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    Né en 1922, José Bénazéraf vient de décéder à l’âge de quatre-vingt-dix ans le 1er décembre. Il est surtout connu aujourd’hui pour les films porno-soft qu’il tourna dans les années soixante. C’était des films à tout petit budget, avec des acteurs qui la plupart du temps ne savaient pas jouer. Mais ils avaient un certain charme, quelque chose de mélancolique qui les rendait attachants. Un de ses meilleurs titres est Le concerto de la peur quiétait sorti en salle sous le titre très improbable de La drogue du vice. Dans ce dernier film on pouvait du reste entendre la musique de Chet Baker. Il représentait une certaine forme de liberté cinématographique qui se moque des codes. On retiendra encore l’intéressant Cover-girls qui date de 1963 ou Le cri de la chair qui porte parfois un autre titre L’éternité est pour nous. A un érotisme très sage, ces films mêlent une ambiance de film noir et de musique jazzy.

    A partir des années soixante-dix, il apparut moins original et il se lança dans le porno hard cette fois, ce qui n’ajouta rien à sa gloire et noya son originalité dans le flot des films pornos qui envahirent les écrans à cette époque.

    Bénazéraf eut des rapports à la fois houleux et nombreux avec beaucoup de monde dans le milieu du cinéma, et particulièrement avec Frédéric Dard qui le tenait pour un escroc mais qui en même temps le trouvait attachant.

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    Bénazéraf est à l’origine d’un film scénarisé et dialogué par Frédéric Dard, La fille de Hambourg et réalisé en 1958 par Yves Allégret. Le film, à part l’introduction est complètement râté, malgré un casting solide basé sur le couple Daniel Gelin Hildegarde Knef. Dard l’a souvent présenté comme une honte, attribuant l’échec du film à son mauvais travail de scénariste. Mais, en toute chose malheur est bon, en travaillant sur ce film, Frédéric Dard visita les bordels de Hambourg, alors très célèbres, et en ramena une histoire très forte qu’il publia sous le titre de Coma et qui est un des très bons Frédéric Dard publié au Fleuve Noir sous son nom et qui fut par la suite adapté par Denys Granier-Deferre pour le petit écran avec Richard Anconina. L’histoire dépaysée au Portugal en était dénaturée.

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    Les disputes à propos d’argent entre Frédéric Dard et José Bénazéraf cependant n’empèchèrent pas les deux hommes de se retrouver. C’est ainsi que Bénazéraf produisit L’accident, d’après l’ouvrage éponyme de Frédéric Dard, un des tous meilleurs qu’il ait fournis sous son patronyme pour la collection Spécial police. Frédéric Dard écrivit le scénario qui suit le livre d’assez près, et les dialogues. Malgré les qualités de Gréville, le film est râté et n’eut aucun succès. Peut-être est-ce dû à la molesse du casting.

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    Il s’agit d’une des meilleures adaptations d’un ouvrage de Frédéric Dard, en tous les cas une des plus fidèles. L’ouvrage a été publié en 1961, un peu à la fin de la période très féconde des petits romans noirs de Frédéric Dard publiés dans la collection spécial-police. L’histoire est extrêmement simple, linéaire. La nuit de Noël, Robert Herbin qui vient de sortir de prison, il avait été condamné pour un crime passionnel, et il se retrouve seul. Sa mère est décédée pendant sa détention. Il n’a guère de perspective dans cette ville de banlieue. Mais le destin va en décider autrement lorsqu’il rencontre une jeune femme accompagnée de sa fillette. Elle est mariée et entraîne Robert chez elle où elle va découvrir son mari assassiné.

     

     

    Robert va lui dire qu’il ne peut lui servir de témoin car il est interdit de séjour dans la ville. Pour cette raison, il s’enfuit, et la jeune femme va chercher un autre témoin lors de la messe de minuit. Mais la police commence a trouver toute cette histoire bizarre et enquête notamment parce qu’Adolphe Ferrie a égaré son portefeuille chez la jeune femme.

    En vérité c’est la jeune femme qui a tué son mari, et elle cherche un alibi. C’est pour cela qu’elle a voulu utiliser Robert. Mais elle a bien des scrupules car entre temps elle a appris à l’aimer. Tout cela finira très mal pour tout le monde. Et si le titre est Le monte-charge, c’est parce que celui-ci va jouer un rôle de premier plan dans la machination.

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    Noël était une fête détestée par Frédéric Dard, non pas parce qu’elle était conventionnelle, plutôt par tout ce qu’elle racontait sur la déception des enfants et de leurs attentes. Les récits de Dard sur la Noël sont très nombreux, la trame du Monte-charge sera reprise par Dard sous le nom de Jean Murelli dans un autre excellent ouvrage : Les noirs paradis. Mais Le monte-charge c’est également la tragédie d’un enfant pauvre qui n’est pas arrivé à se faire admettre dans les classes supérieures. Le roman est écrit à la première personne, dans ce ton très particulier à Frédéric Dard où le désespoir s’accorde à la mélancolie, où l’amour – tel que le reçoivent Marthe et Robert – est vécu comme une maladie qui tue plus ou moins rapidement.

    Ce qu’il y a d’un peu particulier dans cette histoire, c’est l’alliance d’un suspense à la mécanique bien huilée et la profondeur psychologique des personnages qui par-delà leurs tendances criminelles possèdent beaucoup de tendresse et de poésie.

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    L’adaptation et les dialogues sont signés Frédéric Dard et Marcel Bluwal. C’est un suspense particulièrement bien huilé, avec ce qu’il faut de rebondissements pour tenir le spectateur en haleine. Il y a très peu de personnages : Robert qui dans le roman s’appelle Albert, Madame Dravet, Ferrie et l’inspecteur de police. Le principal de l’histoire se centrant sur les rapports particulièrement compliqués entre les deux principaux protagonistes.

     

    Le film est très fidèle au roman, il le suit pas à pas, déambulant dans les rues de la banlieue d’Asnières – dans le roman il s’agit de Levallois, cernant la solitude de Marthe et de Robert dans les ruelles mal éclairées. Les décors sont excellents, très bien photographiés par André Bac, ils reflètent cette désolation banlieusarde populaire, joyeuse et  mortifère. Mais le casting est tout autant impeccable. Robert Hossein, vieux complice de Frédéric Dard, trimballe son allure tourmentée, face à la très belle et très étrange Léa Massari au visage asymétrique qui devait jouer en France à la même époque avec Alain Delon dans le magnifique film d’Alain Cavalier, L’insoumis. Dalban joue le rôle de l’inspecteur attaché à la perte d’Herbin, et Maurice Biraud celui du témoin naïf et un rien concupiscent qui va faire capoter le plan de Marthe. Sur le plan technique, l’alternance des plongées et des contre-plongées dans la manière de filmer l’immeuble, son escalier et son monte-charge, les longues perspectives des rues banlieusardes, donnent de la profondeur au film. Le film reproduit cette simplicité du récit qui se trouve dans l’ouvrage et qui fait alterner les scènes populaires dans les bistrots et dans les rues, avec les scènes intimistes, presque de recueillement entre les deux héros de l’aventure.

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    Malgré ses grandes qualités, on préférera le livre au film, pour une raison qu’on a dite au-dessus, il est écrit à la première personne et c’est ce qui donne une sorte de profondeur psychologique à l’ouvrage. Si les deux œuvres sont bien dans la lignée du roman noir et du film noir par ce rappel de la fatalité dans laquelle plonge Robert avec délectation, ce sont les méditations mélancoliques du héros qui donne ce caractère si poétique au livre. Par exemple, dans le film on passe assez vite sur le fait que Robert achète un petit oiseau dans une librairie-papèterie-bazar. Or c’est un moment clé de l’ouvrage, non pas parce que l’oiseau va jouer un rôle dans l’intrigue, mais par ce qu’il donne à voir du caractère de Robert.

