• Bac Nord, Cédric Jimenez, 2021

     Bac Nord, Cédric Jimenez, 2021 

    Evidemment si en allant voir ce film vous cherchiez un rapport avec l’affaire de  la Bac Nord de Marseille qui a entraîné sa dissolution, vous vous tromperiez très lourdement. Sauf que quelques policiers ici seront trainés devant la justice pour avoir détourné des stupéfiants pour alimenter les indicateurs qui les aidaient dans leur travail . Pour se faire une petite idée de l’affaire réelle, on se rapportera aux ouvrages de Frédéric Ploquin, Sébastien Bennardo et Bruno Carasco, et encore à condition de prendre tout cela avec des pincettes. Cette histoire révéla que certains bacqueux allaient jusqu’à mettre des micros dans la voiture de leurs collègues pour les piéger et les faire tomber pour le compte de l’IGS. Cette affaire révéla des tensions très graves entre les policiers de la Bac Nord. L’autre différence est que dans la vraie histoire de la Bac Nord, il n'y avait strictement aucune entreprise visant à coincer des gros trafiquants de drogues, alors que dans le film on a l’impression que si les flics contournent la loi, c’est uniquement dans le but de ferrer des gros poissons. Une fois que nous avons dit cela, il faut dire que tout de même le film de Jimenez contient beaucoup de vérité quasi documentaire, notamment sur l’isolement des cités où se tiennent les trafics qui sont comme des enclaves difficilement pénétrables par la police, avec une organisation très complexe pour se protéger et protéger le bizness. L’inspiration doit être recherché plus que dans la réalité d’une affaire qui a défrayé la chronique du côté des films américains, et plus particulièrement des série The shield[1] et The wire[2].  

    Bac Nord, Cédric Jimenez, 2021

    Trois flics, Gregory, Yassine et Antoine, font équipe dans les Quartiers Nord de Marseille. Poussés par leur hiérarchie, ils doivent faire du chiffre, arréter des petits trafiquants pour gonfler les statistiques. Ils ramassent des petits dealers, se servent d’indicateurs pour en récupérer un peu plus, ou encore stoppent des trafics de tortues au Marché au Puces ! Mais avec l’assentiment de leur chef, Jérôme, qui en a marre de faire de la paperasse derrière un bureau, ils décident de frapper un grand coup et de démanteler un gros réseau. Ils obtiennent des tuyaux d’Amel, une dealeuse de luxe, qui réclame en échange de ses tuyaux 5 kilos de marchandise. Elle avance qu’en vivant dans ces quartiers, au contact des cités, elle risque sa peau tous les jours. La Bac Nord décide donc de ramasser les kilos demandés notamment en rançonnant les clients des dealers et en leur volant la beuh qu’ils se proposent de consommer. Finalement ils ont leur monnaie d’échange, et les renseignements fournis par Amel vont permettre de procéder ç une opération de grande envergure avec toute la Bac. C’est un combat difficile, mais ils en viennent à bout, ramassent un stock improbable d’armes, d’argent et de drogue. Toute la Bac Nord fête cette réussite exceptionnelle, et Antoine va régler son dû à Amlel. Mais quelques temps après, l’IGS tombe sur le dos du trio qui se retrouve perquisitionné, emmenotté, ils sont accusés d’avoir collecté de la drogue dans le but de la revendre. Leur supérieur au lieu de les soutenir va dire qu’il n’était pas au courant. Ils se retrouvent en taule. Nora essaie bien de faire témoigner les collègues des trois emprisonnés, mais ils se débinent lamentablement. Les accusés perdent pied, et Antoine va finalement balancer Amel pour prouver leur innocence, ce qui la condamne. Ils sortiront de prison, mais dans des conditions difficiles, Antoine se fera infirmier de prison, Gregory radié de la police deviendra agent municipal, et Yassine retrouvera sa famille et deviendra délégué syndical. 

    Bac Nord, Cédric Jimenez, 2021 

    Nora va bientôt accoucher 

    La french était un film raté[3], surtout si on le mesurait à l’aune de son sujet, ce n’est pas le cas de Bac Nord, à condition de ne pas vouloir y trouver un rapport très direct avec la réalité. En effet dans la réalité les déchirements que cette salade a entraînés ont été autrement plus dramatiques comme le laisse voir les trois ouvrages qu’on a cités dans l’introduction. Le film est très bon, bien filmé et bien joué. D’abord il y a une très belle utilisation des décors réels qui eux ne sont pas très beaux, mais qui montrent une ville en état de décomposition avancée et qui amène une certaine poésie à l’ensemble. Les fractures qu’on perçoit semble rendre dérisoire tout le travail de la police, et plus encore celui des hommes de l’IGS. Mais pour ce dernier c’est un thème récurrent du néopolar de les présenter comme des incapables et des imbéciles, imbéciles parce que des intellectuels qui ne connaissent pas grand-chose à ce qui se passe réellement dans la rue. Certains imbéciles ont avancé que ce film faisait le lit de l’extrême droite et de Marine Le Pen, on trouve ce genre de stupidité chez Libération, Le monde ou encore dans Huffington post. A vrai dire le film ne s’occupe pas des misérables qui vivent dans ces cités enclavées, qui sont totalement inemployables. Le regard est celui des policiers confrontés aux difficultés de leur métier au quotidien et le film décrit ce quotidien. Dire que cette présentation serait de droite relève simplement de la méconnaissance de cette réalité des cités marseillaises[4]. 

    Bac Nord, Cédric Jimenez, 2021

    Au Marché aux Puces, il faut ouvrir l'œil 

    Mais il y a bien d’autres choses. D’abord la question de l’amitié qui est souvent faite pour être trahie. Gregory n’en reviendra pas du retournement de son supérieur qui le lâche. Et même si Antoine pleure un peu, il vendra tout de même Amel pour s’en sortir. L’idiot du Monde, Mathieu Macheret pour ne pas le nommer, avançait que ce film était mauvais parce qu’il ne recelait aucune ambiguïté. On se demande quel film il a vu ! En tous les cas pas celui de Jimenez. L’ambiguïté qui est l’essence même du film noir est présente constamment. Ne serait ce qu’en ce qui concerne les relations entre Antoine et Amel. En effet, apparemment ils ne couchent pas ensemble, mais ils ont des regards amoureux. Mais Antoine vit avec son chien et son métier. Amel se vend très cher, et Antoine finira par la vendre. Yassine n’est pas très clair non plus. Malgré tout ce qu’il a enduré, il va rester dans la police. Je ne parle même pas de Jérôme qui lâche Gregory. Quand Gregory veut monter une opération d’envergure, on n’est pas certain qu’il ne la monte pas seulement pour se venger, se faisant peu d’illusion sur l’issue de son travail : un réseau en taule sera rapidement remplacé par un autre. On verra par exemple dans une scène terriblement réaliste les flics se faire humilier et éjecter d’une cité par la racaille qui l’a contrôle. L’amitié qui peut relier les trois membres de cette équipe est une sorte de palliatif à cette misère affective. Mais le film ne fait pas dans la psychologie. 

    Bac Nord, Cédric Jimenez, 2021

    Gregory et Yassine ont arrêté des marchands de tortues 

    Sur le plan cinématographique il y a beaucoup de  bonnes choses. Je l’ai dit d’abord les décors naturels qui sont très bien choisis pour illustrer cette fracture et donner de la vérité au film. Seule la prison ne ressemble ni aux Baumettes, ni à celle de Luynes. Sauf la porte d’entrée qui est celle des Baumettes. Le film s’ouvre sur Gregory en train de se morfondre en prison, flash-back donc pour raconter comment on en est arrivé là. Il y a beaucoup de vivacité pour filmer le marché au Puces, avec de longs travellings arrières et une multiplication des angles de prises de vue. Le clou du film c’est sans doute l’investigation de la cité pour en prendre le contrôle et mettre la main sur la drogue, les armes et l’argent. Le rythme est excellent et renforce l’émotion, c’est-à-dire la peur. Les affrontements avec la racaille sont très réussis, avec des personnages très choisis comme cet immense bonhomme qui défie les policiers du haut de son double mètre et de ses 150 kilos. Suivre le labyrinthe qui mène à la découverte du trésor du réseau, tandis que ses membre s’activent à emporter le butin, est assez acrobatique, film caméra à l’épaule. 

