• Autopsie d’un meurtre, Anatomy of murder, Otto Preminger, 1959

    Autopsie d’un meurtre, Anatomy of murder, Otto Preminger, 1959

     Bien que ce film ne soit pas un des plus importants dans l’œuvre de Preminger, il tient pourtant une place à part dans l’histoire du cinéma. Il inaugure le film de tribunal en donnant la première place à l’avocat. L’avocat n’est plus celui qui va défendre le héros – généralement le faux coupable – mais c’est le héros du film lui-même. En vérité il signifie que la place de l’avocat va être de plus en plus décisive dans la vie civile des Américains. En quelque sorte on passe du détective à l’avocat dans une forme d’embourgeoisement du roman policier. Le roman qui a servi de base au film de Preminger a été écrit par un avocat John D. Voelker sous le nom de Paul Traver. Ce sera un immense succès de librairie, rien qu’aux Etats-Unis il se vendra à plus de 4 millions d’exemplaires. Il est remarquable par la minutie un peu maniaque dans la description des rituels d’un procès. Ça donne un gros pavé de 400 pages. Mais sous les dehors d’un thriller assez rébarbatif, l’histoire recèle de nombreuses ambiguïtés qui en font tout l’intérêt.  

    Autopsie d’un meurtre, Anatomy of murder, Otto Preminger, 1959

    Paul Biegler est un ancien procureur qui s’ennuie en essayant de faire son métier d’avocat, c’est un vieux garçon passionné par la pêche. Mais il va sortir de sa torpeur quand il est contacté par Laura Manion qui lui demande de défendre son mari qui est en prison pour le meurtre de Quill qui aurait violé sa femme. Il va rencontrer le meurtrier, c’est un militaire plutôt arrogant qu’il hésite à défendre. Manion ne nie pas le crime, il le justifie seulement par le fait que sa femme a été violée. Paul va cependant accepter de le défendre parce que manifestement il est attaché à Laura Manion, une fille un peu frivole et directe qui pense à s’amuser. Au tribunal deux thèses vont s’affronter, celle de Paul qui plaide la démence passagère, et celle de Lodwick et Dancer, les deux procureurs qui affirment que le meurtre a eu lieu de sang-froid, et qu’en réalité Manion était très jaloux de l’inconduite de sa femme. Chacun va produire son expert psychiatrique pour soutenir sa théorie, et chacun va chercher des témoins plus ou moins inattendus. Dancer va faire sortir de prison un témoin qui est manifestement un menteur et qui affirme que Manion voulait se débarrasser de sa femme. Mais Paul grâce à son associé Parnell, un avocat ivrogne, va découvrir que la fille de Quill travaille à l’auberge de son père assassinée, elle va venir témoigner et en prime elle a retrouvé dans le débarras à linge sale, le slip de Laura, probablement déposé par son père. Paul va gagner son procès. Mais quand il va essayer de se faire régler ses honoraires sous la forme de billets à ordre, les Manion sont partis ! L’expérience a cependant donné le goût à Paul et à son acolyte Parnell de reprendre le chemin des prétoires. 

    Autopsie d’un meurtre, Anatomy of murder, Otto Preminger, 1959  

    Paul Biegler retrouve la frivole Laura devant la prison 

    L’histoire en elle-même est assez médiocre. Cependant, elle a posé des problèmes à la censure qui n’en voulait pas parce qu’on y parle de viol, de slip arraché, puis disparu, mais aussi parce que Laura apparaît comme une femme libre. Le militaire qui a tué n’est pas très sympathique non plus. C’est une manière d’éviter le manichéisme. Du reste c’est ce que dira Paul à la fille de Quill qui défend son père bec et ongles : personne n’est totalement bon ou totalement mauvais. Le personnage le plus complexe est sans doute celui de Laura. C’est une fausse ingénue qui s’amuse à allumer les hommes qui passent à sa portée. Mais la morale du film est claire, ce n’est pas une raison pour la violer. Le fait que Manion soit déclaré non coupable est aussi une manière de justifier qu’un homme puisse venger sa femme, venger son honneur, ou simplement indiquer à un homme violent qu’il y a des limites qu’on ne doit pas franchir. Que ce soit Paul Biegler, ou Dancer, les avocats sont toujours à la limite de la tricherie. Dancer suscite un faux témoignage de Duane Miller, mais Paul ne vaut pas mieux en bousculant la fille de Quill. Le but est de gagner, sans penser à la justesse de la cause. Paul Biegler et Parnell sont d’abord deux vieux garçons qui s’ennuient et toute forme de distraction sera la bienvenue dans la grisaille de leur quotidien. Manion est semble-t-il un homme violent qui n’hésite pas à corriger sa femme à l’occasion, mais celle-ci ne peut s’en éloigner. C’est un couple bizarre, on ne sait pas s’il y a de l’amour entre eux.

