• Bubu de Montparnasse de Charles-Louis Philippe

    charles-louis-philippe-1.jpg

    Charles-Louis Philippe est un écrivain qu’on oublie, et puis qu’on redécouvre depuis des décennies. Décrivant et méditant sur la condition de « pauvre » et de « misérable » au début du XXème siècle, il est pourtant très moderne. La plupart de ses ouvrages, romans et contes, sont imprégnés de sa propre existence, de l’expérience de la pauvreté.

    Le meilleur de son œuvre est concentré sur quelques années au début du XXème siècle. Il peut être considéré à juste titre comme un précurseur de la littérature prolétarienne, devant Poulaille ou Dabit. Mais il est bien plus que cela parce qu’en effet il effectue un travail sur la langue, un travail semblable à celui des artisans. Il possède un style, à la fois drôle et tendre, ironique aussi.

    Il est mort très jeune, à trente-cinq ans, emporté par une méningite foudroyante. On peut dire que malgré son enthousiasme, la vie ne lui a pas été favorable. Excellent élève, il poursuit ses études à coups de bourse, il progressera comme ça jusqu’à l’examen de Centrale qu’il échoue et qu’il refuse de tenter à nouveau. Mais comme il faut bien vivre, il va tenter sa chance à Paris et finit par obtenir un petit emploi de fonctionnaire qui, à défaut de l’enrichir, lui laisse du temps pour écrire. Assez rapidement il se fait remarquer des intellectuels de sa génération : Gide, Larbaud et bien d’autres le trouve terriblement moderne et novateur.

    Pourtant son style est simple, et au premier abord il apparait dans la continuité du naturalisme de Zola ou même de Maupassant dont les contes l’inspireront. Le peuple pourrait le lire facilement, sauf qu’il n’a pas derrière lui un éditeur important, ses ouvrages seront d’abord édités à compte d’auteur, et sauf aussi que ses récits sont tout à fait sombres.

    Philippe est le témoin d’un monde qui disparait et qui s’oriente vers l’industrie et le commerce. Imprégné de théories libertaires, ses écrits ne sont pourtant pas militants. Son propos est ailleurs. Il trace des caractères, comme des logiques dont le sens propre les dépasse. Tous ces personnages sont les victimes de leur condition matérielle. Ils n’ont pas assez de force pour s’élever au-delà de leur déterminisme. C’est le cas de Bubu, maquereau d’occasion par laisser-aller, mais c’est aussi le cas de Berthe, sa femme qu’il prostitue, et encore le cas de Pierre qui n’a pas assez de volonté pour aider Berthe à s’en sortir. La façon dont ils acceptent tous les trois la fatalité de la syphilis est parlante. Le père Perdrix est aussi dans le déterminisme, même s’il est d’un autre genre. Croyant devenir aveugle, il fait confiance à son médecin qui lui enjoint de ne plus travailler. Il est maréchal-ferrant, c’est un métier peut-être dur, mais c’est un métier qui nourrit sa famille et qui demande aussi une certaine habileté. Or tout cela lui est enlevé d’un seul coup, d’un seul, sans même qu’il ait l’intention de se révolter.

    C’est probablement Bubu qui reste le chef-d’œuvre de Charles-Louis Philippe. C’est ce roman qui a situé son auteur quelque part entre Nietzche et Dostoïevski. Et c’est là qu’il se révèle aussi un grand styliste. Le roman est très noir, bien avant que ce soit la mode. On y croise des prostituées, des maquereaux, des étudiants pauvres aussi. La misère est partout, tant physique, que morale. Peut-être est-ce même que ce roman est à l’origine de style particulier du roman noir français qui se poursuivra avec Carco, Auguste Le Breton, Pierre Lesou et quelques autres. Et Philippe en l’écrivant semble être habité par une sorte de rage plutôt rare et détonante dans les lettres de cette époque. Jamais on n’a parlé aussi bien de la syphilis qu’ici.

    «  Oh ! sois bénie ! Vieille chanson des véroles, dans l’hôpital où tu naquis, tu chantais de lit en lit dans tous les cœurs, tu divinisais les mourants et tu battais des ailes des ailes sur le front des vérolés, vieille chanson des véroles ! »

    « Il eut ensuite une idée de vérole. Eh ! s’il n’avait pas la vérole s’il n’avait pas la vérole ! Alors il lui sembla que ce serait retrancher quelque chose à sa gloire. Il marchait avec tant de passion que ses jambes semblaient soulevées. S’il n’avait pas la vérole, il était grand temps de l’avoir »

     charles-louis-philippe-2.jpg

     

    L’histoire de Bubu a été portée en 1971 (époque à laquelle on croyait encore à la transformation sociale dans un sens positif) à l’écran par Mauro Bolognini. Il est bien curieux que ce soit un italien qui ait eu l’idée d’adapter Philippe à l’écran. A croire que les réalisateurs français ne savent pas lire. Le film est excellent, probablement un des meilleurs de Bolognini. Le film possède des qualités nombreuses, à commencer par la photographie d’Ennio Guarnieri et les décors qui donnent intentionnellement un aspect très pictural au film, certains lui ont reproché son caractère esthétisant. On peut entendre également Léo Ferré chanter du Verlaine. Mais si l’histoire est assez fidèle à la lettre, elle en trahit cependant l’esprit. En effet, l’idée de transposer la prostitution du boulevard Sébastopol à Florence donne un côté provincial au drame. Egalement le film est porteur d’un message politique explicite qui n’est pas dans les intentions de Philippe, Berthe était une petite fleuriste, dans le film est une simple ouvrière. Car la prostitution est le résultat non seulement de la misère sociale, mais aussi de la perversité et de la fainéantise du maquereau de Berthe qui s’appuie sur l’imbécilité de celle-ci. Enfin, le film de Bolognini appuie plutôt sur la responsabilité de Piero (Pierre) et sur sa lâcheté. Dans le livre, quand Maurice vient reprendre Berthe, accompagné du Grand Jules, il revendique un droit marital car il a épousé Berthe, cet aspect disparaît dans le film et rend le retour de Berthe (Berta) à sa déchéance de femme publique plus difficilement compréhensible. Mais ces réserves, si elles donnent au film un contenu bien différent du livre, ne doivent pas faire oublier qu’il s’agit d’un très grand film. Ottavia Piccolo tient parfaitement le rôle de cette très jeune femme naïve qui se transforme au fil des jours en une putain marquée par la fatalité. L’utilisation des très beaux décors est accentuée par des mouvements de caméra virtuoses. On admirera la sortie de l’usine, l’enterrement de la pauvre prostituée ou encore les scènes de ces femmes malades dans le vieil hôpital. On notera que c’est la même équipe qui réalisa l’année précédente le très beau Metello.

     

    charles-louis-philippe-3.jpg

     charles-louis-philippe-4.jpgcharles-louis-philippe-5.jpg

     

    Bibliographie

     

    La mère et l’enfant, 1900

    Bubu de Montparnasse, 1901

    Le père Perdrix, 1902

    Marie Donadieu, 1904

    Croquignole, 1906

    « A double tour, 1959sournois en CD audio »
    Partager via Gmail

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :