• Ascenseur pour l’échafaud, Louis Malle, 1957

    Ascenseur pour l’échafaud, Louis Malle, 1957 

    C’est l’histoire d’une femme adultère, Florence, qui combine le meurtre de son vieux et riche mari. Son amant, Julien Tavernier, sera l’exécutant. Julien, un ancien parachutiste qui a fait l’Indochine et l’Algérie, travaille en effet pour le mari de Florence dans une société de vente d’armes, il va se ménager un alibi en béton en laissant entendre qu’il s’est enfermé dans son bureau pour travailler. En  fait il va ressortir par la fenêtre, escalader un étage, tuer Carala, puis tout refermer pour laisser croire que celui-ci s’est suicidé. Florence doit l’attendre dans un café. Evidemment on se doute bien que les choses vont se compliquer. Si le meurtre se passe très bien, lorsque Julien s’apprête à récupérer sa voiture, il s’aperçoit qu’il a oublié de décrocher la corde qui lui a permis de passer d’un étage à l’autre ! – C’est malin, dit-il ![1] Retournant dans l’immeuble pour la chercher il va se retrouvé coincé dans l’ascenseur, le gardien ayant coupé le courant pour la nuit. Mais pendant que Julien cherche une solution Louis et Véronique la petite fleuriste dérobent la rutilante décapotable de Julien pour s’en aller faire un tour en dehors de Paris. Ces deux jeunes gens qui n’ont guère accès en général à des produits de luxe vont se trouver mêlés au meurtre de deux touristes allemands qu’ils ont croisés en chemin. Pendant ce temps Florence cherche Julien qu’elle croit avoir aperçu au volant de son automobile plus tôt dans la soirée. Les deux affaires vont n’en faire qu’une mais finalement le commissaire Chevrier va parvenir à les résoudre toutes les deux.

     Ascenseur pour l’échafaud, Louis Malle, 1957 

    Julien annonce à la secrétaire qu’il va s’enfermer dans son bureau 

    Prix Louis Delluc 1957, ce film bénéficie d’un a priori favorable. On le considère généralement comme emblématique de la Nouvelle Vague naissante, bien que Louis Malle lui-même ait refusé de se trouver assimilé à celle-ci. Disons le tout de suite le film a très, très mal vieilli. Je l’avais vu il y a des années en salle, sans déplaisir, mais sans grand enthousiasme non plus. Je viens de le revoir en Blu ray[2], et franchement l’ensemble ne tient pas vraiment debout. Les coïncidences sont tellement appuyées que toute l’histoire devient aussi invraisemblable qu’une enquête d’Hercule Poirot. Le scénario est inspiré d’un roman de Noel Calef, le frère d’Henri Calef le cinéaste. Ce même Noël Calef avait obtenu en 1955 le Prix du Quai des Orfèvres, alors un des prix de littérature policière les plus prestigieux avec le Grand prix de littérature policière. Le roman est plutôt bon – sans plus. Et je me suis posé la question de savoir pourquoi le film était finalement aussi insignifiant. La réponse tient d’abord, avant l’esthétique présentée, dans le fait que c’est Roger Nimier, le leader de ceux qu’on a appelé les Hussards, qui en avait fait l’adaptation et les dialogues. Roger Nimier était peut être fait pour fournir des romans aux bonnes femmes du seizième arrondissement, mais sûrement pas pour se lancer dans le roman noir ou le film noir. Prétentieux et plutôt arrogant, Nimier a eu son heure de gloire après la guerre lorsqu’il revendiqua une forme d’insouciance qui fait aujourd’hui un peu sourire. Une de ses façons de faire était de défendre d’abord et avant tout les écrivains qui avaient été de vrais collaborateurs. Sans doute pensait-il que cela le disculperait de sa passivité pendant l’Occupation ? Fils de grands bourgeois, il adopta très vite les tics de sa classe. Louis Malle était aussi un fils de la haute bourgeoisie, son père était un industriel du sucre, certes le père ne préjuge pas forcément de ce que fera le fils, mais les origines sociales marquent tout de même. Louis Malle fit du cinéma d’abord en dilettante, et il se forma tant bien que mal à l’IDHEC, école qui a tant contribué à déformer les talents en les enserrant dans des formes théoriques, sans forcément donner toutes les armes techniques pour faire de bons films. Pour ma part je ne retiens de la filmographie abondante de Louis Malle que Le voleur, tout le reste me semble surestimé. Mais bon, pour avoir adapté le magnifique roman de Darien, on lui pardonnera beaucoup[3].

