• Dans l’ombre du brasier, Hervé Le Corre, Rivages, 2019

     Dans l’ombre du brasier, Hervé Le Corre, Rivages, 2019

    Cet ouvrage est la suite si on peut dire de L’homme aux lèvres de saphir paru aux éditions Rivages il y a déjà 15 ans. On y retrouvera le sinistre Pujols, le représentant du mal absolu, mais bien sûr il n’y aura plus Isidore Ducasse auquel il ne sera fait qu’une allusion brève puisqu’il était mort dans le premier volume. Ce très gros roman s’inscrit à la fois dans la lignée des romans noirs basés sur l’histoire des guerres et des révolutions – Jean Amila, Patrick Pécherot et quelques autres – et d’une forme engagée tout autant que désespérée du roman noir. Bien que l’écriture soit complètement différente de celle de Pécherot, Dans l’ombre du brasier fait penser immanquablement à Une plaie ouverte qui va décrire aussi la fin de la Commune de Paris. Cette veine du polar historique est représentative d’une littérature noire qui n’arrive plus à parler de la société contemporaine. Mais cela a sa logique, à la fois parce que cela nous rappelle les racines maudites de notre société d’aujourd’hui, et permet également de comprendre un peu le sens de la défaite du mouvement social.  

    Dans l’ombre du brasier, Hervé Le Corre, Rivages, 2019 

    La bravoure et la générosité ne suffira pas aux Communards 

    Pujols commet des crimes monstrueux et des enlèvements, sans doute plus par plaisir qu’autre chose, dans son entreprise il se fait aider d’un cocher un peu rustre un peu bizarre, Clovis que le Paris de flammes de la fin de la Commune va finalement révéler à lui-même. Pujols enlève des très jeunes femmes qu’il monnaye aux Prussiens qui campent aux portes de Paris, ou à un louche photographe qui se prend pour un artiste et un génie. Caroline, une ambulancière qui penche pour la Commune va être enlevée. Elle est aussi la maitresse de Nicolas, un communaux qui a pris les armes et qui se bat aux cotés du jeune Adrien et du Rouge. Ces trois là agissent à la manière de commandos ou de snipers. Tandis que les Versaillais attaquent Paris et pénètrent dans ses murs sans faire de quartier, l’agent de la sureté Roques et Loubet vont partir à la recherche de Caroline et poursuivront leur quête obstinément malgré toutes les difficultés. Les immeubles sont éventrés, Paris flambe, la Commune se débande. Adrien sera tué d’un éclat d’obus. Caroline enfouie sous des décombres va être ensevelie pendant un long moment, mais va finir par retrouver l’air libre à défaut de la liberté puisqu’elle retombera dans les pattes des Versaillais qui veulent la violer. Mais Caroline s’en sortira, et elle va finir par reprendre sa place aux soins des blessés, et c’est là qu’elle retrouvera Nicolas, blessé, et qui a perdu ses amis dans les longues fusillades. Roques et Loubet seront arrêtés par les Versaillais. Caroline et Nicolas arriveront tout de même çà s’enfuir de cet enfer après des péripéties nombreuses et variées. Clovis mourra en se rachetant sur les barricades, et l’ignoble Pujols finira sa vie misérablement comme il avait vécu.

    Dans l’ombre du brasier, Hervé Le Corre, Rivages, 2019 

    Les Versaillais pilonneront Paris avec de très gros moyens matériels 

    Il est bien difficile de dire à quel genre ce roman appartient. A l’évidence Herve Le Corre connait bien l’histoire de la Commune. Ceux qui ne la connaissent pas y apprendront beaucoup, les autres réviseront leurs souvenirs. Le contexte est dramatique puisque la canaille versaillaise a opéré un vaste massacre de la population ouvrière de Paris, une sorte de Grand remplacement si on veut. Selon Louise Michel qui fut condamnée à la déportation en Nouvelle Calédonie, il y aurait eu durant la semaine sanglante quelques 70 000 morts, femmes et enfants compris[1]. Quelque chose de bien pire que la Saint-Barthélemy. Thiers était aux commandes, il négociât avec les Prussiens en leur payant de larges sommes pour récupérer ses canons et son armée et crever le peuple de Paris. Cette armée pourrie qui avait été incapable de défendre la patrie, la voilà qui trouvait de l’allant pour massacrer à un contre vingt les prolétaires révoltés. La raison de cette ultra-violence est qu’en fait il y avait un mouvement des communes de partout en France. Paris était évidemment le symbole le plus fort. Marx saluera l’originalité de cette insurrection[2].  On dit qu’il avait lui-même collectionner des articles de journaux et des photos sur cette guerre civile. Sans doute avait-il été aussi instruit directement de ce mouvement et de ses orientations par Paul Lafargue qui avait séjourné à Paris à ce moment. Alexis Lecaye est sans doute le premier auteur de romans noirs à avoir introduit la Commune avec Marx et Sherlock Holmes[3]. Bref la Commune de Paris, aussi tragique que soit son destin, est un symbole de la lutte des classes, dans ses formes comme dans ses intentions. Il fut un temps où les révolutionnaires se réunissaient encore au Père Lachaise devant le mur des fédérés pour célébrer le 1er mai. L’hommage que rend Le Corre aux Communeux le situe politiquement. Dans le contexte d’aujourd’hui cet ouvrage prend un relief tout particulier pourtant parce que Macron se prend un petit peu pour Adolphe Thiers dans la manière qu’il tente de mettre en œuvre l’écrasement des gilets jaunes, même si ses pulsions fascisantes ne vont pas jusqu’à tirer au canon sur la plèbe, il se contente pour l’instant des canons à eau ! Les deux hommes ont en commun cette même capacité à ne pas respecter la démocratie quand le peuple les contrarie. L’idée des Versaillais était : plutôt raser Paris que de laisser la Commune se développer. La bourgeoisie parisienne aura les mêmes réflexes à la fin des années trente : plutôt Hitler que le Front populaire.  

    Dans l’ombre du brasier, Hervé Le Corre, Rivages, 2019

    Le décor est la première destruction de Paris par le capital et les forces qui le soutiennent, l’armée et le clergé, il y en aura d’autres, jusqu’à aujourd’hui avec l’incendie de Notre Dame de Paris. C’était une manière d’achever déjà ce qu’avait commencé la baron Haussmann sous le Second Empire. Paris devait devenir une ville fluide et sans aspérité pour la circulation des troupes et des marchandises, et aussi pour le plaisir des touristes. Le Corre raconte que des touristes venaient nombreux après la défaite de la Commune pour se rendre compte et admirer les dégâts qu’on attribuait évidemment aux communeux. Comme aujourd’hui on vient de loin contempler les ruines de Notre Dame de Paris. Tout cela donne une étrange résonance entre 1871 et 2019. Curieusement la Commune de Paris a été le premier mouvement social de grande ampleur à être photographié dans tous les sens. Il a donné lieu à des films plus ou moins intéressant, dont le très bon film de Grigori Kozintsev et Leonid Trauberg, La nouvelle Babylone en 1929, car pour les révolutionnaires russes, la Commune était une référence incontournable, peut-être encore plus que la Révolution française de 1789. Il y a aussi l’excellent et peu connu Untel père et fils de Julien Duvivier qui fut tourné en 1940 avec une distribution époustouflante, mais qui ne sortit qu’après la guerre pour ne pas faire de peine à l’occupant. Seule la première partie parle de la Commune comme la conséquence de la guerre contre les Prussiens, avec la démission de l’armée française qui fut remplacée au pied levé par le peuple pour contenir les armées étrangères. 

    Dans l’ombre du brasier, Hervé Le Corre, Rivages, 2019 

    Le fort d’Issy après les bombardements versaillais 

    Mais revenons au roman proprement dit. Si comme on a dit, on avait bien du mal à le cadrer dans un genre particulier, c’est parce qu’il emprunte à beaucoup de thèmes. Il y a à la fois l’histoire de Nicolas et Caroline. Histoire d’amour difficile et contrariée par les circonstances bien particulières. Il y a ensuite les amitiés qui se créent dans la lutte et la bataille, avec cette idée selon laquelle la défaite est peut-être moins importante que le combat lui-même et la dignité qu’on peut trouver dans les luttes. Il y a Roques et son sens du devoir qui donne au roman l’allure d’un roman criminel : le détective qui poursuit un assassin. Et puis il y a, surtout dans la première partie, une réflexion sur le mal. Pujols est une sorte de Fantômas, sadique, qui agit pour son propre compte et qui jouit de ses forfaits. Cette saga maléfique prend ainsi une allure gothique parmi les décombres de la cité. Le Corre tente de ne pas sombrer dans une approche manichéenne de la répression féroce de la Commune et donc de présenter les Versaillais comme des salauds ordinaires, mais humains, qui couvrent à peine leurs forfaits de la nécessité de faire appliquer la loi et de restaurer l’ordre républicain, sans trop bien comprendre Le rôle qu’on leur fait jouer. Il y a tout de même une approche de classe, puisque vers la fin il mettra en scène le lâche soulagement des bourgeois qui se laissent aller à dénoncer les rares Communards qui ont échappé au massacre. 

    Dans l’ombre du brasier, Hervé Le Corre, Rivages, 2019

    Les Communards assassinés verront leurs corps exposés pour l’exemple 

    Le roman est très intéressant par la méticulosité de la documentation sur laquelle il repose, on n’ignorera rien des barricades et des bombardements, et avec des belles envolées lyriques sur l’espérance des prolétaires dans une vie meilleure. Au fil des pages on se prend à aimer les Communards qui cherchent des formes nouvelles de relation sociales, avec toutes les difficultés qu’on peut imaginer. L’écriture est plus heurtée et change au fil du volume, comme si Le Corre avait mis beaucoup de temps pour l’écrire et que les deux parties ne dataient pas de la même époque. Plus contournée et précieuse dans la première partie dans laquelle domine la figure maléfique de Pujols, et plus sèche et directe dans la deuxième partie ou le ton est plus choral aussi, avec une histoire plus éclatée entre Roques, Nicolas et Caroline. C’est sur ce terrain de l’écriture qu’il est très différent de Pécherot qui lui a toujours une écriture plus sobre, même si tous les deux utilisent des tournures qui rappellent l’ancien temps. Il y a parfois un peu de relâchement dans le vocabulaire, mais sans que ça ne tombe dans l’indigence lexicale d’un Houellebecq par exemple. Mais ne nous laissons pas trop distraire par des questions de forme, malgré la longueur de l’ouvrage, près de 500 pages bien serrées, on n’abandonne pas le roman en cours de route, ni même on n’en a l’envie, l’émotion est bien là. Et c’est bien là le principal. Il y a cette capacité de nous faire ressentir la vie telle qu’elle était au moment de la chute de la Commune, dans on quotidien, au-delà des espérances qui se manifestaient sur un plan un peu théorique.  

    Dans l’ombre du brasier, Hervé Le Corre, Rivages, 2019

    Les Champs-Elysées à l’époque de la Commune



    [1] Louise Michel, Histoire de la Commune, Stock, 1898.

    [2] Karl Marx, La guerre civile en France, Adresse au Conseil général de l’AIT, 1871.

    [3] Ce roman avait, si ma mémoire est bonne aussi été édité par François Guérif, en 1981 chez Fayard.

    « Un juge en danger, Io Ho Paura, Damiano Damiani, 1977Marathon man, John Schlesinger, 1975 »
    Partager via Gmail

    Tags Tags : , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :