• COGAN, Kill them Softly, Andrew Dominik, 2012

     

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    Le film noir a souvent été un support pour la critique sociale, un commentaire en contrepoint d’une réalité qui n’est pas forcément riante. C’est même une de ses origines principales. Cogan s’inscrit directement dans ce registre, et on ne pourra pas lui reprocher un manque d’ambition de ce côté.

    Deux semi-clochards, l’un espère gagner de l’argent en revendant les chiens qu’il a volé, l’autre sort de prison, sont embauchés par un patron de pressing dont les affaires marchent assez mal, pour braquer une partie de poker. Cette idée baroque leur est venue du fait que le patron du tripot, Markie Trattman, s’était une fois braqué lui-même, histoire de soustraire la recette des jeux à ses commanditaires, une sorte de mafia. Aussi nos trois comiques pensent que les soupçons se porteront sur Trattman. Le coup se passe à peu près comme il faut, sauf que les patrons du tripot ne l’entendent pas de cette oreille et veulent faire respecter leur loi, mettre leurs salles de jeu à l’abri. Pour cela ils vont engager Cogan qui va rechercher les coupables et les punir.

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    Le sujet est une adaptation d’un roman de George V. Higgins, à qui l’on devait Les amis d’Eddie Coyle qui avait marqué les esprits, notamment dans sa version filmique qui donna un de ses derniers grands rôles à Robert Mitchum. Le sujet en vaut bien un autre et quelque part il se rapproche de Killer Joe de William Friedkin. Le personnage du tueur, vêtu de noir, glacé et sans humour est là pour renvoyer l’image de la cupidité et de l’individualisme forcené qui entraîne l’Amérique vers le gouffre. La même stupidité guide l’ensemble des personnages, et si Cogan semble s’en sortir un peu mieux que les autres, c’est simplement qu’il est un peu mieux organisé. Comme le film de Friedkin, Cogan est un commentaire sur l’Amérique en crise, en proie à la tourmente des subprimes. Au début de l’histoire les deux futurs braqueurs se donnent rendez-vous dans un quartier où les maisons tombent en ruine et on comprend que c’est la conséquence des saisies qui s’effectuaient à ce moment-là. C’est encore plus explicite quand sont monté en parallèle à l’action proprement dite les discours de la campagne électorale de Bush et d’Obama qui tous les deux promettent de redresser l’Amérique en retrouvant la solidarité et l’idéal. C’est tellement insistant qu’on ne sait pas très bien si ce sont les discours électoraux qui commentent l’action, ou à l’inverse si c’est l’histoire criminelle qui commente la vacuité des discours des hommes politiques.

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    Réalisé par Andrew Dominik qui avait déjà donné le très bon L’assassinat de Jesse James, le film a été très mal accueilli à Cannes, et il ne sera pas non plus un succès dans les salles alors qu’il vient de sortir, malgré une distribution prestigieuse et la présence de Brad Pitt. La raison tient aux partis-pris filmiques. Bien qu’il ne dure qu’un peu plus d’une heure trente, il est terriblement long. Non seulement les parallèles entre l’élection présidentielle et la chasse aux voleurs est lourde et répétitive, des fois qu’on n’ait pas bien compris, mais c’est extraordinairement bavard. Les relations entre les deux marginaux qui braquent le tripot  sont trop démonstratives, appuyées par des anecdotes plus ou moins drôles. On peut dire la même chose des scènes avec James Gandolfini dans le rôle d’un tueur vieillissant et dépressif. Seules les scènes avec Ray Liotta viennent un peu mettre de l’animation, et encore la scène du braquage traine bien trop en longueur, comme le tabassage de Ray Liotta d’ailleurs.

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    Il y a une mollesse dans la direction d’acteur qui ne pardonne pas. A commencer par Brad Pitt qu’on a voulu ici utiliser à contre-emploi, mais aussi avec le cabotinage de Gandolfini. Il y a curieusement une absence de personnages féminins si on excepte la pute noire qui se dispute avec Mickey. Un peu comme si les relations avec les femmes dépendaient d’abord de la résolution de la crise économique.

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    Ce n’est pas un film qui manque de qualités, voire d’idées mais plutôt de rigueur. La grande force des films noirs qui ont marqué l’histoire du cinéma tient en deux principes :

    - d’abord éviter la leçon lourdement assenée – même si on voit très bien dans Cogan le décalage qu’il peut y avoir entre la crise sociale et les discours lénifiants de Bush et d’Obama, même si on partage cette idée selon laquelle les financiers de Wall Street ont mis à sac la planète et détruit nos vies ;

    - ensuite faire exister les personnages, leur donner de l’épaisseur. Ne mettre en scène que des abrutis est certes utile pour démontrer qu’il n’y a guère d’espoir pour que le monde aille mieux,  mais cette absence d’humanisme fait qu’au bout d’un moment on ne sent plus concerné.                                 

    Reste les images d’une Amérique qui s’effondre sous nos yeux peut-être encore plus vite que notre vieille Europe.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          

    « Le monte-charge, Marcel Bluwal, 1962, adapté de Frédéric DardSamuel Fuller, Le baron de l'Arizona, The baron of Arizona, 1950 »
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