• Deux romans de Claude Aveline


    Claude aveline

    Les romans de Claude Aveline sont considérés aujourd’hui comme des classiques du roman policier. Mais s’il est bien moins souvent cité comme un des maîtres du genre, comme Simenon par exemple, c’est qu’il n’a pas beaucoup publié de grandes quantités d’ouvrages et que dans son œuvre les romans policiers ne sont pas très nombreux, il préférait suivre son bon plaisir, produire de la littérature pour la jeunesse, des essais ou des romans sur des sujets plus traditionnels. Pourtant son œuvre dans le domaine du roman policier en fait un des spécialistes incontournables du genre, voire un novateur : c’est-à-dire qu’il est un point de passage obligé pour qui veut connaître le roman policier dans sa genèse et son développement. Sa suite policière comportera cinq romans, elle est construite autour de Frédéric Belot. Elle commence du reste par la mort de celui-ci, avant qu’Aveline ne remonte le temps et n’écrive d’autres aventures de Belot. A cette suite il faut ajouter Le prisonnier qui est moins un roman policier qu’un roman noir. Mais au-delà de son aspect novateur pour l’époque on prend bien évidemment un grand plaisir à le lire.

    Claude aveline 2

    La double mort de Frédéric Belot est publié en 1932. Il paraît au moment du boom du roman policier, il est quasi contemporain des premiers Maigret. Il est intéressant aussi bien par le fond que par la forme. Ses rééditions successives sont souvent accompagnées des notes de Claude Aveline lui-même sur le roman policier. Sa défense du genre rappelle assez celles que proposera ensuite Narcejac. Frédéric Belot est un brillant policier qui est retrouvé mort chez lui, mais en compagnie d’un sosie qui est lui agonisant. Pendant un moment du reste on ne sait si l’agonisant est ou non Belot. A partir de là il y a un double mystère à élucider, d’un côté celui de savoir qui a commis le double meurtre et de l’autre celui de savoir qui est ce sosie. L’histoire est rapportée, d’après ce qu’on lit, par le filleul de Frédéric Belot qui est lui aussi policier. Au-delà de l’enquête policière, assez classique, il y a  une réflexion sur les identités. Belot devient Ferroux et Ferroux devient un peu Belot. Ce roman est une des sources d’inspiration du tandem Boileau-Narcejac, non seulement pour la dimension psychologique des personnages, mais aussi pour le style utilisé et pour les formes d’intrigues emboîtées les unes dans les autres. Le pari est évidemment de surprendre, c’est-à-dire de ne pas laisser la possibilité au lecteur de découvrir la solution du mystère. Si le cadre rappelle les romans de Simenon mettant en scène Maigret, l’histoire s’éloigne de cette manière psychologisante de mener l’enquête. La dimension psychologique n’apparaît dans le roman que dans les moments où il faut expliquer ce qui a mis en mouvement le criminel ou son complice.

    Le portrait du double de Belot, Ferroux, s’appuie sur un thème qui va devenir cher à Aveline. Le hasard a amené ce pauvre homme à prendre dans un premier temps la place du coupable. Manipulé par son supérieur indélicat, il est mis à l’index par la société qui le croit coupable de détournements de fonds. Sa vie est ruiné, il ne pourra retrouver un peu de dignité qu’en aidant Belot dans son travail de policier.

    Le style est étonnamment moderne, vif, rapide, l’ouvrage n’a pas le degré de confusion des Simenon contemporains. Sans être un roman d’action, c’est la lisibilité de l’intrigue qui est ici privilégiée.

    Dans sa Double note sur le roman policier, Claude Aveline rappelle aussi bien pourquoi le roman policier apparaît comme un phénomène de masse entre les deux guerres, que ses rapports avec l’avènement du freudisme. S’il défend le genre, il ne se fait pas d’illusion : il pense par exemple que si on conserve en mémoire La double mort de Frédéric Belot, c’est parce que le livre ne fut pas publié dans une collection dédiée au genre policier, mais chez Grasset, comme un ouvrage « normal ».

