•  Train d’enfer, Hell drivers, Cy Endfield, 1958

    Les années cinquante ont multiplié les films de camion, en France avec Gasoil[1], Des gens sans importance, mais aussi l’inévitable Le salaire de la peur de Clouzot, Palme d’or au Festival de Cannes en 1953. C’est une mode qui avait été lancée aux Etats-Unis dans les années 40, avec par exemple They drive by night[2] ou encore l’excellent Thieves highway de Jules Dassin. Le film noir, lorsqu’il se situe dans le milieu des camionneurs lui donne un côté prolétaire. Le scénario est de John Kruse. La particularité de Hell drivers est qu’il se situe en Angleterre, pays qui a très peu fait pour le film noir mais qu’il est dirigé par un réalisateur américain qui a fait ses classes aux Etats Unis. La même équipe sera reformée pour Sea fury, sur un scénario de John Kruse et avec en vedette Stanley Baker. 

    Train d’enfer, Hell drivers, Cy Endfield, 1958 

    Tom est engagé chez Hawlett’s 

    Tom Yately a besoin d’argent et va se faire engager chez Hawlett’s, une entreprise de camionnage qui transporte de remblais pour les entreprises de construction. Les conditions de travail sont très dures, les chauffeurs sont payés à la tâche. Il faut conduire vite dans des conditions dangereuses. Tom va hériter du camion n°13. Il va pénétrer cette petite communauté de salariés qui vit par et pour le transport en camion. Il fait ami-ami avec Gino, un chauffeur italien, qui est amoureux de Lucy. Mais celle-ci est charmée par Tom et reste indifférente à la cour de Gino. Tous les chauffeurs ne sont pas des amis. Sur cette petite communauté semble régner le violent Red qui est aussi le contremaître. Une compétition s’engage entre les chauffeurs, c’est à celui qui fera le plus de rotations. Red parait indéboulonnable. Mais Tom progresse et peu à peu menace les records de Red. Entre temps Lucy se fait de plus en plus pressante et se déclare à Tom. Mais celui-ci par amitié pour Gino ne veut rien entendre. Tom a également d’autres problèmes, il a laissé sa famille à Londres, et on comprend que c’est par sa faute que son jeune frère est maintenant infirme. Il veut lui venir en aide, mais sa mère ne lui pardonne pas et le rejette. Tom se coupe des autres chauffeurs parce que lors d’un bal, il ne participe pas à la bagarre avec les locaux, il s’enfuit. Les autres chauffeurs le croient lâche, mais en réalité, il a peur de se faire embarquer par la police justement parce qu’il sort de prison. Se faisant voler comme dans un bois par Red, Tom réagit enfin, il donne une raclée au contremaitre qui jure maintenant sa perte. Il décide de s’en aller et donc de prendre le train pour Londres. Mais Lucy le rattrape, elle lui annonce l’accident de Gino, et en même temps elle lui explique que Red et Cartley volent les chauffeurs sur leur paye et que c’est pour cela qu’ils les font rouler beaucoup au risque de se tuer. Tom menace Cartley et le fait chanter. Red et Cartley vont prendre Tom en chasse pour le tuer, mais ce sont eux qui vont être victimes de leur propre sabotage des freins du camion de Tom. Gino ayant changé les numéros. Gino décédé, Red et Cartley écartés, plus rien ne s’oppose à l’idylle entre Tom et Lucy.

     Train d’enfer, Hell drivers, Cy Endfield, 1958 

    Lucy lui fait du gringue

    Endfield brosse le portrait d’un groupe d’hommes rudes et violents. Mais en même temps c’est la mise en lumière de relations d’exploitation, justifiées uniquement pour le profit. Ce profit s’apparente d’ailleurs à un vol. le scénario met en œuvre la compétition entre des prolétaires, et la compétition c’est bien l’essence du capitalisme. Si la rotation des camions transforme le monde, elle le transforme d’abord en monde capitaliste. Mais l’exploitation des travailleurs va se faire jusqu’à la mort, et le fait que la paye soit bonne, est une simple illusion. Au-delà de l’aventure individuelle de Tom, il y a le mode de vie des camionneurs. Ils forment un groupe plus ou moins uni, qu’on verra affronter les populations locales. Tom se verra reprocher son manque de solidarité. Mais c’est moins qu’il n’est pas solidaire, que le fait qu’il comprend les manipulations de Red et de Cartley. On note aussi que dans cet univers viril, Tom se laissera lui aussi prendre au piège de la compétition. Il y a donc au premier chef une analyse critique des conditions de travail qui mènent au crime. Le crime c’est aussi bien le meurtre de Gino, que de pousser les chauffeurs à des conditions extrêmes de travail qui les tuent littéralement. Si les camions sont les instruments de cette mort, ils sont également l’image d’une modernité qui tue, enfermant dans la cabine de conduit les individus dans leur propre isolement.

     Train d’enfer, Hell drivers, Cy Endfield, 1958 

    Les camions livrent des gravats 

    Mais ce contexte est aussi le support d’une histoire de culpabilité et d’impossible rédemption. Tom a fauté, et par sa faute, son jeune frère est handicapé à vie. Mais même sa propre mère refusera à Tom un pardon. C’est en quelque sorte pour expier cette faute que Tom va s’engager dans une entreprise où il risque la mort à tous les tournants. Dans ce nouvel univers, il va être confronté aussi à une morale différente de la morale ordinaire. On pourrait donc dire que c’est un film matérialiste, non seulement pour la description minutieuse d’une réalité sordide, mais aussi parce que ce sont les conditions de travail qui vont induire une position morale des chauffeurs dans la vie quotidienne. Pourtant si Londres et sa mère lui refusent le rachat, celui-ci viendra du fait qu’il s’engage dans la lutte des classes et qu’il met en déroute le patron et son contremaître qui seront tués. La récompense de ce fait d’armes sera qu’il récupérera enfin Lucy pour lui tout seul. Le rôle des femmes dans cette histoire est assez ambigu. En effet que ce soit Lucy ou Jill, elles sont suffisamment fortes pour s’imposer, dans le travail et dans les relations avec les chauffeurs, mais en même temps elles sont en position de faiblesse parce qu’elles cherchent l’amour et la protection d’un homme d’un vrai. Dès son arrivée, Tom sera convoité par les deux jeunes femmes. Il est cependant difficile d’en tirer des conclusions quant à une forme de misogynie de Cy Endfield.   

    Train d’enfer, Hell drivers, Cy Endfield, 1958 

    Le chargement doit être bien tassé

    C’est très bien filmé. Cy Endfield aime les camions qu’il désigne pourtant comme des objets maléfiques. Il a le bon goût de ne pas trop alourdir l’ensemble en multipliant les courses entre Red et Tom sur des routes dangereuses et tortueuses. On appréciera aussi les décors naturels du travail, les chantiers, la manière de filmer l’entreprise Hawlett. Le plus réussi ce sont les scènes de mouvement. Par exemple le bal, que ce soit dans sa partie calme, l’échange des partenaires, que dans sa partie violente, la bagarre entre les locaux et les chauffeurs, c’est très réussi. Cette scène inspirera sans doute aussi la scène de la fête foraine dans le film de Robert Enrico, Les grandes gueules. Une autre séquence rappellera un autre film de Robert Enrico, c’est la scène où Tom ment à Gino qui va mourir pour lui dire que Lucy serait partie avec lui. On trouve la même scène dans Les aventuriers quand Roland affirme à Manu qui va mourir que Laeticia serait bien partie avec lui. Ce qui ne veut pas dire qu’Enrico ait copié Endfield, les scénarios sont trop différents, mais enfin il s’en est inspiré pour créer cette ambiance virile et sans concession. Endfield insiste tout de même moins sur la question de l’amitié. Im y aura deux ruptures de ton : d’abord le voyage à Londres, et ensuite la visite à Gino à l’hôpital. Ça donne manifestement une respiration et évite l’enfermement dans l’univers des camionneurs. On conservera dans l’ensemble cet amour du détail, notamment dans les scènes qui sont sensées se passer au restaurant où tout le monde se retrouve pour prendre ses repas. C’est quelque chose que nous avions déjà vu chez Endfield dans The sound of fury avec les scènes de foule, Endfield sait prendre de la hauteur avec sa caméra et il a manifestement le sens du mouvement qui donne de l’espace même dans les espaces étriqués.  

    Train d’enfer, Hell drivers, Cy Endfield, 1958 

    A Londres Tom va voir son jeune frère 

    La distribution s’est organisée autour de Stanley Baker qui est très bon, comme souvent. C’est un acteur un peu oublié aujourd’hui. S’il a beaucoup tourné avec Cy Endfield qui  l’emploiera pas moins de 6 fois, il sera aussi très apprécié de Joseph Losey avec qui il tournera des films noirs très importants comme Blind date, The crimimal, Eva ou encore Accident. Il est très crédible dans le rôle du camionneur Tom, hésitant entre colère rentrée et frustration. Il est entouré d’une kyrielle de grands noms ou de futurs grands noms plutôt. Peggy Cummins est très bien dans le rôle de Lucy, mais elle n’atteint pas les sommets de Gun crazy[3]. Aux côtés de Stanley Baker, on trouve le très bon Herbert Lom qui joue l’Italien Gino. C’est moins son accent qui est convaincant que son jeu proprement dit, il rêve de retourner en Italie avec Lucy comme trophée pour montrer à son pays sa réussite certaine. Patrick McGoohan qui deviendra célèbre grâce à la télévision, est ici plutôt lourdingue, dans le rôle de l’abominable Red, il en fait des tonnes. On reconnaitra au passage Sean Connery dans un petit rôle de camionneur, et puis aussi Jill Ireland, bien avant qu’elle ne devienne l’épouse de Charles Bronson et qu’elle soit abonnée aux rôles féminins de ses films. Ici elle est en brune mélancolique, et affiche une certaine ressemblance avec Audrey Hepburn. Elle est très bien dans le rôle de la servante du restaurant, classe et dignité. On trouvera autour de Stanley Baker des gueules comme on dit, marquées par le travail. C’est un des très bons côtés de ce film qui n’en a pas de mauvais, même si le jeune frère sur des béquilles, ça fait un peu chargé sur le plan mélodramatique. 

    Train d’enfer, Hell drivers, Cy Endfield, 1958 

    Tom donne une raclée à Red 

    C’est donc un très bon film noir, quoique pas assez désespéré peut être, dont les amateurs ne sauraient se passer. C’est nerveux et guère naïf, même si la fin heureuse peut surprendre. Filmé en Vistavision, la narration est bien aidée par une excellente photographie. 

    Train d’enfer, Hell drivers, Cy Endfield, 1958 

    Gino est à l’hôpital en train de mourir

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  •  Fureur sur la ville, The sound of fury, Try and Get Me! Cy Endfield, 1950

    Cy Endfield est assez peu connu, surtout pour sa contribution au film noir. Il reste dans les mémoires pour ses films comme Zulu et Sands of Kalahari, films d’aventures britanniques, ayant l’Afrique pour décor. C’était un cinéaste éclectique qui a donné un peu dans tous les genres. Il est vrai que sa carrière a été rendue plus difficile par le fait qu’il fut mis sur la liste noire pour sa proximité avec la gauche américaine. Curieusement son dernier film sera De Sade, personnage sulfureux qui fascinera toute la gauche intellectuelle. Il donnera un autre très bon film noir en 1957, Hell drivers, mais en Angleterre, pays plus accueillant pour les réprouvés d’Hollywood. Bien que The sound of fury n’en soit pas vraiment un remake, il est basé sur les mêmes faits bien réels survenus en 1933 à San José et qui donneront naissance au film de Fritz Lang, Fury, en 1936, mais il est réputé être plus près de la vérité. C’est Jo Pagano qui a écrit l’histoire et qui se collera au scénario. C’est un nom peu connu, et pour cause, il travaillera presqu’essentiellement pour la télévision. Ce film est également connu sous le titre de Try and get me ! C’est un drame social, avec un message édifiant, dans la lignée de Fury que nous avons cité, mais aussi de Owbow incident de William Wellman. 

    Fureur sur la ville, The sound of fury, Try and Get Me! Cy Endfield, 1950 

    Howard Tyler est complètement fauché, et cherche désespérément du travail. Marié, il a un petit garçon, et sa femme attend un deuxième enfant. Il va finalement se résoudre à travailler avec le narcissique Slocum qui a besoin d’un chauffeur pour commettre ses hold-up. Leur association commence à être rentable. Bien que cela ne lui plaise pas trop, Howard apprécie pourtant le fait qu’il a maintenant pas mal d’argent et qu’il peut ainsi gâter sa famille. Cependant Slocum veut passer à la vitesse supérieure, il va, toujours avec l’aide d’Howard, kidnapper le fils d’un millionnaire pour lui arracher une forte rançon. Mais pour se simplifier la vie, il va assassiner sa victime et la jeter à la mer avec la complicité d’Howard. Celui-ci commence à se sentir vraiment mal. Rongé par la culpabilité, il commence à boire. Un soir il s’en va avec Slocum dans une boite de nuit et va faire la connaissance d’Hazel, une fille assez mal dans sa peau qui rêve de rencontrer quelqu’un qui l’aime et qu’elle pourrait aimer. Howard ment, disant qu’il n’est pas marié. Mais rongé par la culpabilité, il va parler à Hazel lorsqu’il se retrouve chez elle, lui raconter en détail le meurtre qu’il a commis. Celle-ci, effrayée, va s’empresser de le dénoncer à la police. Arrêté, Howard va dénoncer Slocum. Ils sont tous les deux transférés à la prison locale sous la garde du shérif. Howard a envoyé une lettre à sa femme pour lui demander qu’elle-même l’oublie, il ne se fait aucune illusion sur le sort qui l’attend. Mais le journaliste Stanton, poussé par son rédacteur en chef, commence à publier des articles de plus en plus violents qui vont mettre la foule en colère et celle-ci va attaquer la prison pour lyncher les meurtriers. Elle est entraînée par les étudiants, et la police est incapable de faire face à l’assaut, malgré quelques tirs de grenades lacrymogènes. Bien qu’Howard n’ait pas tué, il est bel et bien complice et n’en réchappera pas, au grand émoi de du directeur du journal local qui commence à comprendre le rôle des médias sur l’opinion et donc sa responsabilité personnelle dans ce drame.

