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Cérémonie secrète, Secret Ceremony, Joseph Losey, 1968
Ce film était déjà en 1968 un très vieux projet de Joseph Losey. A l’origine il devait être tourné avec Ingrid Bergman et en Argentine, mais les difficultés de Losey l’en empêchèrent et lui-même ne voulait pas tourner dans un pays de langue espagnole qu’il ne comprenait pas. C’est du moins ce qu’il a dit, parce que justement il avait travaillé en Italie, pays dont il ne connaissait pas du tout la langue, et puis en tournant The Lawless, il s’était rapproché de l’espagnol que parlaient les Mexicains immigrés aux Etats-Unis. Ce film vient, dans la carrière de Joseph Losey, juste après Boom qu’il avait fait avec Elizabeth Taylor et Richard Burton, un film chichiteux et théâtral, chargé de symboles et qui fut un fiasco commercial complet. Notez que ce dernier film était basé sur une histoire de Tennessee Williams, Ceremonia Man, Bring This Up the Road, où l’idée morbide de cérémonie était déjà très présente. Il y a donc une parenté entre ces deux films, au-delà du fait que l’interprète principale est la même. Mais Secret Ceremony est bien moins théâtral, moins stylisé si on veut, il s’apparente plus à une histoire ancrée dans une réalité immédiatement compréhensible. Il est basé sur un roman noir d’un argentin, Marco Denevi. Il faut comprendre que depuis Accident et sa coopération avec Harold Pinter qui a une côte très élevée à cette époque, le succès fuit Joseph Losey. Il ne retrouvera la gloire qu’avec une autre collaboration avec Harold Pinter sur The Go Beetween qui sera un gros succès commercial et critique, obtenant la Palme d’or à Cannes en 1971. Mais en attendant il est dans le trou, alors que paradoxalement il a acquis, du moins Europe, un statut de grand réalisateur, et Secret Ceremony rassemble d’ailleurs toute une équipe de gens qui sont un peu sur le bord de la route, Losey bien sûr, mais aussi Elizabeth Taylor qui n’a plus l’aura du début des années soixante. Joseph Losey considérait que ce film était une de ses plus belles réussites.
Leonora qui vit de la prostitution se rend au cimetière pour se recueillir sur la tombe de sa fille. En chemin une jeune femme, Cenci, semble reconnaitre en elle sa propre mère. Elle entraîne Leonora chez elle, lui propose un petit déjeuner copieux. Et peu à peu Leonora qui n’arrive pas à enlever de la tête de Cenci qu’elle n’est pas sa mère qui est décédée, va s’installer chez elle. Cenci vit en effet toute seule dans une immense et luxueuse demeure à l’architecture compliquée et surchargée d’objets hétéroclites. Si dans un premier temps elle se laisse aller à l’opportunisme de profiter de l’aubaine, Leonora va ensuite se sentir responsable de Cenci. Une certaine complicité semble naître de cette relation baroque. Lorsque les tantes de la jeune femme débarquent, Leonora assiste au pillage de la maison. Elle décide alors d’aller voir ces deux vieilles femmes et les menaces des pires représailles. Puis elle va se confesser. Pendant ce temps Albert, le beau-père de Cenci, qui depuis un moment rodait autour de la maison, va arriver à s’introduire auprès de Cenci et abuser d’elle. Celle-ci fera croire ensuite à Leonora qu’elle a été violée. Cet épisode renforce le sentiment maternel de Leonora qui se sent maintenant responsable de Cenci. Pendant ce temps Albert complote avec les tantes en vue de récupérer l’héritage de Cenci.
Dans le bus qui la mène au cimetière, Leonora fait la connaissance de Cenci
Les deux femmes décident ensuite de partir se reposer au bord de la mer dans un hôtel de luxe. Mais en réalité Cenci l’a fait savoir à Albert. Elle essaie aussi vainement de faire croire à Leonora qu’elle est enceinte, mais la supercherie ne fonctionne pas. Tandis que Cenci fait du cheval, Albert vient à la rencontre de Leonora et la menace avec des propos orduriers. Il prétend être le tuteur légal de Cenci et aussi qu’il a eu des rapports sexuels avec sa belle-fille depuis qu’elle a quinze ans. Leonora l’envoie promener, mais elle surprendra Albert et sa belle-fille en train de copuler sur la plage quand le soir tombe. Complètement écœurée, elle a une altercation violente avec Cenci. Celle-ci qui retrouve des manières arrogantes la traite comme une domestique et la chasse. Après que Leonora ait regagné Londres, Cenci décide d’en finir avec la vie. Elle va avaler un flacon de cachets, des somnifères, sans doute. À ce moment-là Leonora revient la voir, leur discussion est plus ou moins enjouée et Leonora demande à revenir, mais Cenci la chasse d’une manière des plus cruelles. Lorsque Leonora s’en va, mortifiée, elle tentera cependant de la rappeler, mais c’est bien trop tard, le poison a fait son effet et elle meurt. Alors que le corps de Cenci est exposé dans son cercueil, Leonora en grand deuil vient la veiller. A ce moment-là, Albert arrive à son tour. Leonora s’approche de lui et le poignarde à mort.
Leonora s’est installée avec Cenci dans la vaste demeure
Contrairement à ce qu’on a dit, l’histoire est assez simple et linéaire. Mais ce qui sème le trouble ce sont les intentions du réalisateur. On voit bien les différents éléments qui composent le film, la folie de Cenci, l’opportunisme et la culpabilité de Leonora, ou encore le caractère prédateur d’Albert. Tout cela cependant d’indique aucune direction. La deuxième réflexion qu’on se fait en sortant de ce film, c’est le caractère très théâtral du film. il y a essentiellement trois acteurs et une surabondance de dialogues, comme au théâtre. Notons d’abord que c’est un film de femmes. Il y a Leonora, Cenci et les deux tantes rapaces. Bien entendu l’ambiguïté des deux principaux personnages est constante, celle d’Albert pas du tout, il est le parfait salaud qui s’affirme tel qu’il est. Si le film repose principalement sur les rapports entre Leonora et Cenci, on peut déjà se débarrasser des personnages périphériques. Dans ce film empreint d’une religiosité ambigüe, on nous précise bien que les deux tantes rapaces sont juives et d’ailleurs se regarderont de travers lorsqu’elles devront se signer devant le cadavre de Cenci. C’est une précision assez douteuse. Celle-ci renvoie à une partie du dialogue quand Leonora comparera son existence depuis la mort de sa fille à celle du Juif errant ! Sachant la proximité d’Elizabeth Taylor avec la judéité, c’est un peu douteux. Mais glissons, le scénariste de ce film, George Tabori, étant lui-même d’origine juive.
Fascinée par le luxe, de la maison, Leonora adopte les tenues de la mère de Cenci
Albert, le beau-père prédateur, est plus conforme à ce qu’on attend de Losey dans la mise en scène de personnage sadiques. Il est rusé, manipulateur, cupide. Les deux femmes ont d’abord des relations opportunistes. Cenci qui est une grande manipulatrice, va amener Leonora a joué exactement le rôle qu’elle a prévu pour elle. Pour cela elle se donne des allures de jeune-fille qui met en avant sa virginité ! Mais elle joue également de sa détresse qui au fond est bien réelle. Pourquoi se laisse-t-elle abuser par son beau-père ? Les réponses sont ouvertes : on peut penser qu’Albert est encore plus manipulateur qu’elle, ou alors qu’elle a un vrai désir sexuel pour lui. Leonora est plus simple. Certes, elle se laisse aller à un opportunisme de circonstance, fascinée qu’elle est par le luxe. Mais à travers de la culpabilité que la mort de sa fille lui a donnée, elle finit par rentrer dans le jeu et se trouver responsable d’une fille de substitution. Cette première approche des caractères des deux femmes est consolidée par des rapports de classes qui semblent s’inverser de temps à autre et qui rappellent The Servant, le film de Losey de 1963. On retrouve les rapports de domination, Cenci reprenant son rôle de « dominant » pour forcer Leonora à s’humilier, à quémander son retour à la maison.
Les tantes de Cenci sont venues piller la maison
Les éléments décrits ci-dessus surplombe en réalité une histoire qui commence par une rencontre et qui se termine par un suicide et un meurtre. Cette histoire est totalement invraisemblable et mal articulée. Elle va reposer presqu’exclusivement sur la réalisation du sujet, la mise en scène et l’interprétation. Cette orientation va non seulement s’appuyer sur une quantité invraisemblables de symboles, mais sur une atmosphère claustrophobique qui utilise pratiquement un seul décor. Ce décor était la fierté de Losey qui disait l’avoir découvert presqu’un peu par hasard. C’est un décor baroque, avec des entrées multiples, un jardin sur le devant, et surtout peuplé d’objets nombreux, riches mais hétéroclites. Cette maison est un personnage à part entière, en ce sens qu’il détermine le comportement de ceux qui y habitent. C’est toujours la vieille idée matérialiste qu’on trouve chez Losey dans presque tous ses films. Le second décor d’importance est l’église ou Leonora va prier, se confesser. On peut faire le parallèle entre les deux, ce sont des lieux étouffants qui enferment les individus dans leur folie. Dans les deux cas ils suscitent les formes cérémoniales et extérieures aux personnages, formes qui les guident vers leur perdition. Quand Leonora pénètre pour la première fois dans cette étrange demeure, elle est comme absorbée par les vieilles pierres. Cette maison représente aussi un monde vieux, finissant, celui d’une aristocratie qui n’existe déjà plus. Riche, on comprend que la famille de Cenci est très riche, elle étalera même son argent devant la modeste Leonora. Mais qu’elle soit d’origine aristocratique, ça c’est Losey qui nous le dit !