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    Ce n’est pas, selon moi, le meilleur ouvrage que Dard ait signé de son patronyme dans la collection « spécial police », mais c’en est un très bon, et en le relisant, je suis toujours autant surpris par le style simple et inimitable de l’écriture. Ecrit au passé composé, les phrases sont courtes, sans répétition de mots entre les paragraphes, sans métaphores superflues. Cette économie de mots libère d’ailleurs l’écriture de Dard qui peut aller au détail significatif sans trainer, sans ralentir le rythme de l’histoire. La relecture de cet ouvrage nous donne une fois de plus l’occasion de déplorer le fait que seuls les San-Antonio soient aujourd’hui considérés comme un apport important au style. En effet, le style que Dard a mis au point en écrivant ses petits romans noirs pour le Fleuve noir, n’est pas spectaculaire, ni ronflant, et c’est pour cela qu’on ne remarque pas sa puissance et son efficacité.

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    C’est la seconde collaboration entre Frédéric Dard et André Pergament, la première étant L’irrésistible Catherine, sorti la même année que M’sieur la Caille. A cette époque il se lance avec enthousiasme dans l’aventure cinématographique, il multiplie les scénarios, les dialogues. Il pense que c’est là qu’il trouvera sa voie, avec le théâtre bien sûr.

    Fernande, jeune et belle prostituée, tombe amoureuse de Jésus-la-Caille qui vient de perdre sa marmite dans une rafle, en même temps Pépé-la-vache la poursuit de ses assiduités. Lorsque son maquereau ira en prison, elle quittera Jésus-la-Caille pour se mettre en ménage avec Pépé-la-vache. Mais Dominique sort de prison et décide de se venger de Pépé-la-vache qui l’a balancé aux poulets.

    Jésus-la Caille fut un immense succès pendant des décennies, on ne compte plus les éditions. Mais la pièce aussi avait bien marché. Dard avait eu l’idée de la porter à la scène, à une époque où Carco était un peu dans l’oubli. Pour cette raison Carco aimait bien Dard. L’adaptation du roman de Francis Carco, Jésus la Caille, est due d’abord à Frédéric Dard qui en avait tiré déjà une pièce. C’est en effet à partir de cette pièce que le film a été construit.

     

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    L’adaptation du roman présente de nombreuses difficultés. D’abord Carco avait situé son récit dans les années 1910. Or pour des raisons bien compréhensibles, le film se passe dans les années cinquante. Ce n’est plus le même monde, ni le même milieu. Le deuxième problème est que l’ouvrage est particulièrement glauque et audacieux. En effet, Jésus-la-Caille est un jeune adolescent, homosexuel, qui vit plus ou moins bien de ses charmes.  La plupart des personnages de Carco sont très troubles, que ce soit Pépé-la-vache qui fait profession d’indicateur ou même Fernande qui tombe amoureuse de Jésus-la-Caille par désœuvrement, pressentant qu’elle va attirer bientôt sur elle les foudres de son maquereau, le Corse Dominique. C’est bien là le paradoxe, le  film manque d’audace, comme si en quarante années, la société française était devenue bien plus puritaine. Mais une partie vient probablement. Il manque cette épaisseur humaine que Carco savait si bien raconter. Par exemple dans le film Fernande paraît excessivement capricieuse, comme quelqu’un qui ne sait pas choisir, alors que dans le roman, c’est une pauvre fille perdue qui aimerait être amoureuse. Le manque d’audace peut aussi tout à fait provenir de la censure. On sait que le titre avait dû être changé, initialement il devait s’appeler Jésus-la-Caille, mais la pression de l’Eglise aboutit à M’sieur la Caille.

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    Carco avait fait dans son roman une description précise du monde de la nuit, des homosexuels, des travestis, de la prostitution enfantine. Il l’avait fait sans le juger, avec tendresse aussi. Or tout cette manière trouble de vivre l’amour a disparue ici. C’est à peine si la Caille apparaît efféminé, un peu lâche. Si dans l’ouvrage sa lâcheté était compensée par une forme de mélancolie, ici elle ne ressemble plus à rien.