    Fureur sur la ville, The sound of fury, Try and Get Me! Cy Endfield, 1950

    Howard Tyler revient chez lui 

    C’est un film noir clairement militant qui ne cherche pas cependant à excuser des actes criminels, mais plutôt à en comprendre le mécanisme. C’est Howard le pilier. Il voudrait bien lui aussi vivre le « rêve américain », avoir les moyens de subvenir à sa famille, mais la crise économique fait que le travail est très rare. C’est le noyau dur du film : il y a une contradiction violente entre cette richesse provocante et provocatrice qui s’étale de partout et la difficulté de trouver du travail. Et donc cela va bien au-delà d’un individu victime de la crise, car il est victime aussi d’une société de consommation très envahissante. On le verra quand il va avec sa famille acheter des objets dont manifestement il n’a pas besoin. Egalement Howard veut jouer les chefs de famille responsable dans un partage des rôles qu’il a du mal à assumer. Sa femme est cantonnée aux tâches ménagères et donc lui fait entièrement confiance, sans comprendre ce qui se passe vraiment. C’est donc un homme faible qui joue les chefs de famille. Il va tomber sous la coupe de Jerry qui le domine et l’entraîne, et forcément il l’admire, même s’il n’est pas dupe de ce qu’il est vraiment. Il y a donc dans cette relation entre les deux hommes, une relation de dominant à dominé, c’est une relation homosexuelle larvée. Même s’il se rebelle, Howard finit toujours par faire ce qu’on lui dit. N’est-ce pas au fond ce qu’il cherche ? Cette passivité toute féminine selon les canons de l’époque qui lui permettrait de ne plus avoir rien à décider ? Evidemment cette contradiction lui reviendra dans la figure parce qu’il est incapable d’assumer un meurtre. Mais les autres personnages du film sont tout autant des mécaniques, que ce soit Slocum, que ce soit Hazel qui passe son temps à pleurnicher sur sa solitude, ou encore la plantureuse Velma qui prend la pose pour les photographes dans les couloirs du palais de justice. Ces personnages sont déshumanisés, contrairement à Howard. Mais si celui-ci a encore une conscience c’est au fond parce que le modèle américain a échoué. On le verra d’ailleurs plutôt mélancolique quand il accompagne sa femme faire des emplettes qui sont sensées donner un sens à la vie. 

    Fureur sur la ville, The sound of fury, Try and Get Me! Cy Endfield, 1950 

    Jerry Slocum propose à Howard de travailler avec lui 

    La deuxième couche c’est le rôle évidemment de la foule. Celle-ci illustre, comme dans nombre de films noirs, l’aspect malfaisant de la ville. C’est un point qui est souvent souligné : la foule que ce soit ici ou dans Fury, est par essence mauvaise au-delà de la somme de ses individus. Elle devient facilement enragée, manipulable. Curieusement Enfield en donne une lecture anti-communiste. En effet on la voit à travers la coopération des individus en train de trouver la force de renverser l’ordre social : la scène où elle accroche aux portes du palais de justice une corde pour arracher les portes de leurs gonds est édifiante. Lorsque les hommes s’unissent en un projet commun, ils ne peuvent faire que le mal. Certes ils trouvent une force bien supérieure à la somme de leurs individualités, mais pour un but des plus dérisoires. On notera que les leaders du lynchage sont des étudiants, comme quoi l’instruction ne leur évite pas de se comporter comme des bêtes !

    Fureur sur la ville, The sound of fury, Try and Get Me! Cy Endfield, 1950 

    Jerry attaque les stations-service 

    La responsabilité du journaliste est le dernier aspect du message : s’ils ne sont pas à l’origine des exactions de la foule, ce sont bien les articles qu’écrits Stanton qui excitent le peuple et lui donne un but à sa violence latente. Au lieu de raisonner, les médias pour faire de gros tirages jouent sur l’émotion. En oubliant en quelque sorte leur rôle éducatif, ils endoctrinent le peuple. C’est évidemment une vieille histoire que cette ambiguïté des journalistes, ambigüité dont ils ne se sont pas encore débarrassés. Il y a un appel direct aux intellectuels pour qu’ils prennent leurs responsabilités dans la marche vers la civilisation. Mais cette nécessité d’aller à contre-courant, va aussi à contre-courant du profit, car si on veut faire de l’argent, il faut en passer par des mises en scène grossières, jouer au premier degré sur les émotions. En attaquant le rôle des médias, c’est indirectement la vie moderne qui est critiquée, cette passion pour le fait divers qui devient la seule chose qui relie les populations entre elles. 

    Fureur sur la ville, The sound of fury, Try and Get Me! Cy Endfield, 1950 

    Howard dépense sans compter l’argent bien mal acquis 

    La mise en scène est très rigoureuse. A cette époque du cycle du film noir, Endfield maîtrise parfaitement les codes du genre. Il utilise très bien les décors extérieurs et filmera tout le début à la manière semi-documentaire, avec de très jolis plans de la route et des camions. La scène d’ouverture montre un prédicateur aveugle haranguant les foules pour les alerter sur la perte du sens moral. Cette scène très impressionnante dans la façon dont elle annonce le drame, inspirera sans doute Wise blood de John Huston[1]. Elle reviendra plus tard dans le milieu du film pour justement rappeler cette perte de tout jugement moral par la foule en colère. Mais Endfield s’éloigne de cet aspect lorsqu’il s’agit montrer grâce à des images comment Howard bascule dans la folie. La scène de la boite de nuit est filmée d’une manière très étrange : il y a des plans inclinés et des figures grimaçantes qui font tout à fait penser à Orson Welles. Il utilisera aussi quelques beaux travellings arrière pour accélérer le mouvement, notamment à travers les couloirs du palais de justice. Il y a un rythme très soutenu, et un bel équilibre entre l’action proprement dite et la description des lieux que les protagonistes traversent. Si Enfield aime bien filmer les camions, il aime tout autant filmer les machines qui impriment les journaux, faisant apparaître les journalistes encore plus dépendants de celles-ci. La scène de l’attaque du palais de justice est impressionnante de maîtrise technique, pas seulement pour le côté compact de la foule, mais aussi pour les variations d’angle qu’Enfield se permet.

    Fureur sur la ville, The sound of fury, Try and Get Me! Cy Endfield, 1950

    Howard et Jerry ont kidnappé le fils d’un millionnaire 

    Frank Lojevoy est un habitué des rôles de bons américains, sans doute cela vient-il de son physique. Mais justement, ici il doute de lui-même et du rêve américain qu’il va s’efforcer de poursuivre contre vents et marées, plus par habitude que par conviction. Il est très bien dans le rôle d’Howard, c’est autour de lui que le film se monte. Lloyd Bridges est également excellent dans le rôle de Slocum. Il a joué de nombreux rôles de ce type, un peu violent, un peu désaxé. C’est le père de Jeff Bridges, et lui aussi aura des ennuis sérieux avec l’HUAC, ennuis qu’il réduira quelques peu en devenant un témoin très amical, c’est-à-dire en balançant. C’est un film à petit budget, sans pour autant être un film de série B, et les personnages féminins sont un peu sacrifiés. Ils sont cependant incarnés par de très bonnes actrices. La très effacée Kathleen Ryan va jouer la femme de Tyler, engoncée dans sa passivité sans fin, incapable de relever la tête, sauf peut-être à la fin quand par la force des choses elle sera bien obligée de ne plus compter que sur elle-même. Katherine Locke est elle aussi très fade dans el rôle d’Hazel, celle qui balancera Howard à la police, elle joue à la perfection cette fille perdue, incapable de trouver sa place dans une société où il faut se battre en permanence. Deux autres acteurs méritent l’attention, tout d’abord la grande Adele Jergens dans le rôle de Velma, on l’a déjà vue dans ce style, notamment dans Armored car robbery de Richard Fleischer. C’est le genre canaille, un peu comme Jan Sterling. On trouvera également Art Smith dans le petit rôle de patron de presse, c’est lui aussi un habitué des films noirs, et lui aussi subira les foudres de l’HUAC pour ses idées de gauche. Richard Carlson dans le rôle du journaliste Stanton travaillé par sa conscience n’est pas très convaincant, il a plutôt l’air de s’ennuyer, ou de ne pas avoir trop compris la signification de son rôle : c’est en effet lui qui aurait dû être le commentateur de cette fable.