     

    Le prisonnier, paru en 1936, eut un retentissement énorme à la fois sur le roman policier et sur la littérature puisque cet ouvrage est une des sources d’inspiration de L’étranger de Camus. C’est une histoire très simple : un jeune employé de banque solitaire est victime d’un couple d’escrocs qui le manipulent et l’amènent à détourner des fonds. On suppose que cette idée lui est venue à cause de la multiplication des scandales financiers qui se multiplièrent au début des années trente.

    C’est un vrai roman noir, à la française. Bien entendu c’est le style qui va donner toute sa force à ce texte, car l’histoire semble avoir servi cent fois. Comment caractériser ce style qui nous parait aujourd’hui encore très moderne ? Il y a d’abord la forme. L’histoire est racontée à la première personne sous la forme d’une confession envoyée à un ami de lycée d’Alain Gallon. On pourrait rapprocher Le prisonnier du film de Carné, Le jour se lève qui fut tourné en 1939. En effet les deux hommes attendent à leur fenêtre la fin imminente de leur parcours. Cette forme qui fut ensuite très souvent utilisée, on pense à Lettre à mon juge, de Georges Simenon, ou à L’accident, de Frédéric Dard s’appuie sur une utilisation de l’imparfait qui donne à l’histoire un côté irréel. C’est aussi sur cette forme que s’appuiera Camus pour L’étranger, tout en le débarrassant un peu de sa forme confessionnelle. Mais cela ne suffirait pas à rendre le roman exceptionnel.

    L’autre aspect du texte est la façon dont il est découpé. D’emblée on est prévenu : cet homme va commettre un crime et cet homme va mourir. Il vient de purger sept années de prison et il désire se venger. Mais cet aspect policier, l’escroquerie, la préparation du meurtre, ne tient pas beaucoup de place dans le roman. Ce qui est plus important ce sont les raisons matérielles et psychologiques qui ont amené le « héros » dans une situation dont il ne peut sortir. Et c’est cela qui tient le lecteur en haleine, bien plus que l’aspect criminel. 

    Les raisons qui scellent le sort d’André Gallon sont de deux ordres : la forme particulière de sa famille : sa mère le déteste, et sa position de classe : venant d’un milieu très pauvre, il n’arrive pas à se faire accepter par ses condisciples de Jason de Sailly.

    La vie d’André Gallon est une suite de traumatismes qui l’a enfermé dans une solitude dont il ne peut sortir. Et quand il croit trouver l’amour qui lui permettrait enfin de vivre il ne trouve que le mensonge. Une grande partie du roman, peut-être les deux tiers, donne à voir ce qu’est la pauvreté, cette position d’infériorité qui se construit dans la fréquentation des classes supérieures, cette humiliation de se trouver en permanence confronté à des gens qui vous méprisent et tiennent votre destinée dans leurs mains. La mère d’André fait des ménages chez les riches qu’elle déteste, elle représente une forme de révolte, encourage son mari à faire grève, à aller au-delà de ses convictions politiques. Tout cet aspect, avec la description qu’il y a à joindre les deux bouts donne au roman un aspect « prolétarien » au sens qu’Henri Poulaille pouvait donner à ce terme. On voit où plonge les racines d’Aveline, dans le roman populaire à la française, Louis-Philippe, Poulaille ou Dabit. Il anticipe les romans de Jean Meckert, le ton du Prisonnier rappelle Les coups, mais aussi une partie de ce qu’on a nommé ensuite le néo-polar. C’est ici dans cette conscience de classe affirmée, Aveline sera proche des milieux communistes, que le roman noir trouve sa meilleure source. Des scènes très fortes scandent le récit, comme lorsque la mère perd sa place dans une maison riche et qu’elle affirme sa rage impuissante, son envie de subvertir l’ordre régnant.

    Mais ce n’est pas un roman engagé dans le sens où le message n’est jamais au premier plan (c’est probablement cela qui le distingue du néo-polar). C’est plutôt le récit des conséquences d’une société fondée sur la cupidité et le mensonge. 

    « RAMPART, Oren Moverman, 2011Les bouchées doubles, James Hadley Chase, Gallimard, 1950 »
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