    Autopsie d’un meurtre, Anatomy of murder, Otto Preminger, 1959  

    Paul hésite à défendre l’arrogant militaire

    La réalisation de Preminger s’appuie d’abord sur un souci maniaque de réalisme. Le film a été tourné sur les lieux même de l’action, en décor naturel, dans le Michigan. Preminger disait qu’il avait été parfaitement bien accueilli dans la ville de Big Bay et que les gens se sont mis en quatre pour l’aider du mieux qu’il pouvait à la réalisation de son film. Il va donc restituer l’atmosphère d’une toute petite ville de province. La difficulté va survenir quand il s’agit de filmer les audiences. En effet elles représentent sans doute les ¾ de la durée du film qui dure 2 heures 40. Il ne faut pas ennuyer le spectateur, ni laisser l’impression qu’on se trouve face à du théâtre filmé. Il faut donner un rythme aux audiences qui fasse progresser l’histoire. Cela passe par les différentes phases des interrogatoires de témoins, mais aussi dans la manière de filmer. Comme je l’ai dit à d’autres occasions, Preminger a une capacité étonnante de filmer dans des espaces restreints. Il arrive à donner de la profondeur de champ par exemple en alignant l’un derrière l’autre l’avocat de la défense et l’avocat général. Il multiplie aussi les angles qui permettent de saisir aussi bien l’attitude nonchalante du juge que les échanges de regards entre les deux époux. C’est cette maitrise du rythme qui fait oublier les insuffisances du scénario. Il n’y a pas de suspense en ce sens qu’on sait qui est le coupable et les raisons qui l’ont poussé à tuer.

    Autopsie d’un meurtre, Anatomy of murder, Otto Preminger, 1959

    Pendant les débats, Paul fabrique des appâts pour la pèche 

    L’interprétation est excellente. James Stewart dans le rôle d’un faux naïf est l’avocat Biegler. C’est bien sûr autour de lui que le film s’est monté. On peut le trouver un peu monolithique, mais il est toujours comme ça. Ce côté désuet qu’il a toujours eu, même jeune, renforce le côté vieux garçon de Biegler un peu ronchonneux. Ensuite il y a l’excellente Lee Remick dans le rôle de la sulfureuse Laura. Elle est éclatante et trouve là un de ses meilleurs rôles dans les nuances d’une femme énigmatique qui semble finalement manipuler tout le monde. On appréciera ses transformations, quand elle passe d’une tenue à une autre, quand elle a ou pas ses lunettes, elle change chaque fois de personnalité. George C. Scott est l’avocat Dancer, il tient très bien sa place, il a l’air suffisamment hargneux et ironique quand il continue à plaider tandis qu’il annonce en aparté à son collègue que le procès est perdu. Il dégage une puissance inquiétante qui met mal à l’aise dans l’interrogatoire des témoins. Arthur O’Connell est le comparse Parnell, l’ivrogne de service, et comme tel il cabotine pas mal. Mais après tout les ivrognes sont aussi de grands cabotins ! Bien qu’il n’ait qu’un petit rôle, Ben Gazzara qui incarne Manion, fait remarquer toute sa classe. C’est un très grand acteur qui à mon sens n’a pas eu la carrière qu’il méritait. Ici il fait étalage d’un jeu sophistiqué et complexe. Et puis, il y a le juge Weaver qui est incarné par un vrai avocat, une célébrité des prétoires puisqu’il s’agit de Joseph N. Welsh, l’avocat qui a tenu tête à Joseph McCarthy et qui l’a fait plier, mettant fin pratiquement à la chasse aux sorcières. Pour Preminger c’est un beau symbole, lui qui s’est battu tout au long de sa vie contre la censure et qui fera réhabiliter l’année suivante le grand Dalton Trumbo.

     Autopsie d’un meurtre, Anatomy of murder, Otto Preminger, 1959  

    Le juge Weaver appelle la défense et l’accusation à plus de retenue 

    Le film fut un énorme succès public et critique. La musique du film est due à Duke Ellington qu’on voit d’ailleurs pianoter aux côtés de James Stewart : c’est encore une manière de pousser le jazz vers une reconnaissance qu’il n’avait pas encore tout à fait. Le générique est dû comme d’habitude à Saül Bass, ce qui donne un côté un peu plus sophistiqué à l’ensemble. La photo est de Sam Leavitt qui avait travaillé avec Preminger sur The man with the golden arm et sur The court-martial of Billy Mitchell. Il suivra ensuite Preminger dans l’aventure d’Exodus. L’ensemble a cependant un peu vieilli, on a tellement vu de film de procès que plus rien ne nous étonne en la matière, mais cela se regarde très agréablement, on a même l’impression qu’on connait tout du système judiciaire biscornu américain.  

    Autopsie d’un meurtre, Anatomy of murder, Otto Preminger, 1959

    Dancer a trouvé un témoin de dernière minute  

    Autopsie d’un meurtre, Anatomy of murder, Otto Preminger, 1959

    Dancer essaie de déstabiliser Laura 

    Autopsie d’un meurtre, Anatomy of murder, Otto Preminger, 1959

    Photographie de l’équipe du film avec au premier plan John Voelker 

    Autopsie d’un meurtre, Anatomy of murder, Otto Preminger, 1959  

    Preminger sur le tournage

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  • Commentaires

    1
    Thierry
    Samedi 26 Janvier 2019 à 18:56

    Un petit commentaire concernant ce film, commentaire que j'ai posté sur un autre site à l'occasion d'une sortie en salle :

    Un putain de chef d'oeuvre !
    Les Grignoux à Liège ont eu l'ingénieuse idée de ressortir en salle le film "Anatomy of a murder" (Autopsie d'un meurtre) réalisé en noir et blanc par Otto Preminger en 1959 avec James Stewart, Lee Remick, Ben Gazzara, Georges C. Scott...tous remarquables de justesse. Du haut vol pour tous ces grands acteurs à tel point que j'en suis resté bouche bée. 2 heures 40 de pur bonheur pratiquement enfermé dans le huis-clos d'une salle d'audience dans un processus de dissection d'une affaire criminelle menée par un Otto Preminger inventif (sa caméra toujours posée à l'endroit clé lors des interrogatoires par exemple !) et efficace. Peu lui chaut finalement l’issue du procès, il ne s'y attarde d'ailleurs guère et s'autorise même une ellipse assez audacieuse qui envoie balader le réquisitoire final de l'attorney et la plaidoirie ultime de la défense. Là n'est pas le propos, ce qui compte c'est la précision chirurgicale avec laquelle chacun fourbit ses armes et avance ses pions. Les joutes verbales conduites par les personnages joués principalement par James Stewart et Georges C. Scott sont comment dire...magistrales. Aucune fausse note. Et quand le réalisateur se laisse un peu aller pour alléger l’atmosphère tendue, c'est toujours à bon escient et avec un sens de la mesure très proche de la réalité comme l'est d'ailleurs le film dans sa globalité. Dans ce registre, on cite souvent "Douze hommes en colère" (1957) qui est assurément un très bon film mais je dois bien reconnaître qu'à mes yeux celui-ci lui est supérieur.

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    2
    Samedi 26 Janvier 2019 à 19:54

    C'est un très bon film, mais ce n'est pas ce que je préfère de Preminger, je lui préfère des films plus noirs. Mais il faut le reconnaitre la réalisation est excellente et d'une grande précision

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