• Des femmes disparaissent, Edouard Molinaro, 1959

     Des femmes disparaissent, Edouard Molinaro, 1959

    La fin des années cinquante est une belle période pour le film noir à la française. Après Le dos au mur, Des femmes disparaissent est le second long métrage d’Edouard Molinaro dont les incursions dans le domaine me semblent être finalement ce qu’il a fait de mieux, bien que ce ne soit pas dans ce genre qu’il aura le plus de succès, mais plutôt dans les comédies. C’est donc à cette époque un jeune réalisateur, ni trop conventionnel, ni trop proche de la Nouvelle Vague dont il saura se tenir à distance. Les budgets ne sont pas très épais, les délais de tournage sont raccourcis, mais on a de jeunes acteurs très dynamiques à l’aube d’une carrière prometteuse. Et puis il y a la musique. Ici comme dans le film de Molinaro qui suivra, c’est du jazz, hard bop, la musique en vogue à cette époque. Et c’est vrai que ce type de musique spontanée, presqu’improvisée à l’écran comme dans le cas d’Ascenseur pour l’échafaud[1] est tout à fait adapté au film noir, lui donnant même à l’époque un parfum de modernité. Le scénario est ici signé Georges Morris-Dumoulin, un écrivain qui pondait du noir à la chaîne[2]. Mais c’était aussi un traducteur qui bossait pour Les presses de la cité, plus précisément la collection Mystère, où on lui demandait de tailler dans les romans américains à la hache afin de respecter les 240 pages réglementaires. Ce qui donnait parfois des résultats surprenants, le lecteur devant faire preuve d’imagination pour raccorder les morceaux ! Morris-Dumoulin, sous des tas de pseudonymes différents, a touché à un peu tous les genres, noir, espionnage, policier et aussi pas mal à la Science-fiction. Il travaillera aussi pour le cinéma il adaptera deux San-Antonio, et écrira même un scénario de western-spaghetti ! Cette prolixité explique que les ouvrages de Morris-Dumoulin ne possèdent pas toujours une grande rigueur, il faut aller au plus simple. Morris-Dumoulin travaillera aussi avec le fils de Frédéric Dard, Patrice, pour la série de Vic St Val – 102 épisodes tout de même ! Toutefois cette abondance n’est pas synonyme de médiocrité, bien au contraire, très souvent les romans de Morris-Dumoulin sont bons. Notez que le sujet des femmes qui se font enlever en vue de les prostituer n’était pas nouveau, on appelait ça la traite des blanches, Georges Lacombe avait sorti deux ans plus tôt Cargaison blanche avec Françoise Arnoul. En 1955, Pierre Chevalier avait tourné Les impures sur un thème avoisinant. Les dialogues sont d’Albert Simonin qui est sensé apporter un peu de drôlerie canaille à l’ensemble.  

    Des femmes disparaissent, Edouard Molinaro, 1959 

    Pierre Rossi est un brave mécano, amoureux de Béatrice. Celle-ci lui annonce qu’elle va à une soirée. Il essaie de l’en dissuader, mais têtue comme trente-six bourriques, elle ne l’écoute pas. Pierre la suit. Mais alors qu’il l’attend en bas de l’immeuble, il remarque une voiture occupée par deux types plutôt louches. Tom envoie Nasole casser la gueule à Pierre, mais celui-ci se révèle très coriace, Nasole n’est sauvé que par l’arrivée de la police qui pense que Pierre, à cause de son accoutrement, est un voyou. Pendant ce temps, Béatrice se retrouve avec d’autres jeunes filles, elle passe une robe que lui prête Madame Cassini. Elles sont invitées à une soirée dans une luxueuse villa. Mais ce sont des truands qui projettent de les droguer, puis de les mettre sur un bateau pour les expédier à l’étranger où elles devront se prostituer. Pierre se fait renverser et assommer par Tom. Mais il arrive à s’e planquer dans la voiture. Mais celui-ci s’en aperçoit, l’amène à la villa de Quaglio et le fait prisonnier. Il le boucle dans le garage. Les ennuis de Quaglio ne sont pas finis, c’est maintenant Nasole qui regimbe. Tom le descend et va se débarrasser du corps. Entre temps la femme de Merlin a des états d’âme et s’en va délivrer Pierre. Mais elle n’a pas le temps, Tom revient et l’en empêche. Il va obliger Coraline a s’enferme dans sa chambre, là son mari va lui donner une raclée. Mais Pierre arrive à se défaire de ses liens. Il va affronter Merlin qu’il prend en otage, exigeant qu’on lui rende Béatrice. Tom qui arrive sur ses entrefaites demande à Quaglio d’amener Béatrice. Pierre et Béatrice s’enfuient. Ils se réfugient chez Madame Cassini qui leur promet d’appeler la police. En sortant de chez celle-ci, Pierre se fait coincer une fois de plus par Tom, mais il amène celui-ci vers les flics qui le recherchaient pour le meurtre de Nasole. Entre temps à la villa, Béatrice est coincée, et elle comprend que Madame Cassini est partie prenante du réseau, c’est elle qui joue les rabatteuses, et donc que les flics ne viendront pas la délivrer. Mais les flics arrivent, ils ont fait prisonnier Tom et cernent la villa, s’ensuit une bataille rangée entre les trafiquants de chair humaine et la police. Les truands sont décimés, et Pierre après avoir régler son compte à Quaglio va retrouver Béatrice, espérant sans doute vivre des jours heureux avec elle. 