    L’autre difficulté est que le film peine à transcrire la langue poétique de Carco. C’est un peu le même problème qu’a eu Frédéric Dard avec les adaptations cinématographiques de San-Antonio. Ce ne sont pas seulement les dialogues, mais c’est aussi les descriptions précises et poétiques qui font le charme du roman. Or le film ne donne qu’une image convenue aussi bien du métier de la prostitution que des lieux traversés. L’œuvre de Carco devient ainsi une suite de tableaux très convenue sur Pigalle, ses petites femmes et ses souteneurs. Il s’inscrit banalement dans la longue cohorte de ce type de films qui se tournaient dans les années cinquante parmi lesquels on peut citer Les impures ou Les compagnes de la nuit.

    Ni la mise en scène, ni l’interprétation, sans être remarquables, ne sont vraiment en cause, c’est plutôt l’idée même de la transposition qui pêche. Bref, malgré notre admiration pour Carco et Dard il faut bien convenir que le film n’a pas un grand intérêt.

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    Marcel Grancher parle de Frédéric Dard dans Le temps des pruneaux. Comme on l’a vu, dans cet ouvrage publié juste après la guerre, il traite son jeune confrère avec beaucoup de condescendance, même s’il lui reconnait déjà du talent. Une partie de ces souvenirs est reprise dans Adieu Machonville, ouvrage publié en 1974. Mais près de quarante années ont passé. Et maintenant Dard est au faîte de sa gloire, aussi Grancher va se prévaloir de ses liens d’amitiés avec lui.

    A travers cet ouvrage ouvertement réactionnaire, Grancher déteste les conséquences de Mai 68, accompagnant ses gémissements de longues tirades comme quoi avant c’était bien mieux, on trimait dur, mais on était joyeux, il va émailler le récit de ses souvenirs de dédicaces de personnes plus ou moins célèbres, histoire de bien signifier qu’il est un homme important reconnu par ses pairs en littérature. C’est bien à ce titre qu’il exhibe une dédicace et une lettre de Frédéric Dard qui, fidèle  en amitié, ne manquait pas de prendre de ses nouvelles, et de lui envoyer ses ouvrages.

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     Grancher produira un autre ouvrage de souvenirs, recueil d’anecdotes plutôt, en 1975. On y apprend que c’est Grancher qui a reçu chez lui Simenon lors de la fameuse conférence que ce dernier donna au théâtre des Célestins. Comme on le sait, c’est à cette occasion que Dard rencontra Simenon et qu’il discuta longuement avec lui. J’en parle dans L’affaire Dard/Simenon. Dans une lettre que je cite dans ce livre de Simenon à Dard, le père de Maigret laisse entendre qu’il a passé une grande partie de la nuit avec son jeune confrère. Grancher nous précise :

    « Georges Simenon, venu pour faire une conférence au théâtre des Célestins, dîne à la maison, ravi de trouver en ma femme une de ses compatriotes.

    Après le repas, nous l’emmenons faire un tour dans les rues chaudes.

    –  Pas mal votre beaujolais, déclare le père de Maigret, assez bien arrangé. Mais chez nous en Belgique, nous avons des boissons très bonnes…

    Et de nous préparer – et d’ingurgiter – un horrible mélange de genièvre et de bière…

    Nous revenons au beaujolais. Puis pour faire plaisir à notre hôte, nous retournons, au bière-gin… Jusqu’à l’aurore. Le lendemain, la conférence s’en ressent… »

    C’est après la conférence que Dard pourra parler à Simenon, car il n’a pas été invité au repas donné par Grancher, mais en outre, Simenon rejoindra ensuite Grancher et d’autres amis non identifiés pour terminer la nuit avant de reprendre le train.

