• Elvira Madigan, Bo Widerberg, 1967

     Elvira Madigan, Bo Widerberg, 1967

    Malavida réédite les films de Bo Widerberg, ils en sont à quatre si j’ai bien compté, en attendant la ressortie de Joe Hill, film invisible depuis longtemps. Elvira Madigan est le film qui assura la renommée de Bo Widerberg en dehors de la Suède, à une époque où on connaissait presque que les films d’Ingmar Bergman. Ce n’est qu’un peu plus tard qu’on découvrira des réalisateurs comme Jan Troell qui prouveront la vitalité du cinéma suédois. Présenté à Cannes en 1967, il obtint le prix d’interprétation féminine, mais il fit surtout une très forte impression.

      Elvira Madigan, Bo Widerberg, 1967

    Le film est inspiré d’une histoire vraie et raconte les derniers feux d’une passion amoureuse entre Elvira Madigan, funambule dans un cirque, et de Sixten Sparre. La première a abandonné sa famille et le cirque, et le second a déserté de l’armée où il est officier. Il a également laissé sa famille et ses enfants. Cette histoire est très connue en Suède et elle a donné lieu à plusieurs adaptations cinématographiques. Il n’y a pas à proprement parler d’intrigue, et on comprend tout de suite que ce couple ne saurait aller bien loin. En effet tout se ligue contre eux, les institutions sociales, Sparre est poursuivi pour avoir à la fois déserté et abandonné sa famille, les journaux les traquent et ils seront dénoncés. Mais le manque d’argent joue également un rôle décisif. Il est en effet quasiment impossible à Sparre de trouver du travail. Leur ballade les mène nécessairement vers la mort. Cette tragédie que certain ont comparée à Bonnie and Clyde qui avait été tourné la même année par Arthur Penn, est à proprement parler l’illustration d’un amour fou comme la négation de la rigidité des formes sociales.

      Elvira Madigan, Bo Widerberg, 1967

    Le film n’aurait pas trop d’intérêt s’il n’était pas filmé magnifiquement. Il a d’abord cette particularité de ne pas avoir de vraie linéarité, il rompt en permanence la chronologie au bénéfice d’errances ici et là qui éclate le récit. Il faut dire que Bo Widerberg disait qu’il avait été fortement influencé par le film de John Cassavetes, Shadows. Il va donc y avoir une grande liberté dans la manière de filmer, une façon qui dilate le temps, par exemple lors des fameux pique-niques.

    Mais ce qui est probablement le plus frappant c’est la façon dont les rapports entre les deux amants sont rendus : il y a peu de mots et rarement d’éclats. Ils se sentent plus qu’ils ne se comprennent, c’est un langage du corps. D’ailleurs le film est très physique, que ce soit les exercices d’Elvira sur sa corde, ou que ce soit les jeux de Sparre et Christopher, ce faux ami qu’il va répudier. Il y a aussi la présence forte des éléments naturels encore peu dégradés par l’industrie. C’est dans une communion avec cette nature foisonnante qui est la clé du film. D’ailleurs c’est l’été, la plus belle des périodes pour l’accomplissement des amours mais aussi pour leur fin. On ne peut pas dissocier ce film de la saison qu’il magnifie. Les joies que partage le couple sont d’ailleurs de courte durée et laissent pressentir le drame final.

      Elvira Madigan, Bo Widerberg, 1967

    Le film avait été remarqué par la façon dont il était photographié. Tourné en couleurs à une époque où cela paraissait très cher, surtout pour un petit pays comme la Suède, c’est un film à tout petit budget où le choix des décors est décisif. Mais il y a une science dans le traitement de la nature et de ses couleurs qui rappelle la peinture – on a fait le rapprochement avec Bonnard. C’était une façon d’inscrire le film dans le XIXème siècle finissant, époque à laquelle se déroule cette tragédie. Il y a une grâce dans la photographie de Jörgen Persson qui dépasse largement l’illustration. Curieusement cette utilisation des décors naturels, cette insertion volontaire au cœur d’une nature flamboyante donne au film un aspect classique. Cela rappelle la manière de procéder de Bolognini quand il film Florence au XIXème siècle, comme s’il s’agissait de construire les séquences comme des tableaux qui ont une valeur autonome. Bien sûr Bolognini diffèrent mais c’est parce qu’ils appartiennent à deux cultures très différentes et que la nature qui les inspire n’est pas la même. L’image diaphane a été semble-t-il utilisée pour compenser le manque de technique de l’actrice principale qui débutait à l’âge de seize ans. C’est pourtant une manière de faire qui va devenir populaire dans ces années-là.

