•  Antoine de Baecque, Jean-Pierre Melville, une vie, Le seuil, 2017

    Pressentant l’ouvrage hagiographique, je m’étais abstenu de l’acheter lors de sa parution qui coïncidait avec le centenaire de la naissance de Jean-Pierre Melville. Mon intuition était bonne, et le livre est mauvais. Antoine de Bacque est un admirateur à retardement de la Nouvelle Vague. Ce qui est son droit bien entendu, mais ce qui ne le prédispose pas à l’étude sérieuse de l’œuvre de Melville, ni même d’ailleurs à une approche critique. On ne peut pas aimer en même temps Godard, Truffaut, Chabrol et Melville. C’est devenu une tarte à la crème que d’effectuer bêtement un rapprochement entre la Nouvelle Vague et Melville, au prétexte que ce dernier a tourné dans A bout de souffle. Il est vrai qu’aujourd’hui encore on enseigne dans l’Université française l’histoire du cinéma comme si la pseudo-rupture initiée par la Nouvelle Vague était aussi importante que celle qu’il y a eu entre le muet et le parlant ou entre le noir et blanc et la couleur. Cette vision était déjà fausse dans les années soixante-dix, elle l’est encore bien plus aujourd’hui. Pourquoi vouloir à tout prix mettre en scène un rapport, pourtant dénoncé par Melville lui-même, entre son cinéma et celui de la Nouvelle Vague, si n’est par paresse intellectuelle ? En vérité la Nouvelle Vague n’a jamais vraiment existé d’un point de vue artistique ou stylistique. Quel rapport peut-il bien y avoir entre Truffaut, Chabrol et Godard ? Les trois réalisateurs ont fait des choix différents, non seulement sur le plan stylistique, mais aussi sur les manières de produire et de tourner. Bien sûr on peut parler à la fin des années cinquante et au début des années soixante d’une nouvelle génération de cinéastes. Mais celle-ci ne se caractérise pas facilement. Dire qu’il s’agissait là de films fauchés, tournés dans des décors naturels et avec un peu d’improvisations, ce n’est guère original, on a connu ça bien avant Godard et Truffaut, y compris dans le cinéma américain de série B. Si c’est pour dire que ces cinéastes « nouveaux » étaient des amateurs sans formation, on a déjà vu ça régulièrement, et notamment à la Libération. C’est seulement ensuite que les gens comme de Baecque ont enseigné à leurs malheureux étudiants les vertus d’une absence de formation pour faire du cinéma ! Mais les grands cinéastes français n’ont pas suivi pour la plupart des cours de cinéma, ils ont appris la technique sur le tas, soit en travaillant sur les films des autres, soit, comme Melville en bricolant à partir du matériel qu’ils possédaient et des films qu’ils avaient vus. Le plus étrange aujourd’hui est qu’on apprend à l’IDHEC[1] devenu la FEMIS à faire des films sans technique. Autrement dit on apprend à l’école du cinéma à désapprendre la technique ! Ça donne ce que ça donne, mais il est à peu près certain que ce dogmatisme a contribué à l’effondrement de la cinématographie française. En fuyant la qualité française comme disait avec aigreur Truffaut, on s’est débarrassé de la qualité tout court. On en arrive aujourd’hui soit à faire des films dits de comédie populaire avec Clavier, Rouve ou Omar Sy, qui ne sont que des sortes de téléfilms sans contenu ni forme, soit des films prétentieux, mais sans plus de contenu, à la Philippe Garrel qui font fuir les spectateurs mais qui arrivent à se monter grâce à l’avance sur recettes. Le terrorisme de la critique façon Cahiers du cinéma n’y est pas pour rien. D’un côté on admire le cinéma américain le plus réactionnaire à la Hitchcock ou à la Clint Eastwood, et de l’autre on dénigre Gilles Grangier, Henri Verneuil et on vénère les cinéastes confidentiels et bouffons du type Leos Carax.  

    Antoine de Baecque, Jean-Pierre Melville, une vie, Le seuil, 2017

    Le silence de la mer 

    Mais revenons au livre de De Baecque. Glissons sur les fautes d’orthographe nombreuses qui laissent entendre que Le seuil n’est pas une maison assez sérieuse pour se payer les services de relecteurs compétents. La première chose qu’on remarque ce sont les erreurs factuelles de cet ouvrage qui pourtant se voulait soigné. Par exemple, page 56, il nous annonce que conforté par le succès du Cercle rouge, Melville va se lancer dans la production de L’armée des ombres ! Sachant que le premier film sort en 1970, et que le second est sorti en 1969, c’est un peu curieux. Il présente d’ailleurs le film comme un semi-échec. Ce qui est faux, le film a très bien marché en dehors de la France et a rapporté de l’argent sur notre territoire. De même il considère que L’aîné des Ferchaux a été un fiasco artistique et commercial, c’est faux dans les deux cas. Ce film a mieux marché que Léon Morin prêtre, aussi bien en France qu’en Italie. De même Un flic n’a pas été un fiasco financier en France, et a été même un succès en Italie avec 2,7 millions d’entrées. Il est assez facile de se renseigner pourtant. De Baecque fait comme si Melville avait été oublié, c’est faux, il est considéré déjà au moins depuis trente ans comme un des derniers cinéastes majeurs en France. De Baecque ne se relit pas, il nous dit que Melville détestait Asphalt jungle au début de son ouvrage, mais ensuite il nous explique qu’il adorait ce film, ce que tout le monde sait bien entendu. Ça tourne à la farce. 

    Antoine de Baecque, Jean-Pierre Melville, une vie, Le seuil, 2017

    Quand tu liras cette lettre 

    De Baecque aime répéter des lieux communs, s’en nourrir et les compiler, croyant que cela suffira à faire un livre intéressant. Le voilà qu’il juge Quand tu liras cette lettre impossible à regarder. Or ce film possède des qualités qui en font une œuvre très personnelle de Melville, c’est en outre son premier film noir[2]. Il faut savoir regarder un peu au-delà des outrances de Melville lui-même. Mais de Baecque ne semble pas comprendre la différence entre polar et film noir.  Cinéphile hâtif et très peu documenté, il passe aussi complétement à côté de L’ainé des Ferchaux qui est un film avec beaucoup de qualités et qui doit être réévalué comme une œuvre très personnelle, même si elle est adaptée de Simenon[3]. Denitza Bantcheva qui a sans doute produit le meilleur livre sur la cinématographie de Melville, a montré par exemple tout l’intérêt qu’il y avait dans ce premier travail du cinéaste sur la couleur[4]. 

    Antoine de Baecque, Jean-Pierre Melville, une vie, Le seuil, 2017 

    Bob le flambeur

    De Baecque a la coquetterie douteuse de nous présenter la filmographie de Melville non pas d’une manière chronologique, mais par thème. Donc il mettra L’armée des ombres avec Le silence de la mer et un peu avec Léon Morin prêtre parce que les trois films parlent des temps de l’occupation. L’autre thème serait ce qu’il appelle improprement le polar avec Le doulos, Le deuxième souffle, Le samouraï, Le cercle rouge et un flic. Mais en vérité L’armée des ombres appartient à la seconde partie de l’œuvre de Melville, celle qu’on pourrait appeler le sommet, constitué avec Le deuxième souffle, Le Samouraï et L’armée des ombres donc. Les images que nous avons accolées ci-dessous attestent de la proximité stylistique des deux films tournés avec Lino Ventura. 

    Antoine de Baecque, Jean-Pierre Melville, une vie, Le seuil, 2017

    En haut Le deuxième souffle, en bas L’armée des ombres 

    Il y a bien d’autres séquences qui rapprochent évidemment L’armée des ombres du film noir. Je donne un autre exemple ci-dessous à propos du maniement des armes. Melville avait fait lui-même le rapprochement entre les deux films, les présentant comme les deux faces de la même pièce. Il faut le prendre au sérieux. De Baecque qui ne lit pas beaucoup n’a pas lu non plus Le deuxième souffle de José Giovanni, sinon il se serait rendu compte de l’importance du roman dans la mise en œuvre du film, les dialogues, mais aussi la mise en scène propre à Melville. Ce film doit beaucoup à José Giovanni, ce qui ne minimise en rien les talents de Melville pour sa réalisation[5]. D’ailleurs un œil un peu averti fait facilement le rapprochement entre Classe tous risques de Claude Sautet et Le deuxième souffle de Melville. Ce sont deux films jumeaux, même si le style de la mise en scène est plus direct chez Sautet, et plus stylisé chez Melville. Ce dernier était du reste un adaptateur très scrupuleux des romans qu’il portait à l’écran. Y compris pour L’armée des ombres. Le doulos est très fidèle au livre de Pierre Lesou. Sans doute le film le plus éloigné du roman reste L’aîné des Ferchaux. Selon moi De Baecque ne prend pas assez en compte les préceptes filmographiques de Melville, un bon film c’est une bonne histoire, une bonne mise en scène et de bons acteurs. Dès lors qu’un de ces éléments est défaillant, le film est raté. S’attardant trop sur Le cercle rouge il ne voit pas justement en quoi le film est raté, or les deux derniers films de Melville malgré leurs qualités formelles marquent un net déclin. Inutile cependant de discuter de ce qu’aurait été la suite de sa carrière s’il n’avait pas été emporté par une attaque cardiaque. Il était encore assez jeune, et avait suffisamment d’imagination et d’intelligence pour rebondir. Tout ça pour dire que l’analyse de la filmographie de Melville doit forcément être chronologique parce qu’elle accompagne l’évolution de l’homme confronté à ses échecs comme à ses succès et le remet dans son temps. Il aurait fallu être un peu plus ferme sur le fait que pour Melville, le film noir n’était une simple question de formalisme. Le travail sur la forme était adéquat aux intentions du cinéaste. Et c’est bien dans cette adéquate que se révèle l’importance de son œuvre. Le film noir n’était pas un prétexte pour autre chose. C’est une erreur que de le croire. 

    Antoine de Baecque, Jean-Pierre Melville, une vie, Le seuil, 2017

    En haut Le deuxième souffle, en bas L’armée des ombres 

    De Baecque termine sur les influences de Melville dans le cinéma. Elles sont en effet très nombreuses, John Woo, Johnny To, Quentin Tarantino. Il en oublie pourtant de très importantes. Pour partie la cinématographie des frères Coen est inspirée de Melville, notamment pour le jeu sur les couleurs, mais également pour cette manie de citer et de détourner les œuvres d’autres cinéastes. En France il y a beaucoup de réalisateurs qui ont tenté de s’inscrire dans ses pas, Philippe Labro, mais aussi Daniel Vigne, Yves Boisset, José Giovanni et quelques autres. Il faudrait aussi citer l’influence que Melville dont le talent était reconnu au-delà de nos frontières, a eu sur un genre dont on comprend aujourd’hui un peu mieux l’importance, le poliziottesco. De Baecque ne semble s’intéresser qu’au cinéma qui a pignon sur rue, comme pour beaucoup de critiques français, il ne voit le cinéma italien qu’à travers les « grands auteurs », Fellini, Scola, Risi, De Sica. Or Melville cherchait à produire des films qui touchent un vaste public tout en conservant une valeur esthétique. C’est bien pour ça qu’il a admiré souvent des réalisateurs américains comme Rudolph Maté ou Frank Tuttle plutôt que le très surestimé Alfred Hitchcock. 

    Antoine de Baecque, Jean-Pierre Melville, une vie, Le seuil, 2017

    Le samouraï 

    Comme on l’a compris ce livre ne m’a pas plu, je le trouve finalement bien désinvolte envers Melville. Et si j’en parle pourtant, c’est une manière pour moi de réfléchir à ce qu’il faudrait dire de son œuvre. Reconnaissons cependant qu’il possède une très belle iconographie, surtout en qui concerne les années de jeunesse de Melville, ça ne justifie pas les 32€ qu’on nous demande. Je reste persuadé par contre qu’il y a encore beaucoup à dire sur son œuvre. Pour l’instant je ne vois que deux ouvrages incontournables à propos du cinéma de Melville, celui de Bantcheva que j’ai cité plus haut et les entretiens de Melville lui-même avec Rui Nogueira qu’on vient de réédités et qui sont passionnants.



    [1] Je rappelle à ceux qui l’aurait oublié que l’IDHEC est une création de Vichy en 1943.

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/quand-tu-liras-cette-lettre-jean-pierre-melville-1953-a114844948

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/l-aine-des-ferchaux-jean-pierre-melville-1963-a187330618

    [4] Denitza Bantechva, Jean-Pierre Melville, Editions du Revif, 2004

    [5] José Giovanni, homme de caractère, s’était disputé avec Melville et lui vouait une rancune tenace, cependant il reconnaissait que la réalisation du Deuxième souffle était brillante et réussie. Il avait du reste travaillé avec lui sur l’adaptation et les dialogues, mais il regrettait que Melville tire un peu trop la couverture à lui.

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  •  Les intouchables, Gli intoccabili, Giuliano Montaldo, 1969 

    Le grand succès de Ad ogni costo va permettre à Montaldo de monter un projet plus ambitieux, avec un budget plus conséquent. Il va se baser sur un roman d’Ovid Demaris, un auteur américain, traduit dans la Série noire, dont un de ses ouvrages, The hoods taker over, avait été adapté en 1958 à l’écran par Gene Fowlde, ce qui avait permis de donner à Charles Bronson un de ses premiers grands rôles[1]. La plupart des ouvrages de Demaris traitent de la puissance de la mafia qui n’est jamais nommée en tant que telle, à l’époque on est encore pudique. Mais les Italiens à la fin des années soixante sont plus avertis que les Américains qui n’ont pas vu encore The godfather et qui naïvement sous-estiment l’importance du crime organisé dans leur pays. Montaldo qui a fait presque toute sa carrière dans le cinéma de genre, ne va pas donner un aspect glamour au crime organisé. C’est un film un peu hybride, qui tient du poliziottesco, mais qui ressemble un peu à un film américain, par exemple, Point blanck, cette histoire d’un homme qui rançonne l’organisation[2]. C’est aussi l’histoire d’un casse organisé par une fraction de l’organisation contre une autre fraction. Si bien évidemment John Cassavetes n’est pas Lee Marvin, il semble que les scénaristes se soient assez inspirés du film de John Boorman qui a marqué son époque. Et sans doute le fait que le film se passe en Californie plutôt qu’en Italie change aussi forcément le caractère de celui-ci. Cette fois, Montaldo ne va pas s’amuser à tester ses capacités à filmer une partie sous forme de comédie, et l'autre sous l’angle du film noir. Le ton est sombre, désespéré, et le drame lui convient mieux. Si on fait abstraction du fait qu’il s’agit de gangsters, la tonalité générale du film est de mettre en scène un individu seul contre la société – ici représentée par la mafia.  

    Les intouchables, Gli intoccabili, Giuliano Montaldo, 1969

    L’organisation a un problème avec Charlie Adamo, un petit caïd local qui combien dans son dos et veut mettre la main sur une parti des casinos de las Vegas. Don Francesco décide d’y mettre de l’ordre. Hank McCain lui sort de prison justement grâce à l’intervention de Charles Adamo qui en a besoin pour conduire le casse d’un casino pour déstabiliser l’organisation. Hank est accueilli par son fils qui est un petit voyou travaillant pour Charlie. Il lui propose justement un coup fumant qu’Hank trouve très bon, mais il se méfie des acolytes de son fils. Il s’en éloigne un peu et en errant dans San Francisco, il va rencontrer la belle Irène avec qui il entame une liaison amoureuse.  Celle-ci est fascinée par sa personnalité et décide de tout partager avec lui. Pendant ce temps Don Francesco vient à la rencontre de Charlie et le menace à mots couverts. Charlie va finir par laisser tomber le pillage du casino, et va envoyer deux tueurs pour piéger Hank et l’éliminer. Mais Hank est plus malin, tandis que son fils se fait descendre, il abat les deux tueurs. Il va à Reno se marier avec Irene et décide de faire le coup pour son propre compte. Pour le réaliser, il va placer des petites bombes dans tous les coins, les unes pour tenir les pompiers éloignés du casino, et les autres pour semer la panique dans le casino. Cela va lui permettre d’empocher près de deux millions de dollars avec l’aide d’Irene ravie de participer. Mais Don Francesco va réagir, d’abord il va éliminer Charlie et son comparse Duke, puis il va lancer les recherches pour mettre la main sur Hank et Irene. Ceux-ci doivent fuir et se planquer pour échapper à un réseau très serré. Hank finit par atterir chez son ex-épouse Rosemary qui accepte de l’aider. Elle lui propose de partir en bateau pour le Mexique. Tandis qu’Hank et Irene s’en vont, les tueurs de Don Francesco vont tenter de faire parler Rosemary, elle se suicide avant qu’ils ne la torture. Mais les deux fuyards sont repérés et les tueurs capturent Irene. Hank ne voulant pas partir tout seul, il mourra après qu’Irene ait été abattue. 

    Les intouchables, Gli intoccabili, Giuliano Montaldo, 1969 

    L’organisation se réunit parce qu’il y a des problèmes sur la Côte Ouest 

    En vérité Hank n’est pas un homme tout à fait seul, il va trouver Irène et celle-ci, fascinée par sa réputation de voyou, va entreprendre une cavale sans issue avec lui. On retombe ainsi sur le segement particulier du film noir, le thème de la cavale. Face à leur détermination, la mafia a un avantage énorme, c’est un réseau qui a la communication facile – du moins est-ce comme ça que le scénario la présente. On comprend alors pourquoi cette contre-société est faite d’intouchables. Elle tisse sa toile à la manière d’une araignée et tôt ou tard sa proie vient s’y jeter. Pour Montaldo, cinéaste très à gauche, la mafia est l’image renversée du capitalisme, la cupidité est alliée à la cruauté. Dans ce contexte Hank est l’homme qu’on ne peut pas acheter, même par le biais de son fils pour lequel il éprouve tout de suite et instinctivement de la méfiance. La famille ne compte pas vraiment, c’est même une farce, c’est ce qu’il explique à Frank en lui disant que vu le temps qu’il a passé en prison, ils ne se connaissent pas. Mais Frank est lâche et cupide, il mange dans la main du grossier Charlie dont les manœuvres le vouent à se faire éliminer rapidement. Seuls surnagent avec notre sympathie ceux qui ont un peu d’amour à donner. Hank, Irene bien sûr, mais aussi Rosemary. Cependant leur démarche apparaît suicidaire, comme d’ailleurs sera celle de Sacco e Vanzetti. Autrement dit, la révolte individuelle est vouée à la défaite à plus ou moins long terme. On notera cependant que ce comportement met en péril l’organisation. Non seulement quand l’action de Hank s’attaque aux casinos, mais aussi quand Rosemary se suicide plutôt que de subir la torture et courir le risque de parler. 

    Les intouchables, Gli intoccabili, Giuliano Montaldo, 1969 

    Sorti de prison, Hank McCain erre dans San Francisco 

    Il faut noter que si la plupart des hommes sont lâches, s’abritant derrière leur argent et leurs relations pour faire leurs affaires, les femmes se tiennent tout de même mieux. On l’a dit pour Irene et pour Rosemary qui font preuve d’abnégation, mais on peut aussi le dire de Joni la femme de Charlie qui est dégoutée de voir son mari se vautrer dans la peur et la lâcheté. Elle préfère encore le trahir ! Don Francesco n’est pas un voyou, mais le responsable d’un consortium qui fait des affaires et accumule du capital. Ces gens-là sont des bourgeois qui ont juste investi sur des terrains au premier abord frappés d’illégalité, la prostitution, le jeu et le blanchiment d’argent. ils n’ont pas de sentiments et encore moins de grandeur d’âme. 

    Les intouchables, Gli intoccabili, Giuliano Montaldo, 1969 

    Charlie comprend qu’il est sur la sellette 

    La réalisation comporte beaucoup d’aspects intéressants. D’abord c’est film en cinémascope. Ce qui permet de balayer les décors de San Francisco de la gauche vers la droite, et vice versa, donc de donner une importance à la ville comme sujet. San Francisco est, avec New York, mais derrière Los Angeles la ville la plus mise en scène dans le film noir. Montaldo en fait bon usage. Curieusement le Golden Gate ou les rues pentues ne donnent pas l’idée d’une ville touristique, mais plutôt d’une ville taillée pour la mafia, avec ses avenues qui la nuit venue se bordent de lumières clinquantes, rouges, vertes ou jaunes. Le monde des cabarets et des casinos s’oppose visuellement à la crasse et à l’abandon des zones où Hank se cache pour échapper à ses poursuivants. Et puis il y a le port, une zone qui semble offrir un avenir en évoquant la possibilité d’une fuite en bateau, mais qui se révèle être un piège où les forces ennemies peuvent se déployer et occuper le terrain. San Francisco a bien une âme, même si cette âme est noire. Les refuges de Hank sont représentés par l’espèce de garage où il range une voiture faussement de pompiers qui l’aidera à réaliser son mauvais coup, et puis la maison isolée et un rien délabrée de Rosemary. Comme si en s’éloignant volontairement des lumières de la ville c’était encore la meilleure manière d’exister pour soi. Dans cette présentation déglinguée de l’Amérique urbaine, il y a une forme de poésie tout à fait étonnante. 

    Les intouchables, Gli intoccabili, Giuliano Montaldo, 1969

    Hank abat les deux tueurs qui tentaient de le piéger 

    Sur le plan technique, Montaldo est en net progrès par rapport à Ad ogni costo. Il y a de beaux déplacements de caméra à l’intérieur du casino, de longs travellings arrière assez compliqués qui donnent une impression de densité de la population. Les scènes d’action sont très bonnes également, même si la course entre les voitures quand Hank tente d’échapper aux troupes de Tony Kendall, aurait pu gagner en intensité. Montaldo en bon réalisateur italien du cinéma de genre utilise souvent la profondeur de champ dans ces moments où l’action dépend de l’environnement matériel. Ce sera très spécifique par la suite de la manière dont le poliziottesco filmera les ports par exemple. On remarque aussi la fluidité de la mise en scène dans la façon de filmer les dialogues tout en déplaçant les angles de prise de vue. Enfin le rythme est excellent, le découpage rigoureux. L’ensemble est bien soutenu par la photo de Franco Fraticelli.

     

    Les intouchables, Gli intoccabili, Giuliano Montaldo, 1969

     Hank a fait exploser des petites bombes dans le casino

    La distribution est plus problématique. Certes c’était la mode à cette époque d’appuyer le cinéma de genre en Italie en mélangeant des acteurs italiens et des acteurs américains pas trop chers, mais suffisamment connus pour faire une affiche. John Cassavetes est Hank McCain. Il avait changé de statut à partir du succès inattendu de The Killers de Don Siegel en 1964, puis The diry dozen d’Aldrich et Rosemary’s baby, l’avaient fait connaître. En vérité à cette époque il était plutôt intéressé par la mise en scène de ses propres films[3]. Et malheureusement ça se voit assez ici. Il est comme absent de lui-même. Il n’est pas bon. C’est un peu la même chose avec Peter Falk, son ami, qui incarne Charlie Adamo, et qui n’exprime pas grand-chose, même quand il est sur le point de se faire tuer par ses anciens amis. Peut-être voulait-il développer un personnage différent de l’inspecteur Colombo ?  Si ces deux là ont un peu du mal à s’animer, les femmes sont nettement mieux. Britt Ekland dans le rôle d’Irene est la bonne surprise. Et puis il y a Gena Rowlands, l’épouse dans la vie de John Cassavetes, elle est ici Rosemary la femme pleine de générosité, jusqu’à la mort. 

    Les intouchables, Gli intoccabili, Giuliano Montaldo, 1969 

    Ayant la mafia à ses trousses, Hank et Irene doivent fuir 

    Gabriele Ferzetti était un peu l’homme à tout faire du cinéma italien, il a abordé aussi bien le western que giallo ou que le poliziottesco. Il n’arrêtait jamais de tourner. En 1968 il travailla sur 8 films et puis 4 encore en 1969. Malgré tout cette frénésie, il était le plus souvent très bon. Et ici il l’est encore dans le rôle de Don Francesco. Parmi les truands on trouve l’inoxydable Luigi Pistilli. Abonné lui aussi au cinéma de genre on connaît parfaitement sa silhouette. Ici il est le comparse de Charlie Adamo, celui qui aide à trahir la mafia. Sa seule présence suffit. Pierluigi Apra qu’on a déjà vu dans Sequestro di personna[4], est ici Frank le fils de Hank. Il a un physique difficile et ne brille pas par son jeu. Et puis il y a Florinda Bolkan dans le rôle trop bref selon moi de la femme de Charlie Adamo. Cette actrice puissante d’origine brésilienne, dotée d’un physique imposant est toujours très juste. Ajoutons aussi Pete Zaccari dans le rôle de Tony Kendall, le tueur en chasse de McCain. Il est assez insipide, mais c’est un peu son habitude et puis le rôle ne lui demande pas beaucoup de subtilité. 

    Les intouchables, Gli intoccabili, Giuliano Montaldo, 1969 

    Hank trouve de l’aide chez son ex-femme 

    Malgré les réserves qu’on vient de dire sur l’interprétation, le film est très bon et se revoit avec plaisir. L’excellente musique d’Ennio Morricone apporte beaucoup à l’ensemble. C’est un vrai film noir et un très bon polizottesco, très vivace autant que désespéré. 

    Les intouchables, Gli intoccabili, Giuliano Montaldo, 1969

    Hank sera abattu après Irène

     

     



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/syndicat-du-crime-gang-war-gene-fowler-jr-1958-a165090842

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/le-point-de-non-retour-point-blank-john-boorman-1967-a150996198

    [3] Thierry Jousse, John Cassavetes, Lindau, 1997

    [4] http://alexandreclement.eklablog.com/le-sequestre-sequestro-di-persona-gianfranco-mingozzi-1968-a202486804

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  • Le carnaval des truands, Ad ogni costo, Giuliano Montaldo, 1967 

    Giuliano Montaldo est connu en France pour deux films importants. D’abord Sacco e Vanzetti dont j’ai dit beaucoup de bien ici[1]. Ensuite Gli intoccabili, un poliziottesco très intéressant avec John Casavetes, Peter Falk et Britt Ekland. Ad ogni costo est un film qui conserve une cote assez élevée, mais qui n’a pas eu beaucoup de succès en France, alors qu’il a bien marché en Italie, mais aussi aux Etats-Unis. Montaldo à part quelques incursions avec Sacco e Vanzetti et Girodano Bruno a fait essentiellement un cinéma de genre. Ad ogni costo s’inscrit dans le long développement du film de casse qui commence sans doute avec Asphalt jungle de John Huston en 1950 et qui a été marqué par Du rififi chez les hommes de Jules Dassin en 1955. En 1960, Ocean’s eleven de Lewis Milestone, avait tiré le film de casse du côté de la légèreté, cette légèreté qui était une façon finalement indirecte de célèbrer le casse comme une activité peut-être risquée, mais sans doute assez peu immorale. Il faut comprendre le film de Montaldo comme se situant immédiatement entre Topkapi de Jules Dassin, tourné en 1964, auquel il ressemble beauoup et Le cercle rouge de Jean-Pierre Melville qui date de 1970 qui lui a certainement emprunté sa méticulosité dans les descriptions technique. Il peut être aussi rapproché également de Sette uomini d’oro réalisé en 1965 par Marco Vicario et qui avait été un énorme succès public en son temps. Le film de casse possède des codes qui sont toujours un peu les mêmes. Non seulement le gain potentiel doit être très élevé, mais il doit être très difficile à obtenir. Ensuite, il doit réussir, mais en même temps échouer. C’est-à-dire que malgré l’ingéniosité des casseurs qui arrivent au but, donc qui domine la technique, l’échec est obligatoire pour des raisons externes au casse lui-même. Ce peut-être le hasard, comme dans Asphalt jungle, la fourberie d’un des protagonistes qui veut garder tout le butin pour lui, ou encore l’inimitié entre les membres du groupe. En général ce genre de film se désole de la domination de l’individualisme sur l’esprit collectif. Sur le plan de la mise en scène, ce genre de film consacre la première partie à la présentation du casse, à la composition de l’équipe, puis la deuxième partie détaille le casse et précipite la fin dans la défaite.  

    Le carnaval des truands, Ad ogni costo, Giuliano Montaldo, 1967

    Les enfants saluent le départ de leur professeur 

    Le professeur Anders part à la retraite, très ému, les enfants saluent son départ. Il travaillait dans une école catholique à Rio de Janeiro depuis une trentaine d’années. Arrivé à New York, il va rencontrer Mark Milford, un ancien condisciple qui est devenu un grand truand trempant dans toutes les combines possibles et imaginables. Anders veut réaliser un casse qu’il a préparé depuis trente ans, il s’agit d’une maison de diamantaires où sont stockés des millions de dollars de pierres. Pour cela il a besoin de quatre hommes. Grâce aux relations de Milford, il va recruter Erich Weiss, un allemand, Agostino Rossi, un perceur de coffre, Gregg, un autre perceur de coffre et le français Jean-Paul Audry qui doit séduire la secrétaire de la maison des diamantaires pour obtenir la clé d’accès à la salle du coffre. Il leur remet à chacun un briquet particulier afin qu’ils se reconnaissent. Jean-Paul Aubry a des difficultés à séduire la revêche Mary Ann, mais Agostino et Gregg en ont tout autant pour neutraliser le système d’alarme et accéléré la percée du coffre, car ils n’auront pas beaucoup de temps entre les rondes des vigiles. Le casse doit se passer durant le carnaval de Rio, à la fois parce qu’il y aura beaucoup de monde dans les rues, et parce que c’est à ce moment là que le coffre contiendra le plus de diamants. Erich Weiss qui est en quelque sorte le protecteur de l’équipe n’aime pas Aubry et le lui fait savoir. Mais nécessité fait loi, il faut passer par-dessus les inimitiés. Pour forcer la main à Aubry les autres membres de l’équipe lui confisquent son passeport. Gregg et Agostino finissent par régler les problèmes techniques  grâce à leur intelligence, et in extremis Aubry va séduire Mary Ann pour récupérer la clé qu’il remettra durant le carnaval à Weiss qui la portera à Gregg. Tout se passe à peu près bien, Agostino et Gregg franchiront l’espace pour accéder à la salle des coffres grâce à un filin tendu au-dessus de la rue où se poursuit le carnaval. Finalement Gregg et Agostino vont ouvrir le coffre et s’emparer des diamants. Le matin, les quatre hommes tentent de rejoindre l’aéroport, mais la police a découvert le casse et a mis des barrages en place. Weiss force le barrage, mais la police ouvre le feu et tue Gregg. Au dessus d’une calanque, Weiss s’arrête, pour évacuer Gregg de la voiture, mais il en profite aussi pour étrangler Aubry. Il précipite la voiture avec les deux corps dans le vide. Agostino tente de s’enfuir, mais la police le rattrape et l’abat. Weiss s’est emparé de la mallette contenant les diamants. Il va les porter à Milford qui l’abat à son tour, mais la mallette est vide. A Rome Mary Ann retrouve le professeur Anders, c’est elle qui avait subtilisé les diamants, elle est la complice du professeur. Mais soudainement alors qu’ils sont attablés, surgissent deux petits voleurs à moto qui subtilisent la mallette ! 

    Le carnaval des truands, Ad ogni costo, Giuliano Montaldo, 1967

    James Anders rend visite à son ancien camarade le truand Mark Milford 

    Le scénario ne déroge pas aux règles du film de casse telle que nous les avons énoncées dans l’introduction. On retrouve cette division du travail, avec au sommet le cerveau, ici le professeur Sanders, qui ressemble à « Doc » Erwin Riedenschneider d’Asphalt jungle. C’est homme assez vieux, instruit et observateur, il a mûri son casse pendant trente ans, Riedenschneider, lui, l’a concocté en prison. Ils ont tout fait pour éliminer le hasard. Les autres sont des exécutants, embauchés pour leurs qualités, ou leurs défauts, mais dans l’équipe, ils sont au-dessus. Le personnel recruté par Anders est curieusement de basse extraction, l’un répare des jouets, l’autre occupe une place de majordome et un troisième est une sorte de gigolo pas particulièrement courageux. Remarquez que chacun représente en même temps l’esprit d’une nation, l’Allemand est hargneux et obstiné, l’Italien est doué pour la mécanique, l’Anglais pour la technologie et enfin le Français pour la séduction ! Ce sont évidemment des poncifs sur lesquels le scénario joue pour introduire de la légèreté en s’amusant. Le film d’origine italienne refuse quant à lui son origine nationale et assume un cosmopolitisme qui va jusqu’à une présentation folklorique du Brésil et du Carnaval de Rio. Certes son verra quelques pauvres dans le paysage, mais leur misère est compensée par l’amour du football. Il y a donc une volonté de se coller dans le moule des idées reçues et de viser un public large. On retrouve la même volonté d’exotisme que dans Topkapi de Dassin où on pouvait faire du tourisme en Turquie. 

    Le carnaval des truands, Ad ogni costo, Giuliano Montaldo, 1967

    Les truands se reconnaissent grâce au briquet que leur a donné Anders 

    Mais laissons là ces digressions sur l’environnement du film. Le scénario auquel sept personnes se sont attelées, s’il ne présente guère de surprise dans les différents rebondissements, a cependant le défaut d’hésiter sans trop savoir pourquoi entre drame et comédie. Après tout toute l’équipe du casse sera éliminée. Topkapi, Ocean’s eleven, ou Sette uomini d’oro avait choisi clairement le camp de la comédie, tandis que Asphalt jungle ou Du rififi chez les hommes celui du drame sanglant. Un peu comme si les films en couleurs devaient nécessairement être moins dramatique. Mais ici Montaldo ne choisit pas et mélange les deux sans qu’on sache très bien si c’est voulu ou nom. C’est à mon sens le principal défaut du film. Cela entraîne un manque de consistance des personnages. Anders choisit méticuleusement ses hommes pour accomplir le coup, mais l’Allemand est méchant sans qu’on comprenne pourquoi et le Français est peureux. L’astuce scénaristique qui veut que derrière Weiss il y ait Milford et que celui-ci le tue alors qu’il lui ramène 10 millions de dollars de diamants, ne tient pas debout. L’Allemand ne peut pas avoir de telles naïvetés. Je passe sur la dernière scène qui est complètement téléphonée tout en se voulant ironique. 

    Le carnaval des truands, Ad ogni costo, Giuliano Montaldo, 1967

    Weiss n’aime pas Audry et le lui fait savoir 

    Malgré ces défauts difficiles à surmonter, le film reste agréable à regarder. D’abord parce que c’est toujours sympathique de voir des gens très riches se faire dévaliser, mais ensuite parce que l’ensemble est bien filmé. Montaldo utilise l’écran large et la photographie est lumineuse, la couleur assez travaillée. Il y a un gros travail sur l’aspect technique du casse, avec des portes du coffre peintes en rouge sang du meilleur effet, et les instruments de travail de ces artisans sont bien mis en valeur. Les parades du carnaval rythment le film, sans trop saturer le son, tout en utilisant les couleurs de la nuit. La cadence est soutenue, mais pour les raisons que j’ai évoquées ci-dessus, il nous manque un peu de cette émotion qui fait qu’on tremble pour ces héros très singuliers. 

    Le carnaval des truands, Ad ogni costo, Giuliano Montaldo, 1967

    Gregg tente de comprendre comment ils vont pouvoir contourner l’alarme électronique 

    Les acteurs, en dehors d’Edward G. Robinson sont du second choix. Mais bien qu’elle soit brève la prestation d’Edward G. Robinson dans le rôle du vieux professeur Anders vaut le détour. Il a une présence extraordinaire, derrière un physique plutôt usé, il manifeste une grande force mentale, et la séquence des adieux à ses élèves recèle pas mal d’émotion. Janet Leigh qui n’arrivait plus guère à trouver de rôles à Hollywood est engagé dans cette production italienne pour incarner Mary Ann. Elle manque un peu de présence. Le reste de la distribution, c’est ce qu’on trouvait dans le cinéma de genre à l’italienne vers la fin des années soixante. Klaus Kinski joue le rôle de l’Allemand – que voulez-vous qu’il fasse d’autre ? – comme à son habitude il surjoue et grimace, ce qui passe dans les westerns spaghetti, mais ce qui est plus gênant dans le film noir. Robert Hoffman, acteur d’origine germanique joue le Français Aubry ! Il est toujours aussi raide que d’habitude et on se demande comment il fait pour séduire les femmes ! Augusto est interprété par Riccardo Cucciolla. Il est un peu pâlichon ici, mais il va bientôt trouvé des rôles de plus grande qualité à commencer par celui de Sacco sous la direction de Montaldo qui lui permettra d’avoir le prix d’interprétation masculine à Cannes, puis ensuite on le verra chez Damiani et même chez Melville. Il est d’ailleurs très probable que Melville ait vu ce film et s’en soit inspiré pour la réalisation du Cercle rouge. L’anglais est interprété parle français Georges Rigaud. 

    Le carnaval des truands, Ad ogni costo, Giuliano Montaldo, 1967

    Weiss surveille la ronde des vigiles 

    Ce film tout à fait dans l’esprit du temps qui donnait de plus en plus de reconnaissance aux marginaux et aux bandits, a reçu un excellent accueil critique et commercial. La musique d’Ennio Morricone qui l’accompagne est adéquate au projet, sans être non plus exceptionnelle. Ce n’est pas un grand film noir, ni un grand film de casse, mais c’est un divertissement qui se laisse voir sans problème. 

    Le carnaval des truands, Ad ogni costo, Giuliano Montaldo, 1967

    Gregg et Agostino ont enfin ouvert le coffre et vont prendre les diamants

     Le carnaval des truands, Ad ogni costo, Giuliano Montaldo, 1967 

    La police a abattu Agostino 

    Le carnaval des truands, Ad ogni costo, Giuliano Montaldo, 1967

    A Rome Mary Ann retrouve Anders 



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/sacco-et-vanzetti-sacco-e-vanzetti-giuliano-montaldo-1971-a161956438

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  •  L’assassin parmi eux, Down 3 dark streets, Arnold Laven, 1954

    A la base de ce film, il y a un ouvrage de Mildred et Gordon Gordon, un couple d’écrivains prolifique, qui avaient créé le personnage de John Ripley, un agent du FBI qui interviendra de manière récurrente dans leur production. Quelques uns de leurs ouvrages seront traduits en français dont le fameux L’espion aux pattes de velours. Ils seront ici les adaptateurs de leur propre ouvrage. Ils représentaient une Amérique ultra-conservatrice, mais au tournant des années soixante, ils abandonneront leur héros Ripley justement parce que le FBI de J. Edgar Hoover est de plus en plus considéré comme une officine corrompue. On a avancé aussi que J. Edgar Hoover qui avait un goût prononcé pour la publicité, plus que pour le travail d’enquête, aurait demandé plusieurs modification du scénario. Mais Down 3 dark streets est aussi et surtout une production d’Edward Small. Ce dernier était un producteur qui avait tout fait dans le domaine, du film à grand spectacle aux petits films noirs à budgets étiques, notamment les premiers Anthony Man, T-Men et Raw deal, et les désormais classiques, Scandal Sheet, déjà avec Broderick Crawford et Kansas City confidential. Il a également produit le grand succès commercial de King Vidor, Solomon and Sheba quand les grands films bibliques cossus étaient à la mode. Mais ici nous sommes dans la modestie budgétaire, sans être un film de série B, Down 3 dark streets, est un petit film. On a comparé ce film dans son principe à T-Men, ce qui n’est pas faux. Mais en lieu et place d’Anthony Man, on a ici Arnold Laven, et à la place de John Alton, c’est Joseph Biroc, le photographe préféré de Robert Aldrich, qui se trouve derrière la caméra. Cela va donner d’ailleurs un côté plus moderne au film, moins sombre. Arnold Laven a assez peu tourné pour le grand écran, il fut un pilier de la télévision où il exercera le métier de producteur, mais où il tournera un épisode de la série Archer, le héros de Ross Macdonald, quelques épisodes de la série Mike Hammer. Pour le cinéma il tournera quelques noirs, Vice Squad, avec Edward G. Robinson et Paulette Goddard et Slaughter on 10th Avenue et puis ce Down 3 dark streets qui est plutôt astucieux dans sa forme éclaté, puisqu’il mêle trois enquêtes en apparence sans rapport. 

    L’assassin parmi eux, Down 3 dark streets, Arnold Laven, 1954 

    Joe Walpo recherché par le FBI s’arrête dans une station service pour faire le plein, mais comme le pompiste alerte la police, il l’abat. Le FBI est chargé de l’enquête, John Ripley va gérer celle-ci avec celle d’Angelino qui ne veut pas dire qui l’a payé pour conduire une voiture pour commettre un crime. Mais son adjoint Zack Stewart reçoit également un coup de fil de Kate Martell, une veuve. Celle-ci est l’objet d’un chantage pour qu’elle verse les 10 000 $ que lui a laissé son mari. Zack se rend chez Kate pour la rassurer. Mais il va être assassiné. John Ripley va donc reprendre à son compte les trois affaires. N’arrivant rien à obtenir d’Angelino, ni de la régulière de Walpo, il va décider de mettre sous surveillance Connie pour tenter de remonter à Walpo, et Kate pour la protéger et surveiller son entourage. Le FBI s’intéresse aussi à Brenda Ralles. Mais les policiers qui la suivent perdent sa piste, et on la retrouvera assassinée, dans une poubelle ! Ripley va avoir alors l’idée de jouer de la jalousie féminine, prouvant à Connie que Walpo a une autre maîtresse. Connie va donc tenter de rejoindre Walpo pour avoir des explications, mais cette fois la police la suit, et Ripley abattra Walpo. Tandis que le chantage continue sur Kate, Julie reçoit la visite d’un truand, Pavelich, qui la bat en lui intimant l’odre de ne plus écrire à Angelo. Mais, bien qu’aveugle, elle va arriver à décrire son agresseur à la police. Une tournée des salles de boxe permettra d’arrêter Pavelich. Confronté, à Angelino, il continue à nier, et Angelino soutient ses mensonges, jusqu’au moment où il comprend que Pavelich a brutalisé Julie. Il parlera donc. Kate est ballottée par le maître chanteur. Celui-ci lui donne un rendez vous dans un cimetière, mais il ne viendra pas, alors que la police est prête à l’arrêter. Le FBI commence à relever des empreintes, analyse la voix du maître-chanteur. Et au moment où l’identité de celui-ci va être révélée, les policiers doivent intervenir en catastrophe car Kate a cédé au maître-chanteur et se prépare à lui verser l’argent. Tandis qu’elle s’aperçoit que le maître chanteur est Dave, celui qui la courtisait, et qu’elle risque d’être assassinée, les policiers interviennent. Dave s’enfuit et sera arrêté. 

    L’assassin parmi eux, Down 3 dark streets, Arnold Laven, 1954

    John Ripley doit s’occuper de l’affaire Walpo 

    Le scénario peut être qualifié de virtuose, non pas parce que les trois histoires qu’il développe sont très originale, mais à cause de la fluidité dans leur mise en relation, sans mettre trop en avant d’ailleurs John Ripley comme le seul fil rouge. Une grande partie des rebondissements reste crédible parce qu’on fait appel justement au comportement des criminels qu’on ne veut pas contraindre par la force, mais qu’on va amener à baisser leur garde. Le FBI c’est ainsi trois choses en même temps ici : d’abord une organisation importante, un investissement énorme dans les techniques de pointe pour espionner, ou pour analyser les empreintes et le voix ; ensuite des hommes courageux et bien formés, solidaires et capables d’initiatives ; ces policiers s’appuient plus volontiers sur une bonne connaissance de la nature humaine que sur la force brutale, même si ils savent aussi faire face à la violence. L’astuce du scénario est de montrer que les criminels ne sont pas tous faits du même bois. Les uns, comme Angelino, ont des excuses, ils ne sont pas très malins et n’ont guère eu de chance, mais ils ne sont pas complètement dénués de morale. Les autres comme Walpo, Palevich ou même Connie sont totalement perdus pour la société. Le criminel est au fond un membre presqu’ordinaire de la société, non pas qu’il ne faille pas le réprimé, ou qu’on doive l’excuser, mais il est impossible qu’il n’existe pas. Ce qui renforce le besoin d’une police efficace. Lorsque le policier laissera échapper Brenda Ralles, le film sous-entend qu’au fond il n’a pas sa place dans la police. 

    L’assassin parmi eux, Down 3 dark streets, Arnold Laven, 1954 

    Kate Martell est victime d’un chantage 

    C’est bien sûr un portrait de l’Amérique des années cinquante, placée sous le portrait bienveillant d’Eisenhower, un conservateur, certes, mais qui ne remet pas en cause la nécessité d’un Etat social et attentif à la misère. Même si le film admet qu’il y a des pauvres et des misérables, tout le monde semble rouler dans des voitures haut de gamme qui semblent glisser sur l’asphalte, dotées de suspension qui absorbent les chocs. Certains ont remarqué que d’offrir de telles voitures à des policiers ordinaires était tout de même un peu incongru. Mais enfin il faut bien donner une image positive de l’Amérique par rapport à la canaille qui tente de miner ce nouvel ordre moral. Nous sommes en effet à l’apogée de la puissance américaine, avec en point de mire le rêve américain fondé sur la construction d’une famille saine et unie, et sur la volonté d’enrichissement ordinaire, prise comme une évidente nécessité. Mais la poursuite de cette chimère ne va pas sans ambiguïté. On remarque que dans ce film les femmes sont d’abord des victimes de leur solitude. Kate est veuve, mais elle a hérité de l’assurance-vie de son mari. Obligée de travailler pour élever sa petite fille de 4 ans, elle est coincée entre un oncle libidineux et qui aimerait bien mettre la main sur le magot, un voisin qui l’épie et Dave Milson, un escroc d’envergure, qui la fait chanter. On comprend bien qu’il serait bien plus facile pour elle d’être mariée et prise en charge par un époux. Elle réussit cependant dans son métier parce qu’elle est dévouée et énergique, mais sa vie sentimentale étant un désert, elle est à de doigts de tomber dans les bras de Dave, non seulement en lui rendant son baiser volé, mais en répondant à son chantage et en lui portant son argent, comme une prostituée rendant sa comptée à un maquereau !  

    L’assassin parmi eux, Down 3 dark streets, Arnold Laven, 1954

    Brenda Ralles non plus ne parlera pas

    La seconde femme dont le portrait est développé est Connie Anderson, fille de mauvaise vie, elle attend tout de Walpo qui l’achète en lui offrant des bijoux. Elle l’attend désespérément, dans une solitude difficile à supporté comme contrepartie de sa turpitude. Elle est enfermée dans un bel appartement qui, on le comprend est payé par Walpo. Elle n’est pas une épouse, mais une femme entretenue qui préfère le confort des objets à une saine vie familiale. La jalousie la mènera à sa perte et elle vendra sans le vouloir Walpo à la police. Quand elle pleure sur sa dépouille, elle pleure sur elle-même plus que sur son amant. La troisième femme est Brenda Ralles, on le comprendra, elle est en cheville avec Dave. Elle refusera de le vendre, mais ce sera sa perte car lui n’hésitera pas à la tuer pour protéger son identité. Julie, la fiancée d’Angelino, est aveugle, mais elle a bien plus de bon sens que tout le monde, elle ne se laisse jamais aller au ressentiment, ni à la panique, même quand le sinistre Pavelich la dérouille. Bien sûr, elle a besoin d’Angelino, mais pour le récupérer en tant que protecteur, elle doit le réformer si elle veut avoir une famille. Les portraits féminins, même s’ils reprennent les stéréotypes de la femme faible, introduisent tout de même pas mal d’ambiguïté. C’est en cela qu’ils sont intéressants. On voit bien entendu que Kate est dans une situation difficile, elle doit faire garder sa gosse, travailler dur, mais elle est volontaire et adopte tout de même une partie des critères qui, généralement à cette époque sont ceux de la virilité responsable. De ce fait, les portraits masculins sont moins inattendus. Les policiers sont dévoués, ils n’hésitent pas à risquer leur vie pour le bien commun. Ils représentent la force nécessaire pour s’opposer à la canaille qui hante les rues sombres. Ils sont très curieusement monolithiques et sans nuance. Même si John Ripley a des sentiments de compassion pour son collègue mort, ou pour ces femmes abandonnées, il ne manifeste rien. On suppose que c’est la rançon de son métier. Les femmes sont souvent vues dans leur univers domestique, les policiers et les gangsters non, comme si en dehors de leur fonction ils n’existaient pas. Les gangsters apparaissent inorganisés, autant que violents, et ces traits de caractère les opposent aux policiers qui sont à l’inverse disciplinés et hiérarchisés. 

    L’assassin parmi eux, Down 3 dark streets, Arnold Laven, 1954

    Julie la fiancée d’Angelino est aveugle 

    La mise en scène de Laven utilise d’abord des procédés traditionnels qui tentent de donner une image documentaire à l’histoire. Il utilise la voix off d’un récitant qui semble effectuer un reportage sur le difficile métier des agents du FBI. Il utilise aussi des images qui montrent son organisation, l’immeuble massif du FBI de Los Angeles, et aussi celles des services techniques. C’est une manière de faire qui s’est imposée au début des années cinquante quand le film noir s’est orienté de plus en plus vers le travail de la police, au détriment sans doute de l’ambiguïté des malfaiteurs et de leurs victimes. C’était sans doute aussi une volonté de J. Edgar Hoover qui soignait l’image de marque de sa boutique, ce qui lui permettait de réclamer toujours de plus en plus d’argent à l’Etat fédéral et donc d’étendre son empire. Cela est bien connu, sauf de Clint Eastwood qui a produit et filmé une merde à la gloire de cette canaille vendue à la mafia[1]. En quelque sorte ces images qui faisaient semblant d’être un reportage compensaient les images qu’à la même époque on commençait à voir à la télévision avec la mission d’enquête Kefauver qui mettait en évidence la nécessité de lutter contre le crime organisé et donc de mettre en œuvre d’autres moyens que les moyens habituels de la police. Comme on sait, Hoover ne voulait pas entendre parler de mafia et de crime organisé, il défendait l’idée qu’il ne s’agissait que de délinquants ordinaires[2]. Les allusions à l’Italie, Angelino et Julie sont originaires d’Italie et mangent des lazagnes et de la pizza, sont là pour nous le rappeler, s’il y a des délinquants d’origine italienne, ce ne sont pas des membres d’une mafia. Notez qu’il y a une forme de moquerie vis-à-vis de la prétention du FBI à user des techniques modernes de traque des assassins, tandis que le technicien fait un cours aux agents fédéraux, Ripley et son acolyte ne l’écoutent plus et se ruent au secours de la malheureuse Kate. 

    L’assassin parmi eux, Down 3 dark streets, Arnold Laven, 1954 

    Les policiers suivent Connie 

    La mise en scène proprement dite va donc s’appliquer à se caler sur une vision semi-documentaire et naturaliste de la criminalité. On suit donc d’abord le travail des policiers, on est dans leur dos, sur leurs épaules, avec une caméra très mobile qui épousent le mouvement. La réussite des scènes de filature se trouve là. Mais en même temps dans l’utilisation excellente des décors naturels de Los Angeles. La filature de Connie est particulièrement soignée, avec des mouvements de grue qui permettent de passer d’un autobus à un autre, et de remonter vers John Ripley qui observe de loin la ruse. Si les scènes de dialogues dans des espaces fermés sont moins prégnantes, la visite à la salle de boxe et celle à Julie donnent de la densité à l’histoire. Le rythme est très bon, soutenu, le film ne dure qu’une heure et 24 minutes, mais il se passe beaucoup de choses dans cette durée. La scène du cimetière où Kate doit remettre la rançon est toute en ombres et en mouvement, avec des plans resserrés sur le visage de la jeune femme pour y traquer la terreur. 

    L’assassin parmi eux, Down 3 dark streets, Arnold Laven, 1954

    Ripley surprend Walpo 

    L’interprétation c’est d’abord Broderick Crawford et sa gueule cassée dans le rôle de John Ripley. Il est excellent comme presque toujours dans les films noirs, il l’est un peu moins dans les westerns. Au-delà de sa silhouette massive, il arrive en dehors du dialogue à faire passer de l’empathie, voire de la tendresse pour les femmes qu’il visite, mais aussi peut-être une forme d’indulgence pour Angelino dont il comprend le parcours. Ruth Roman est Kate. Si d’habitude elle est plutôt farouche et énergique, elle est ici plus traditionnelle dans le rôle d’une mère qui tente de protéger sa fille des dangers de la vie moderne et qui fait confiance à la police, quoi qu’à la fin elle craque sur ce point de vue. L’ensemble des interprètes vise à donner une image de citoyens ordinaires et sans glamour à l’ensemble de ces personnages. On retrouvera là des figures traditionnelles du film noir, par exemple Claude Akins dans le rôle de la brute Palevich, ou Jay Adler dans le rôle de l’oncle libidineux. Mais on doit donner une mention spéciale à Marisa Pavan, la sœur jumelle d’Anna Maria Pierangeli qui, elle, était surtout connue pour la passion qu’elle vécut avec James Dean et ses fiançailles avec Kirk Douglas. Dans le rôle de Julie, Marisa Pavan montre quelle grande actrice elle aurait pu être.    

     

    L’assassin parmi eux, Down 3 dark streets, Arnold Laven, 1954 

    A la salle de boxe il obtiendra des renseignements celui qui a battu Julie 

    Sans être un film noir de première importance, c’est un film « gris » si on veut qui dépasse le simple film d’enquête policière. Bien fait, solide, il retient bien l’attention des spectateurs. Il eut un bon succès. Longtemps difficile à trouver, il a bénéficié d’une ressortie aux Etats-Unis en Blu ray. Cependant dans cette version, sans sous-titres, le format est 1,75 : 1, alors qu’il avait été tourné dans le format traditionnel du film noir de cette époque, 1,37 : 1. 

    L’assassin parmi eux, Down 3 dark streets, Arnold Laven, 1954

    Angelino parlera 

    L’assassin parmi eux, Down 3 dark streets, Arnold Laven, 1954 

    Kate doit déposer l’argent sous la lettre W 

    L’assassin parmi eux, Down 3 dark streets, Arnold Laven, 1954 

    Dave est arrêté par la police



    [1] J. Edgar a été tourné en 2011, il est dommage qu’un acteur de grande classe comme Leonardo Di Caprio se soit compromis dans ce genre de semi-reportage publicitaire.

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/anthony-summers-le-plus-grand-salaud-d-amerique-the-secret-life-of-j-e-a114845046

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  •  Investigation criminelle, Vice Squad, Arnold Laven, 1953 

    Without warning ayant bien marché, l’équipe Gardner-Levy-Laven se reforma facilement. Mais cette fois l’ambition était un peu plus élevée, le budget un peu plus important, la durée approchait presque une heure et demie. Et puis on avait pu engager de grandes vedettes, Edward G. Robinson et Paulette Goddard que les grands studios snobaient parce que la chasse aux sorcières, cette vérole, les avaient désignés comme communistes. Ils étaient donc moins chers qu’avant de se faire mettre au purgatoire. Le sujet provient d’un ouvrage de Leslie T. White, auteur prolifique dont aucun n’a été traduit chez nous, mais qui garde un public même encore aujourd’hui outre-Atlantique. Il a travaillé aussi pas mal pour le cinéma. Cet auteur avait été, d’après ce que j’ai cru comprendre, un auxiliaire de la police, ce qui expliquerait son goût pour les histoires de flics. Mais cela convient forcément à Arnold Laven, puisqu’à partir de ce film il va moins s’intéresser aux criminels, et un peu plus à ceux qui les poursuivent. 

    Investigation criminelle, Vice Squad, Arnold Laven, 1953 

    Un policier surprend deux voleurs de voiture 

    Alors qu’il fait sa ronde de nuit, le policier Kellog surprend des voleurs de voiture. Il tente de les arrêter, mais l’un d’eux va l’abattre d’un coup de revolver dans le dos. Cependant un croquemort, Hartrampf qui sortait de chez sa maîtresse les a vu. La ville est en émoi, et le capitaine Barnaby qui doit aussi gérer d’autres nombreuses affaires, va faire du meurtre de Kellog sa priorité. Mais Hartrampf, mal conseillé par son avocat, refuse de dire quoi que ce soit. Barnaby décide de contourner la loi pour le garder avec lui. Un autre petit truand, Frankie, propose ses services à la police, à condition d’obtenir quelque avantage dans son futur procès. Il dit qu’il connaît une bande qui va attaquer une banque. En vérité c’est Barkis qui était en taule avec lui qui monte le coup, mais ce même Barkis est celui qui a tué Kellog. Car Barkis et Monte volaient une voiture cette nuit là pour préparer leur coup. En même temps que la police va se préparer pour contrer le hold-up, Barnaby convoque Mona, une mère maquerelle, pour qu’elle lui donne des pistes. De même il poursuit la piste de la maitresse de Hartrampf, car il a compris que celui-ci sortait de l’immeuble. L’attaque va avoir lieu, mais un des gangsters, Marty, va au dernier moment faire demi-tour. Si deux des gangsters sont abattus, des employés de la banque sont touchés aussi par les tirs. Barkis et Monte arrive toutefois à s’enfuir, ils ont pris une employée de la banque, Carol, en otage pour protéger leur fuite. La police à retrouvé la maitresse de Hartrampf, et celui-ci va parler de peur que sa femme apprenne sa liaison. Cependant son témoignage ne servira à rien, il est incapable de reconnaître le tueur, le confondant avec un policier dans une séance de retapissage. En usant de ruse, Barnaby va faire parler Mona qui lui indique Marty. La police l’arrête, mais il refuse de dire quoi que ce soit. Le temps presse, Barnaby menace Marty de la chaise électrique et utilise le témoignage de Hartprampf pour faire pression, celui-ci craque et indique le repère de la bande, un hangar au bord de la mer. Pendant ce temps, Monte est allé chercher un bateau pour prendre la fuite. Carol profitant de l’inattention de Barkis tente de s’échapper. Mais la police arrive enfin, abat Barkis, délivre Carol et arrête Monte. 

    Investigation criminelle, Vice Squad, Arnold Laven, 1953 

    Le capitaine Barnaby doit gérer de nombreuses affaires 

    Comme on le comprend le personnage de Barnaby est le centre d’un monde qui s’agite dans tous les sens, et à partir de son poste de chef de la brigade, il va relier les fils les uns avec les autres pour enfin mettre de l’ordre dans le chaos. C’est donc le portrait d’un homme opiniâtre et déterminé. Bien que débordé par son activité, il sait faire preuve aussi d’humanité et accorder de l’attention à ceux qui le méritent. S’il montre de l’intelligence dans son activité professionnelle, ce n’est pas un esprit supérieur qui résout les affaires par la réflexion. Bien au contraire, c’est en agissant suivant un protocole, déployant ses filets, faisant pression sur les uns et les autres, rusant éventuellement avec la loi pour faire avancer la justice. L’astuce du scénario est évidemment de mener plusieurs affaires de front, sans perdre le fil. Sa brigade est cependant un collectif dont il sait se faire apprécier. Il y a sa dévouée secrétaire, Giny qui l’aide à mettre de l’ordre dans son travail, et bien sûr les policiers. Tous les autres caractères sont clairement bien moins dessinés que celui de Barnaby. Les gangsters sont un peu trop sommaires, le seul qui est un peu approfondi, c’est Marty qui n’a même pas les qualités d’un braqueur de banque, il est peureux et préfère vivre sur le compte de sa gonzesse qui fait pute chez Mona. C’est moins risqué et moins fatiguant. Mais tous les truands ne sont pas antipathiques, par exemple le Frankie, un habitué, se propose d’aider Barnaby. On comprend que celui-là n’est pas forcément un mauvais bougre, et qu’il n’est pas du genre à abattre des policiers. 

    Investigation criminelle, Vice Squad, Arnold Laven, 1953

    Frankie propose un deal à Barnaby 

    Dans cet univers, l’honnête Hartrampf n’est pas très coopératif, alors même qu’il s’agit du meurtre d’un policier. Il craint tellement sa femme qu’il ne veut rien dire. L’avocat n’est pas non plus très reluisant qui s’applique à compliquer le travail de la police autant qu’il le peut. Par contre, Mona, la mère maquerelle est amie avec Barnaby, et donc le film ne semble pas condamner son métier, ni les filles qui travaillent pour elle. On voit donc que le scénario vise à montrer la complexité des choses, et ne se contente pas de désigner les bons et les méchants. C’est une manière de se vouloir réaliste. Cependant tout cet aspect semi-documentaire n’est là que pour présenter la traque difficile d’un gang très dangereux. A partir de là on va se balader dans la ville et ses redents. C’est comme deux mondes qui ne se fréquentent que par à-coups. Les gangsters travaillent et vivent plus particulièrement la nuit, le plus possible à travers des regards. Mais il y a des passerelles entre deux mondes qui voudraient s’ignorer. Parmi ces passerelles, il y a l’argent, celui de la banque, mais aussi la police comme si les truands étaient finalement un mal nécessaire pour que la société trouve son équilibre.

     

    Investigation criminelle, Vice Squad, Arnold Laven, 1953 

    L’avocat Foreman demande au croquemort de ne rien dire 

    La mise en scène est très soignée, mêlant opportunément les décors naturels et le studio. On retrouve cette manière particulière à Arnold Laven de saisir les rues de Los Angeles dans leur quotidien. Grâce à la photo une nouvelle fois de Joseph Biroc, il retrouve peut-être plus que dans son film précédent les codes du film noir, avec un jeu d’ombres intéressant, aussi bien dans la scène où Barnaby veut faire parler Marty, que dans la scène de l’entrepôt d’où Carol tente de s’enfuir. Le hold-up est filmé à la grue, par en dessus, comme c’est souvent le cas chez Laven quand il veut saisir le mouvement d’une manière presque géographique. Il y a de longs plans pour montrer comment la bande s’organise et attend le moment où elle passera à l’acte. C’est filmé sur Santa Monica Boulevard, à une époque où on pouvait tout de même se garer encore facilement ! 

    Investigation criminelle, Vice Squad, Arnold Laven, 1953

    Les gangsters attaquent la banque 

    L’interprétation c’est bien sûr Edward G. Robinson dans le rôle de Barnaby. Comme je l’ai dit, à cette époque il avait beaucoup de mal à trouver du travail, et sans doute le film de Laven dans lequel il est remarquable de justesse l’a sans doute aidé à relancer sa carrière. Il est étonnant que malgré sa toute petite taille il arrive à donner une impression d’autorité. Paulette Goddard qui ne trouvait de rôle, n’a ici que peu d’espace pour donner toutes les facettes de son talent. Elle incarne Mona avec un enthousiasme un peu surjoué, mais elle n’est pas très présente à l’écran. Les seconds rôles sont souvent des acteurs qui étaient déjà dans le premier film de Laven. Edward Binns qui jouait le flic dans Without warning est ici le gangster Barkis. Adam Williams qui était le sérial killer tourmenté de Without warning s’est assagi et est devenu le membre peureux de la bande, Marty. Tous les deux sont excellents. A leur côté on trouve Lee Van Cleef qui commençait sa carrière mais qui tournait beaucoup, usant de son physique très particulier. Je ne voudrais pas oublier l’excellente K. T. Stevens dans le rôle de la secrétaire de Barnaby, celle qui l’aide et le materne finalement. Les personnages féminins sont limités à leur plus simple expression. On n’oublie pas les personnages drôles, Hartrampf est incarné par Porter Hall dont le physique est suffisant pour justifier son emploi, et puis Jay Adler qu’on voyait à cette époque dans une grande quantité de films noirs et qui est ici le débonnaire Frankie. Harlan Warde qui déjà dans Without warning jouait un policier, reprend du service dans un rôle un peu similaire. 

    Investigation criminelle, Vice Squad, Arnold Laven, 1953

    Mona se fait emballer par la police 

    Le film est bon, très travaillé, mais il lui manque un petit peu d’âme tout de même. Mais il se voit très bien, sans ennui, je lui préfère bien entendu Without warning qui est plus subtil quant à la complexité des personnages, sans doute parce que Laven faisait porter son regard plus sur le criminel que sur ceux qui le traquent. Il y a ici un rythme rapide et une densité qui soutiennent l’intérêt du spectateur jusqu’au bout. 

    Investigation criminelle, Vice Squad, Arnold Laven, 1953 

    Marty ne veut pas parler 

    Investigation criminelle, Vice Squad, Arnold Laven, 1953

    Carol tente d’échapper à Barkis

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