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    Si on relit Le crique Grancher, on se rend compte d’une asymétrie un peu gênante. A l’évidence dans cet ouvrage publié en 1947, mais écrit en 1946, Dard est encore plein d’admiration pour Grancher, et il est plus que certain que celui-ci l’a fortement influencé pour ses goûts des blagues plus ou moins douteuses, pour cette façon aussi de raconter ses souvenirs en jouant les affranchis. Souvent se sont d'ailleurs les mêmes, ce qui me fait penser que cet ouvrage de Dard est inspiré par celui de Grancher, mais qu’il est aussi en quelque sorte une rectification de ce que celui-ci a écrit. Sous la plume de Grancher qui se flatte d’être lui aussi un écrivain à forts tirages, il y a beaucoup de condescendance. Ce qui me rappelle assez justement la relation que Simenon avait avec Dard : d’un côté le maître, de l’autre l’apprenti plus ou moins maladroit, un peu gauche, un peu benêt. Tandis que du côté de Dard, il y a beaucoup d’admiration.

     

    Par contre dans les deux témoignages, de Dard et de Grancher, on retrouve la même admiration pour un autre personnage singulier, Edmond Locard, auquel Dard dédicacera plusieurs de ses ouvrages et qu’il a sûrement connu par l’intermédiaire de Grancher. Mais pour le reste ? Il n’est pas certain que Grancher ait beaucoup aidé Dard justement quand il en avait le plus besoin. Plus étrange encore, lorsque Dard va le voir, ce doit être en 1950, puisque Grancher signale que Dard vient juste de s’installer à Paris, donc avant que ce dernier ait rencontré le succès, Grancher le présente comme un écrivain qui est maintenant reconnu. Il ne précise pas à quoi il fait allusion. Or, jusqu’au milieu des années cinquante Dard est un besogneux, qui certes commence à gagner un peu d’argent en multipliant les écrits et les supports, mais qui est bien loin d’être reconnu comme il l’aurait mérité. Peut-être Grancher fait-il allusion au fait que Dard publie énormément sous des pseudonymes divers et variés ? car en effet, entre 1946 et 1956, la bibliographie officielle de Dard est étrangement mince. Il n’aurait publié que quelques ouvrages, ce qui ne paraît pas correspondre à sa manière, ni à ses besoins matériels. Car si à l’époque il est possible de vivre de sa plume, cela ne peut passer que par une production abondante, les tirages ne sont pas aussi mirobolants que ça, et les droits d’auteurs pas très élevés surtout pour des ouvrages au format du livre de poche, vendus à des prix modiques. C’est une période qu’il faudrait pouvoir explorer plus avant, mais les témoignages manquent. Pour l’instant les pistes que j’ai pu suivre se sont révélées guère satisfaisantes.

     

    Un dernier point en ce qui concerne les rapports entre Grancher et Dard. Dard a obtenu quatre prix littéraires dont deux grâce à Grancher, le premier est le prix Lugdunum pour Monsieur Joos, et le second est le prix Rabelais pour L’histoire de France vue par San-Antonio. Ces deux prix ont été fondés par Marcel Grancher et il  est clair que cela lui faisait plaisir de les distribuer à son jeune confrère.

     

    La lecture du Cirque Grancher, justement donne un éclairage un petit peu différent des relations entre les deux écrivains. A l’évidence il y a beaucoup d’admiration chez Dard pour la vitalité et l’esprit d’entreprise de son aîné. L’ouvrage est écrit en 1947, donc juste après la Libération et quelques temps après la publication du Temps des pruneaux. Frédéric Dard s’auto-édite aux éditions de Savoie, là encore il suit la voie que lui a indiquée Grancher.

    L’ouvrage est indispensable si on veut comprendre les années de formation du jeune Frédéric Dard. Grancher est celui qui l’introduit dans le milieu littéraire lyonnais. Dard navigue entre toute une série d’auteurs plus ou moins célèbres, plus ou moins brillants et souvent il a bien du mal à nous dire en quoi ces auteurs sont intéressants. De fait les années Grancher sont d’abord des années de liberté pour Dard. Il découvre un mode de vie un peu bohème, un peu marginal, il apprend avec eux à boire, à manger, à faire des blagues. Bref le jeune homme un peu timide et rêveur s’émancipe. En même temps, il commence manifestement à prendre ses distances avec Grancher, pour cette raison, s’il lui reconnait le fait qu’il l’ait introduit dans le milieu littéraire, il le resitue dans un ensemble, une nébuleuse, de figures drôles et marginales, Grancher est un pivot.

     

     

    Il lit beaucoup, particulièrement ses collègues lyonnais. Mais il aussi Pierre Mac Orlan et Francis Carco qui vont l’influencer très fortement. Il cite aussi Céline qu’en ces temps il appelle « le discutable Céline » ce qui veut dire qu’il a déjà pris son parti de séparer le « bon » Céline, celui du Voyage et de Mort à crédit, du mauvais Céline le militant antisémite. Il tiendra cette position toute sa vie du reste. Toute cette fiévreuse activité va permettre à Frédéric Dard de préciser son style et son projet littéraire qui n’est qu’en formation. Dard fréquente Dazergues et Grancher abondamment, deux écrivains qui produisent énormément, le premier utilisant un grand nombre de pseudonymes. A l’évidence ce sont bien eux qui éduqueront Dar dans ce sens : un écrivain se doit d’écrire et publier sans se poser de question. Ils sont à l’inverse des littérateurs qui peaufinent leurs textes. L’exemple de Simenon renforce cette nécessité.

    Mais c’est aussi à cette époque qu’il commence à s’intéresser à la peinture, la plupart des peintres qu’il cite n’ont pas laissé un trop grand nom dans les mémoires.

    Si les souvenirs de Grancher et Dard sont communs aux deux hommes, si on ne trouve guère de contradictions factuelles entre les deux témoignages, l’ouvrage de Dard est bien mieux écrit et plus soigné que celui de Grancher.

    Après son arrivée à Paris, Dard va espacer ses relations avec Grancher, sans pour autant cesser de lui faire part de ses succès. Mais maintenant Dard a d’autres ambitions. 

     

     

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    Frédéric Dard fréquenta longuement Marcel E. Grancher qui le considérait comme son secrétaire. C’est d’ailleurs grâce à lui que Dard obtint le premier prix de sa carrière littéraire, le prix Lugdunum pour Monsieur Joos en 1941. On connaît bien le témoignage de Frédéric Dard sur sa relation avec Grancher et sa bande par l’ouvrage qu’il publia en 1947 sous le titre Le cirque Grancher aux éditions de Savoie qu’il avait fondées. Mais on sait moins ce que pensait lui-même Grancher du jeune Frédéric Dard. On peut s’en faire une idée à travers la lecture d’un ouvrage de souvenirs que Grancher publia aux éditons Lugdunum en 1946, à la sortie de la guerre, intitulé, Au temps des prunaux. Cet ouvrage a beaucoup d’intérêt pour la connaissance de la personnalité du jeune écrivain. Grancher qui a fait la Première Guerre mondiale pour laquelle il a été décoré est un authentique résistant. Né en 1897, il était donc l’aîné de Dard et surtout il était auréolé de son passé militaire. Il porte donc un regard un peu condéscendant sur son jeune confrère. En outre, il est engagé très tôt dans le rensignement militaire.

    On reconnaîtra à la lecture de cet ouvrage aussi des passages qui inspirèrent Dard pour l’écriture d’un des tous premiers San-Antonio, Les souris ont la peau tendre : il s’agit des missions que mène Grancher en Belgique dans la région d’Ostende. Il est également certain que c’est dans la fréquentation de Grancher que Dard a affermi ses analyses politiques qui l’orientèrent vers un sentiment plutôt germanophobe dont on trouve les traces justement dans les premiers San-Antonio.

    L’ouvrage est illustré de quelques photographies et on pourra voir Frédéric Dard accompagné de Dazergues, Grancher et de Clos-Jouve lors d’un déplacement en bande de l’équipe des éditions Lugdunum.

