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Par alexandre clement le 21 Décembre 2014 à 05:30
The deer hunter restera le chef d’œuvre incontestable de Cimino. C’est aussi son plus grand succès commercial et critique. Beaucoup insistent sur les qualités de Heaven’s gate ou de Year of the Dragon. Certes ces deux films ont des qualités, mais aucun n’arrive à rivaliser avec The deer hunter. Deux raisons à cela, la rigueur du scénario et le casting impeccable. Comme disait Melville, pour faire un bon film, il faut un bon scénario, de bons acteurs et une bonne mise en scène. Si l’un de ces éléments est défaillant, alors c’est l’ensemble qui en pâtît. Eu égard cette remarque l’insuccès de Heaven’s gate n’est pas démérité, en effet le scénario est assez décousu, les acteurs ne sont pas très bons, et la mise en scène est trop précieuse pour être honnête. Des sept longs métrages que Michael Cimino a signé, seuls The deer hunter, The year of the dragon et dans une moindre mesure The sunchaser résistent à l’outrage du temps.
Des ouvriers qui travaillent dans une fonderie
Dans une petite ville de Pennsylvanie, au sein d’une communauté russe, trois ouvriers vont partir pour le Vietnam. L’un des trois, Steven doit se marier avant. Ils passeront leur nuit à danser, boire, et au petit matin ils partent à la chasse au daim. Au Vietnam ils seront faits prisonniers et détenus dans des conditions atroces où Nick et Michael apprendront à jouer à la roulette russe. Mais ils parviendront à s’échapper, Michael portant Steven sur son dos et traversant le Vietnam où se consomme la défaite de l’armée américaine. De retour au pays, Steven devra être amputé, et Michael va retrouver Linda qui était fiancée avec Nick. S’habituant mal à la vie civile, Michael va retourner au Vietnam à la recherche de Nick. Il le retrouvera, mais ce sera pour mieux le perdre : drogué, il joue sans discontinuer à la roulette russe et finira par en crever. Michael reviendra aux Etats-Unis et une nouvelle histoire d’amour s’ébauchera entre lui et Linda.
Le mariage avant le départ pour le Vietnam
C’est un film très noir, mais dont le pessimisme est atténué par la noblesse et la grandeur d’âme des personnages issus d’une communauté ouvrière. Il est très long, plus de trois heures, mais cette durée est tout à fait justifiée par la nécessité de pénétrer l’âme des protagonistes. La scène du mariage détaille à travers un rituel suranné l’essence d’une culture prolétaire. Il en va de même avec la chasse, qui au-delà de la métaphore avec la guerre est la manifestation orgueilleuse d’une appartenance à une classe sociale. Le film comporte trois moments : avant le départ au Vietnam, la guerre proprement dite et enfin le retour. Si c’est les scènes du début qui prédominent, les préparatifs du mariage, le travail à la fonderie, la chasse, c’est avant tout parce qu’elles parlent de ce monde que nous avons perdu. En effet après la fin de la guerre du Vietnam les Etats Unis se lanceront dans le programme de mondialisation de l’économie qui finira par liquider leur propre classe ouvrière. C’est peut-être dans le témoignage de ce qu’est ou de ce qu’a été la classe ouvrière que le film atteint à la grandeur. Après tout, les films qui mettent en scène la classe ouvrière ne sont pas si nombreux que ça, même s’ils étaient plus fréquents dans les années soixante-dix.
Steven, Nick et Michael arrivent à s’enfuir
Bien évidemment les scènes spectaculaires de la guerre et de la roulette russe sont pour beaucoup dans le succès commercial du film, mais la grâce de Cimino s’est justement de s’appuyer sur cette dynamique pour mettre en valeur la générosité des héros ordinaires. Cependant chez Cimino il y a bien autre chose que l’utilisation des effets, par exemple, cette façon de se saisir de l’espace, d’opposer les espaces clos et les larges panoramiques des montagnes, la ville encaissée dans la vallée. Il a ce talent de saisir la profondeur de champ. La scène du mariage, puis du bal qui s’ensuit donne également toute la dimension du talent de Cimino. Il a cette manière précise de saisir le mouvement de la foule dans son épaisseur. Ce qui ne veut pas dire que les scènes plus intimistes ne sont pas réussies. Au contraire, dès qu’on redescend au niveau de la vie ordinaire, dans les rencontres entre Linda et Michael par exemple, c’est aussi très émouvant.
Michael retrouve Nick dans un tripot de fin du monde
Le film a été tourné en 1978 alors que les blessures de la guerre du Vietnam étaient encore ouvertes. Il s’appuie sur une reconstitution minutieuse d’un milieu, d’une époque – l’inverse si on veut de ce qui sera fait pour Heaven’s gate – les lieux, les objets, des automobiles au fusil de chasse, de l’intérieur du bistrot à la supérette, donnent ce sentiment de vérité. L’hyperréalisme des situations n’empêche pas pour autant le lyrisme, c’est même le contraire. La scène finale où les amis qui restent vont chanter God bless America est d’une grande intensité. Elle aurait pu être niaise, donner un tour conservateur au film, mais la simplicité de sa mise en scène lui donne une pureté et une grandeur qu’on comprend parfaitement.
Michael retourne chasser mais il ne tuera pas le daim
La distribution est exceptionnelle. Certes elle est dominée par Robert De Niro qui trouve là un de ses meilleurs rôles. Mais tous les autres acteurs sont impeccables. Meryl Streep dans le rôle de Linda est à la fois très digne dans le malheur et sobre dans son expression. John Cazale dont se fut le dernier film – il mourut quelques temps après d’un cancer du poumon – et qui était à l’époque le compagnon de Meryl Streep, joue parfaitement de sa fragilité apparente. Christopher Walken est Nick, halluciné et drogué, c’est ce film qui lancera vraiment sa carrière. John Savage est très bien aussi. S’il fut découvert à cette occasion, il tourna par la suite Marias’lover, un autre très bon film. Ici il est Steven, un jeune homme peu équipé pour affronter les difficultés, que ce soient celles qui l’obligent à se marier, aussi bien que celles de la guerre et de ses séquelles, il finira amputé, cloué sur un fauteuil à roulette. Donnons encore une petite mention spéciale à George Dundza dans le rôle de John. Mais les personnages les plus secondaires sont particulièrement justes.
Malgré les tragédies ils se retrouveront pour chanter God bless America
J’avais vu The deer hunter à sa sortie en salles, et j’avais été très impressionné, aujourd’hui il est disponible dans une version HD, qui respecte le montage de Cimino. C’est devenu au fil du temps un film incontournable. L’émotion reste intacte.
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Par alexandre clement le 24 Septembre 2014 à 06:47
The homesman est un western qui s’inscrit dans une nouvelle lignée qui refuse aussi bien la glorification de l’Ouest que les conventions des films d’action. Il va mettre en scène des gens plus qu’ordinaires, frustres, vivant dans une difficulté permanebte et le danger omniprésent. C’est une tendance récente à laquelle on peut rattacher du reste True grit, le film des frères Coen, mais aussi Les fugitives dans lequel Tommy Lee Jones joue un personnage un peu similaire. C’est un film tristen pour ne pas dire sinistre.
La courageuse Mary Bee défriche son arpent de terre toute seule
Mary Bee Cuddy est une femme seule, qui commence à prendre de l’âge, exploitant toute seule un lopin de terre, elle aimerait bien se marier, au moins pour avoir quelqu’un qui l’aiderait à sa tâche. Elle n’est pourtant pas très regardante. Mais elle a mauvais caractère. Probablement fait-elle peur. La petite communauté de pionniers à laquelle elle appartient va être frappé par des intempéries qui non seulement détruisent les cheptels et les récoltes, mais également rendent folles trois femmes. La communauté va décider de s’en séparer et donc de transférer ces femmes perdues vers une ville où elles seront accueillies par une femme de pasteur. Mais pour les emmener à la ville le chemin est long et dangereux. C’est Mary Bee qui s’y collera. Emportant ces folles dans un chariot fermé et garni de barreaux, elle va croiser la route d’un homme qui est menacé de pendaison et qu’elle va sauver. En échange elle demande à ce George Briggs de l’accompagner dans son périple et de l’aider.
Ensemble ils vont affronter toute sorte de dangers. Quand ce ne sont pas les indiens, des Crow plutôt menaçants, ce sont des convoyeurs cupides et cruels. Et puis gérer les folles n’est pas une synécure, comme affronter les nuits glaciales. Mary va même se perdre et mettra deux jours à retrouver Briggs. A bout de nerfs, elle veut faire l’amour avec Briggs qui dans un premier temps refuse. Mais au matin elle s’est pendue. Finalement Briggs ramènera les trois folles chez la femme du pasteur et touchera l’argent qui lui a été promis, sauf que cet argent est de la monnaie de singe.
Briggs sera pendu si le cheval remue
Si par son ton The homesman s’apparente à True grit et aux Disparues, la réalisation est tout à fait dans la lignée du premier film réalisé par Tommy Lee Jones, Trois enterrements. Comme dans ce film une place importante est donné à une nature à la fois attirante et inquiétante. Et le voyage est aussi une quête, uen épreuve qui transforme les protagonistes en faisant ressortir leur humanité. Le rythme est lent, probablement trop lent, parfois languissant. On peut parler pour cela d’un demi-succès. Sans doute est-ce aussi cela qui en explique le demi-échec. Si la critique s’est montrée enthousiaste, le public n’a pas vraiment suivi. On ne sait pas encore quel accueil lui réservera le public américain, il ne sortira qu’à la mi-novembre. Le film a été produit par Tommy Lee Jones lui-même sous la couverture de la firme de Luc Besson, un peu comme si ce film devait être réservé à un public européen.
Mais le simple fait que la thématique de ce western soit très proche des films que j’ai cité plus haut, lui donne un côté un peu déjà vu. Il est en effet à la mode dans le néo-western de mettre en avant des caractères féminins déterminés et courageux. Du reste on retrouve dans un petit rôle l’héroïne de True Grit, Hally Steinfeld.
Sur les hauts plateaux règne le froid
La distribution est dominée par hilary Swank qui joue de son physique plutôt atypique, Tommy Lee Jones jouant comme à son, ordinaire le vieil homme un peu bourru mais qui au fond possède un grand cœur. Il en fait d’ailleurs parfois un peu trop. Meryl Streep fait juste une apparition dans le rôle de la femme du pasteur qui accueille les femmes folles. Vieillie, elle est bien sûr très juste.
Briggs doit affronteer un convoyeur particulièrement vindicatif
L’hôtel n’ayant guère été accueillant, Briggs lui mettra le feu
La mise en scène vise une certaine sobriété dans la mesure où elle se refuse à en rajouter dans les scènes dramatiques et dans scènes d’action. Mais il y a quelques bons moments de cinéma, notamment l’affrontement de Briggs avec le convoyeur qui veut s’emparer d’une des folles pour un usage personnel. Si la nature n’est pas magnifiée, si elle est filmée dans toute sa rudesse, il en émane tout de même une certaine poésie à laquelle on se laisse prendre. La dureté de la condition humaine dans l’Ouest profond, renvoie à la religion comme une nécessité qui permet de gérer les conflits de mettre de l’ordre au sein d’une communauté déboussolée par ses malheurs.
La femme du pasteur réconforte Briggs
Le film se verra sans déplaisir, mais sans trop d’étonnement non plus. Il passera sans doute difficilement le cap des années.
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Par alexandre clement le 4 Juin 2014 à 18:05
Roger Corman est surtout connu en France pour ses adaptations d’Edgar Poe. Mais ce réalisateur prolifique a touché un peu à tous les genres. Du film noir au film de guerre en passant par le western. Il est aussi un producteur important qui obtint assez rapidement son indépendance par rapport aux studios. A ce titre il lança un certain nombre de réalisateurs importants dont Francis Ford Coppola. Evidemment la prolixité de son œuvre engendra aussi un grand nombre de mauvais films. Mais il avait un savoir-faire important qui lui permit de réaliser un grand nombre de films à petit budget, tournant rapidement avec des acteurs souvent de second rang, ou en perte de vitesse, toujours bien dirigés. Gunsliger – qui veut dire « le flingueur » - est un très bon cru.
Rose est la femme du Marshall. Quand celui-ci se fait assassiné sous ses yeux, elle se propose de le remplacer au pied levé, en attendant qu’arrive un homme de loi pour reprendre les choses en main. Rapidement elle se heurte à la tenancière d’un saloon, Erica, qui viole allégrement la loi et qui poursuit le but de racheter des terres sur lesquelles passera peut-être le futur chemin de fer. Erica va engager un tueur à gages, Cane Miro, un ancien soldat confédéré qui a vécu de façon amère la défaite et qui poursuit aussi comme but de tuer le maire de la ville, Gideon Polke, qu’il accuse d’avoir fait perdre une bataille décisive dont l’issue aurait selon lui changé le sort de la guerre.
Rose n’a pas froid aux yeux et prend le fusil pour venger son mari
Erica manipule tout le monde, de son barman qui est follement amoureux d’elle, jusqu’à ses danseuses qu’elle envoie régler son compte à Rose. Mais entre-temps, Rose va développer une idylle avec le mélancolique Cane Miro, ce qui ne la freinera pas pour autant dans la poursuite de la mission qu’elle s’est donnée. Elle nettoiera la ville, tuera Erica et Cane Miro, et puis lassée de cette violence, elle s’en ira vers sa destinée.
Comme on le voit l’histoire imaginée par Roger Corman est assez simple. Mais c’est un véhicule pour développer des thèmes finalement assez modernes. Le scénario fourmille d’idées. A commencer par le fait que l’histoire repose sur l’affrontement de deux caractères féminins forts et déterminés. D’un côté la cupide Erica qui est prête à tout sacrifier pour devenir la maitresse de la ville et arrondir sa fortune, de l’autre Rose dont le sens du devoir, et la morale bien particulière, lui imposent de venger son mari et d’en finir avec la canaille. Rose est pourtant une femme qui a des sentiments et qui se trouve toujours à deux doigts de succomber aux avances du tueur payé par Erica. Il y a aussi la jalousie, celle d’Erica qui voit Cane Miro lui échapper, celle aussi de Jake qui se consume d’amour pour Erica et qui ne supporte pas de la voir flirter avec le tueur vêtu de noir.
Gideon donne l’étoile du marshall à Rose avec les pouvoirs de police
Les séquelles de la guerre de sécession sont aussi très présentes, elles expliquent la marche funèbre de Cane Miro vers sa propre destruction parce que justement il a aussi une forme de morale particulière qui le pousse aussi bien à se venger de Gideon tout en honorant son contrat qui devrait l’amener à tuer Rose pour le compte d’Erica. Le lâcher Gideon qui s’est bien mal conduit pendant la guerre trouvera aussi une forme de rachat en affrontant Cane Miro seulement armé d’une fourche.
L’ambiguïté est toujours présente. D’abord celle de Rose, la véritable héroïne de cette histoire. Si elle ne faillit pas à sa mission qui est de venger son mari et de rétablir l’ordre, elle n’en est pas moins femme et se laisse embrasser par le tueur, manifestant ainsi une sexualité trop bridée par les conventions sociales.
Erica se sert de ses atouts pour manipuler Cane Miro
Le film est rondement mené, les scènes de violence se succèdent sans faiblir. Le pré-générique annonce la couleur, le lâche assassinat du Marshall conduit Rose à prendre les armes et à tuer sans état d’âme. Et puis il y a l’affrontement à mains nues entre Erica et Rose dans le saloon. Le rythme est bon, le montage serré. On ne perd pas de temps dans des palabres. Ce qui compense largement la maigreur évidente des moyens à la disposition de Roger Corman.
Rose essaie de protéger le lâche Gideon
Une telle entreprise ne peut réussir que si les acteurs amènent de la crédibilité aux caractères. Beverly Garland qui a fait l’essentiel de sa longue carrière à la télévision, est Rose. Elle apporte beaucoup d’énergie à son interprétation, à la fois déterminée et sensuelle. Allyson Hayes est Erica, une femme tout aussi énergique et battante, c’est la mauvaise fille qui n’a pas l’ombre d’un sentiment amoureux et qui foule aux pieds les prétentions des mâles à l’attirer dans leurs filets. Elle déborde de sensualité, mais manipulatrice, elle ne poursuit que son propre enrichissement. La petite histoire veut que les deux actrices principales se soient détestées et affrontées durant tout le tournage du film. Peut-être est-ce cette animosité qui conduisit à donner une certaine vérité à leur interprétation ?
Elle le met à l’abri en prison
Le plus remarquable est John Ireland. Habitué aux seconds rôles de voyous, le plus souvent intégralement mauvais, il est ici un curieux mélange de froide détermination et de mélancolie. Sous les dehors d’un tueur à gages, il est un perdant magnifique. C’est un des rares films où il a d’ailleurs le premier rôle. En soldant ses comptes, il court vers son suicide, et d’ailleurs on ne sait pas très bien s’il meurt parce que Rose est la plus forte, ou s’il se laisse tuer parce qu’il n’y a pas de possibilité pour lui de vivre un grand amour.
Cane Miro va faire équipe avec Erica pour piller la ville
Les références cinématographiques sont à rechercher du côté de Johnny Guitar où déjà Nicholas Ray mettait en scène un trio où une tenancière de saloon, Vienna, affrontait une cupide propriétaire, Emma, sous le regard désabusé de Johnny. Mais ici les caractères sont beaucoup plus noirs.
