• Contre-enquête, Q & A, Sidney Lumet, 1990

     Contre-enquête, Q & A, Sidney Lumet, 1990

    Q & A est tellement dans la veine de Serpico et de The prince of the city, qu’on a parlé à son propos de la clôture d’une trilogie newyorkaise. C’est un autre très bon Lumet. Sans doute Lumet vieillissant le film est un peu plus sombre, un peu plus désespéré. Certes la corruption est généralisée, comme dans les autres films de Lumet dont nous avons parlé, mais cette fois il n’y a pas d’issue. Dans Serpico ou dans The prince of the city, les personnages étaient meurtris, assez désabusés, mais ils leur restaient une espérance qui ici a disparu complètement. Comme à son habitude, Lumet s’est appuyé sur un ouvrage très fort pour construire son scénario. Le sujet est en effet dû à Edwin Torres, un juge de la Cour suprême de l’Etat de New York qui est aussi l’auteur du livre à l’origine d’un des rares bons films de Brian de Palma, Carlito’s way. Et sans doute ce qui l’a attiré est aussi bien cette sorte de méditation sur la corruption et ses conséquences que la précision réaliste de la description de ses méandres.

      Contre-enquête, Q & A, Sidney Lumet, 1990

    En pleine nuit, le jeune Al Reilly est appelé par son supérieur pour enregistrer la déposition d’un policier, Mike Brennan, qui vient d’abattre un petit bandit portoricain en état de légitime défense. Toutefois le spectateur sait déjà qu’il s’agit d’un assassinat. Ce qui devait être une simple affaire de routine va devenir très compliqué, car non seulement des témoins plus ou moins fiables car opérant dans le crime organisé affirme que Brennan a tué un homme sans défense, mais un de ces témoins s’est mis à la colle avec l’ex-petite amie de Reilly. Celui-ci va se trouver rapidement à porte-à-faux avec sa hiérarchie et va se confier à un procureur qui est intéressé à la fois par la mise au rebut de Brennan et de Quinn. Parallèlement à cette guerre interne à la police et la justice, Texador comprend que Brennan veut le tuer, il va donc demander de l’aide à la mafia italienne qui en réalité emploie aussi Brennan pour un certain nombre de contrats. Mais Brennan est rusé et efficace en sus d’être brutal et il va se mettre sur la piste du dernier témoin qui peut lui nuire. Il le poursuivra jusqu’à San Juan, l’éliminera et tuera également Texador, mais ses jours sont comptés car les choses ont été trop loin. Cependant, l’affaire en restera là et l’impossibilité de poursuivre jusqu’au bout Quinn amènera Reilly a donné sa démission.

     Contre-enquête, Q & A, Sidney Lumet, 1990 

    Le procureur Quinn confie l’affaire à Reilly 

    C’est donc un scénario compliqué comme les aime Lumet, centré sur la notion de culpabilité : pour lui les flics sont majoritairement catholiques et donc ils ont une grande propension à vouloir se racheter de leurs fautes. Certes la fin est un peu lénifiante, et l’histoire d’amour entre Reilly et Nancy est un peu tirée par les cheveux, même si pour pimenter la sauce on y a greffé par-dessus une sombre querelle de racisme. Mais l’ensemble tient assez bien la route. L’intérêt est soutenu par l’opposition traditionnelle entre le vieux flic un peu véreux, brutal, raciste et rusé, et le petit juge blanc-bec, qui se caparaçonne derrière un rigoriste un peu borné. D’ailleurs ce rigorisme juridique est tout à fait le contrepoint de sa raideur dans les relations avec Nancy qu’il a lui-même écarté de son chemin. Bien que le personnage de Brennan soit intéressant, il est insuffisamment fouillé. En effet on ne sait rien de ses motivations profondes. Il est un peu trop présenté comme une machine, même si finalement il échappe au contrôle que la mafia veut exercer sur lui. Comme dans Serpico le jeune Reilly est opposé à un vieux flic expérimenté et roublard, un homme qui a l’expérience de la rue.

    Contre-enquête, Q & A, Sidney Lumet, 1990 

    Brennan fait sa déposition 

    C’est un Lumet où, si les personnages s’affrontent dans des rhétoriques aussi verbeuses, il y a beaucoup de scènes d’action. Et cela bien sûr grâce au personnage de Brennan qui n’hésite pas à employer les grands moyens pour éliminer les gêneurs, dès lors qu’il se sent menacé. C’est une brute dans toute son efficacité. Il assassine les travestis, mais fait aussi exploser les bateaux. C’est un des films de Lumet parmi les plus violents. Il n’hésite d’ailleurs pas à recycler des scènes vues ailleurs, on pense à ces tueurs de la mafia qui s’introduisent par la fenêtre pour occire les gardes du corps de Franconi, cela vient du troisième épisode du Parrain de Coppola. A l’évidence aussi Lumet a retenu les leçons de cinéma de Melville. Déjà dans The prince of the city il s’inspirait du Samouraï pour les scènes sur le pont de chemin de fer, mais ici il utilise la mobilité de la caméra pour tourner autour de ses personnages dans le bureau de Reilly, un peu à la manière du Doulos et du fameux plan séquence de l’interrogatoire de Reggiani. Bien évidemment l’inspiration n’est pas le plagiat, après tout Melville lui-même s’était inspiré souvent de Rudolph Maté sans que cela nuise à son originalité.

     Contre-enquête, Q & A, Sidney Lumet, 1990 

    L’avocat fait semblant de protéger les témoins 

    L’interprétation est éclatée entre des caractères très opposés. Il y a d’abord le spectaculaire Brennan incarné par Nick Nolte qui a déjà interprété ce type de flic dans Affliction ou dans les hommes de l’ombre. Il est comme souvent excellent. Ici il est un fauve furieux, sûr de sa force et de ses colères, jouant de ses larges épaules. Reilly est incarné par le pâle Timothy Hutton, mais ce n’est pas gênant parce que le rôle qu’il interprète demande ce genre de physique un peu lisse et un peu raide, sans humour. Texador, le mafieux portoricain qui est fatigué de la vie dérisoire qu’il mène est joué par Armand Assante qui est très bien, quoiqu’un peu plus convenu sans doute que ses deux partenaires dans ce trio bizarre. Il ne croit plus non plus à sa force, et c’est plus par routine qu’il continue à lutter. Comme toujours ce sont les personnages féminins qui se font remarquer par leur absence. Le seul caractère un peu dessiné est celui de Nancy, interprétée par la propre fille de Sidney Lumet, Jenny Lumet[1]. Mais comme je l’ai dit ce personnage est un peu rapporté, et il est difficile de lui donner beaucoup de densité. On reconnaitra quelques acteurs connus comme Patrick O’Neal dans le rôle de Quinn. Le très bon Luis Gusman dans le rôle du flic portoricain, ou encore Charles Dutton dans celui de Chappie le flic noir à qui ce raciste de Brennan a sauvé la vie !

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    Brennnan explique comment il voit son rôle de gardien de la loi 

    On retrouve encore une fois cette capacité à se saisir des décors réels, montrer des endroits un peu incongrus de New-York comme la rue où loge la mère de Nancy[2]. La pluie, les parebrises mal essuyés des voitures de police, les palissades qui masquent des chantiers, les murs décrépis, tous ces éléments qui attestent de la vie réelle et glauque de la ville. C’est à tel point qu’on se demande si Lumet sait vraiment filmer autre chose de New-York ! Mais oui ! La preuve, il filme à la perfection les bavardages et les tensions qui en résultent entre les protagonistes. Il y a là une vraie science de l’alternance des plans moyens et des gros plans, de la multiplication des angles qui marque la montée de la tension. Et puis il y aussi toutes ces scènes qui se trouvent dans des espaces fermés, les boîtes de nuit, les bureaux, les loges d’artistes.

     Contre-enquête, Q & A, Sidney Lumet, 1990 

    Reilly retourne au domicile de la mère de son ex-petite amie 

    On ressent comme je l’ai dit une grande amertume à la vision de ce film. La raison en provient sans doute pour partie de cette division des populations qui va jusqu’à la haine, que ce soit envers les travestis drogués ou entre les différentes communautés qui font New-York. Les négros et les youpins, les latinos et les irlandais tous se détestent cordialement et se méprisent, s’insultent copieusement sous le couvert d’une ironie grinçante. Ce que ne montraient pas justement les précédents films de Lumet est ici un argument moteur de la narration. Reilly a reçu un choc terrible quand il a appris que le père de Nancy était noir et cela a conduit à la rupture. Cette impossibilité de se comprendre est encore plus évidente quand Brennan met en scène l’idée que se font les travestis de lui : il serait en fait un homosexuel refoulé. Mais Brennan se sert de cette idée peut-être fausse, peut-être vraie, pour liquider justement des témoins très gênants. Toutes les scènes entre Brennan et les travestis, ceux qui se prostituent dans la rue ou ceux qui se donnent en spectacle dans des boîtes de nuit, sont d’une très grande ambigüité, non seulement parce que le policier semble attiré par eux, mais aussi parce que les travestis même s’ils ont peur de lui sont fascinés par sa brutalité et la souhaitent.

     Contre-enquête, Q & A, Sidney Lumet, 1990 

    Brennan menace un travesti 

    C’est encore un Sidney Lumet incontournable pour les amateurs de films noirs dont il connaissait tous les codes autant qu’il avait la capacité de les dépasser. En le revoyant je me suis dit qu’il était étrange de faire un rapprochement entre Melville et Lumet, le premier évitant autant que faire se peut le réalisme, alors que le second le revendique comme essentiel à son œuvre. Mais ce qui les réunit est d’abord la recherche d’une vérité essentielle. Ce n’est pas un hasard si Melville comme Lumet met l’accent sur cette vérité selon laquelle tout le monde est coupable. 

     


    [1] Elle est aussi incidemment la petite fille de la grande Lena Horne dont Lumet a épousé la fille.

    [2] On l’a déjà vue dans un autre film, mais je ne me souviens plus lequel.

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