     Fureur sur la ville, The sound of fury, Try and Get Me! Cy Endfield, 1950 

    Howard culpabilise pour la mort du jeune kidnappé 

    C’est un film longtemps très difficile à voir, et par la grâce du numérique on peut maintenant le regarder dans une excellente version Blu ray, encore que sans les sous-titres français. S’il n’a été guère bien reçu à sa sortie, sans doute parce qu’il critique un peu trop le modèle américain qui voit le progrès de la société uniquement dans l’accumulation des marchandises, il a été ces derniers temps, et à juste titre, réhabilité par les amateurs de films noirs. C’est donc un très bon film noir, même si on peut regretter les scènes didactiques où les personnes de la bonne société – journalistes et médecin – se posent des questions sur leur travail. Son manque de succès commercial peut aussi s’expliquer par son trop grand pessimisme. Mais c’est aussi peut être ça qui explique sa pérennité. 

    Fureur sur la ville, The sound of fury, Try and Get Me! Cy Endfield, 1950 

    Stanton commence à comprendre que les médias peuvent exciter la foule 

    Fureur sur la ville, The sound of fury, Try and Get Me! Cy Endfield, 1950 

    La police tente de contenir la foule enragée

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  •  Syndicat du crime, Gang war, Gene Fowler jr., 1958

    C’est un film de série B sans prétention, mais il a une importance tout de même parce que c’est le premier film dans lequel Charles Bronson tient le premier rôle, et qu’il incarne un personnage qui anticipe un peu sur les rôles de vengeurs qui feront sa gloire et sa fortune ultérieures. Sur le plan historique, il s’inscrit dans le mouvement de dénonciation du « syndicat du crime » qui balaye l’Amérique dans la seconde partie des années cinquante. Le crime organisé est présent déjà dans l’imaginaire des Américains, mais c’est seulement l’action du sénateur Kefauver qui va intensifier et organiser la lutte contre la mafia. En vérité Kefauver vise J. Edgar Hoover, le patron du FBI, qui privilégiait la lutte contre les communistes et qui, ayant des accointances avec la mafia – qui lui permettait de jouer aux courses et de gagner de l’argent comme ça – freinait des quatre fers, il niait que le crime organisé puisse exister. C’est en fait cette offensive massive de Kefauver dont on trouve des traces dans Le Parrain, qui va expliquer pourquoi la mafia est un sujet dont va s’emparer le cinéma. Certes des histoires de gangsters il y en a eu des kyrielles, y compris avant la guerre, et ces histoires sont souvent liées à la Prohibition. Mais ces bandes, ces gangsters sont vus comme des marginaux qui attaquent de front la société pour la piller, mais qui en aucun cas ne la pénètre, car elle arrive toujours à se défendre. Or ce qui va changer dans les années cinquante, c’est la démonstration que la mafia, ou le syndicat du crime, est en train de se saisir des leviers importants de la société, justement en investissant dans des entreprises privées, ou en plaçant des hommes à elle au plus haut niveau politique et dans l’appareil judiciaire. On sait aussi que la mafia jouera, avec la complicité du FBI et probablement de la CIA un rôle décisif dans l’assassinat de John F. Kennedy. Si on parle de syndicat du crime, c’est par allusion à Lucky Luciano qui a la réputation d’avoir mis en place une structure qui délimite les ambitions des différents gangs, qui les force à coopérer et donc à éviter de se faire la guerre. Curieusement, c’est après l’assassinat de Kennedy qu’on se préoccupera un peu moins de la mafia, mais ça reviendra dans les années soixante-dix, notamment avec le succès planétaire du Parrain. Evidemment dans ce film à petit budget, il ne sera pas question d’une analyse pointue et sociologique du crime organisé. C’est juste une toile de fond, un décor pour confronter un homme avec ses propres interrogations. 

    Syndicat du crime, Gang war, Gene Fowler jr., 1958 

    Al assiste à l’assassinat d’un des associés de Meadows 

    Al Avery est un prof de maths qui est sorti acheter des médicaments en pleine nuit pour sa femme enceinte, mais en revenant chez lui, il assiste à un règlement de compte. Deux hommes de Meadows tuent et embarquent celui qui menace de trahir le gang. La police découvre que c’est bien Al qui a téléphoné pour signaler le crime, et vient lui demander de témoigner, pensant qu’en faisant tomber les deux tueurs, Meadows plongera aussi. Mais un flic corrompu fait fuiter l’identité du témoin dont la photo parait dans la presse. Dès lors Meadows charge son avocat, l’alcoolique Brice Barker, d’acheter ce témoin, mais Al est incorruptible. Meadows pour l’intimider charge Chester, une brute dévouée à son patron, pour aller dérouiller la femme de Al. Celle-ci va décéder des suites des coups qu’elle a reçu. Dès lors Al, n’ayant plus confiance dans les autorités, va vouloir se venger. La police l’arrêtera in extremis alors qu’il s’est introduit dans la propriété de Meadows. Cependant celui-ci a aussi d’autres soucis : d’abord il est confronté au syndicat du crime qui veut se débarrasser de lui et le remplacer. Ensuite, il tente de monter une combine pour faire croire que Al a bien vu une bagarre, mais qu’en réalité celui qui a reçu la raclée n’est pas mort. Pour cela il se sert d’un certain Scipio un bookmaker qui lui doit de l’argent. Enfin l’avocat de Meadows en a assez de couvrir les turpitudes de son patron, il s’est mis à boire, et sa femme veut le quitter. Meadows va lui envoyer deux tueurs. Cependant, avant de mourir il a le temps de prévenir Al du danger qu’il court. Celui-ci échappera aux tueurs de justesse et va tenter de régler son compte à Meadows. Mais la femme de celui-ci veut le quitter et il la tue. Au dernier moment Al renoncera cependant à se venger par lui-même, mais la police arrive pour ramasser Meadows qui est en train de pleurer parce qu’il a tout perdu. 

    Syndicat du crime, Gang war, Gene Fowler jr., 1958 

    La police convainc Al de témoigner 

    Le scénario n’est pas d’une grande complexité. Par rapport aux films ultérieurs sur la mafia, la description de ce milieu parait assez fruste. Meadows ne possède par une grande armée pour tenir la ville, son business ressort plus de la petite entreprise que de l’industrie. Certes il y a bien une lutte de clans pour s’approprier une combine juteuse, mais la dimension des gangs parait très réduite. Cela permet d’ailleurs de rendre plausible la démarche d’Al, petit prof de maths, de se venger en passant au-dessus des lois. Ce personnage qui est le centre du film est hésitant, ayant fait la Guerre de Corée, il ne se laisse pas impressionner par quelques gangsters, même violents, mais en même temps, il dans d’un pied sur l’autre avant de choisir le chemin de la vengeance. Son personnage rappelle un peu celui de l’obstiné Dave Bannion dans le très bon The big heat de Fritz Lang, tourné quelques années auparavant[1]. Mais il s’arrête e chemin et laisse de côté la folie vengeresse. Cette hésitation fait que le héros reste un peu flou. On comprend bien qu’il en veut à la police, non seulement parce qu’elle le force à témoigner, mais parce qu’elle a mis sa vie en danger et finalement a laissé assassiner sa femme. Il y a quelques scènes inventives, comme celle où Meadows pour se passer les nerfs oblige sa femme à courir à toute vitesse autour de la piscine !  

    Syndicat du crime, Gang war, Gene Fowler jr., 1958

    Al doit reconnaître les deux criminels 

    Le film se joue sur un trio : Al, le prof de maths intègre et sans peur, Meadows, cruel et inculte, qui force sa femme à s’instruire, pensant ainsi que cela rejaillira un petit peu sur lui, et l’avocat au sonotone, complètement imbibé d’alcool, qui va tenter de retrouver sa dignité. La police sert de décor, elle parait un êu lointaine. Certes c’est seulement une petite partie de celle-ci qui est corrompue, mais c’est bien ce grain de sable qui met en péril tout l’édifice. Cela semble un peu convenu, mais ce qu’il y a de plus important sans doute, c’est que cette attention à des figures un peu caricaturales permet d’édulcorer un sujet finalement très délicat : comment les honnêtes gens peuvent-ils tolérer de cohabiter avec la mafia ? Quels sont les mécanismes sociaux qui font que le crime organisé a une telle importance dans la société américaine ? Mais ce sujet ne sera pas abordé. On en restera aux grands principes : le crime est mené par des gens mauvais et à moitié illettrés. C’est un film d’hommes, et le rôle des femmes est seulement celui de faire-valoir. Meadows vit avec une femme qu’il trouve lui-même stupide, il la force à lire, bien qu’au final elle n’apparaisse pas plus bête que lui. La femme d’Al, Edie, est femme au foyer, c’est son mari qui fait tourner la boutique, on comprend qu’elle sera tributaire de lui pour tout et pour le reste, et d’ailleurs elle en mourra. Elle est clairement là pour assurer la reproduction de l’espèce et donner un sens à l’existence d’Al. Et puis il y a la femme de l’avocat, Diane, qui elle est la conscience de son mari. Elle est là pour le remettre dans le droit chemin en assurant une pression constante sur lui. Ces trois couples ne survivront pas : Edie est assassinée par Chester, Diane perdra son mari, et Marie sera tuée par Meadows lorsque celui-ci s’apercevra qu’il n’a plus d’emprise sur elle. Cette destruction de l’idéal familial américain est tout de même assez étonnante, c’est comme si la justice pour s’accomplir devait détruire les illusions de l’idéal familial américain. 

    Syndicat du crime, Gang war, Gene Fowler jr., 1958 

    L’avocat de Meadows tente de savoir où se trouve les deux hommes de Meadows 

    La réalisation est excellente. Gene Fowler Jr. utilise très bien l’écran large, particulièrement dans les scènes d’action : le procédé est censé être du Regalscope, mais c’est du cinémascope renommé ainsi, avec l’assentiment de Darryl F. Zanuck semble-t-il, sans doute pour ne pas payer les droits d’utilisation de ce procédé. La scène d’ouverture qui voit Al être le témoin d’un meurtre est d’une vivacité et d’une violence peu commune pour l’époque. Rien que pour cette scène il faut voir ce film. Cela annonce les films ultérieurs comme Murder inc. de Stuart Rosenberg par exemple[2]. Il y a une belle utilisation de la nuit et des ombres portées. Les scènes qui caricaturent Meadows dans son mode de vie sont moins réussies. Le film est évidemment fauché et ça se voit par exemple dans les scènes qui se passent dans les locaux de la police. Mais c’est assez bien compensé par la vivacité du montage, ça ne traine pas, c’est un ensemble de plans très courts qui, s’ils ne sont pas compliqués, trouvent toujours des angles intéressants, il y a par exemple un très joli mouvement d’appareil autour de l’accueil de la police quand l’avocat vient se renseigner pour savoir ce que sont devenus les deux sbires de Meadows qui ont été arrêtés, il tourne autour avec un travelling arrière puis un travelling avant. Ce n’est pas pour rien que Fowler Jr. a travaillé au montage de plusieurs films de Samuel Fuller. 

    Syndicat du crime, Gang war, Gene Fowler jr., 1958 

    Al trouve sa femme morte 

    L’interprétation c’est d’abord Charles Bronson. Sa prestation n‘a pas été très convaincante puisqu’il mettra encore des années avant de devenir une vedette à part entière, disons jusqu’à Il était une fois dans l’Ouest. On l’utilise abondamment parce qu’il a un physique très particulier, mais il existe plus dans un ensemble, comme dans The magnificent seven de John Sturges, ou The great escape également de John Sturges, qu’en tant que héros singulier. Cette année-là, en 1958, il tint aussi le rôle plus intéressant et plus complexe de Machine gun Kelly de Roger Corman. Ici il joue le rôle d’un ancien de la Guerre de Corée, rappelons que Bronson avait fait la Guerre du Pacifique et avait été décoré pour cela. Mais ici il ne trouve pas vraiment la distance, sans doute cela vient des hésitations du scénario, en effet, on attend au moins dans la seconde moitié du film que, sous la pression d’une réalité mortifère, il se transforme en bête fauve, mais en vain. John Doucette est très bon dans le rôle de Meadows, un brin cabotin cependant. On le verra même pleurer à la fin, une fois que tout le monde l’a lâché et qu’il se retrouve seul et vulnérable. Les personnages féminins sont assez quelconques, sauf peut-être Jennifer Holden qui semble prendre du plaisir à jouer l’écervelée Marsha. Quelques belles gueules de truands viennent éclairer un peu le film. Le très fade Kent Taylor joue l’avocat au sonotone sans trop de conviction. Cette idée de sonotone bous semble sortir tout droit de The big combo de John H. Lewis.  

    Syndicat du crime, Gang war, Gene Fowler jr., 1958

    Le syndicat liquide Meadows 

    Dans la foulée, la même équipe tournera un petit western en noir et blanc, et en Regalscope, outre Bronson et Fowler jr., on retrouvera Louis Vittes au scénario et John Nickolaus jr. à la photo. Evidemment ce sont des films qui ont été oubliés au fin fond d’un tiroir, mais ils ont suffisamment de qualités pour qu’on s’y intéresse. Ils étaient réservés aux circuits de seconde catégorie, la critique ne s’y intéressait guère, il est assez difficile de savoir comment ils ont été reçus.  Regal était une société appartenant à Robert L. Rippert qui possédait des dizaines de petites salles et donc qui avait besoin de films en permanence, on dit que Rippert aurait produit en tout plus de 300 films, dont certains Samuel Fuller dont I shot Jesse James et Steel helmet, ce qui n’est pas rien ! Gang war est un film encore difficile à trouver, il n’en existe qu’un version DVD aux Etats-Unis. Sans être un chef d’œuvre, ni même un film indispensable, c’est un film intéressant.

    Syndicat du crime, Gang war, Gene Fowler jr., 1958 

    Al veut tuer Meadows

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  •  Les poulets, Fuzz, Burt Reynolds, 1972

    Film de Burt Reynolds, avec Burt Reynolds, c’est pourtant et d’abord une adaptation d’Ed McBain, et l’acteur vedette reste relativement modeste dans celle-ci. Le roman de base est Fuzz, soit en argot la poule ou les poulets, la volaille, les bourres, c’est un épisode de la saga du 87th district. Cette saga, construite autour du personnage principal Steve Carella, comprend plus d’une cinquantaine de romans dont une grande partie sera traduite et massacrée par la Série noire, dus à la plume d’Ed McBain, auteur prolifique qui a écrit sous d’innombrables pseudonymes. Dans la vie civile, il s’appelait Salvatore Lombino, parmi ses signatures célèbres, il faut retenir au moins Richard Marsten et surtout Evan Hunter. Sous ce dernier nom il écrivit entre autres A matter of conviction, ou encore Blackboard jungle, romans qu’il adapta pour le cinéma, le premier pour John Frankenheimer[1], et le second pour Richard Brooks.  Il écrivit aussi le scénario de Birds pour Hitchcock et de l’excellent Strangers when we meet pour Richard Quine. C’est sous le nom d’Evan Hunter qu’il adaptera Fuzz, roman d’Ed McBain. Et, il faut être honnête quoi qu’on pense du film, il est très fidèle à ce qu’est le roman, il n’y a pas de trahison. L’histoire du polar retient surtout le nom d’Ed McBain plutôt que ces autres pseudonymes. La raison en est simple, il serait l’inventeur de cette forme particulière du police procedural[2]. Cette forme nouvelle – pour l’époque du moins – tentait d’allier une forme réaliste de la procédure policière, en l’alliant à une forme chorale du récit qui fait que les membres d’un même commissariat sont comme une entité unique, malgré leur diversité. Plus tard cette idée sera reprise par Joseph Wambaugh, qui portera le genre au niveau du chef d’œuvre. Une des originalités du genre sera d’utiliser l’argot spécifique des policiers, de donner une attention particulière à leur humour. Pour faire vivre cette entité, le 87ème district, Ed McBain met en scène des personnages récurrents, ce qui est bien commode pour un écrivain. Parmi ceux-ci il y a la femme de Carrella, Teddy, sourde muette, mais aussi Meyer Meyer un flic juif travaillé par sa judéité ou encore Arthur Brown, un noir, histoire de faire vivre un certain communautarisme. Les épisodes du 87ème district se situe dans la ville d’Isola qui est en fait New-York, mais sous pseudonyme ! Le film de Burt Reynolds transposera l’histoire dans la ville de Boston. Plusieurs épisodes du 87ème district ont été portés à l’écran, y compris en France, et il y a eu aussi une série télévisée au début des années soixante de 30 épisodes avec un certain succès.  

    Les poulets, Fuzz, Burt Reynolds, 1972

    Tandis que Carrella tente de piéger des jeunes qui mettent la nuit le feu à des clochards, en se déguisant lui-même en cloche, le 87ème district reçoit des menaces d’assassinat. Les policiers doivent apporter de l’argent dans une gamelle et la déposer sur un banc, sinon un conseiller municipal mourra. Les flics du 87ème vont tenter de suivre celui qui vient chercher la gamelle, un nommé La Bresca, c’est un individu de faible envergure, un petit voyou. Carrella a été brûlé, il est à l’hôpital. Les flics n’ayant pas payé la rançon, le conseiller est abattu. Ils vont recevoir un autre message qui menace un autre conseiller. Par le porteur de message, les policiers apprennent que celui se trouve derrière ce chantage est un homme chauve et sourd. Là encore ils vont essayer de piéger celui qui vient chercher la gamelle. C’est en réalité un habitant du quartier qui a reçu cinq dollars pour aller chercher la gamelle. On apprend alors que le sourdingue monte une vaste entreprise de lever de fonds : en terrorisant la police et les habitants de la ville, il espère que les plus riches, au moins une partie d’entre eux vont cracher au bassinet. Pour cela il doit mener à bien l’explosion d’une bombe directement sous le lit du maire. Les deux premiers attentats sont seulement des leurres destinés à crédibiliser un chantage à vaste échelle. Pendant ce temps une autre partie de la police cherche à coincer La Bresca qui s’apprête à faire un mauvais coup contre un débit de boissons. Carrella et Kling vont se planquer à l’intérieur de la boutique. C’est en ce lieu que vont se rejoindre en fait La Bresca et son complice, le sourdingue et son équipe, et enfin les jeunes qui brûlent des clochards pour rigoler. Une fusillade éclate et Les bandits s’entretuent. Seul le sourdingue, blessé, s’échappe, mais il va finir sa course dans la rivière.  

    Les poulets, Fuzz, Burt Reynolds, 1972 

    Le 87ème district reçoit des renforts de qualité 

    Comme on le voit, trois affaires animent principalement la vie du 87ème district. Elles sont d’importance différentes, allant du ridicule projet des jeunes de brûler des clochards jusqu’à poser des bombes pour terroriser les populations. Le film va donc oscillé entre l’approche du quotidien de la police et l’événement extraordinaire. Il s’ensuit un portrait d’une délinquance très diverse : les jeunes imbéciles qui font leur crise de puberté, les petits voyous ordinaires sans envergure, et enfin le brillant cerveau qui monte une arnaque très compliquée. Cette graduation dans la violence doit accroître la tension pour le spectateur. A cela se rajoutera les peintres qui se font coincer parce qu’ils ont volé du matériel au 87ème district où ils travaillent. Evidemment force restera à la loi et les méchants seront punis par des flics intègres. La prétention de ce film est donc de mêler la vie ordinaire et quotidienne des flics à des événements extraordinaires qui les dépassent – l’affaire du sourdingue. En ce début d’années soixante-dix, il y a un renouveau pour le film sur la routine de la police et son insertion dans la ville. Mais si la tendance est bien là, dans une volonté de décrire la ville d’une manie quasi-documentaire pour la montrer comme maléfique, tous les films n’ont pas la rigueur de French connection ou de Serpico par exemple. L’autre point est, à travers l’approche chorale de l’histoire, de tracer des portrait qui soient représentatifs de la diversité sociale de la ville, le juif, le nègre, la femme, etc. Ici ça vire un peu au catalogue, mais c’est comme ça dans le roman. Le but est de faire apparaître une forme de tolérance vis-à-vis de la diversité. C’est donc bien un film à message. Notez au passage qu’Ed McBain est assez obsédé par les handicapés : la femme de Carrella est sourde-muette, mais bonne, bien évidemment, tandis que le sourdingue est sourd, mais mauvais, la preuve, il porte un sonotone. Contrairement à certains épisodes du 87ème district, ici les policiers sont entièrement bons et font correctement leur travail. Le traitement des jeunes qui incendient des clochards est plus problématique : le film semble trouvé que c’est juste une sorte d’erreur de jeunesse, on s’amuse comme on peut et on fait des bêtises, alors qu’évidemment c’est un jeu plus que cruel, c’est un crime qui en dit long sur la mentalité de ces jeunes abrutis.  

    Les poulets, Fuzz, Burt Reynolds, 1972 

    Les peintres travaillent à la remise en état des bureaux 

    L’introduction d’une femme comme policière à part entière est assez minorée, elle arrive comme un cheveu sur la soupe dans une brigade relativement structurée, mais si elle annonce bien la féminisation d’un corps particulièrement masculin, elle ne lui donne que très peu de place. C’est tout de même un début de la féminisation de la police dans le cinéma. Cependant le scénario n’arrive pas à lui définir un caractère particulier, sauf qu’à un moment elle donnera un coup de pied dans couilles de celui qu’il faut arrêter, et cela la mettra quelque part sur un pied d’égalité avec les hommes. Si le projet d’Ed McBain est de faire exister la brigade comme une entité particulière, c’est assez raté ici. Et c’est ça qui va poser des problèmes pour la réalisation, car si le scénario s’apparente à une juxtaposition de scènes de genre, il va falloir beaucoup de talent pour aller au-delà. Or évidemment Burt Reynolds n’est pas un réalisateur talentueux. Dans ce film il a pour lui de ne pas tirer la couverture à lui, on ne le voit pas trop. Mais le rythme est faible, ça se traîne. Déjà dans le livre l’histoire hésitait entre comédie et drame, ici aussi, et en multipliant les scènes « drôles » - comme Burt Reynolds et Jack Weston déguisé en bonnes sœurs, la tension disparaît complètement. 

