• Ce soir… les souris dansent, La melodia misteriosa, Juan Fortuny, 195

     Ce soir… les souris dansent, La melodia misteriosa, Juan Fortuny, 195

    Voici une autre production franco-espagnole de Marius Lesœur, avec toujours un peu les mêmes acteurs, sauf qu’ici il y a Mick Micheyl comme vedette, ce qui est assez rare pour cette chanteuse très en vogue à la fin des années cinquante et  au début des années soixante. C’est évidemment toujours une production à petit budget et qui a dû être tournée dans l’urgence. Les décors extérieurs sont abondamment sollicités, les gros plans sont multipliés.

    Contrairement aux films que nous examinons en ce moment, il y a très peu d’indices qui pourraient attester d’une participation active de Frédéric Dard, sauf cette histoire de violon et de mélodie qui rappelle aussi bien Le bourreau pleure que Laissez tomber la fille, la première aventure de San-Antonio publiée au Fleuve Noir. Le titre français pouvant également renvoyer à Les souris ont la peau tendre. Il y a aussi le nom de l’inspecteur français, Revel, qui fait penser immanquablement à l’inspecteur Reval, le héros de La peur blême, un ouvrage signé Yvan Noé[1]. Mais tout cela est assez mince je l’avoue, seule la logique de la production pourrait militer dans le sens d’une implication de Frédéric Dard. Je ne me battrais pas bec et ongles pour défendre ce film comme une œuvre de Frédéric Dard, j’ai été suffisamment attaqué sur ce terrain[2]. Je n’affirmerais donc pas que ce scénario est certainement de lui, mais que cela est possible.

    Mais en dehors de cela est-ce que ce film a un intérêt cinématographique ? Non, il faut bien le dire, et je suis très courageux de visionner ce catalogue des productions Lesœur ! C’est donc d’un certain cinéma commercial et bas de gamme, populaire, dont nous discutons ici, et cela a peut-être une importance historique. C’est le moment en effet où se construit péniblement un cinéma espagnol dans un pays où il n’y avait pas de tradition véritable dans ce domaine. Mais pour nous c’est aussi la preuve qu’à cette époque le film noir essaime ses codes et son esthétique aux quatre coins du monde. 

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    Le luthier Adrien a été assassiné, un aveugle a entendu une étrange mélodie 

    Le luthier Adrien a été assassiné chez lui, un soir, dans son atelier, étranglé par une corde de violon. A ses côtés on a retrouvé aussi un violon de prix qui a été brisé. Le commissaire Luna, assisté de son ami français, l’inspecteur Revel, vont enquêter sur cette affaire. Ils commencent par interroger une chanteuse à succès, Lydia Martha qui prétend être venue voir le luthier pour lui acheter un violon pour son fiancé, le sombre Florencio. Le plus proche témoin est un violoniste aveugle qui dit avoir entendu en venant chez Adrien une étrange mélodie que personne ne semble capable d’identifier. Le vieux violoniste va retranscrire la mélodie et les policiers vont la faire diffuser à la radio dans tout le pays. Bientôt ils reçoivent un coup de fil d’un certain Rogelio qui prétend être l’auteur et résider à Barcelone. Les policiers vont le retrouver dans une bodega, et en l’interrogeant ils vont apprendre que Rogelio avait envoyé sa partition à Lydia Martha. Mais celle-ci ne l’aurait jamais reçue. Entre temps les policiers se sont rendus compte que le professeur Visconti connaissait lui aussi cette partition, et donc qu’il a menti en prétendant le contraire. Et puis Florencio le fiancé de Lydia Martha s’est envolé vers la France, Nice plus précisément où il pense devenir célèbre, grâce à sa virtuosité au violon. Cette fois le duo Revel-Luna se reconstitue sur le sol français. Florencio n’est pas très clair, officiellement fiancé à Lydia, il fait des projets avec une jeune danseuse, Luce, tandis que Rogelio tente de se rabibocher avec Lydia. Bientôt plusieurs indices vont mettre la police sur la piste de Florencio. Celui-ci va avouer à Luce les raisons qui l’ont poussé à tuer Adrien : il voulait s’approprier un magnifique violon au son exceptionnel, et c’est lui qui avait pris la partition de cette mélodie. Il tentera de passer en Italie, mais la justice immanente le rattrapera.

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    A la radio on offre un prix à qui découvrira l’auteur de la mélodie 

    En dehors de la trame policière, le film est une nouvelle célébration de l’entente franco-espagnole. C’est vers cette époque d’ailleurs que se développera le tourisme de masse des  Français vers l’Espagne. Et donc le film essaie de maintenir un certain équilibre entre deux policiers, l’un français, l’autre espagnol, que l’amitié rapproche. De même il y a aussi un certain équilibre entre les décors choisis, la Côte d’Azur et Barcelone. Sur ce scénario on avance que pas moins de six personnes auraient travaillé dont Jésus Franco qui deviendra le réalisateur que l’on sait. C’est le fameux Frank Ladret qui aurait fourni l’histoire. Evidemment ce Ladret est inconnu au bataillon des scénaristes répertoriés. Il aurait fourni aussi l’histoire de Pas de grisbi pour Ricardo, film tourné en 1957 par Henri Lepage sous la houlette de Marius Lesœur. Ce nom peut donc bien cacher quelqu’un d’autre, quelqu’un qui ne veut pas que son nom soit utilisé dans des productions de seconde catégorie, mais qui accepte l’argent pour fournir une histoire simple rapidement. Et de fait il ne semble pas qu’une telle histoire ait demandé beaucoup de temps pour être écrite, même si on y reconnait une certaine originalité avec ces histoires qui greffent l’enquête autour d’une mélodie inconnue.