    Des femmes disparaissent, Edouard Molinaro, 1959 

    Pierre tente de retenir Béatrice 

    L’histoire comme on le comprend est assez banale, surtout pour un public blasé comme celui d’aujourd’hui. En fait elle ne contient guère de message, de morale, et vire plutôt au film d’action avec des retournements de situations rocambolesques. Mais évidemment même l’histoire la plus divertissante possède un contenu « politique » dirait Godard. La première lecture apparente est que les femmes sont bien écervelées pour se laisser prendre à des pièges grossiers que leur tendent des maquereaux de bas étage. En réalité, elles sont attirées par ce qui brille et une potentielle richesse qu’elles croient pouvoir atteindre. Pierre au contraire est un prolétaire, s’il ne peut guère promettre une vie de luxe à Béatrice, il n’empêche qu’il sera toujours là pour la protéger. C’est un mécanicien, vêtu d’un blouson de cuir et d’un jean, en opposition avec les faux bourgeois qui boivent du champagne et se promènent dans des costumes bien coupés. Ils séduisent les femmes à la manière des politiciens, avec des discours bien huilés, plein de promesses fausses. 

    Des femmes disparaissent, Edouard Molinaro, 1959

    Madame Cassini soigne Pierre 

    Donc dans le titre il y a le mot « femmes », ce qui induit un discours sur la « femme ». il y a dans le film deux catégories de femmes, les écervelées qui ne comprennent jamais rien, et qui se laissent embarquer dans des histoires à dormir debout, entraînant par leur inconduite le malheur autour d’elles, et puis il y a celle qui sont mauvaises, la fourbe Madame Cassini, ou même Coraline. Quoique cette dernière est décrite comme amendable puisqu’elle a du remord et qu’elle essaie de se racheter en délivrant Pierre, puis en l’aidant à fuir avec Béatrice. Cependant, même si c’est tardivement, Béatrice va se rendre compte que la vie ce n’est pas vivre dans le luxe et que celui-ci se paie toujours douloureusement. Elle comprendra qu’elle aime Pierre qui est bon de par son obstination même ! Elle a voulu s’écarter du droit chemin, mais elle a compris que c’était une erreur, et elle reviendra vers sa vie de femme de prolétaire. C’est sans doute ici que se joue l’ambiguïté du film. Le propos se situe entre la lutte des classes et l’abdication devant la morale ordinaire. Les maquereaux ne sont pas regardés seulement comme des gens violents et dangereux, la caméra les méprise ouvertement ! 

