-
Bas les masques, Deadline USA, Richard Brooks, 1952
Richard Brooks est un cinéaste à message, c’est-à-dire que, quitte à le simplifier, il faut que le spectateur comprenne sans ambigüité où il veut en venir. Ça tombe bien parce qu’au moment où il rencontre Bogart ce dernier est en voie de politisation accélérée pour cause de Chasse aux sorcières. Deadline USA est un film très compliqué, et c’est probablement pour cela qu’il ne fut pas un très grand succès. Ce film noir est en effet construit à partir de trois histoires imbriquées : il y a la mort d’un journal que ses propriétaires sont en train de vendre pour réaliser une bonne affaire financière à un magnat de la presse qui vise une situation de monopole et le contrôle de l'information. Ensuite il y a une enquête criminelle, le journal dans son ensemble semble vouloir remplacer la police qui est incapable de coincer un mafieux, Rienzi, qui gagne des millions mais qui a du sang sur les mains. Enfin, il y a une romance incertaine entre Hutchison, le patron du journal et sa femme avec qui il a divorcé et qui va sans doute se remarier avec un autre que lui. Cet aspect un rien niaiseux plombe tout de même l'histoire
Les journalistes font semblant de ne pas être inquiets
Le mélange de ces trois niveaux, surtout en une heure et demi, brouille les lectures du film. Certes, on comprend bien l’importance de la liberté de la presse, Bogart développe sa nécessité devant un tribunal, que ce soit pour conforter la démocratie ou pour lutter contre les monopoles, comme on comprend aussi que la liberté d’opinion doit être défendue sans réserve, ce qui est une allusion directe à l’activité de la sordide Commission des activités anti-américaines. Mais ce mélange des genres disperse les personnages et les rend relativement flous. Les seconds rôles sont pourtant tenus par des acteurs très intéressants, que ce soit Paul Stewart, dans le rôle d’un journaliste qui a des allures de Dashiell Hammett, ou Ed Begley, qu’on retrouvera dans un autre film de Brooks très important, Doux oiseau de jeunesse, et qui tiendra un rôle déterminant dans l’excellent Odds againsty tomorrow. L’étonnant Martin Gabel qu’on a vu dans The thief, curieux film muet, ou dans Quatorze heures d’Henry Hathaway, interprète magnifiquement Rienzi. Ethel Barrymore est aussi très présente, mais elle est toujours très bien quel que soit le film.
C’est un film noir qui met en scène le journalisme, Brooks comme Fuller qui s’adonnera aussi à ce sous-genre, est un ancien journaliste d’investigation. La description du milieu, des machines, de la fièvre qui s’empare des journalistes au moment du bouclage est certainement ce qu’il y a de mieux.
Ed veut un journal offensif
Il y a cependant un idéalisme du journalisme qui passe difficilement, car cette profession n’a jamais été reconnue comme exemplaire en ce qui concerne son indépendance, même à cette époque. Toute l’histoire du journalisme tend au contraire à montrer que cette profession a toujours été corrompue, au moins autant si ce n’est plus que la police et les milieux politiques. Cette défense et illustration du journalisme d'investigation comme rempart nécessaire pour la démocratie venait probablement chez Brooks, comme chez Samuel Fuller, de sa carrière de journaliste
Les journalistes vont trouver un témoin inattendu
Le film n’est cependant pas mauvais, on peut le revoir avec plaisir, ne serait-ce que pour la forte prestation de Bogart, mais il n’arrive pas à dépasser le niveau du film de genre, que ce soit dans le scénario ou dans la réalisation. Il y a tout de même de très bons moments : l’assassinat du témoin par de faux policiers dans l’imprimerie du journal qui semble signifier d’ailleurs qu’il est bien meilleur de faire confiance à un journal qu’à la police. Il y a également de longs plans-séquence très bien venus dans la salle de rédaction qui donnent cet effet de bourdonnement.
La vieille Margaret Garrison fera de son mieux pour aider Ed
C’est, avec De sang froid, l’unique incursion de Brooks dans le domaine du film noir. Probablement n’était-il pas fait pour ce genre qui demande d’introduire un peu plus d’ambigüité dans les comportements humains comme dans les situations, encore qu'on puisse voir de l'ambigüité dans le comportement de Ed Hutcheson, car s'il traque le criminel Rienzi, ce n'est pas seulement par un souci de justice, mais aussi pour vendre du papier. Curieusement ce film est très difficile à trouver et c’est un des rares films de Bogart qui n’est pas disponible en DVD et encore moins en blu ray.
Ed apprend que son journal sera tout de même vendu
Richard Brooks a eu une carrière éclectique autant que curieuse, faite de hauts et de bas, il a touché à tous les genres, allant du western au film d'aventures en passant par des formes introspectives. A côté de gros succès comme Elmer Gantry, selon moi son chef d’œuvre, ou La chatte sur un toit brûlant, ou encore le western assez peu conventionnel Les professionnels, il s’est payé quelques bides noirs, tant sur le plan commercial que sur le plan artistique, par exemple l’insipide Dollars avec Warren Beatty, ou La fièvre du jeu avec Ryan O’Neal en 1985. En réalité il a assez peu tourné, voulant avoir une pleine maîtrise de ses films, il les produisait le plus souvent ses films, mais il en écrivait aussi les scénarios.
Le journal ne sera pas sauvé
Bogart, Bacall, leur fils et Richard Brooks sur le tournage de Bas les masques
-
Commentaires