• Alibi meurtrier, Naked Alibi, Jerry Hopper, 1954

    Alibi meurtrier, Naked Alibi, Jerry Hopper, 1954

    Il faut bien le dire, Jerry Hopper n’a pas fait grand-chose pour le cinéma, et encore moins pour le film noir. Mais il a fait Naked alibi et c’est déjà énorme. Et ce d’autant qu’on y trouve à la fois Sterling Hayden et Gloria Grahame, deux icônes du film noir et désespéré. C’est un film qui est réalisé à la fin du cycle du film noir. La Commission des activités anti-américaines est passée par là. C’est de plus en plus dur à Hollywood de tourner des films de série A qui contiennent un peu de critique sociale ou simplement un regard un peu négatif sur la société américaine. Il faut dire aussi que vers 1954 il est difficile de renouveler les thèmes, ça va venir, mais un peu plus tard. Le thème est ici pourtant assez nouveau. Il s’agit de l’ambiguïté de la police et de son rôle dans la société. Cependant le scénario est suffisamment astucieux pour amener d’autres thèmes et rendre l’ensemble plutôt compliqué, non pas sur le plan de l’histoire elle-même, mais plutôt sur les protagonistes.

     Alibi meurtrier, Naked Alibi, Jerry Hopper, 1954 

    Le chef Conroy soupçonne Willis d’être un tueur de flics 

    Willis est apparemment un boulanger sans histoire avec femme et enfant. Mais alors qu’il a cédé à l’ivresse, le voilà qu’il s’accroche avec les policiers qui l’ont arrêté. L’incident serait anodin. Mais comme dans la foulée 3 policiers vont être tués, le chef Conroy va soupçonner Willis d’être l’auteur de ces meurtres. Mais il n’a pas de preuve et doit le relâcher. Alors qu’il interroge une nouvelle fois Willis, celui-ci menace de tomber dans le feu, Conroy le retient, mais un photographe va prendre une photo qui conduira à la destitution du chef Conroy. Celui-ci ne va pourtant pas abandonner la traque de Willis, aidé d’un détective privé, il va mettre la pression sur lui, jusqu’à ce que Willis s’enfuie à la frontière du Mexique. Là il va retrouver sa maîtresse, Marianna, une chanteuse de cabaret un peu naïve. Alors qu’il cherche après Willis, Conroy est sauvagement agressé, il va être recueilli chez Marianne. Des relations compliquées vont se nouer entre Conroy et Marianna, chacun mentant à l’autre, mais ils vont finir par coopérer pour coincer finalement Willis qui n’est pas Willis, mais un criminel recherché sous d’autres noms dans d’autres Etats.

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    Conroy se faite bêtement piéger par un photographe 

    Comme on le voit aucun des acteurs de ce curieux trio ne dit la vérité sur qui il est. Willis ne dit pas à Marianna qu’il a une femme et un enfant. Mais Marianne ne lui dit pas qu’elle connait Conroy et qu’elle sait qu’il cherche après lui. De même elle ne dit rien à Conroy de ses relations avec Willis. De son côté Conroy, ne révèle pas sa véritable identité à Marianna, celle-ci le droguant d’ailleurs pour avoir la paix. C’est donc un film sur les apparences. Du reste, dès le début ce sont les apparences qui font la loi : Willis est apparemment un respectable boulanger, Conroy est apparemment un flic violent qui use d’une pression démesurée sur les témoins. Marianna est en apparence tout aussi bigame que Willis. Un des aspects les plus intéressants est d’ailleurs cette histoire de bigamie qui rappelle aussi le film d’Ida Lupino. Déclassé, Conroy va ruser avec la loi et la police : d’ailleurs ce sont les gangsters qui porteront plainte contre lui, renversant les rôles, pour enlèvement et séquestration.

    Alibi meurtrier, Naked Alibi, Jerry Hopper, 1954  

    Avec son ami Mathews, il va suivre Willis 

    C’est donc un très bon film noir, même si la fin est un peu prévisible, avec un côté moralisateur qui fait que Marianna paiera chèrement l’erreur qu’elle aura faite de se laisser séduire par Willis. Il y a quelque chose d’amer et de très fort dans le fait qu’il est impossible à Conroy et à Marianna de vivre une histoire d’amour, malgré des sentiments partagés. Le scénario est excellent, passant du portrait d’un tueur, à la rage forcenée du chef Conroy, mêlant avec aisance les scènes d’action et les scènes d’enquête proprement dites. L’écriture du film est due d’ailleurs à Lawrence Roman qui s’il a beaucoup travaillé pour la télévision, n’en a pas moins écrits quelques très bons scénarios de film noir, comme A kiss before dying de Gerd Oswald, ou le méconnu Vice d’Arnold Laven avec E.G. Robiçnson. La photo est aussi très bonne, elle est due à Russell Metty qui a beaucoup travaillé avec Douglas Sirk, et qui ici recycle tous les codes du film noir, comme les rues sombres, où la description du bureau de police où est interrogé Willis.

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    La présence continuelle de Conroy sur ses pas, perturbe Willis 

    Mais il ne faudrait pas croire pour autant que le travail de Jerry Hopper est sans génie, ou pâle ; comme certains ont pu le dire. Ce n’est pas vrai, le rythme est soutenu, il use parfaitement de la profondeur du champ que lui permet la description des localités traversées, mais aussi il utilise magnifiquement le grand corps lourd et emprunté de Sterling Hayden, n’hésitant pas à la filmer en contre-plongée pour alourdir le personnage. Certes filmer Gloria Grahame en chanteuse est un peu incongru et convenu, mais en même temps comme elle montre un mauvais caractère évident dans cet exercice qui la fait la proie des regards concupiscents d’une assistance masculine, ça passe très bien, d’autant que ça ne dure pas longtemps. Soulignons au passage que la musique est excellente, très jazzy, elle ajoute du charme à l’ensemble.

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    A la frontière d’avec le Mexique, Willis rejoint sa maîtresse 

    L’interprétation repose sur un trio. D’abord Sterling Hayden, toujours excellent dans un rôle de flic un peu désabusé et vindicatif. Il est le chef Conroy. C’est lui qui domine le film, un peu à la manière d’un dinosaure d’ailleurs ! Derrière on trouve Gloria Grahame, une des plus remarquables icônes du film noir. Si elle n’est pas aussi époustouflante que chez Fritz Lang, elle est à la fois sexy et fragile, tout en manifestement une forme d’indépendance brutale face aux mâles prédateurs. Elle n'apparaît pourtant qu'après le premier tiers du film. Son allure désabusée et ironique est unique dans le cinéma hollywoodien. Je crois qu’on devrait écrire un article en entier sur sa contribution au film noir, elle le mérite plus que toute autre. le trio se referme sur Gene Barry, né Klass, il choisit ce nom de scène en hommage à John Barrymore. Il a surtout travaillé pour la télévision, et je crois bien que c’est sa seule contribution au film noir. Il est excellent en psychopathe, tueur de flic, sournois et vindicatif. Il pique de très belles colères. Au passage on reconnaitra aussi Chuk Connors dans le rôle d’un adjoint du chef Conroy : voilà un acteur qui savait jouer de son physique étrange et qui sera abonné par la suite aux rôle d’indiens rebelles ou de méchants, ce qui au fond revient un peu au même !

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    Marianne soigne Conroy qui s’est fait agressé 

    Le résultat est un film très bien équilibré et assez surprenant dans son déroulement sur lequel le poids des années est passé sans trop de dégâts. A conseiller évidemment à tous ceux qui ne le connaissent pas encore.

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    Conroy réclame des renseignements sur Willis

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