    Marcel Grancher avait fondé les éditions Lugdunum, mais également un journal, Le mois à Lyon, qui accueillit également quelques articles du jeune Frédéric Dard. A la fin des années quarante, il se mit au goût du jor et écrivit quelques romans policiers inspirés du style « Série noire », au même moment où les premiers San-Antonio commençaient à avoir du succès au Fleuve Noir. En 1964, Grancher écrira un roman qui porte comme titre La fin des haricots, alors que le même titre avait servi pour une aventure du commissaire San-Antonio en 1961.

    On ne sait pas très précisemment jusqu’où la collaboration entre les deux hommes a été. C’est un champ à explorer. Le fils de Marcel Grancher, Jacques, créa également une maison d’édition, La pensée moderne, qui accueillit plusieurs ouvrages de Dard sous pseudonyme : Plaisirs de soldats sous le nom de Leopold Da Serra en 1953, Guerriers en jupons sous le nom d’Antonio Giulotti en 1954 et Sergent Barbara, sous le nom de William Blessing en 1955.

    On donne ci-après deux extraits de l’ouvrage de Grancher.

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    L’équipe Lugdunum en déplacement à Grenoble

    De gauche à droite, Frédéric Dard, Max-André Dazergue, Marcel E. Grancher, Henry Clos-Jouve

     

    1er extrait, pages 134-136

    Quant à Lucien Farnoux-Reynaud, le brillant chroniqueur du Gaulois et du Crapouillot, il demeurait fort digne en toutes circonstances et conservait son monocle vissé sous l’orbite, même quand l’immense boulanger Serratrice le soulevait, tête en bas et pieds en l’air, en le secouant comme un sac de farine. Cher Lucien, charmant et spirituel camarade, d’humeur toujours égale, que de joie n’apporta-t-il pas, lui aussi, à notre petite bande ! Une nuit qu’il traversait le pont de la Guillotière en compagnie de mon secrétaire, Frédéric Dard – lequel venait d’obtenir le Prix Lugdunum pour son remarquable roman : Monsieur Joos et continuait à fêter ce succès – un coup de vent emporta le chapeau de Farnoux. Dans le noir, ce qui est l’occasion ou jamais de le dire, les deux compères se précipitèrent à la poursuite du facétieux couvre-chef.

    - Je l’ai ! s’écria bientôt Frédéric Dard.

    - Comment ? s’étonna Lucien, à l’autre bout du pont. Je l’ai aussi…

    Il fallut bien se rendre à l’évidence : ils avaient récupéré deux chapeaux : celui de Farnoux été celui d’un passant inconnu. Les deux amis s’en retournèrent à la « Maison de la Presse », afin d’arroser ça… Or, quand Dard avait bu, il était obsédé par une idée fixe : engueuler le long Kléber Haedens, qui pontifiait, à ces heures-là, dans le salon de bridge. Il n’eut garde d’y manquer, discuta, but encore et, finalement, rentra chez lui en assez bel état, non sans avoir causé quelque esclandre.

    Le lendemain me parvint, portée par exprès, une lettre d’Henri Béraud :

    « Votre secrétaire, y lus-je en substance, étant ivre, a brisé cette nuit les vitres de ma voiture. J’en demeure fort surpris, nonobstant nos divergences d’opinions actuelles, étant donné nos relations passées et je vous serais obligé… »

    Je fis comparaître Dard :

    - Tu as démoli la voiture de Béraud ?...

    Mon secrétaire passa la main sur un front moite qui, visiblement, lui faisait mal.

    - Moi ?... Je ne crois pas… Hier, j’avais un peu bu… Mais je m’en souviendrais…

    Une rapide enquête m’apprit alors la vérité ; il s’agissait, en réalité, non pas de mon secrétaire, mais d’un vague publiciste que j’avais employé quelques années auparavant et qui avait quitté mon service en m’emportant quelque menu monnaie. La veille, étant ivre, il s’était présenté sous mes auspices à la Maison de la Presse et y avait fait du scandale. Puis, comme on l’éconduisait, il s’était vengé en brisant les vitres d’une voiture stationnant devant la porte, en l’occurrence celle de Béraud. L’affaire n’eut donc pas de suite et elle serait au demeurant sans intérêt si, m’étant renseigné sur la situation de mon ex-employé, je n’avais pas été informé qu’il occupait de hautes fonctions, à Grenoble, où il dirigeait la propagande du mouvement « Compagnons ». Or, je l’avais appris depuis qu’il avait quitté mon service, le casier judiciaire de l’individu en question s’ornait de sept ou huit condamnations toutes pour détournements ou vols qualifiés. Il me sembla que l’on avait le recrutement facile à Vichy !

