• André Héléna, Les flics ont toujours raison, World Press, 1949

    André Héléna, Les flics ont toujours raison, World Press, 1949

    Quoi de mieux que de relire André Héléna ? Périodiquement André Héléna apparaît sur le devant de la scène du roman noir, et périodiquement il disparaît à nouveau. Auteur extrêmement prolifique, il écrira sous de très nombreux pseudonymes du bon et du moins bon. Rien que dans l’année 1953, il publie une vingtaine d’ouvrages ! Sa haute période est certainement celle qui regroupe les ouvrages publiés sous le titre générique des Compagnons du destin qui a été republiée un peu partout notamment chez Fanval. Le mot destin nous indique clairement dans quelle dimension nous sommes : la fatalité qui conduit à une issue malheureuse. Les flics ont toujours raison est de cette veine. C'est aussi le premier roman qu'André Héléna publie en 1949, soit quelques années à peine après la Libération. A ce moment-là l'économie de la France commence à se redresser, et les éditeurs ont plus de facilités pour publier. Dans le genre roman noir, il y a une sorte de pénurie, alors que la Série noire, dirigée par Marcel Duhamel, a démontré que le public était très attiré par ces histoires de voyous, de milieu, de prostituées et de meurtres sordides. Le modèle ce sera d'ailleurs plutôt James Hadley Chase que Peter Cheyney, ou même Raymond Chandler et Hammett. Chez les romanciers français, on privilégiera le milieu avec ses maquereaux, ses donneurs, ses putes et bien entendu les flics plus ou moins violents. La tendance est à l'utilisation de l'argot. La Série noire l'utilise dans les traductions de livres qui viennent des États-Unis, ce qui assez incongru pour les ouvrages de Raymond Chandler. Héléna approche cette langue, mais seulement dans les parties dialoguées. C'est seulement avec Albert Simonin et Auguste Le Breton que l'usage de l'argot débordera des parties dialoguées, mais on sera alors en 1954. L'autre caractéristique des ouvrages d'André Héléna – surtout la série Les compagnons du destin, c'est l'utilisation du décor de Paris et de sa banlieue. C'est assez étonnant, parce qu'il venait de Leucate, avec un incursion en Espagne durant la guerre civile, et qu'ensuite, comme Léo Malet d'ailleurs, il s'appliquera à tirer une sombre poésie du décor parisien. On pourrait le qualifié de Parisien transplanté. C'est peut-être ce qui va expliquer que le Paris d'Héléna qui comprend la banlieue, n'est pas présenté sous le meilleur jour, mais aussi comme un lieu de perdition, une ville qui attire, mais qui vous détruit au bout du compte 

    André Héléna, Les flics ont toujours raison, World Press, 1949

    Le héros de Les flics ont toujours raison, Bob, vient de sortir de prison. Il a l'intention de se ranger, de trouver du boulot honnête. Mais il a deux handicaps, d'abord il a un carnet d'ex-prisonnier, et puis il est tricard – interdit de séjour. Or le travail est plus difficile à trouver en Province. Sa trique l’empêche théoriquement de rejoindre la capitale. Mais nécessité fait loi. Comme de nombreux voyous dans la même situation, il va violer cette interdiction. Dans un premier temps, comme il n'a pas d'argent et ne sait pas où loger, il va trouver, par la voie des petites annonces, une femme un peu mure qui accepte de l'héberger contre des services sexuels.

    Bob se met alors à chercher du travail et il va en trouver comme chauffeur-livreur d'accus. Mais évidemment, sans l'avoir vraiment chercher, il va retrouver des anciens compagnons du milieu. Joe le remonte, un maquereau, va lui faire rencontrer dans un clandé une pute, Gisèle, qui tombe amoureuse de lui et qui voudrait qu'il devienne son mac. Il refuse et ce d'autant plus que dans le même temps il tombe lui-même sous le charme de Geneviève, une secrétaire qui travaille dans l'entreprise qui l'emploie. Il commence à faire des rêves de fonder une famille, de se marier quoique ce soit difficile à cause la trique.

