi à Molenbeek 

    Cette histoire de missiles bricolés est décisive. D’abord parce qu’elle montre que la société israélienne pour avancée qu’elle soit sur le plan technologique, n’est pas à l’abri de l’inventivité des combattants du Hezbollah. Ensuite parce qu’elle fait apparaître les combattants du Hezbollah comme déterminés par autre chose qu’une folie furieuse. Ils sont d’ailleurs toujours présentés comme des êtres humains avec leurs contradictions, mais comme des être humains. On verra par exemple la femme d’Adel encourager son mari à continuer son combat contre Israël certainement parce que cela lui donne un prestige de héros dont elle est fière. La fatalité, c’est-à-dire l’explosion de la voiture provoquée par les membres de l’équipe d’Eli et qui manque de tuer son fils la ramènera un peu à la raison. On verra curieusement une forme de solidarité féminine se dessiner entre les femmes qu’elles soient palestiniennes ou israéliennes ou arabes. Comme si quelque part elles comprenaient la vanité de toutes ces luttes.

     

    Fauda, saison 4, janvier 2023 

    Le pharmacien homosexuel doit livrer la cachette de son amant qui travaille pour le Hezbollah 

    Pour dessiner la complexité de ce conflit, il y a toute une série de portraits plus ou moins contradictoires. Gabi qui fait le dur, mais qui parlera sous la torture, les homosexuels arabes qui sont dans l’impossibilité d’assumer leur homosexualité. Les membres de l’équipe d’Eli qui à tour de rôle voudraient retrouver une vie normale. Doron lui n’a pas d’illusion sur ce point, il vit seul et l’assume parce qu’il sait très bien qu’il ne pourra jamais retourner à une vie normale. Mais tous retourneront sous le feu. Le cruel Adel aussi veut lâcher la lutte, on verra aussi des Arabes de Jénine manifester ouvertement une haine du Hezbollah parce que celui-ci lui prend son fils – le boulanger – ou parce qu’ils se sont installés dans un champ qui risque de pousser l’armée israélienne à détruire sa maison. 

    Fauda, saison 4, janvier 2023

    Adel débarque chez le boulanger qui vient de perdre son fils 

    La réalisation est excellente, elle est due à Omri Givon, un réalisateur de séries télévisées. C’est d’autant plus remarquable qu’il s’est appuyé les douze épisodes dans un temps record, le tournage ayant commencé en novembre 2021 et la diffusion devait commencer un an après en Israël. A l’origine il était même prévu de tourner un épisode en Ukraine ! Evidemment la guerre a modifié les plans. Également au départ il ne devait y avoir que dix épisodes, puis on a été jusqu’à douze. Certes parfois ça tire un peu à la ligne. Mais l’ensemble est vivant et enlevé. C’est très soigné, il est vrai que le budget est élevé. Mais enfin tout cela ne compte pas. Les premières qualités de la réalisation sont portées par le choix des décors. C’est ce qui fait tout l’intérêt du long voyage de Maya et Doron à travers la Syrie et le Liban, deux pays ravagés par les guerres. Gabi rappellera à Omar la prospérité du Liban, du temps que ce pays n’était pas tombé sous la coupe du Liban et de la Syrie. La guerre, la corruption, les périls sont nombreux, même si le Hezbollah s’y meut comme un poisson dans l’eau. Maya et Doron vont partager un moment les misères des réfugiés qui fuient la guerre en Syrie qui oppose les forces légitimistes de Bachar el-Assad aux débris de l’Etat islamiste. Ils trouveront un abri de fortune dans une maison fracassée dont les évidements sont comme des lieux de passage pour échapper aux douloureuses nécessitées de l’heure. 

    Fauda, saison 4, janvier 2023 

    En Syrie, Doron et Maya doivent trouver un abri de fortune 

    Les scènes d’action sont remarquablement filmées. Il semble d’ailleurs que la manière dont est filmée l’investigation de la cité HLM de Molenbeek doive énormément à Bac Nord de Cédric Jimenez. Du reste Omri Givon utilise les mêmes formes de communication entre les appartements et les immeubles, comme les dealers de Marseille ! Si la longue scène finale de l’affrontement entre l’équipe d’Eli et celle d’Adel est remarquable à bien des égards, elle passe au fil de son déroulement d’une enquête policière un peu musclée, à une scène de guerre dure, comme si c’était là un avertissement pour Israël. Dans les scènes dialoguées, il y a d’ailleurs de nombreuses allusions au fait que de se lancer bêtement dans la répression militaire n’est pas forcément la meilleure des défenses contre le terrorisme. La scène du mariage de Nurit avec Sagi, même si elle est typique de la société israélienne, renvoie aux mêmes types de scènes qu’on trouve dans The Godfather ou dans Deer Hunter. C’est-à-dire qu’elle rapporte ce mariage non seulement à la communauté dans lequel elle s’insère, mais aussi dans l’opposition à la guerre larvée entre Israël et le Hezbollah. Comme les enfants le mariage est une improbable ouverture vers l’espérance, espérance devant laquelle se refuse à s’incliner Doron qui va se disputer ce jour-là avec Pinto et s’éloigner de la cérémonie. 

