• B. Traven, Le pont dans la jungle, Gallimard, 2001

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    Longtemps Traven jouit de cette réputation d’être une légende, un mystère. Il semble que sous ce pseudonyme se cachait Rut Marut – mais est-ce son nom ? –, acteur de théâtre et anarchiste allemand qui se réfugia au Mexique après un passage par l’Angleterre et les Etats-Unis et qui devint un écrivain célèbre sous le nom de B. Traven. Il participa à la République des conseils, ou encore à ce qu’on appelle la révolution spartakiste, et c’est sans doute pour cette raison qu’il s’exila. Il avait aussi dirigé une petite feuille anarchiste révolutionnaire. Si on connait son passage en Allemagne, il n’est même pas certain qu’il soit né dans ce pays. Certains pensent qu’il est né aux Etats-Unis. Personnage sulfureux et mystérieux, il est revendiqué comme un grand écrivain à la fois par le Mexique et par l’Allemagne. Mais de fait sa gloire est liée directement à son installation au Mexique et à son intégration dans ce pays auprès des Indiens.

    Sa célébrité en France et dans le monde, il la doit au Trésor de la Sierra Madre ou plutôt à l’adaptation cinématographique que John Huston en a faite et qui connut un succès considérable. Mais à côté de ce grand ouvrage l’œuvre de Traven mérite une grande attention. On rappellera qu’une partie du cycle de l’acajou n’est toujours pas traduite en France.

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    Un pont dans la jungle date de 1929. Le héros, Gales, qui conduit le récit à la première personne, est une sorte d’archéologue au statut mal défini. Dans son errance il pénètre dans la jungle mexicaine, dans un village indien où il retrouve Sleigh un autre américain qui a épousé une indienne avec qui il a eu des enfants. La disparition d’un enfant et sa recherche est le nœud de l’intrigue du roman. Tout le village le recherche, il semble s’être noyé.

    Traven peut être rapproché de Jack London, comme lui il s’intéresse aux petites gens, plus particulièrement à leur culture comme une forme alternative de vie sociale. Certes il est un peu plus amer et désenchanté, mais ce qu’il y a de plus réussi dans Un pont dans la jungle, c’est sans doute cette capacité de mettre en scène des formes sociales alternatives qui n’ont rien à voir avec ce que développe l’Occident capitaliste et matérialiste. Bien entendu, Traven voit et montre la proximité de cette civilisation, ici représentée par la compagnie de pétrole, qui peu à peu va phagocyter des formes plus libres et quelque part supérieures de sociabilité.

    Sans doute le plus réussi de ce récit réside dans cette fièvre qui s’empare du narrateur : la jungle l’enivre et le transforme. Le héros est bien un double de Traven et on sent qu’il va bientôt se fondre dans cette nature luxuriante au sein de cette communauté d’Indiens pauvres. La façon dont est saisi l’espace est fascinante : la communauté des Indiens est enserrée dans la forêt, comme un rebut déposé au bord du fleuve. La pauvreté est toujours présente comme une sorte de fatalité, mais peut-être aussi comme la contrepartie de la liberté.

    La découverte du cadavre de Carlos et le cérémonial qui s’ensuit constitue la majeure partie du roman, comme si Traven était fasciné par des rites et des attitudes qu’il ne comprend pas vraiment, même s’il s’y efforce.

    Quoique ne connaissant pas l’allemand, il me semble que la traduction est très aléatoire. Cependant le rythme de l’écriture est très bon, ménageant une sorte de suspenses sur ce qui a pu arriver au petit Carlos, tout en mettant en avant cette nonchalance qui nous est inconnu. Si le cœur du récit se déroule sur une nuit, avec une dose de magie, le début s’inscrit dans une temporalité assez atypique, sans continuité véritable, on saute les mois comme on saute les saisons.

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    John Huston dans l’adaptation cinématographique d’Un pont dans la jungle

     

     

    Malgré son côté mystérieux et anarchiste, Traven gérait très bien ses affaires. Il négocia directement les droits de ses romans au cinéma. Un pont dans la jungle fut adapté en 1971 au Mexique par Pancho Kohner, le frère de Susan Kohnern l’inoubliable interprète de Mirage de la vie, avec John Huston dans le rôle de Sleigh et l’excellente Katy Jurado. Mais évidemment ce film comme beaucoup de productions de qualité mexicaines n’est pas parvenu jusqu’à nous et nous le regrettons.

    « Valerie, Gerd Oswald, 1957San-Antonio, Au bal des rombières, Fleuve Noir, 1990 »
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