• Boxcar Bertha, Martin Scorsese, 1972

     bertha-boxcar-1.png

    Dans le début des années soixante et dix, le cinéma et la littérature se sont mis, dans la mouvance des grands mouvements sociaux, à remettre en perspective les luttes des prolétaires des temps jadis. En même temps qu’on s’interrogeait sur les origines douteuses du capitalisme moderne et de ses crises récurrentes, ces fictions, plus ou moins inspirées d’événements réels , amenaient à développer des nouvelles formes critiques de socialisation. A cette époque, il était de bon ton de représenter les voleurs comme des anarchistes un peu singuliers. Que ce soit en France ou aux Etats-Unis, il y a eu de nombreux films de cette veine, en 1967, Louis Malle adapte Le voleur de Darien dans un film à prestige, avec Jean-Paul Belmondo, et cette même année c’est aussi le très grand succès de Bonnie and Clyde, dans la version d’Arthur Penn. En 1968, Philippe Fourastié réalisera La bande à Bonnot. En 1970, Bo Widerberg, cinéaste aujorud’hui oublié, avait réalisé Joe Hill héro des wobblies qui devait être condamné à mort après un procès truqué. Après Boxcar Bertha, Robert Altman, en 1974 va adapter le livre d’Edward Anderson, Thieves like us. Ces films ont en commun de présenter le vol et une certaine criminalité, comme une juste lutte contre le modèle de société capitaliste. C’est un genre qui malheureusement n’existe plus aujorud’hui.

     bertha-boxcar-2.png

    Bertha assiste à l’accident d’avion de son père

     Le film de Scorsese s’inscrit dans une tendance du cinéma commercial assez particulière. Lors de sa sortie en France du moins, le film bénéficia d’une bonne critique et d’un succès assez large dans les milieux gauchistes et anarchistes. Il est vrai que les intentions généreuses de Bertha Boxcar sont à des millénaires des films compassés et un brin réactionnaire que Scorsese produit maintenant. Il est probable qu’à cette époque il n’aurait pas eu l’idée de réaliser un film aussi édulcoré et menteur  qu’Aviator à la gloire de Howard Hugues un des capitalistes les plus sauvages que l’Amérique ait comptés.

     bertha-boxcar-3-copie-1.png

    Big Bill Shelby harangue les cheminots

     

    Officiellement le film est une adaptation du livre de Ben Reitman, Sister of the road, publié en 1937 aux Etats-Unis, ouvrage racontant un peu dans le désordre la vie de Bertha Thompson. En réalité du livre de Reitman il ne reste strictement rien, ni l’époque, ni le principe, ni même le déroulement de la vie de Bertha Thompson. En édulcorant l’ouvrage, les scénaristes ont dressé des portraits plutôt caricaturaux des personnages que Bertha Thompson a rencontré dans sa vie errante et militante anarchiste. La première trahison est que Bertha Thompson raconte qu’elle a été élevée par une mère formidable qui lui a donné le goût de la lutte sociale. Or dans le film nous voyons une jeune fille simplement choquée par la mort de son père, sans que le lien avec la critique du capitalisme soit faite. La seconde trahison importante est que le film explique le comportement de Boxcar Bertha par la crise économique des années trente, or son engagement est bien antérieur à la Grande Dépression et fait le lien directement avec le mouvement socialiste et anarchiste qui se développait depuis le début du siècle aux Etats-Unis et que la police et les milices patronales chassaient violemment. Enfin, il y a une tonalité qui est assez choquante dans le film, car dans l’ouvrage de Reitman, Boxcar Bertha travers les Etats-Unis, c’est une femme hobo, et s’installe très souvent dans des grandes villes comme Chicago où elle rencontre énormément de monde, participant autant qu’elle le peut aux luttes sociales. Or le film est assez rural, refermé sur un espace campagnard très restreint. Et puis la façon dont Boxcar Bertha et ses amis passent du syndicalisme au vol à main armé est plutôt téléphoné. Pas que ceux-ci dans leur vraie existence respectaient la propriété privée, mais parce qu’ils n’étaient pas des braqueurs de banque à la Bonnie and Clyde. Le livre est également un plaidoyer féministe, Bertha ne dépend de personne et surtout pas d’un homme, or dans le film elle est à l’inverse aspirée dans le combat de Shelby qui ne semble pas être le sien.

     bertha-boxcar-4-copie-1.png

    Les McIver prennent des photos des syndicalistes 

    Est-ce que cela suffit pour condamner le film ? Oui et non. Les raisons qui nous amènent à avoir un avis négatif sont nombreuses comme on l’a vue, et encore je passe sur la mise en croix de Shelby à la fin du film, fin qui vire au grand guignol. Mais il y a quelques raisons positives d’apprécier le film. La première est qu’il reflète cette idée de liberté sexuelle à la remise en question du capitalisme et du mode de vie bourgeois. C’était quelque chose d’important au début des années soixante-dix, depuis le capitalisme a appris à faire des concessions sur le plan de la morale pour sauver les meubles. En même temps il rappelle que les luttes sociales ont toujours été réprimées avec une grande sauvagerie aux Etats-Unis, ce qui explique que finalement la gauche, le mouvement révolutionnaire ait fini par être pratiquement éradiqué.

     bertha-boxcar-5.png

    Big Bill, Von, Rake et Bertha se transforment en gangsters 

    Le film était une commande. Produit par Roger Corman, c’est le premier long métrage de Martin Scorsese, si on excepte Who’s that knoking at my door qui était son exercice de fin d’études. Plus tard il le reniera presque. Le film comporte des défauts, dont le principal est la structure du scénario. Ça part un peu dans tous les sens, sans qu’on retrouve le fil conducteur – les scènes de prostitution de Bertha tombent à plat. C’est un couple d’intellectuels Joyce et John Corrington qui l’ont écrit. Mais Scorsese a aussi sa part de responsabilité : il multiplie les ralentis, joue des effets de zoom, sans que cela apporte quelque chose au récit. De même les scènes érotiques entre David Carradine et Barbara Hershey qui à l’époque vivaient ensemble, sont assez platement filmées, la rigidité des cadrages étant compensée par une certaine impudeur. En tous les cas, l’émotion reste superficielle. La crucifixion de Bill Shelby devrait être tragique, elle est filmée pour cela, mais elle reste assez banale.

    bertha boxcar 6 

    Big Bill est las de fuir

     La distribution est bien évidemment dominée par Barbara Hershey dans le rôle de Bertha. Elle a l’abattage nécessaire. David Carradine est Big Bill Shelby. Ça n’a jamais été un acteur très charismatique, mais ici il tient assez bien sa place. Notons que son frère, Keith Carradine, tournera dans le film d’Altman Thieves like us, film dans lequel il tiendra un rôle similaire au moins dans l’esprit. John Carradine, le père, lui tient le rôle de Sartoris, le magnat du chemin de fer.

     bertha boxcar 7

    Bertha et Big Bill se sont fait piéger

           bertha-boxcar-8.png

    La fin tragique et christique de Big Bill

    Au final, si le projet était intéressant, le résultat est très mitigé. Evidemment si on n’a pas lu le livre de Reitman, il est possible d’apprécier malgré tout le film de Scorsese.

    « Boxcar Bertha, Sister of the road, Ben Reitman, 1937Serge Bramly, Arrête, Arrête, NIL, 2013 »
    Partager via Gmail

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :