• Chasse à l’homme, Man hunt, Fritz Lang, 1941

     Chasse à l’homme, Man hunt, Fritz Lang, 1941

    Ce n’est pas un simple film de propagande au scénario un peu simpliste destiné à soutenir l’effort de guerre américain. C’est d’abord un film un peu bâtard qui hésite en permanence entre le film d’espionnage, la comédie légère et le film noir. C’est aussi bien ce qui en fait son intérêt que ce qui en limite la portée. Le scénario qui s’appuie sur un ouvrage obscur est dû au grand Dudley Nichols. Thorndyke est un riche chasseur anglais qui veut se prouver qu’il est possible d’assassiner le Führer pour peu  qu’on s’en donne les moyens. Il va ainsi s’approcher de sa résidence de Berchtesgaden armée d’un fusil à lunette. Mais s’il tient au bout de sa mire  Hitler, il n’appuie pas sur la gâchette pour autant. Repéré il va être arrêté et interrogé par le major qui s’occupe de la sécurité. Il veut que Thorndyke avoue qu’il a été commandité par la Grande-Bretagne pour assassiner le Führer. Cela aidera effectivement l’Allemagne pour justifier ses entreprises guerrières. Thorndyke, malgré la torture refuse de signer. Devant cette obstination, les Allemands décident de s’en débarrasser en le jetant dans un ravin pour faire croire à un accident. Mais Thorndyke survit et parvient à rejoindre Londres. Les espions allemands le poursuivent jusque-là. Il leur échappe en se réfugiant chez une fille simple, Jerry qui va tomber amoureuse de lui. Une ébauche d’idylle se met en place entre cet aristocrate distingué et une pauvre jeune fille naïve et sans ressources.  

     Chasse à l’homme, Man hunt, Fritz Lang, 1941 

    Thorndyke arrive près de la résidence d’Hitler, armé d’un fusil à lunette 

    Mais les nazis continuent leur traque. Thorndyke ne peut espérer l’aide du gouvernement qui serait embarrassé sur le plan diplomatique. Il va leur échapper plusieurs fois, dans le métro notamment. Mais ils vont le piéger en kidnappant la jeune Jerry. Dès lors ils peuvent découvrir sa cachette dans les bois. Le major lui demande de signer toujours le même document, et lui annonce froidement qu’il a assassiné Jerry. Four de rage Thorndyke va ruser pour à son tour piéger le major. L’ayant tué, il va s’engager dans l’armée et sautant en parachute, il se fixe pour objectif, pour le bien de l’humanité, de retourner à Berchtesgaden pour tuer Hitler.

    Chasse à l’homme, Man hunt, Fritz Lang, 1941  

    Le major veut faire avouer Thorndyke 

    Il est évidemment facile de souligner les absurdités grotesques d’un tel scénario. Rien n’est réaliste dans cette histoire, et surtout pas la façon dont Thorndyke liquidera le major avec un arc et des flèches de fortune. Donc l’intérêt va se trouver ailleurs. Principalement dans la mise en scène de Lang. Il arrive en effet à passer de l’exigence de la propagande à la mise en valeur d’une idylle légère qui oppose finalement deux classes sociales qui s’ignore. Ainsi Thorndyke découvrira le plaisir qu’on peut prendre à déjeuner de Fish and chipes enveloppés d’un papier journal en utilisant ses doigts en guise de fourchette. Ou encore Jerry va pénétrer pour la première fois dans l’univers des très riches personnes et s’affronter avec la belle-sœur de Thorndyke. C’est bien le résultat de la guerre que d’obliger ainsi les classes sociales à s’unir et à se découvrir. Le personnage de Jerry montre évidemment la simplicité immédiate des classes pauvres : alors que Thorndyke est un peu coincé et va dormir sur le canapé, elle sera la première à lui avouer ses sentiments. Du reste de ne pas avoir fait un pas vers elle sera finalement le grand regret de Thorndyke. Il y a une étude de caractères qui est intéressante. Thorndyke, bien qu’il représente la démocratie en marche, n’est pas très clair dans ses intentions face au major qui l’interroge. Il finira par avouer d’ailleurs qu’il avait bel et bien des envies de meurtre quand il s’est fait arrêter dans les bois.

     Chasse à l’homme, Man hunt, Fritz Lang, 1941 

    Grâce à Jerry, Thorndyke trouve à se cacher 

    L’autre intérêt du film est qu’il est filmé à la manière du film noir des années quarante, avec les ombres et les lumières, ce qui montre à quel point finalement le film noir est l’héritier de expressionnisme allemand. Fritz Lang est à ce titre un passeur. Quelques scènes magistrales ressortent du lot : évidemment la poursuite dans le métro qui est un modèle du genre et qui inspirera ensuite un grand nombre de réalisateurs de Rudolph Maté à Jean-Pierre Melville. On remarque au passage que Lange utilise les effets visuels des tunnels et des trous par lesquels la peur se manifeste. C’est aussi un film nocturne, avec les images d’un port assoupi autant que dangereux, ou encore les relations qui se nouent entre Thorndyke et Jerry dans l’appartement de celle-ci. Il y a une grande maîtrise technique, avec une multiplication des plans de plein pied.

     Chasse à l’homme, Man hunt, Fritz Lang, 1941 

    Dans le métro le cruel Jones poursuit Thorndyke 

    L’interprétation est tout autant maitrisée. Walter Pidgeon interprète Thorndyke d’une manière nonchalante et élégante, c’est seulement quand il apprendra la mort de Jerry qu’il explosera de colère. Mais Joan Bennett est plus remarquable dans le rôle de Jerry. Elle apporte une lumière que sans doute Lang appréciera puisqu’il la réengagera encore trois fois par la suite dans des classiques du film noir. Elle avait commencé sa carrière du temps du muet, et elle était une actrice confirmée.  Le troisième personnage est incarné par George Sanders dans le rôle du major allemand qui hésite entre distinction aristocratique et fanatisme. Il est très bon comme presque toujours. Enfin il y a John Caradine dans le rôle du cruel Jones l’homme de main cruel et obstiné. Son physique parle pour lui, il nous a effectivement habitués à ces rôles de tordus.

    Chasse à l’homme, Man hunt, Fritz Lang, 1941  

    Thorndyke et Jerry doivent se séparer 

    L’ensemble finit par ressembler aux Hitchcock de la période anglaise, à cause sans doute de la niaiserie sous-jacente du scénario. Mais en mieux toutefois, Lang étant plus ferme dans ses convictions, même si la reconstitution d’un Londres de studio laisse un peu à désirer. On notera que ce n’est pas le seul film de propagande que Lang aura mis en scène. En effet, Man Hunt fait partie d’une trilogie avec Espions sur la Tamise et Les bourreaux meurent aussi. Un peu comme si ces films justifiaient son exil. En tous les cas celui-ci s’inscrit véritablement au tout début de la grande période du film noir américain, même si l’ambiguïté du scénario n’est pas tout à fait satisfaisante. Mais qu’importe il y a suffisamment de qualités dans ce film pour qu’il résiste au passage du temps, même si bien évidemment c’est très loin d’être parmi les meilleurs films de la période américaine de Lang.

     Chasse à l’homme, Man hunt, Fritz Lang, 1941 

    La major veut piéger Thorndyke

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