    Bac Nord, Cédric Jimenez, 2021

    Ils passent beaucoup de temps à planquer 

    Les couleurs sont légèrement bleutées ou tirant sur les gris, un peu comme si on voulait masquer le soleil marseillais. La mer intervient en contrepoint comme une promesse ou une frontière d’avec les beaux quartiers qui sont à l’opposé. C’est d’ailleurs par la mer que les policiers investiront pour partie la cité qu’ils veulent prendre d’assaut. C’est filmé en 2,35 :1, tout en utilisant fréquemment des gros plans qui délimitent l’enfermement dans lequel se retrouvent piégés les policiers. Cette alternance entre gros plans et plans d’ensemble qui sont plus mobiles, donne une bonne respiration à l’histoire. 

    Bac Nord, Cédric Jimenez, 2021 

    Les policiers ne semblent pas faire peur 

    L’interprétation est excellente aussi, contrairement à ce qu’on voit souvent dans les films français. D’abord Gilles Lellouche qu’on a rarement vu aussi bon. On le dirait inspiré de Michael Chiklis le Vic McKay de la série The shield, et je le soupçonne de s’être fait couper les cheveux très courts pour accentuer cette ressemblance. Il est très physique et je crois bien que c’est son rôle le plus physique. Il court très bien et il est très crédible quand il empoigne quelqu’un, flic ou dealer au collet. Son affrontement avec l'homme de l'IGS est marquant. Derrière il y a François Civil dans le rôle d’Antoine. Il est très nuancé, capable de faire passer des émotions face à Amel avec un simple regard. Il a certainement de l’avenir. Karim Leklou dans le rôle de Yassine n’est pas mal, mais il est un cran en dessous et a bien moins de présence que les deux premiers cités. Cyril Leconte est Jérome, il est aussi tout à fait juste, y compris quand il trahit son ami sans sourciller. Les femme sont à la hauteur, Adèle Exarchopoulos est Nora, excellente dans un rôle tout de même assez bref. Et puis il y a Kenza Fortas dans le rôle d’Amel que je trouve pour ma part formidable, très juste. Pour elle aussi c’est un petit rôle, mais elle illumine le film. Une partie de la distribution pour figurer les jeunes des cités a été recrutée sur place ce qui renforce le côté couleur locale si je puis dire.   

    Bac Nord, Cédric Jimenez, 2021

    Ils partent à la recherche du stock de drogue 

    C’est donc un très bon film noir, ce n’est pas si fréquent en France. On peut regretter que le film ne parle pas de sexe, parce que tout de même c'est un sujet qui préoccupe beaucoup les flics. Il connaît un très bon démarrage et va sûrement être un grand succès, malgré les pincements de nez de la critique. Il vise ainsi un public populaire, sans forcément l'exploiter du côté de l'imbécilité comme le font les "comédies" qui régulièrement envahissent les écrans avec des produits qui ne ressemblent à rien, ni dans leur sujet, ni dans leur manière d'être montés. 

    Bac Nord, Cédric Jimenez, 2021

    Gregory se retrouve en taule 

    Bac Nord, Cédric Jimenez, 2021

    Scène de tournage 



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/the-shield-serie-creee-par-shawn-ryan-2002-2008-a166214352

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/sur-ecoute-the-wire-serie-creee-par-david-simon-2002-2008-a166214520

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/la-french-cedric-jimenez-2015-a115166884

    [4] Le monde peu suspect de faire le lit de l’extrême droite relate quotidiennement les exactions des gangs de la drogue à Marseille. Sauf que ça dure depuis au moins vingt ans. Ce n’est pas d’aujourd’hui que la Cité Bassens est dangereuse. C’était déjà le cas dans les années soixante-dix quand je m'y hasardais. https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/08/12/guerre-des-gangs-trafic-de-drogue-et-reglements-de-comptes-un-ete-meurtrier-a-marseille_6091237_3224.html

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