      Ascenseur pour l’échafaud, Louis Malle, 1957

    Mais revenons à notre film et tâchons de comprendre ce qui a pu plaire. Sans doute est-ce cette manière de filmer relâchée de Louis Malle, utilisant les décors réels de la vie de tous les jours, les portraits par petites touches des différents protagonistes, qui pouvait laisser croire à la nouveauté. On retrouvera cela dans le premier long métrage de Godard, A bout de souffle. Il y a bien une insertion dans un quotidien sensible aux spectateurs de l’époque. De même cette importance donnée aux objets, la voiture américaine de Julien, la Mercedes des touristes allemands, ou encore les téléphones et l’architecture moderne de l’immeuble de Carala. C’est la société de consommation qui est en marche et qui nous signale qu’on est sorti enfin des douleurs de la guerre et de la reconstruction nationale.

     Ascenseur pour l’échafaud, Louis Malle, 1957 

    Julien grimpe d’un étage 

    Cependant, c’est aussi un film sur l’amour. Julien et Florence s’aiment et sont prêts à aller jusqu’au meurtre pour se libérer des pesanteurs qui entravent leur relation. Mais aussi on peut supposer que symétriquement Louis et Véronique sont aussi très amoureux. Eux aussi iront très loin puisque Louis tuera les deux touristes allemands et ils seront finalement arrêtés. Entre temps ils auront eu le loisir de se laisser aller à une tentative de suicide un peu ridicule. C’est sans doute là que se trouve le principal défaut du film, dans l’opposition entre les deux couples. D’un côté on a un couple de grands bourgeois, élégants, sûrs d’eux, de leur amour et de leur avenir et de leur argent, de l’autre un couple prolétaire, formé d’une petite fleuriste et d’un apprenti mécanicien, maladroit dans tout ce qu’il entreprend, ils ne savent ni boire le champagne, ni utiliser les objets de consommation courante, à commencer par les voitures. Si le premier donne dans le tragique, le second devient ridicule.  Il y a un flottement patent dans l’utilisation de cette opposition, parce qu’en même temps Louis et Véronique présentent une certaine fraicheur, une insouciance dont sont privés Julien et Florence qui se prennent tellement au sérieux. De même l’idée qu’on puisse commettre des meurtres par amour ou pour l’amour, n’est pas explorée suffisamment pour donner du corps au film. La folie ne dérape jamais.

     Ascenseur pour l’échafaud, Louis Malle, 1957 

    Louis et Véronique vont piquer la voiture de Julien 

    L’interprétation s’est construite autour de Maurice Ronet et de Jeanne Moreau. Ce sont à l’époque deux vedettes assez importantes, et Jeanne Moreau est une spécialiste des films noirs à la française, particulièrement ceux qui seront inspirés par des scénarios ou des livres de Frédéric Dard comme Le dos au mur, L’étrange Monsieur Steve, ou encore, M’sieur la Caille[4]. D’ailleurs le scénario d’Ascenseur pour l’échafaud a des similitudes avec Le dos au mur qui est tourné la même année par un autre jeune metteur en scène, Edouard Molinaro. Jeanne Moreau y est toujours une femme adultère qui est l’épouse d’un homme riche et puissant. Sauf que contrairement au Dos au mur, ce n’est pas le point de vue de la victime de cette tromperie qui est mis en avant, mais celui de la femme coupable. Maurice Ronet est assez inconsistant, non pas qu’il soit mauvais acteur, mais parce qu’il n’a pas grand-chose à faire, sauf à attendre que l’ascenseur reparte ! Jeanne Moreau passe son temps à sourire, sans doute est-ce là l’apport le plus important de Louis Malle, filmer une femme qui sourit dans Paris. Mais elle manifeste par ailleurs une assez bonne autorité que ce soit dans les scènes qui l’opposent à Christian au commissariat, ou celles qui la mettent en face de Louis et Véronique.

    Ascenseur pour l’échafaud, Louis Malle, 1957 

    Florence va chercher Julien toute la nuit 

    C’est d’ailleurs ce couple interprété par Georges Poujouly et Yori Bertin qui parait le plus intéressant. Il y a une spontanéité dans leur jeu qui est tout à fait bienvenue. Malheureusement Yori Bertin n’eut guère d’autres occasions de briller. Et puis évidemment il y a Lino Ventura dans le rôle du commissaire Chevrier dont la présence massive suffit à étoffer le film. Il n’a pas eu encore les rôles qui conviennent à son talent, mais il s’est déjà fait remarquer auprès de Jean Gabin, et surtout dans Trois jours à vivre, déjà avec Jeanne Moreau et probablement inspiré d’un roman de Frédéric Dard signé sous un faux nom. Il va bientôt connaitre la consécration avec Le gorille vous salue bien. Felix Marten est Christian Subervie, l’ami de Julien qui est complètement bituré. C’est un acteur assez méconnu dont le talent aurait mérité une autre carrière. On reconnaîtra aussi au détour d’une séquence Jean-Claude Brialy dans un petit rôle de joueur d’échecs, un témoin bien peu fiable d’ailleurs. Et enfin dans le rôle de l’adjoint de Chevrier, on retrouvera Charles Denner.

    Ascenseur pour l’échafaud, Louis Malle, 1957  

    Julien va tenter de faire redémarrer l’ascenseur 

    C’est le premier film de fiction de Louis Malle, on sent cependant qu’il n’a pas une grande capacité dans la direction des acteurs qui manquent souvent de justesse de ton. Le film manque souvent de profondeur de champ. Il reste cependant cette capacité à filmer l’odeur de la nuit dans un Paris qui n’a pas encore cédé à la logique de l’aménagement urbain, un Paris où les classes sociales peuvent encore se côtoyer. Véronique habite une chambre de bonne dans un immeuble bourgeois, et Louis et véronique côtoient les grands bourgeois que sont Julien et Florence. Le sens de cette rencontre m’échappe un peu. Est-ce à dire que les bourgeois sont des êtres humains comme les autres ? Qu’eux aussi ont le droit à l’amour ? Curieusement c’est aussi cela qui fait que ce film reste très daté.

    Ascenseur pour l’échafaud, Louis Malle, 1957  

    Florence et Christian se retrouvent au poste 

    Il ne reste pas grand-chose à sauver de ce film, comme il ne reste pas grand-chose de la Nouvelle Vague en général, mais au moins il reste la musique. Improvisée par un quintet formé autour de Miles Davis, elle a été conçue sur le déroulement même du film. C’est une expérience assez rare pour être soulignée et c’est une expérience convaincante. Du reste cette musique a été constamment rééditée et elle est reconnue par les amateurs de Jazz comme un des disques les plus marquants de Miles Davis. Cela va devenir une mode que d’illustrer des films noirs par une musique de jazz. C’est Roger Vadim qui avait ouvert la voie en demandant au Modern Jazz Quartet la musique de son film Sait-on jamais. On retrouvera ça avec Un témoin dans la ville d’Edouard Molinaro ou encore avec Les liaisons dangereuses de Roger Vadim avec Barney Wilen qui joue déjà dans Ascenseur pour l’échafaud. Ce sont des cinéastes jeunes qui intègrent volontiers cette musique qu’on peut entendre alors à Saint-Germain des Prés, et cela contribue à donner ce caractère moderne à l’ensemble.

    Ascenseur pour l’échafaud, Louis Malle, 1957  

    Le commissaire Chevrier interroge Florence

     Ascenseur pour l’échafaud, Louis Malle, 1957 

    Julien est accusé d’avoir tué deux touristes allemands

     Ascenseur pour l’échafaud, Louis Malle, 1957 

    Miles Davis improvisant sur les images d’Ascenseur pour l’échafaud

     Ascenseur pour l’échafaud, Louis Malle, 1957 

    Miles Davis et Jeanne Moreau

     Ascenseur pour l’échafaud, Louis Malle, 1957 

    L’équipe d’Ascenseur pour l’échafaud fête l’anniversaire de Jeanne Moreau

     

     


    [1] C’est un exemple de la finesse des dialogues de Roger Nimier.

    [2] Le format Blu ray accentue les défauts de l’image et ses qualités, ici ce sont plutôt ses défauts.

    [3] Les accointances de la Nouvelle Vague avec la collaboration sont nombreuses. Louis Malle tournera avec Jacques-Yves Cousteau qui sera un moment inquiété à la Libération et  dont le frère fut condamné à la prison, il mettra en scène Le feu follet qui avait été d’abord un roman de Drieu la Rochelle qui se suicidera pour échapper au peloton d’exécution. Il mettra en scène le très controversé Lacombe Lucien. François Truffaut avouera des accointances pétainistes et Godard finira par se révéler comme antisémite. Mais sans doute ces accointances relèvent plus d’un milieu bourgeois que d’une prise de position politique proprement dite. Notez qu’avant de faire l’IDHEC Louis Malle avait fréquenté Sciences Po, boutique où l’extrême droite tenait le haut du pavé. Il faudra attendre Mai 68 pour que Louis Malle se range du côté gauche de la vie politique.

    [4] Jeanne Moreau qu’on voit trop souvent comme l’égérie de la Nouvelle Vague, a beaucoup travaillé pour un cinéma plus conventionnel et « commercial », elle tournera aussi en 1991 La vieille qui marchait dans la mer d’après un roman de Frédéric Dard, mais cette fois signé San-Antonio. 

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