Après le meurtre de sa femme, Gideon affronte Cane Miro, armé d’une fourche
Rose va affronter Cane Miro, malgré ses sentiments
Rose quitte la ville et croise le futur marshall
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Par alexandre clement le 12 Mars 2014 à 08:30
Inside Llewyn Davis est un petit film qui vient juste après l’énorme succès critique et public de True Grit. Mais il s’inscrit toujours dans cette interrogation des frères Coen sur leur place dans l’Amérique. Ce n’est pas un hasard s’ils ont choisi le thème de la musique folk au début des années soixante. Curieusement, cette musique qui est sensée représenter de la façon la plus pure ce qu’est l’Amérique est à cette époque investie par des Juifs. A la fin du film on verra apparaître d’ailleurs Bob Dylan. Les frères Coen, très marqués par le judaïsme, s’étaient réappropriés déjà de la même manière le western, autre création typiquement américaine. Comme Llewyn Davis c’est d’abord ce souci d’intégration, de rupture avec des spécificités religieuses qui est à la base de la démarche. Une manière d’être plus américain que les Américains d’origine anglo-saxonne en quelque sorte.
Llewyn Davis a un certain succès à Greenwich Village
Présenté à Cannes, le film des frères Coen a été bien accueilli et a incité les commentateurs à se replonger vers cette période singulière qui vit l’éclosion de talents très particuliers qui obtinrent un succès considérable et qui apparurent à la pointe extrême de la modernité : Bob Dylan, Joan Baez, Peter, Paul and Mary, et bien d’autres. Le personnage qui inspire LLewyn Davis, c’est Dave Van Ronk, chanteur folk très engagé à l’extrême-gauche et qui restera au bord de la route du succès. Le titre même du film est inspiré de l’album de Dave Van Ronk, Inside Dave Van Ronk. Que ce soit les personnages, ou la bande son, il y a un effort important pour essayer de restituer le parfum de ces années-là. On peut en discuter très longtemps. Mais comme les frères Coen ne prétendent pas à produire une biographie, ils évitent ce côté souvent gênant qui fait que les acteurs ne sont que les caricatures de leurs modèles. Peut-être que de ce point de vue le principal défaut du film réside dans la photo. Elle est certes sans reproche sur le plan technique, mais trop propre en quelque sorte, trop lisse pour refléter la vérité d’une époque.
Dave Van Ronk ici avec Bob Dylan
Beaucoup de critiques se sont amusés à reconnaître tel ou tel chanteur dans les personnages qui défilent à l’écran. Ce n’est pas le plus intéressant. Llewyn Davis est un perdant né, un inadapté social qui n’arrive pas à faire de son art un métier. Le film représente quelques jours de sa vie chaotique. Filmé en boucle, la fin du film est la même que le début, il est organisé autour d’un voyage que Llewyn veut faire sur Chicago en espérant que sa musique intéressera un producteur important. Le voyage sera un échec qui le rendra encore un peu plus amer, et surtout qui lui donnera la tentation d’abandonner la musique, mais velléitaire jusqu’au bout, même ça, il ne pourra pas le faire. Entre temps, il aura croisé la route de personnages qui au contraire de lui savent faire preuve d’un peu plus de réalisme et qui vont presque naturellement sur la route du succès. Il aura également affronté la colère de son ex-petite amie qu’il a mis enceinte, et il aura été accompagné d’un chat curieux qui lui donnera bien du souci.
Son ex-petite amie chante aussi dans les mêmes lieux que lui
Le film peut se lire à plusieurs niveaux. Il y a bien sûr le côté nostalgique. Mais à mon avis ce n’est pas ce qui a intéressé principalement les frères Coen. Il y a plutôt que l’échec de Llewyn est le début d’une décadence sans fin des sociétés occidentales impossibles à réformer dans le sens d’un humanisme débarrassé de son matérialisme sournois. C’est en effet dans ce moment que se met en place une société de consommation de masse dont, malgré les révoltes de la fin des années soixante, on n’arrivera plus à arrêter le progrès. En même temps c’est une réflexion sur la culture américaine et son hybridation, son caractère impur, à mi-chemin entre les exigences du marché et les velléités de contestation. C’est bien là le cœur même de l’opposition entre Llewyn et Jean qui finalement, bien qu’elle dise aimer toujours Llewyn glisse vers une vie plus tranquille et plus bourgeoise. Ne veut-elle pas un enfant ? C’est le portrait d’une génération qui cherche la rupture, sans y être forcément bien préparée, avec les codes du mode de vie bourgeois.
Llewyn Davis ne sait plus quoi faire du chat
Llewyn est donc seul. Seul parce qu’il est incapable de s’adapter à la vie ordinaire, celle du marché de la musique. Il ressemble quelque peu à Larry Gopnik, le personnage de A serious man. Il est coincé entre plusieurs réalités contradictoires. Sauf qu’en étant plus créatif, inséré dans la quête d’une expression poétique, Llewyn apparaît bien plus intéressant.
Il arrive difficilement jusqu’à Chicago
Si les frères Coen ont parfois du mal à convaincre en dehors du film noir, ici ils maîtrisent parfaitement leur sujet. La première partie est cependant plus riche et émotionnellement plus forte que la seconde qui multiplie les digressions qui ralentissent le cours de l’histoire, je pense par exemple à l’interruption du voyage vers Chicago par une police agressive qui agit d’ailleurs assez mystérieusement, sans que cela donne plus de corps à l’histoire. Les acteurs sont très bien, sauf peut-être John Goodman qui surjoue. Oscar Isaac est convaincant comme l’est aussi Carey Mulligan, jeune felle en colère contre son ex-petit ami, mais aussi contre le monde entier. Peut-être le plus étonnant est Stark Sands dans le rôle du jeune Nelson dont la fausse naïveté cache une cruelle ambition.
La difficulté de reconstituer au cinéma les décors et le parfum d’une époque est ici assez habilement contournée, quoiqu’on puisse trouver les images un peu trop proprettes, notamment dans les moments où Llewyn se donne en spectacle. En effet dans ces moments s’efface le drame intime du héros au profit d’un tableau de genre esthétisé.
Son audition n’est pas convaincante et Llewyn ne veut pas modifier son style
Bien entendu, la bande son est très soignée dans le sens où elle restitue ce moment un peu à part où les chanteurs populaires visaient un peu plus que de voir leur compte en banque se gonfler.
Si ce n’est pas le film le meilleur des frères Coen, c’est assurément l’un des plus intéressants qu'ils aient produits ces dernières années
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Par alexandre clement le 26 Mai 2013 à 10:45
Hier au soir Alain Delon était à Cannes pour monter les marches avec à son bras la ministre de la culture Aurélie Fillipetti. En vérité et contrairement à ce que des journalistes idiots ont raconté, il s’agissait surtout de rendre hommage à René Clément et à son film Plein soleil qui lança la carrière d’Alain Delon et fut aussi en 1960 un succès mondial, notamment au Japon. Cette hommage est plus que justifié car non seulement le film de René Clément n’a pas pris une ride, mais l’ensemble de l’œuvre de celui-ci peut être vue et revue sans lassitude.
Alain Delon est donc passé au journal de TF1 pour parler avec Claire Chazal de cet événement. Comme la plupart des journalistes sont des canailles ou des menteurs, ils ont pris un morceau de phrase qu’Alain Delon a prononcé pour essayer de montrer qu’il avait toujours une aussi grosse tête. La phrase incriminée était « Je suis un Dieu vivant au Japon ». Or si on regarde d’un peu près cette interview, elle est au contraire d’une très grande modestie. Non seulement Alain Delon répétait que l’hommage s’adressait à René Clément et non pas à sa personne, mais en outre il racontait tout ce qu’il lui devait pour le reste de sa carrière. René Clément aurait eu cent ans cette année. Et en rappelant que Plein soleil avait connu un succès énorme au Japon Delon raconta qu’il y était devenu un Dieu vivant. C’est ce bout de phrase que les jorunalistes ont bien voulu retenir. Pour le reste il s’évertua à rappeler, avec beaucoup d’émotion dans la voix que c’est grâce à Plein soleil que Visconti le découvrit et lui proposa le rôle magnifique de Rocco et ses frères.
Tout le monde connait l’histoire de Plein soleil. On sait aussi que Delon insista pour obtenir le rôle de Ripley, alors que Clément voulait lui confier seulement celui de Greenleaf. Et bien sûr Delon avait raison comme le souligna René Clément plus tard. On sait moins cependant que les deux hommes eurent une très bonne entente et on peut le dire une admiration mutuelle. Ils tournèrent quatre films ensemble, Plein soleil, Quelle joie de vivre, Les félins et Paris brûle-t-il ? Ce sont d’excellents films et Alain Delon aime particulièrement Quelle joie de vivre, film méconnu et l’une des rares comédies dans lesquelles il a tourné.
Quand Alain Delon se lança dans la mise en scène il dédia Le battant « A mon maître René Clément »
Alain Delon et René Clément en 1961
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