    Les poulets, Fuzz, Burt Reynolds, 1972  

    Kling répond à un appel du sourdingue 

    C’est assez platement filmé, avec une photo pâlichonne qui se veut plus près des choses de la vie, façon documentaire. Le cadre est souvent étriqué, et il y a un manque de mouvement de la caméra évident. Quelques scènes échappent un peu à ce conformisme général. Par exemple celle où La Bresca est pris en filature et va traverser un marché. Cela rappelle le film d’Hitchcock, Frenzy qui a été tourné la même année. On peut considérer que cela ne provient pas d’un plagiat de l’un ou de l’autre, mais plutôt de la nécessité d’aérer les films afin de leur donner un fond de vérité. Ce manque de profondeur de champ nuit énormément au projet de faire apparaître l’ensemble des flics du 87ème comme une entité singulière. Richard Colla a de fait très peu travaillé pour le grand écran, l’essentiel de sa carrière se fera à la télévision. C’est sans doute un handicap pour lui parce qu’il va au plus pressé, sans trop chercher à comprendre la grammaire cinématographique du film d’action. Le règlement de compte final est également assez mal filmé, c’est obscur, sans grâce et sans dynamisme. Le manque de fluidité et de dynamisme de la mise en scène, condamne le film à rester au niveau des intentions. 

    Les poulets, Fuzz, Burt Reynolds, 1972 

    La Bresca est suivi par Brown 

    La distribution est plutôt bonne. Burt Reynolds, grosse vedette à cette époque là reste assez effacé, il n’est d’ailleurs pas toujours présent à l’écran. Ce » sont des interprètes de renom, mais il nous semble plutôt mal utilisés ; Raquel Welch à l’air de s’ennuyer, et même Yul Brynner n’a pas son charisme habituel. Seul Jack Weston dans le rôle de Meyer Meyer tire son épingle du jeu. Don Gordon dans le rôle du petit voyou de bas étage n’est pas mal non plus. Mais bon, même si Tom Skerritt n’est pas mauvais en tant que jeune inspecteur un peu brouillon, on ne trouvera dans tout cela rien d‘extraordinaire.

    Les poulets, Fuzz, Burt Reynolds, 1972  

    Carrella et Meyer se sont déguisés en bonnes sœurs pour surveiller la gamelle

    Ce n’est donc pas un film remarquable, même s’il se laisse voir tout de même, avec quelques jolies vues du Boston des années soixante-et-dix pour les amateurs. Sans doute la difficulté vient de cette hésitation entre drame et comédie, et puis faire revivre l’univers complique d’Ed McBain n’est pas très facile, il eut fallu que le scénario soit moins paresseux.

     Les poulets, Fuzz, Burt Reynolds, 1972 

    Le sourdingue expose son plan



    [2] Cf. Jacques Baudou, Ed McBain et le police procedural, in, 87ème district, volume 2, Omnibus, 1999.

     

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     Traquenard, Trapped, Richard Fleischer, 1949

    Trapped est le quatrième film que Richard Fleischer tourne en 1949, il prend place entre Clay pidgeon et Armored car robbery qui sont deux très bons films noirs. C’est encore un film à petit budget. Parmi les films noirs de Fleischer, Trapped est le moins connu et le moins commenté, en France il est assez dénigré. Cela tient sans doute au fait que le sujet est un peu plus plat que les autres, quoiqu’il recèle un nombre de retournement de situation très intéressants, mais encore des subtilités que les commentateurs américains ont mises en valeur. Comme Armored car robbery, il va se donner l’allure d’un film semi-documentaire en montrant le travail de fourmi des enquêteurs qui traquent les faux-monnayeurs. C’était à la mode à ce moment là, dans ce qu’on appelle le deuxième âge du film noir. C’était une manière de renforcer le caractère réaliste de l’histoire. C’est Eagle Lion Films qui produit Trapped, la même entreprise qui travaille à la même époque avec Anthony Mann sur des films comme T-Men – avec un sujet similaire – ou Raw Deal, donc spécialisée dans les films à petit budget, ce qui donne une certaine unité de ton par delà la différence des réalisateurs. 

    Traquenard, Trapped, Richard Fleischer, 1949 

    Les agents du Trésor ont découvert des faux billets 

    Les agents du Tresor découvrent que les faux billets en circulation sont les mêmes que ceux que distribuait un certain Tris Stewart qui purge une peine de prison qui devrait savoir où se trouvent les plaques qui ont servi à l’impression. Ils vont lui proposer une remise de peine, à condition qu’il coopère. Comme il lui reste encore sept ans à tirer, il va accepter le marché. Les agents du Tresor mettent en scène une fausse évasion de Tris de façon à ce qu’il prenne contact avec ses anciens complices. Mais Tris échappe bientôt à leur surveillance, et décide de rouler pour son propre compte. Il retrouve sa fiancée, Meg, qui vend des cigarettes dans une boîte de nuit. Mais ce qu’il ne sait pas, c’est que celle-ci est sous la surveillance d’un agent du Treser, Hackett, infiltré, qui se fait passer pour un voyou. De même il ne sait pas non plus que l’appartement de Meg est sur écoute. Les agents du Tresor laissent filer Tris pour pouvoir mettre la main dessus les plaques. Tris renoue avec un certain Hooker. Celui-ci avait la garde des plaques, mais complètement alcoolisé, il a fini par les vendre à un certain Jack Sylvester. Ce dernier dit à Tris que s’il veut des faux billets, il doit commencer par payer. Il lui propose 250 000 $ de faux contre 25 000 $ de vrais. Tris va chercher cet argent qui lui permettrait de couler ensuite des jours heureux au Mexique. Pour cela il va se tourner vers Hackett. Celui-ci prétend avoir l’argent. Ils finissent par avoir un rendez-vous pour l’échange  avec Sylvester. La police qui est au  courant organise un traquenard. Mais au dernier moment Sylvester se dérobe et les agents du Tresor laissent tout le monde filer. Tandis que les faux monnayeurs tentent d’organiser un nouvel échange, Meg apprend que Hackette est en réalité un certain Downey, un agent du Tresor. Mais elle n’a pas le temps de prévenir Tris qui est arrêté de nouveau. Hackett va alors organiser tout seul l’échange. Le police est prévenu et prend en chasse la voiture de Sylvester. Mais celui-ci très méfiant arrive à échapper à la filature. Hackett arrive finalement à l’imprimerie qui se trouve à côté du dépôt des tramways. La police a cependant repéré sa voiture, et l’endroit va être cerné. Cependant Meg arrive pour prévenir Sylvester qu’Hackett est un agent du Tresor. Il s’ensuit une fusillade avec la police. Meg est tuée. Sylvester arrive à s’enfuir à travers le dépôt de tramways, mais, traqué par les policiers, il va mourir électrocuté. Les agents du Tresor sont contents, ils ont récupéré les plaques et les billets, les faux monnayeurs sont défaits. 