     

    Il en est là quand un de ses anciens amis va tomber pour un hold-up. Or celui-ci a un complice et immédiatement les flics vont penser que Bob était avec lui, bien que celui qui a été arrêté ne dise rien. Mais en fait c'est Gisèle qu'il a négligé qui l'a vendu. Les flics vont donc l'agrafer, sous les coups il devra avouer qu'il était complice, surtout que les flics prétendent emballer Geneviève sous l'inculpation de recel de malfaiteur. Bref il va aller en taule où il restera de longs mois. A sa sortie, il va tenter de retrouver Geneviève, mais celle-ci s'est maquée avec Joe la remonte et fait la pute ! Fou de rage, Bob se rue sur le mac et l'étrangle. On comprend qu'en vérité ce n'est pas Gisèle qui l'a vendu, comme Joe lui avait fait croire, mais Joe lui-même pour s'emparer de Geneviève. Il apparaît alors que les jours de liberté de Bob sont comptés et qu'il retournera en prison.

    André Héléna, Les flics ont toujours raison, World Press, 1949

    L’intrigue est linéaire, avec des retournements de situation assez ingénieux, comme par exemple à la fin la révélation que Geneviève qui avait l’air si comme il faut s’est finalement vouée au putanat. Alors que pendant un long moment on pense que c’est Gisèle qui a donné Bob et qui l’a trahi, c’est en réalité de mac qui l’a envoyé au ballon, entérinant l’idée assez classique du fait que les macs mangent souvent dans la main des poulets. Donc Héléna va faire revivre ce petit milieu un peu minable et combinard. Bob est astucieux et pour trouver un hébergement il a cette idée de faire les petites annonces pour dégoter une femme d’ age mur en mal d’amour. On le voit donc évoluer entre le désir de vivre une vie normale sans trop se préoccuper des flics, et puis une vie plus en marge. Mais le choix est trompeur puisque c’est Geneviève qui le trahira et non Gisèle ! Bob est un homme qui vit d’instinct, porté sur le sexe, il ne regarde pas plus loin que le bout de sa queue, même si sa liaison avec Geneviève semble le calmer un petit peu. Tiraillé entre la nécessité de s’en sortir et la morale ordinaire, il a du mal à choisir et finit par faire toujours le mauvais choix.

    André Héléna, Les flics ont toujours raison, World Press, 1949

    L’écriture est rondement menée, le récit est à la première personne, donc la subjectivité domine, ce qui fait mieux apparaître encore les incertitudes dans la conduite de Bob. Il y a beaucoup de moments forts, d’abord le passage à tabac par les flics pour le faire avouer. On retrouve cette idée dans de nombreux romans de cette époque, notamment dans Le deuxième souffle de José Giovanni, scène qu’on retrouvera chez Melville dans son adaptation, mais qui sera coupée au montage pour ne pas nuire à l’image de la police. Et puis il y a une longue partie sur la prison, prison qu’Héléna a connue, brièvement sans doute, mais il l’a connue. Il rapporte au-delà de cette misère – les paillasses rongées de vermine, le froid, la faim – les histoires que les embastillés se racontent pour passer le temps. Remarquez que la torture de la trique est quelque chose qui a marqué André Héléna. On retrouvera ce thème dans le film de Maurice de Canonge, Interdit de séjour, film dont Héléna écrire le scénario à partir duquel il tirera un livre. Notez que pour ce scénario, Albert Simonin prêtera aussi son concours, sans doute comme on dit pour les dialogues additionnels. Comme dans beaucoup des romans parisiens d’Héléna, il y a toujours cette atmosphère de pluie et de banlieue qui donne une poésie vénéneuse au récit. On y retrouve le petit monde de Boudard mais dans sa version noire !

    « L’impasse maudite, One Way Street, Hugo Fregonese, 1950Umberto Lenzi, Meurtre par intérim, Un posto ideale per uccidere, 1971 »
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