     

    2ème extrait, pages 199-201

    Le lendemain, ce fut le barman de « Comoedia ». Il me rencontra place des Célestins :

     - Vous devriez ficher le camp…

    - Pourquoi ?

    - Parce que vous êtes sur la liste de la Gestapo…

    - Encore !...

    Vous ne voulez pas me croire ?... Je le tiens d’un client de chez nous qui est bien placé pour le savoir. La preuve, c’est que nous, à « Comoedia », nous sommes sur la même liste.

    L’avenir devait lui donner raison : la police allemande allait opérer à « Comoedia » le même jour qu’elle se présenta chez moi. Bref, j’en étais arrivé à un état psychique tel que je ne fus pas surpris le moins du monde quand, à quelques jours de là, déjeunant au restaurant des Sports à Quincieux, avec quelques amis, je vis déboucher sur le pont suspendu, pédalant comme André Leducq soi-même, mon secrétaire Frédéric Dard :

    - Que peut-il te vouloir ?... demandèrent mes convives.

    J’avais tout de suite réalisé :

    - Les boches ont dû venir me chercher…

    C’était bien ça… J’en eus la conviction intime avant que Fred n’eut ouvert la bouche.

    - Ils sont venus pour m’arrêter ?...

    L’auteur de L’équipe de l’Ombre soufflait tellement qu’il ne pouvait plus parler. Et puis, l’émotion…

    - Oui… Deux… De grands malabars, larges comme des armoires. C’est pour Fascicule bleu…

    - Ah !...

    La chose n’était pas faite pour me surprendre, le livre en question, que je m’obstinais à maintenir en vente, n’était pas tendre pour les Allemands, on le verra par la suite. Au reste, quelque temps auparavant, le libraire Fays, de la rue Victor Hugo, m’avait prévenu de ce qu’un capitaine boche de la Gestapo s’était présenté chez lui pour acheter l’ouvrage.

    - Ils sont porteurs d’un long télégramme, venant de Paris, précisa Fred… Ils m’ont demandé des tas de détails sur l’imprimeur, le chiffre du tirage, la date d’édition. Je leur ai dit que vous étiez en voyage jusqu’à samedi… Il faudra que vous vous présentiez dès votre arrivée avenue Berthelot…

    La Gestapo occupait depuis peu le local de l’Ecole de Santé Militaire, dont les sous-sols devaient par la suite devenir tristement célèbres.

    - Ils peuvent toujours y compter !...

    - Alors, je vais prendre le maquis, moi aussi. Parce qu’ils étaient mauvais… Ils voulaient m’emmener…

    - Non ?...

    Mon secrétaire me conta l’histoire par le menu. Cela s’annonçait assez mal. Il fallait aviser et, tout d’abord, cesser de coucher chez moi. Un trévoltien s’offrit à me loger pendant la première nuit, et mon ami Roger D… qui connaissait un type se vantant d’avoir avenue Berthelot ses grandes et petites entrées, proposa de se renseigner entre-temps afin de me faire savoir si c’était grave ou non.

    A quatorze heures, le lendemain, Roger m’appelait :

    - C’est très mauvais… Ils veulent vous arrêter toi, ta femme et ton fils… Barbier a dit qu’il tenait à te mettre lui-même la main au collet… Fichez le camp…

    Le temps de bourrer une valise et de prendre nos vélos : le soir nous couchions chez le bon Joannès Veuillet, ancien conseiller municipal socialiste de Neuville :

    - Ca tombe bien, me dit-il. Dans huit jours nous devons partir pour les gorges de la Sioule, l’ami Barraud et moi. Vous allez venir avec nous…

     

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