    Des femmes disparaissent, Edouard Molinaro, 1959

    Coraline va porter secours à Pierre 

    Sans doute Molinaro n’a pas compris la profondeur de son sujet et n’y a vu qu’une histoire policière sans grande originalité. C’est pourquoi il ne le prend pas assez au sérieux. Le film est sensé se passer à Marseille, mais il est tourné en studio et la seule indication qu’il s’agit de Marseille ce sont les linges qui pendent aux fenêtres pour figurer je suppose le quartier du Panier, et les sirènes d’un bateau qu’on entendra dans le lointain. Cette incompréhension le mènera d’ailleurs à privilégier dans la manière de filmer plutôt l’action que les rapports entre les personnages. Manifestement il croira beaucoup plus à son film suivant, Un témoin dans la ville, et il s’était très bien investi dans le précédent, Le dos au mur[3]. Mais c’est plutôt proprement filmé, et les scènes d’action sont bonnes, même les scènes de bagarre très nombreuses, à l’époque celles-ci étaient plus « téléphonées », moins naturelles, mais là, c’est très bien. On remarque qu’il utilise très bien l’espace, avec des plans de la villa à la Hitchcock.  Il sait filmer les escaliers, et surtout il utilise très bien la contre-plongée pour figurer la menace latente que représentent cette bande de maquereaux. La fusillade finale est plutôt longuette, ce n’est pas La horde sauvage, mais Molinaro étale dans la durée. C’est un vrai massacre. C’est sans concession. Certes son peut toujours discuter de savoir si c’est un film noir ou un simple film policier, je penche pour la première solution, malgré la fin heureuse. Encore que cette fin heureuse est interrogée par le dernier plan où on voit Pierre, le visage fermé et sombre serrer dans ses bras Béatrice, comme s’il doutait de celle qui sera certainement son épouse. 

    Des femmes disparaissent, Edouard Molinaro, 1959

    Coraline est méchamment punie 

    Film à petit budget, mais pas fauché, la vedette c’est incontestablement Robert Hossein. Cette année-là, il tournera pas moins de cinq films, plutôt habitué aux rôles de voyou, à cause de son physique ombrageux, il est très bon ici dans le rôle du prolétaire entêté qui cherche sa gonzesse. Curieusement il ne retrouvera « son » blouson de cuir que dans un film tardif, en 1966, La longue marche, film malheureusement invisible depuis sa sortie. Ensuite il y a Philippe Clay dans le rôle de Tom. Il prête d’une manière désinvolte son physique curieux, très grand, très maigre, la figure en lame de couteau. Il était abonné aux rôles de mauvais sujet, cruel et un rien sadique, en concurrence sur ce terrain scabreux avec un autre acteur étrange, Daniel Emilfork. Estella Blain dans le rôle de Béatrice reste assez effacée. C’est pourtant une actrice qui avait beaucoup de charme et de possibilités comme l’a prouvé Hervé Bromberger dans Les fruits sauvages[4]. Il y a encore Jacques Dacqmine dans le rôle du faux bourgeois, mais vrai truand, froid et calculateur, et puis Jane Marken dans celui de la fourbe madame Cassini qui a une bonne présence. 

    Des femmes disparaissent, Edouard Molinaro, 1959

    Pierre s’est introduit dans la villa 

    Le film a suffisamment bien marché pour qu’on retrouve un peu la même équipe l’année suivante presque la même équipe sur le tournage des Canailles, avec Marina Vlady qui remplacera Estella Blain, et Maurice Labro à la réalisation. Les canailles marchera très bien, encore mieux que Des femmes disparaissent, sur un thème équivalent démarqué d’un roman de James Hadley Chase : Robert Hossein part à la recherche d’une jeune femme qui a été enlevée, jouée par Marina Vlady, et toujours Philippe Clay dans le rôle du méchant de service. Ce film est aujourd’hui invisible, ce qu’on ne peut que déplorer. 

    Des femmes disparaissent, Edouard Molinaro, 1959

    Pierre menace de tuer Merlin si on ne lui rend pas Béatrice 

    Comme on l’a compris le film n’est pas un chef d’œuvre, mais il est bien enlevé et les acteurs sont attachants, et puis la musique est superbe, enregistrée par les Jazz Messengers d’Art Blakey à leur grande époque, avec Benny Golson au saxophone et Lee Morgan à la trompette.

     

     

    Des femmes disparaissent, Edouard Molinaro, 1959

    Pierre va régler son compte à Quaglio

    « Il marchait dans la nuit, He walked by night, Alfred L. Werker, 1948 L’empire du crime, La mala ordina, Fernando Di Leo, 1972 »
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