• De l’Ange noir à Kaput, la cruauté de Frédédric Dard

    Frédéric Dard a créé deux séries de quatre volumes dans les années cinquante, séries qui mettent en œuvre des gangsters sans morale et cruels. La première date de 1952, Les confessions de l’Ange Noir, a été publiée à La pensée moderne, maison d’édition dirigée par Jacques Grancher, le fils de Marcel G. Grancher qui avait en quelque sorte lancé Dard dans le grand bain du journalisme et de la littérature populaire. La seconde est celle des confessions de Kaput, qui cette fois est éditée par le Fleuve Noir en 1956. 

    De l’Ange noir à Kaput, la cruauté de Frédédric Dard  

    Les deux séries se ressemblent par leur cynisme, leur thématique et par la complaisance des scènes de violence et de torture. Mais l’intérêt de les lire suivant leur chronologie, permet de mesurer les progrès considérables que Frédéric Dard a faits dans l’écriture des romans noirs. L’ambiance de cette époque est celle de l’explosion des ventes de la Série Noire, et l’émergence des auteurs comme Albert Simonin et Auguste Le Breton qui développent des récits du point de vue des truands. Le langage qui va avec cette tendance-là est celui de l’argot sensé être le parler vrai des voyous. Notons qu’entre la rédaction des deux séries consacrées à des gangsters sans scrupules, Frédéric Dard a rencontré Albert Simonin et a travaillé avec lui à une adaptation théâtrale du Cave se rebiffe.

      De l’Ange noir à Kaput, la cruauté de Frédédric Dard

    Les deux séries qui ne comportent d’ailleurs pas de nom d’auteur, comme si Frédéric Dard les reniait dès leur parution, sont écrites à la première personne du singulier et présentent la lente dérive d’un assassin en série plus ou moins séduisant. On a comparé ces deux séries à San-Antonio. Ce n’est pas tout à fait exact. Certes il y a de ressemblances dans l’écriture, une simplicité de la phrase, l’usage de l’argot, mais ces deux séries reflètent plutôt l’ambiguïté de Dard par rapport au commissaire San-Antonio. En effet Kaput et l’Ange noir sont avant tout des hommes de désordre. San-Antonio est tout le contraire. Non seulement il remet de l’ordre pour le compte de la société, mais il est aussi le chantre de la famille par l’étalage qu’il fait de ses sentiments envers sa mère. Je suppose que Frédéric Dard non seulement se livrait à l’écriture de ces sagas criminelles pour des raisons alimentaires, mais aussi comme un contrepoids à cette notion d’ordre moral qui trouble le roman noir dans sa version policière.  On remarque que dans les deux séries les scènes de cruauté sont abondantes et les deux « héros » semblent jouir de la violence qu’ils infligent à leurs victimes. S’il y a une parenté avec les œuvres signées San-Antonio, elle doit être recherchée dans les grands formats où le commissaire n’apparait plus des œuvres comme La nurse anglaise où le « bonheur se trouve dans le crime ».

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    Les deux héros évidemment sont expliqués par leur contexte familial et environnemental qui leur est défavorable et les pousse justement sur la pente fatale du crime. Ils différent pourtant : l’Ange noir est beaucoup plus brutal et beaucoup moins sophistiqué que Kaput. Et il ne rêve guère de rachat. Kaput se révèle plus sentimental. C’est d’ailleurs cet aspect qui donne un peu plus de profondeur à Kaput. L’Ange noir est un pantin frénétique qui ajoute l’action à l’action, il est sans repos.

    Egalement on remarque que les intrigues de Kaput sont un peu plus élaborées. Ecrites un peu plus tard que celles de l’Ange Noir, elles recyclent quelques aspects de grands romans noirs. Par exemple  dans La dragée haute, c’est l’univers de Plein soleil de Patricia Highsmith qui est utilisé, ou encore dans Pas tant de salades, on retrouve une thématique qui est celle du Facteur sonne toujours deux fois, transposé dans l’univers des forains. Comme les aventures de Kaput se passent en France ou en Italie et qu’elles existent dans des milieux mieux ciblés et décrits, elles ont plus de consistance que celles de l’Ange noir.

    De l’Ange noir à Kaput, la cruauté de Frédédric Dard  

    L’Ange noir n’est pas tout à fait creux cependant, même si on y reconnait cette Amérique de pacotille que Frédéric Dard aimait mettre en scène dans ses premiers romans noirs, avec des noms orthographiés de manière étrange. On y trouvera déjà dans Le boulevard des allongés une partie de la trame des Salauds vont en enfer, trame déjà présente dans la nouvelle La belle, ou encore dans Le bouillon de onze heures, le début raconte l’histoire de l’Ange noir qui surprend un homme en train de s’envoyer une forte liasse de billets par la poste et qui en tentant de récupérer cet argent est le témoin d’un homme qui tombe dans la cage de l’ascenseur, on reconnait là le début d’un San-Antonio, Du mouron à se faire qui sera publié trois ans après. C’était la manière de Frédéric Dard de recycler des bribes d’histoires qu’ils pensaient originales, ne voulant pas se forcer en permanence à innover.

     

    La série l’Ange noir est illustrée par Jef de Wulf, ça ne vaut pas les dessins de Gourdon, mais il s’améliorera et deviendra un illustrateur infatigable de la littérature polardière, érotique et populaire. Il illustrera par exemple les couvertures de la magnifique série d’André Héléna, Les compagnons du destin. Avec le temps les éditions originales de l’Ange noir sont devenues inabordables pour le commun des mortels, tandis que les Kaput restent accessibles : c’est sans doute le fait que les tirages n’étaient pas de la même importance.  

    De l’Ange noir à Kaput, la cruauté de Frédédric Dard

    « Un officier de police sans importance, Jean Larriaga, 1973San-Antonio, Ne mangez pas la consigne, Fleuve Noir, 1961 »
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  • Commentaires

    1
    le piton
    Mercredi 21 Octobre 2015 à 07:15

    Superbe ! comme d'habitude d'ailleurs. 

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