Leonora est venue régler ses comptes avec les tantes
Le personnage répugnant d’Albert est le pivot du film. C’est par lui que les choses arrivent. Froid et calculateur, aimant dominer et faire le mal, c’est le portrait d’un intellectuel qui rationalise la moindre de ses actions. Il raconte aux vieilles tantes qu’il est professeur, mais on n’en sait rien, car c’est aussi un menteur. Il semble au contraire avoir eu des problèmes avec la justice à cause de ce qu’il appelle son libertinage. L’attitude d’Albert renvoie cependant à un problème plus large, celui de la dépendance des êtres humains entre eux. Dans le trio infernal qui nous est présenté, chacun utilise l’autre pour son profit. Et derrière sa folie apparente, Cenci n’est pas la dernière. Insistait sur le fait cependant qu’au bout du compte seule Leonora restera vivante de cette épreuve. Il liait ce destin au fait qu’elle avait l’habitude de la rue. Cependant, si on comprend bien dès le début que Leonora vit de la prostitution, c’est une image symbolique de cette activité. Elle semble seule et n’avait par de maquereau, ce qui est assez peu réaliste. Tout cela fait apparaitre les trois personnages comme des idéal-types et non comme des personnages réels. Ils sont tout autant symboliques que la maison et les objets qui la peuplent. C’est sans doute cela qui fait que le spectateur reste assez en dehors de cette histoire.
Albert est parvenu à se saisir de Cenci
Au bout du compte le scénario apparait comme assez déséquilibré. L’épisode des tantes qui pillent assez mollement la maison, est censé être un épisode comique qui donnerait un peu de légèreté au film. C’est assez raté. Mais les déséquilibrent viennent d’abord du tempo. Le film est assez long, 1 h 50, et Losey passe beaucoup de temps dans les débuts à décrire le développement des rapports assez louches entre Cenci et Leonora. Si bien qu’Albert apparait tardivement, alors que la mécanique de l’histoire c’est bien une tentative de captation d’héritage. De même il perd beaucoup de temps, par rapport à l’histoire proprement dite, à filmer les objets et la maison. Avait-il besoin d’autant de temps pour nous donner à comprendre le rôle de ce décor ? Je ne le pense pas. L’atmosphère est lourde, c’est celle d’une claustration, et c’est pourquoi l’épisode au bord de la mer apparait comme plutôt incongru, tandis que la visite au cimetière, à l’église ou même aux tantes rapaces, peuvent tout à fait se justifier du point de vue narratif.
Leonora croie que Cenci a été violée
De la même manière l’épisode où Cenci fait semblant d’être enceinte est plutôt grotesque. Était-il besoin de lui donner l’apparence d’un ventre déjà gonflé ? Elle aurait seulement pu se contenter de tromper Leonora en donnant des signes de sa grossesses, sans passer par une caricature qui justement ne trompe personne. C’est un peu comme si on avait ajouté des épisodes sans intérêt du point de vue de la dynamique du film, afin d’éviter que l’histoire ne tourne trop rapidement en rond. Quand, à l’hôtel, Cenci a manifestement invité Albert à la rejoindre, on ne sait pas si elle le fait dans le but de détruire Leonora, ou simplement parce qu’elle désire avoir des rapports sexuels avec lui. Mais comme par ailleurs elle provoque en permanence celle à qui elle a donné le statut de mère, il se trouve que cette démonstration a quelque chose de destructeur qui devient assez incompréhensible. En effet pourquoi s’inventer une nouvelle mère si c’est pour ensuite la détruire ? Quel est le rôle d’Albert dans ce revirement ? Personne n’en sait rien, et probablement Losey non plus !
Albert combine avec les tantes pour récupérer l’argent de Cenci
Losey avait obtenu semble-t-il un solide budget pour ce film. Cela venait d’Elizabeth Taylor elle-même qui, après Boom avait envie de retravailler avec Losey, même si Boom n’avait pas été un succès commercial. Le rencontrant à Rome, elle lui dit qu’elle avait trouvé un producteur et elle lui demanda de trouver un sujet. Le producteur avait d’ailleurs pré-vendu le film à la télévision, ce qui réglait le problème du retour sur investissement, mais qui ne sera pas conséquence pour autant. Cette relative aisance permis de donner une allure très soignée à la mise en scène. Et sans doute que Losey comptait sur sa technique pour donner au film une atmosphère particulière, glauque et ténébreuse. Mais en réalité la technique ne sauve jamais une histoire qui est bancale.
Leonora et Cenci vont sur le bord de mer
Si nous regardons uniquement le film du point de vue de la technique, nous remarquons deux choses, la première est le jeu sur les couleurs, bien aidé par la très bonne photographie de Gerry Fisher. Il y a donc une opposition entre les couleurs sombres et ténébreuses de la maison et de l’église et les couleurs plus violentes des robes de Leonora ou de Cenci. Cette violence des couleurs se retrouve dans les fleurs, ou encore lorsque Leonora pique-nique sur la plage. C’est ce genre de chose qui sera beaucoup développé dans la suite par le Giallo, notamment par Bava et Argento. Le second point est l’attention portée par Losey à l’architecture. Cela l’oblige à utiliser la verticalité des décors, et notamment de produire des effets de grue à l’intérieur de l’église, ou dans l’entrée de l’étrange demeure qui va accueillir Leonora. Comme à son habitude, Losey va utiliser des larges mouvements latéraux de caméra pour accélérer les mouvements des acteurs. Il y a une scène assez compliquée quand, vers la fin, Leonora vient revoir Cenci avant qu’elle ne meure à cause du poison. Leonora débite un monologue assez long en se déplaçant autour de Cenci, et bien sûr le caméraman doit la suivre avec la caméra sur l’épaule. Losey était très fier de cette scène qui doit bien sûr beaucoup au talent d’Elizabeth Taylor, mais en la revoyant on se dit que c’est peut-être là une coquetterie inutile.
Cenci fait semblant d’être enceinte
Le montage est vif, passant des gros plans aux plans d’ensemble avec beaucoup de facilité. Et cela compense un peu la lenteur du développement de l’histoire. Mais cela n’évite pas l’aspect théâtral du film. Je sais bien que c’est volontairement que Losey évite de filmer ses personnages en extérieurs, mais justement cela contribue à obscurcir une histoire pourtant relativement simple.
Albert se présente en prédateur
L’interprétation c’est d’abord l’opposition entre Elizabeth Taylor qui joue Leonora avec beaucoup de finesse et d’énergie. Sûre de son talent, elle domine complètement le film. Manifestement cette grande actrice n’a pas eu la carrière qu’elle méritait. Mia Farrow interprète Cenci. Un nouveau rôle de folle donc. Elle avait auparavant obtenu un triomphe dans Rosemary’s Baby. Mais selon Losey elle avait beaucoup de problème avec Frank Sinatra dont elle s’était séparée. Elle joue ici une jeune femme qui refuse d’abandonner l’enfance. Physiquement elle est très bien, je veux dire, très bien pour le rôle auquel elle donne une grande crédibilité. Mais de temps à autre elle se laisse un peu trop aller au cabotinage sautillant. Elle manque un peu de sobriété dans le jeu. Le troisième personnage est Albert, interprété par Robert Mitchum. Il s’est très mal entendu avec Losey. Sans doute n’a-t-il pas compris son rôle. Nous non plus. Ou peut-être a-t-il été déçu d’être si peu présent à l’écran. Son jeu est assez convenu, et la fausse barbe qu’il traine dans la première partie du film est assez ridicule. Les autres acteurs, n’existent pas, sauf les deux femmes qui interprètent les deux tantes, mais elles ne sont que des mauvaises caricatures.
Leonora s’humilie pour se rapprocher de Cenci
Le film a été assez apprécié par la critique. Les entrées en salle ont été médiocres. Cependant le film a atteint facilement la rentabilité justement à cause de son achat par la télévision. Mais la chaîne qui l’avait acheté trouvant le film incompréhensible lui rajouta deux scènes explicatives, sans qu’on sache qui les a tournées ! Ce qui fait que la bonne version est plus courte d’une vingtaine de minutes que cette version caviardée ! Avec le recul, le fim nous apparaît comme une succession de scènes brillantes mais sans contenu. On l’a compris ce n’est pas un des films de Losey que je préfère, même si je le trouve moins prétentieux que Boom.
Leonora est venue saluer la dépouille de Cenci
Il existe depuis quelques années une belle édition en Blu ray chez Elephant. Très soignée dans sa réalisation, elle comporte plusieurs bonus intéressants, une interview de Losey par Michel Mourlet, une belle présentation du film par Nachiketas Wignesan qui faity aussi un parallèle entre ce film et The Servant, et encore une longue interview du fils de Joseph Losey.
Leonora a poignardé Albert
Tags : Joseph Losey, Elizabeth Taylor, Mia Farrow, Robert Mitchum, Marco Denevi
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