    Traquenard, Trapped, Richard Fleischer, 1949 

    Meg est vendeuse de cigarette dans une boîte de nuit et se fait draguer par un certain Hackett 

    Au-delà de la traque des faux monnayeurs qui volent l’Etat et qui doivent être punis, il y a beaucoup d’autres thèmes très attachants. D’abord il y a le portrait d’un gangster, Tris Stewart, qui va rester droit dans ses bottes et refuser de devenir une balance. Alors que tous les policiers mentent et rusent pour obtenir ce qu’ils veulent, c’est bien Tris qui représente la morale. C’est aspect qui va en faire un film noir, et non un simple polar vantant les mérites et l’efficacité de la police. C’est la morale des vaincus, parce que dès le départ les forces sont très inégales. Les agents du Tresor sont nombreux, ils disposent de moyens techniques sophistiqués, ils ont un agent infiltré. Tris est seul, non seulement il a la police à ses trousses, mais son partenaire alcoolique le trahit et il doit affronter la bande dirigée par le cupide Sylvester. Ce n’est donc pas Hackett le héros, mais bien Tris. Bien que celui-ci soit un rien brutal, il apparait honnête finalement et loyal envers sa fiancée. Hackett au contraire est malhonnête et pousse cette malhonnêteté jusqu’à draguer outrageusement Meg qu’il sait pourtant être la femme de Tris, mais en outre promise à la prison. Ce renversement de la morale entre le voyou et le policier qui fait tout le prix de ce film, induit un autre thème : celui de l’affrontement de deux mâles pour une femme. Au fond Hackett est jaloux de Tris qui incarne un iséal de liberté, même s’il est traqué. Cet idéal de liberté fait déraillé l’organisation bien huilée des agents de la répression des fraudes. 

    Traquenard, Trapped, Richard Fleischer, 1949 

    Gumby annonce que Tris lui a échappé 

    Le scénario est incroyablement dense pour un film qui dure à peine plus d’une heure et quart. Sans doute ce qui peut déconcerté est qu’on passe d’un protagoniste à l’autre, de Tris à Meg, de Meg à Hackett et de Hackett à Sylvester sans trop de précaution. Tris disparaîtra ainsi bien avant la fin du film, laissant l apauvre Meg se débrouiller toute seule face à Hackett et à la bande de Sylvester. Ces changements sont rythmés par les trahisons des uns et des autres. Quand Tris croit toucher au but en retrouvant Hooker, il ne trouve qu’une épave. Quand il pense régler son problème de financement avec Hackett il tombe sur un fourbe agent du Tresor, alors même qu’il croyait avoir fait le plus dur en s’échappant de la surveillance de Gumby. Meg est une victime. Une innocente victime. En effet son seul défaut c’est d’aimer Tris et de lui être dévouée. Elle est ballottée par tout le monde et sert seulement d’appât. Certes on comprend bien que si elle vend des cigarettes dans une boite de nuit où on joue du jazz elle n’est forcément pas innocente.

    Traquenard, Trapped, Richard Fleischer, 1949 

    Tris vient de retrouver Meg 

    Malgré son budget étriqué, la réalisation est excellente, bien soutenue par la bonne photo de Guy Roe qui travaillera encore avec Fleischer sur Armored car robbery, mais qui travaillera aussi avec Anthony Mann sur Railroaded. On reconnait la patte de Fleischer au moins dans les scènes d’action. Celle de la fausse évasion de Tris qui permet de filmer le bus qui le transporte en long, en large et en travers. Il excelle non seulement à utiliser les décors naturels que le bus traverse, mais aussi les espaces étriqués de l’intérieur du véhicule. La scène finale se passe dans un dépôt de tramways. C’est un choix judicieux évidemment, un tel décor de lumière et d’ombres, de machines infernales donne un aspect fantomatique à ces séquences. Fleischer pour s’en saisir utilise aussi bien la profondeur de champ et donc des diagonales originales, mais aussi des contre-plongées justifiées par la forme même des fosses qui permettent les réparations des véhicules. C’est un très beau final. Mais avant il aura tout aussi bien réussi les scènes qui se passent dans l’imprimerie clandestine : il aime manifestement filmer les machines, comme il aime filmer les véhicules, notamment les voitures qui à cette époque ont atteint une sorte d’apogée dans l’esthétique qu’elles pouvaient représenter. Le rythme est très soutenu, et on trouvera de très bonnes scènes comme les deux hommes du Tresor qui parlent côte à côte, mais par téléphones interposés. Les scènes d’amour sauvage entre Tris et Meg valent aussi le détour.

     Traquenard, Trapped, Richard Fleischer, 1949 

    Tandis que la police s’intéresse à Meg, Tris s’enfuit 

    La distribution est celle des films de série B de l’époque. Tris Stewart est incarné par Lloyd Bridges, abonné aux rôles d’antipathique, sans doute à cause de ses yeux étroits qui lui donne au choix un caractère fourbe ou dément, il aura ensuite plus de succès à la télévision. Mais ici cela  lui permet de faire douter le spectateur, est-il bon, est-il méchant ? il est très bien. A l’époque il fallait une blonde dans presque tous les films noirs. Sans doute pour montrer que c’était là l’idéal américain qui soudait autour de lui les fantasmes des mâles. Meg est incarné par Barbara Payton. C’est une actrice excellente. Elle aurait dû avoir une meilleure carrière, elle avait le talent et le charisme. Mais elle se conduisait très mal dans sa vie privée, toujours dans des mauvais coups, notamment sous l’emprise de l’alcool. Elle devait faire partie de la distribution d’Asphalt Jungle, mais finalement Huston lui préféra Marilyn Monroe – une autre martyre d’Hollywood. On la retrouvera l’année suivante dans le film de Gordon Douglas, Kiss me tomorrow goodbye[1]. Ensuite elle tournera encore quelques films, notamment des westerns, mais sans grand succès. Elle mourra très jeune. Je me rend compte que je l’ai moi aussi un peu négligée, elle mérite mieux. Elle racontera dans ses mémoires qu’elle dut se prostituer et qu’elle vécut dans la rue comme une cloche après qu’elle ne trouvait plus de travail au cinéma, alors qu’il fut un temps elle où était courtisée par le tout Hollywood, notamment par Howard Hugues, sa vie fut une tragédie comme l’a été en son temps celle de Frances Farmer qui elle finit au cabanon[2]. Les autres rôles n’ont à vrai dire que peu d’importance. John Hoyt est sensé contrebalancer Lloyd Bridges dans le rôle double de Hackett-Downey. On lui est assez indifférent même s’il a le physique de l’emploi, comme à l’endroit de Russ Conway qui joue le flic en chef qui se fait rouler dans la farine par Tris. Les gangsters sont toujours plus intéressants, c’est sans doute un parti pris plus ou moins conscient de Fleischer. James Todd dans le rôle du roublard Sylvester est très bien, comme Douglas Spencer dans celui du misérable Hooker. Les autres ne sont que des faire-valoir. 

    Traquenard, Trapped, Richard Fleischer, 1949

    Dans le dépôt des tramways la police traque Sylvester 

    La copie DVD qui circule dans la version Bach films en France, est absolument lamentable, c’est à peine un mauvais repiquage de VHS. Mais le film est très rare, il mérite sûrement une meilleure présentation. Il y a tout un travail sur la photo qu’on a du mal à apprécier dans cette version. Ce film mériterait mieux évidemment. En tous les cas, c’est un bon film noir et un bon Richard Fleischer que les amateurs du genre apprécieront.



    [2] Barbara Payton, I am not ashamed, Holloway House, 1963. John O’Dowd a aussi consacré un très bel ouvrage à Barbara Payton, Kiss tomorow goodbye: The Barbara Payton Story, Bear Manor Media, 2005. Il cherche à l’heure actuelle à en faire un film.

     

     

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