    Fauda, saison 4, janvier 2023

    Le passage de la frontière entre la Syrie et le Liban est compliqué 

    Les acteurs sont presque tous remarquables, je dis presque sans doute parce qu’il y a Laura Smet qui semble égarée dans le petit rôle de la policière belge, si elle a manifestement tiré de son père pour la pauvreté de son jeu, elle peut toutefois se revendiquer de ses origines belges. Lior Raz qui est le créateur de la série, incarne toujours Doron de belle manière, mais par rapport aux saisons antérieures il est manifestement en retrait. Sans doute parce que la quatrième saison a un aspect plus choral que les précédentes. Les femmes sont particulièrement bien choisies et bien filmées ! Dans le rôle de Dana, on retrouve Meirav Shirom. De petite taille, elle incarne la force et la pugnacité nécessaire à la coordination des services qui sont sous sa direction. Elle est excellente. Plus inattendue est sans doute Lucy Ayoub. Cette jeune femme qui vient de la télévision israélienne incarne Maya, la policière israélienne arabe. C’est une grande femme qui sait montrer à la fois sa détermination, ses doutes et ses émotions. La série aime les grandes femmes, Nurit est incarnée par Rona Lee Shi’mon. Toujours très juste, notamment dans les scènes d’action, elle est moins présente que dans les saisons précédentes puisque blessée dans l’investigation de Molenbeek, elle part à l’hôpital. 

    Fauda, saison 4, janvier 2023 

    Adel continue à fabriquer ses missiles et repère ses cibles 

    La partie arabe est très soignée du point de vue de l’interprétation. Amir Boutros, acteur de nationalité britannique, incarne Omar, le frère de Maya. Très présent, il montre ses faiblesses et ses hésitations. Adel, son cousin terroriste, est interprété par un autre très bon acteur, mais israélien, Loai Nofi. La rudesse des acteurs qui incarnent le Hezbollah est aussi tout à fait effrayante. Les acteurs habituels sont encore là, et on aime à les revoir. Yaacov Zada-Daniel est très bon dans le rôle d’Eli.   

    Fauda, saison 4, janvier 2023 

    Maya va donner les passeports à la femme de son frère 

    Reste évidemment l’énigme de la dernière séquence du dernier épisode qui laisse entendre que l’ensemble de l’équipe, main dans la main, va mourir sous les balles des tireurs du Hezbollah. Cette fin n’est pas très heureuse, et le message qu’elle veut faire passer en montrant toute l’équipe unie, se tenant par la main est plutôt lourd. Comme il n’y a pas pour l’instant de saison 5 de programmer, on peut penser qu’il n’y aura pas de suite. Il est vrai que cette quatrième saison a mis trois ans à être développée. Cependant, on peut imaginer que certains des membres de l’équipe soient décédés et qu’on assure la continuité avec quelques survivants, dont Doron. Cela permettrait de renouveler le thème. Les Israéliens aiment Doron et n’apprécieraient pas de le voir disparaître, d’autant que les essais de Lior Raz dans d’autres séries, notamment Hit and Run, n’ont pas été très concluant. Mais ce ne sont que des hypothèses. 

    Fauda, saison 4, janvier 2023

    Doron va retourner Omar pour retrouver Gabi 

    Evidemment les farouches opposants d’Israël, les militants de la cause palestinienne seront très hostiles à cette série. Un journaliste de Marianne prétend que ce nouvel épisode critique les méchants islamistes et pas assez l’Etat d’Israël[6]. Cette critique est hâtive et ne correspond pas à la réalité, Israël est critiqué non seulement pour la lourdeur de sa bureaucratie, mais aussi pour les actions qui ont été menées sans doute précipitamment pour satisfaire l’opinion publique dans la bande de gaza. Le malheureux Benoît Franquebalme ne semble pas avoir bien suivi tous les épisodes. De même il reproche à la série de ne pas montrer les raisons de la guerre. Mais s’étendre plus que la série ne le fait serait verser bêtement dans la sociologie et ne rien comprendre au cinéma. Au contraire je trouve que la question de la diversité des Israéliens, ou encore la pauvreté des Palestiniens est suffisamment explicite. On dit que pour contrebalancer le succès des séries israéliennes, le Hamas a produit une série La main des hommes libres. On doute qu’il réussisse à séduire un public large, essentiellement parce que ce groupe islamiste est en perte de vitesse au sein de la population palestinienne. Et puis à mon sens faire comme Franquebalme une équivalence entre le Hamas et Israël sous prétexte de neutralité c’est un rien effronté. La dernière scène montre que si le commando israélien extermine bien le groupe terroriste, il disparaît lui aussi. Autrement dit, le message pourrait être finalement que la guerre absurde qui est menée ne mène à rien et qu’il faudrait peut-être trouver une autre voie. 

    Fauda, saison 4, janvier 2023

    Un commando israélien débarque au Liban 

    Mais laissons là ces querelles, avant de disserter sur les soubassements politiques d’une série qui n’a aucune raison de s’aligner sur la bien-pensance européiste, c’est un formidable film noir avec beaucoup de rebondissements et d’émotion. Peut-être est-ce la meilleure saison, même si ici et là on trouvera quelques longueurs. 

    Fauda, saison 4, janvier 2023

    Doron a récupéré Gabi qui se remet mal de sa captivité 

    Fauda, saison 4, janvier 2023 

    L’équipe d’Eli s’est faite piégée par Adel 



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/sur-ecoute-the-wire-serie-creee-par-david-simon-2002-2008-a166214520

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/the-shield-serie-creee-par-shawn-ryan-2002-2008-a166214352

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/the-sopranos-david-chase-1999-2007-a211144266

    [4] http://alexandreclement.eklablog.com/fauda-saison-1-2015-a146715744

    [5] http://alexandreclement.eklablog.com/teheran-daniel-syrkin-2020-a212236331

    [6] https://www.marianne.net/culture/cultures-pop/quand-la-saison-4-de-la-serie-fauda-exporte-la-lutte-israelienne-contre-le-hezbollah-en-belgique

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