• Bertrand Tavernier, Le cinéma dans le sang, entretiens avec Noël Simsolo, Ecritures, 2011*

    Bertrand Tavernier, Le cinéma dans le sang, entretiens avec Noël Simsolo, Ecritures, 2011*  

    Bertrand Tavernier est un vrai cinéphile passionné avant d’être un cinéaste. En dehors de la réalisation, il a beaucoup écrit sur le cinéma en général. Egalement il est un commentateur érudit et souvent avisé du cinéma du passé. Il a un grand respect pour ses collègues, qu’ils soient américains ou qu’ils soient français. On le voit aussi souvent dans des bonus de DVD ou de Blu ray pour apporter des compléments d’information bienvenus, car il a une connaissance très large du cinéma, dans le temps, ça va du muet à Godard en passant par Riccardo Freda, en allant de Resnais à Melville, et du cinéma américain au cinéma asiatique, et bien sûr en passant par le cinéma italien. Le cinéma n’est pas vraiment un métier pour lui, mais plutôt une passion qui l’occupât presque toute son existence.

    Interrogé par Noël Simsolo, il retrace ici son parcours et tente d’en démêler les fils. Issu de la haute bourgeoisie lyonnaise, son père était René Tavernier, résistant de la première heure, gaulliste, mais aussi créateur de la revue Confluences, revue prestigieuse, mais qui disparut rapidement à la Libération. Tavernier est un autodidacte. Il a fait ses classes dans les salles obscures, puis ensuite en tant qu’attaché de presse.

    C’est un personnage très sympathique, quoique flottant sur le plan idéologique, qui a donc touché à tous les genres, avec cependant une forte connotation sociale dans ses films qui l’ont fait classer à gauche. Mais sa carrière me laisse tout de même perplexe. Elle manque d’unité autant que de style, si ce n’est qu’elle s’inscrit dans un rapport singulier à l’histoire qui le mènera à la réalisation de documentaires, notamment sur la Guerre d’Algérie. 

    Bertrand Tavernier, Le cinéma dans le sang, entretiens avec Noël Simsolo, Ecritures, 2011* 

    La Guerre sans nom 

    Tavernier a beaucoup d’idées, un peu sur tout. Mais je n’arrive pas à voir quels films marquants il a réalisé. Peut-être Le juge et l’assassin, avec ses larges panoramiques qui renforcent la solitude de Bouvier ? J’ai un bon souvenir aussi de La vie et rien d’autre où il arrive à faire passer une émotion sincère. Et même Un dimanche à la campagne a de très beaux aspects. Mais à côté de ça, il y a pas mal de ratages. L’appât, pourtant tiré du très bon ouvrage de Morgan Sportès reste bien terne et manque de conviction, et Dans la brume électrique, d’après James Lee Burke, un très bon auteur de romans noirs, passe à côté de son sujet. Curieusement, alors que Tavernier aime beaucoup et qu’il connait très bien le film noir américain, c’est ce qu’il rate le plus. Peut-être parce qu’il est habité par une sorte de vérisme pointilleux ? Et bien sûr c’est ça qui est le plus difficile à maîtriser. C’est typique dans L-627, sujet qui avait tout pour faire un bon film noir. Mais Tavernier s’y refuse consciemment. Pourquoi ? Mystère. Le film n’est pas mauvais, mais il reste un peu terne et manque de punch, justement par souci de « vérisme ». C’est cette absence volontaire de glamour qui est une bonne idée sur le papier, qui a plombé le résultat aussi bien critique que commercial. Coup de torchon, adapté du roman de Jim Thompson, est complètement manqué, même si le film a été un succès public. Tavernier a fait d’un roman noir, très spécifique aux Etats-Unis, une sorte de tribune anticolonialiste. Or la ségrégation raciale aux Etats-Unis et ses conséquences n’ont guère à voir avec la colonisation de l’Afrique par des Européens. Cette transposition m’a toujours semblé une très mauvaise idée, dénaturant la lettre et l’esprit de Jim Thompson en particulier et du film noir en général. Mais il n’est pas le seul à manquer l’adaptation de Jim Thompson. Alain Corneau avec Série noire a tout autant manqué sa cible[1]. Les réalisateurs français quand ils veulent s’éloigner des canons de l’esthétique du film noir, sombrent dans des formes esthétiques plutôt confuses, sans doute parce qu’ils craignent, à l’exception toutefois de Melville, de ne pas être assez originaux. 

    Bertrand Tavernier, Le cinéma dans le sang, entretiens avec Noël Simsolo, Ecritures, 2011* 

    L-627 

    Tavernier est cependant toujours intéressant quand il parle de cinéma, même si parfois il ressasse un peu les mêmes histoires sur les réalisateurs américains qu’il a côtoyés, l’alcoolisme de John Ford, ou le mauvais caractère de Joseph H. Lewis, la rencontre avec Jerry Lewis. On peut évidemment discuter de ses goûts, il aime Clint Eastwood ce qui est très discutable, déteste assez Hitchcock, on ne peut pas lui donner tort, envoie au passage des piques sur l’antisémitisme supposé de Jean Renoir. C’est une vieille rengaine colportée par Henri Jeanson, mais en 1938, dans le quotidien communiste Ce soir daté du 20 janvier, sous le titre publicité, Jean Renoir écrit un article justement contre l’antisémitisme de Céline et en défense de Marcel Dialo qui était son ami[2]. Il est vrai cependant qu’on trouve une interview de Jean Renoir en 1940 donnée à un journal portugais dans lequel il avance qu’il quitte la France parce que les Juifs lui ont pourri l’existence[3]. Tavernier donne son point de vue très négatif sur la personne de Kazan, même s’il reconnait les qualités de ce réalisateur. 

    Bertrand Tavernier, Le cinéma dans le sang, entretiens avec Noël Simsolo, Ecritures, 2011* 

    En 2015 Bertrand Tavernier reçut un Lion d’or à Venise pour ses 40 ans de carrière 

    Cinéaste et critique aux goûts très éclectiques, Tavernier se présente comme un passeur entre le cinéma américain auquel il a consacré de très beaux ouvrages[4] et le cinéma européen, comme il se veut une sorte de pont entre le cinéma de qualité française et la Nouvelle Vague[5]. Il est un des rares aussi à célébrer les qualités de William Witney[6]. Il est également pour beaucoup dans la redécouverte d’Edmond T. Greville dont la filmographie reste encore difficile d’accès, ce qui n’est pas rien.

    Bien qu’il s’en défende, il a une approche très politique du cinéma, ce qui pour moi n’est pas un défaut, après tout, n’importe quel film est politique. En la matière, Tavernier n’évite pas forcément les lieux communs de la gauche bien-pensante, c’est la gauche engagée dans le soutien au FLN – sans en voir les prémisses d’un parti fascisant, ou la gauche pro-migrants. Cette génération a combattu aussi la censure avec l’affaire de La religieuse, puis elle a épousé les utopies soixante-huitardes, pour le meilleur et pour le pire. Tavernier est aujourd’hui toujours actif, moins en tant que cinéaste – il n’est pas sûr qu’il refera un autre film, et un peu plus en tant que pédagogue. Il tient d’ailleurs un blog sur lequel il fait partager un peu de ses idées, ce qui nous permet ici et là de redécouvrir ou de découvrir des cinéastes oubliés[7]. Il y parle également de ce qu’il lit, et il lit beaucoup tout de même.

    Pour résumer, c’est donc un ouvrage très intéressant, avec beaucoup d’anecdotes comme les apprécient les cinéphiles. D’autant que Noël Simsolo est lui aussi un très fin connaisseur de la chose cinématographique. Il n’est pas obligatoire d’ailleurs d’être un admirateur du cinéaste Tavernier pour apprécier cet ouvrage. Il y a des réflexions intéressantes sur le métier, ses difficultés, et même sa dégradation déprimante surtout en France. C’est un peu commun chez les cinéastes vieillissants que d’entonner ce refrain, même si je crois que Tavernier a raison, tant est lamentable le niveau actuel du cinéma français.

     



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/serie-noire-alain-corneau-1979-a114844712

    [2] https://journals.openedition.org/1895/4317

    [3] http://epoleart.canalblog.com/archives/2015/11/18/32824929.html

    [4] Amis américains, entretiens avec les grands auteurs d’Hollywood, Actes Sud-Institut Lumière, 2008 et avec Jean-Pierre Coursodon, 50 ans de cinéma américain, Nathan, 1991.

    [5] Voyage à travers le cinéma français, DVD Gaumont, 2016

    [6] http://alexandreclement.eklablog.com/the-bonnie-parker-story-william-witney-1958-a114844780

    [7] http://www.tavernier.blog.sacd.fr/

    « Piège au grisbi, The money trap, Burt Kennedy, 1965Piège pour cendrillon, André Cayatte, 1965 »
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