• B. Traven, La charrette, La découverte, 2005

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    Publié en espagnol en 1931, La charrette est le premier volume du cycle de l’acajou consacré aux Indiens du Chiapas. C’est certainement un des plus beaux ouvrages de Traven. C’est l’histoire d’un pauvre indien, Andres, qui devient charretier pour le compte d’un patron qui l’exploite jusqu’à l’os. Le métier est dur, la paye famélique. Il consiste  à transporter à travers les montagnes des marchandises : si la charrette s’abîme, il doit payer ou la réparer, il est aussi responsable de la marchandise si celle-ci se casse ou disparait.

    Mais contrairement aux autres péons, il va apprendre à lire et à écrire, pensant plus ou moins vaguement que cette promotion sociale sera aussi une promotion économique. Il va arriver avec sa caravane dans un petit village reculé de montagne, Balun Canan, pour la fête de San Caralampio. Il va rencontrer une très jeune fille qu’il baptisera Estrellita – petite étoile – et avec qui il formera le projet de vivre. Mais il s’apercevra bientôt que cela n’est pas possible parce qu’il doit remplacer son père dans une mine ou celui-ci est exploité pour payer une dette qui n’en finit pas de s’éteindre et qui maintient la famille de père en fils dans la misère la plus noire.

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    Contrairement à nombre de ses romans, celui-ci n’a rien de drôle. Grave et pathétique c’est un plaidoyer pour les Indiens du Chiapas qui ont été dépouillé de tout par les Espagnols, de leur terre, de leur culture, de leur identité. Réduits quasiment en esclavage, ils n’ont pas d’avenir. Femmes, hommes, ils sont tous réduits à se vendre pour rien aux Espagnols qui sont propriétaires terriens – ils se sont approprié les meilleures terres. La police et l’Eglise couvre cette honte, l’appuie et l’amplifie.

    C’est donc un roman qui dénonce très fortement l’exploitation d’une classe, d’une race, par une autre. Mais bien évidemment le roman ne se réduit pas à cela. Il y a une étude de caractère très forte. Car en bon matérialiste, Traven suppose que cette forme économique se traduit par une transformation morale des individus. Pour lui les plus riches sont aussi des gens pervers et les pauvres des cœurs simples. L’opposition de la sexualité de ces deux groupes est remarquable. Les riches veulent posséder sexuellement quand les pauvres sont capables de sentiments raffinés et poétiques. C’est la patronne de la jeune Rosario qui a des mœurs contre-nature comme une extension de sa position économique dans la lutte des classes. Les riches mentent, comme ce médecin qui pour posséder la même Rosario lui raconte qu’elle est très malade, qu’elle doit recevoir un traitement très onéreux et qu’en échange elle doit coucher avec lui.

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    Village indien du Chiapas qui ne semble pas avoir changé depuis l’époque de Traven

     

    Comme toujours Traven prend le temps de raconter le quotidien difficile de ces charretiers qui pourtant ne se plaignent jamais, qui pourtant n’ont même pas l’idée de se révolter. Le quotidien est ici saisi dans les gestes les plus simples, la réparation de la charrette, le travail avec les bœufs. Il y a une minutie étonnante qui fait passer Traven du côté de la littérature prolétarienne. Il analyse ce système de la dette qui rend les pauvres indiens quasiment esclaves de leur maître. Celui-ci leur vend des produits à des prix exorbitants, produits qu’ils n’ont pas les moyens d’acheter, et il leur avance donc l’argent avec un intérêt qui d’année en année va rendre la dette impossible à éteindre. La lutte des classes c’est celle que les propriétaires entament contre les pauvres Indiens démunis de tout, et celle-ci se double d’une lutte entre le colonisateur – le descendant des Espagnols – et les colonisés – les Indiens au sang pur. Les métis se trouvant évidemment dans une position intermédiaire, méprisés à la fois par les Espagnols et par les Indiens.

    Il y a dans cet ouvrage une description étonnante de la pauvreté et de la faim, de la saleté et de la maladie. Ce n’est pas un conte de fée. C’est plutôt rude et assené comme un coup de poing. Mais quelque part on se dit que les Indiens ont finalement conservé ce qu’il y a de plus précieux, un cœur pur qui les élève bien au-dessus de la condition des Espagnols soi-disant civilisés. Il y a donc aussi en filigrane une critique de notre civilisation par trop  sophistiquée qui s’abandonne aux objets et en oublie la communion avec la nature comme les gestes simples et nobles de l’amour.

    Si très souvent dans ses romans Traven évite l’emphase et emploie un ton plutôt détaché pour parler des choses les plus graves, ce n’est pas le cas ici. Et la fin de l’ouvrage est saturée d’émotion quand on comprend enfin qu’Andres ne pourra rester avec Estrellita. Et même si Traven ne sombre jamais dans le compassionnel, on est touché par cet amour qui tournera court.

     

    Sans doute le roman a-t-il été écrit très vite, comme très souvent chez Traven qui ne s’embarrasse pas trop des règles d’équilibre du récit, on y trouve parfois quelques contradictions, notamment à la fin : Estrellita apprend vaguement à lire sous la houlette d’Andres, et quelques pages plus loin, Andres lui affirme qu’elle sait lire et écrire et donc qu’elle pourra facilement trouver un emploi à la ville. 

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