• AUTOUR D’UN TEXTE DE FERNAND TRIGNOL


    *Mon père disait que je mourrais un jour sur l'échafaud. Maman protestait pour la forme
    -"Ne voyons pas tout en noir, il sera peut-être gracié."
    Fernand Trignol 

     

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     Vaisselle de fouille  est un roman policier paru en 1955 aux éditions de Seine. C’est dire si le bouquin manque de finition, les coquilles et les fautes sont nombreuses. C’est un roman dans la lignée d’Albert Simonin, paru deux ans après l’immense succès de Touchez pas au grisbi. Mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, Fernand Trignol n’a pas copié Simonin, il s’était déjà exercé en 1946 à la rédaction des mémoires d’un truand dans Pantruche, publié aux éditions Fournier, avec une préface de Jean Gabin et une couverture de Dubout, s’il vous plait ! L’ouvrage se terminait d’ailleurs par une sorte de petit dictionnaire de l’argot, technique qui sera reprise dans les ouvrages de Simonin. Trignol est même cité par Louis Ferdinand Céline dans un article de 1957 publié par la revue Arts. Céline qui dit l’avoir connu en 1939, critique son usage de l’argot, disant que sa langue n’est guère authentique. Mais malgré cela, on ne sait pas grand-chose de lui, quelques sources plus ou moins fiables nous signale qu’il serait né en 1896.

     

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    Fernand Trignol qui fit aussi une petite carrière au cinéma, en tant qu’acteur, petit second rôle, il joue dans Casque d’or, mais aussi en tant que scénariste, il est l’auteur de Fric-Frac, mais on retrouve son nom lié à plusieurs films de Fernandel.

    En tant qu’écrivain de polars, il s’inscrit donc dans la longue cohorte des auteurs de romans policiers qui dans les années 50 et 60 ont usé de la langue verte avec plus ou moins de bonheur : Albert Simonin, Auguste Lebreton, Michel Audiard, André Héléna, Pierre Lesou, Jo Barnais (alias Georgius), ou encore Frédéric Dard sous le nom de San-Antonio et de Kaput. A cette liste forcément incomplète on peut ajouter Alphonse Boudard, sûrement le plus grand d’entre eux, Maurice Raphaël sous le nom d’Ange Bastiani, et pour certains textes même Léo Malet ou encore Peter Randa. Tous ces auteurs participent dans l’usage de formes argotiques d’une sorte de constat : Paris, le Paris populaire et voyou, s’efface à grande vitesse de la mémoire des hommes. La nostalgie affleure, la modernité lamine et détruit des formes de relations humaines uniques en leur genre, même si elles accompagnent la truanderie.

     

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    Les ouvrages de Fernand Trignol sont très difficile à trouver mais ils ne sont pas très nombreux. Vaisselle de fouille conte l’histoire d’un demi-sel, Paul, dit Paulo, qui s’acoquine avec Jo le Maigre et la Faiblesse. Ils sont cornaqués par le Frisé qui les incite à aller racketter une boîte de nuit tenue par Mathieu le Corse et Gregor le Grec. Paulo est un velléitaire, il a une gagneuse sur le ruban, Jacqueline, de la fraiche devant lui pour voir venir, mais il est faible et se laisse entraîner par Jo le Maigre, un violent. Dans cette curieuse combine, plutôt mal montée, ils s’adjoindront l’aide de la Faiblesse, un tuberculeux qui prend un grand plaisir à torturer ses ennemis. Tout va rapidement de travers, tout le monde trahit tout le monde, et nos truands à la gomme finiront leur parcours en taule en attendant mieux. Outre que cette histoire est écrite avec beaucoup de formules argotiques, elle a la volonté de prendre le contrepied d’une vision légendaire du milieu où le respect de la parole donnée et le courage sont des qualité emblématiques. Rien de tel ici, et le vieux Marc, celui qui ramasse la mise et qui se trouve en haut de la hiérarchie truandière, bouffe à tous les râteliers, s’enrichissant  en vendant ses confrères à la police. Mais à la lecture de l’histoire il est difficile de prendre notre héros, celui qui raconte à la première personne, en sympathie. Lui-même avoue que lorsque sa régulière se fait dessouder, il ne la pleure pas tant que ça. Bref ces truands ne valent pas très cher, ils cherchent toujours à prendre du pognon mais pour quoi en faire ? Essentiellement pour le perdre aux courtines !!

     

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    On retrouve ici les obsessions de Simonin, la bouffe, la picole, la putasserie des haut-lieux de la truanderie. Il y manque peut-être un peu de muscle pour obtenir un meilleur ancrage dans la réalité du Paris des années cinquante. Mais l’ensemble se lit assez bien. On rejoindra pourtant Céline sur l’idée que la langue verte de Trignol est un peu fabriquée, moins inventive que celle de Boudard, moins précise que celle d’Auguste Lebreton, c’est déjà une langue qui ne se parlait plus depuis au moins l’entre-deux guerres !

    Cet ouvrage a été ensuite republié en 1959 sous le titre de Chante et tais toi aux éditions du Champ de Mars. Le texte a très peu changé, seulement amélioré du point de vue de l’orthographe et de nombreuses coquilles ont disparu, des notes de bas de page traduisent certaines expressions argotiques. On y a donc gagné au change puisque cette réédition sous un titre nouveau est ornée d’une jolie blonde ! On apprend aussi grâce à la quatrième de couverture que Trignol serait décédé, donc en 1959 ou en 1958.

    Mais on n’a pas fini de tout voir ! Cet ouvrage a été réédité ensuite sous le nom de Budy Wesson qui était aussi un pseudonyme utilisé par André Héléna. Ce qui ne veut pas dire qu’Héléna était le propriétaire de ce pseudonyme et qu’il s’est approprié les droits de Trignol. Il est plus probable qu’il s’agisse d’une magouille de l’éditeur pour gagner de l’argent alors même que Trignol était décédé. Il s’agit de Ne compte pas sur le sursis, publié en 1962 aux Editions du Champ de Mars.

    Une quatrième édition du même texte est proposée toujours par les éditions Baudelaire dans la collection Détective Pocket, mais cette fois, le nom de l’auteur ne figure même pas. Il est probable que ni Trignol, ni Héléna, ni même les héritiers de Trignol n’ait vu un seul centime de ces diverses rééditions.

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    Bibliographie

     

    L. F. Céline, « Propos sur Fernand Trignol et l'argot », Arts, n°605, 6-12 février 1957.

    André Héléna, Les flics ont toujours raison, 10/18, avec une postface de Frank Evrard,

    Fernand Trignol,  Pantruche ou les mémoires d’un truand, Editions Fournier, 1946.

    Fernand Trignol,  Vaisselle de Fouille, Editions de Seine, 1955.

    Fernand Trignol,  Chante et tais-toi, Editions du Champ de Mars, 1959.

    Fernand Trignol, Satan est là, Editions Baudelaire, 1963.

    Budy Wesson, Ne compte pas sur le sursis, Editions du Champ de Mars, 1962.

     

    P.S. : Ceux qui peuvent me donner d’autres informations sur Trignol sont les bienvenus.

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  • Commentaires

    1
    Barret
    Lundi 18 Mai 2020 à 17:52
    Voilà, merci, tout simplement. Très agréable quand on recherche des renseignements sur des auteurs peu connus de trouver un texte bien documenté et bien rédigé. Bravo.
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