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    Les deux policiers vont rechercher le compositeur de la mélodie 

    La réalisation est d’abord victime de son budget manifestement étriqué. C’est pauvrement éclairé, sans profondeur de champ. Cependant cela n’excuse pas le manque de rigueur dans le cadre et aussi les difficultés de raccords. L’ensemble a donc un aspect très statique qui déconcerte. Je passe sur les transparences qui accompagnent la poursuite automobile finale. Il y a aussi des décors comme la bodega vide où Luna et Revel découvre Rogelio, dont justement le vide et la pauvreté ne sont pas exploité. Un effort plus important aurait pu être fait pour se servir des décors de Barcelone. Il y a au début du film une volonté de copier les films noirs américains quand on montre le fonctionnement des services policiers barcelonais. Ç’aurait pu donner du cachet au film, mais c’est trop bref. Le film s’égare également sur les relations entre les deux policiers, ce sont des digressions qui plombent le rythme d’un scénario pas toujours facile à suivre.

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    Le professeur Visconti connait-il la partition ? 

    Le clou de l’affaire est sans doute l’interprétation ! La doublette policière est formé d’Howard Vernon, spécialisé dans les rôles de mauvais allemand, qui ici joue le rôle d’un inspecteur français malgré son accent germanique assez prononcé, et de Raymond Gast dans le rôle de Luna. Ce sont eux les « héros » du film. Cela donne un côté assez peu glamour et paradoxalement apporte un certain réalisme. Notez qu’ils travaillent calmement à la manière de Maigret, sans brusquer les choses, en utilisant leur cerveau. Mick Micheyl avec son étrange aspect androgyne est Lydia Martha. Notons qu'elle est lyonnaise d'origine comme Frédéric Dard.  Ce qu’elle fait de mieux dans le film c’est de dévider son répertoire, sinon elle n’arrive pas à faire passer des émotions simples,  comme le fait d’hésiter entre deux hommes ou d’être meurtri par le comportement outrageant de Florencio. Dany Carrel n’en était qu’à ses débuts, elle a encore sa silhouette rondouillarde, mais déjà elle est plutôt pas mal. Carlos Otero est assez lamentable dans le rôle de Florencio. Manuel Monroy  qui est un habitué de ce genre de production jour le rôle de Rogelio, sans plus de conviction que cela.

     Ce soir… les souris dansent, La melodia misteriosa, Juan Fortuny, 195 

    Luce est jalouse 

    Ce film n’est cependant pas un désastre complet. D’abord parce qu’il y a quelques idées de scénario qui surprennent, mais il y a aussi quelque volonté de bien faire parfois dans la manière de filmer, comme par exemple les escaliers qui mènent à l’atelier de Adrien, ou ce long plan séquence d’ouverture du film où l’on suit de dos le professeur Visconti. On note aussi un usage intéressant des flash-back. C’est une sorte de cinéma un peu naïf et bricolé, loin des prétentieuses productions d’aujourd’hui qui tentent de masquer le vide sidéral de leur projet par des motifs formels éculés qui leur tiennent lieu de grammaire. Le film appartient à la collection Les invisibles du cinéma français. On peut appliquer le terme d’invisibles dans les deux sens. En tous les cas c’est bien une curiosité dont il s’agit.

     Ce soir… les souris dansent, La melodia misteriosa, Juan Fortuny, 195 

    La police poursuit Lorencio qui veut s’enfuir en Italie

    Ce soir… les souris dansent, La melodia misteriosa, Juan Fortuny, 195

     Frédéric Dard, Mick Micheyl et Frank Fernandel au Club Saint-Hilaire en

     


    [1] L’arabesque, 1959. Il y a cinq ouvrages d’Yvan Noé, réalisateur de comédies légères avant-guerre, à la fin des années cinquante et au début des années soixante, tous me semblent être de la plume de Frédéric Dard. J’ai déjà parlé de Raccrochez c’est une erreur adapté par Lesœur sous le titre Le cave est piégé, mais il y a aussi l’intéressant Mariage de raison, L’arabesque, 19559, qui reprend le thème du grand nord canadien que Dard avait développé dans ses premières nouvelles, et qu’il utilisera de ci de là encore sous le nom de San-Antonio, Ma cavale au Canada, Fleuve Noir, 1989 ou peut-être aussi sous le nom de James Carter, Ma cavale au Canada, Fleuve Noir, 1971.  

    [2] Certains ont avancé que mon but était de découvrir des pseudonymes pour faire vendre des ouvrages très chers sous le nom de Frédéric Dard. Je les rassure, je ne vends rien du tout, et les ouvrages qui me semblent faire partie de l’œuvre cachée de Frédéric Dard ne coûtent pas bien cher. Et donc même si je me trompe, ce n’est pas dans le but de tromper des futurs clients, mais en toute bonne foi.

    « No temas a la ley, Le cave est piégé, Victor Merenda, 196312 heures d’horloge, Geza Radvany, 1959 »
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