      Elvira Madigan, Bo Widerberg, 1967

    Dans la manière de filmer de Bo Widerberg il y a une façon particulière de saisir des détails, le pain, le fromage qu’on découpe et qu’on partage, mais aussi l’opposition des classes sociales qui occupera souvent Widerberg dans Joe Hill ou dans Adalen 31. Ici c’est le portrait mélancolique de la servante de l’auberge où le couple s’est réfugié. Car les amants en fuyant devant leurs responsabilités sociales se sont affranchis des tutelles de leurs classes. Et c’est bien ce qui les rend plus sensibles à l’oppression des domestiques. D’ailleurs la servante ne les trahira pas, contrairement aux bourgeois qui s’empressent de les dénoncer. Bien au contraire, elle les aidera dans leur fuite.

    Cette transgression des règles est manifeste lorsque les amants n’ayant plus d’argent s’alimentent à même la nature en en consommant les fruits que celle-ci offre gratuitement. Car le film a pour thème aussi la gratuité, outre celle de la nature, il est évident que la trajectoire des deux amants est elle aussi gratuite en ce sens qu’elle n’a pas de but autre que de se consumer et d’aller à sa perte.

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    Le film est quasiment un tête-à-tête permanent entre les deux amants. Les scènes où ils sont séparés sont rares et correspondant chaque fois à des difficultés de compréhension entre eux. Thomas Berggren est Sixten Sparre. C’est l’acteur fétiche de Bo Widerberg dont il partage les idées socialisantes. Il tournera six films avec lui, et il sera Joe Hill dans le film éponyme. Il est très bien passant avec facilité de la joie un peu enfantine à une sombre mélancolie qui l’atteint dans les moments où il comprend qu’il n’y a pas d’issue en dehors de la mort. Pia Degermark a été choisie pour incarner Elvira Madigan. Elle n’avait que seize ans alors, mais cela ne l’empêcha pas de décrocher le prix d’interprétation féminine à Cannes, sans doute parce que sa grâce naturelle donne au film ce surcroît de poésie. Elle ne fera pas grand-chose d’autre en dehors de ce film. Mais le reste de la distribution est aussi très bon et manifeste le goût de Widerberg pour la direction d’acteurs.

    Une mention spéciale doit être donnée à la musique qui soutient l’intensité dramatique du récit. Celle-ci est dominée par le Concerto pour piano n° 21 de Mozart. Cela impressionna tellement le public que pendant un moment on appela cette pièce le Concerto Elvira Madigan. Mais l’été est aussi illustrée par de la musique de Vivaldi.

     

     Elvira Madigan, Bo Widerberg, 1967

    Le rythme est très lent, et je me demande si des très jeunes gens sauront s’en accommoder. C’est quelque chose qui ne nous gênait pourtant pas lorsque nous avons vu ce film à sa sortie. Widerberg était un autodidacte, ce qui ne l’empêche pas de trouver des beaux mouvements de caméra, notamment dans la promenade dans les sous-bois, ni de saisir parfaitement la profondeur de champ.

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    Certains tiennent Bo Widerberg pour un des plus grands cinéastes du XXème siècle. Les classements ne signifient pas grand-chose. Il est malheureusement décédé trop jeune, mais il a laissé quelques films très marquants dont cet Elvira Madigan. C’est une très bonne chose que Malavida le réédite aujourd’hui en DVD, même si c’est toujours lieux de voir ce genre de film en salle et sur un grand écran.

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