• Emmanuel Loi, Marseille amor, Le seuil, 2013

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    Marseille est une ville qui a toujours fait couler beaucoup d’encre, et les livres qui l’ont pris pour sujet ne se comptent plus. Ce n’est pas un hasard si elle a donné naissance à un genre littéraire nouveau, le polar marseillais, genre qui n’a d’équivalence dans aucune autre ville de France. Aujourd’hui encore, ses règlements de compte, ses turpitudes politiques, en font un sujet de choix pour les journalistes pressés.

    Emmanuel Loi qui n’est pas né ici, qui ose même avouer être natif des Vosges, en propose une vision qui est aussi peu touristique et pittoresque que possible. Loi s’est fait, pour des raisons qu’il n’élucide pas, marseillais d’adoption. Ville faite de bric et de broc, elle présente une réalité unique pour le meilleur et pour le pire. C’est une ville de bandits, où on peut choisir cette profession de père en fils, mais Emmanuel Loi s’est exercé aussi un peu dans cette voie avant de prendre plusieurs années de prison. Sensible à la misère de Marseille, il l’est aussi à sa violence latente.

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    Une ville qui s’étale sur plus de 240 km2 

    La première singularité de cette ville est son immensité : c’est la plus grande entité urbaine en France, ce qui évidemment amène des problèmes sans fin. Par exemple cette fameuse coupure entre les quartiers Nord pauvres et déglingués, presqu’à l’abandon, et les quartiers Sud dont une partie au moins est très riche.

    Cette dimension géographique singulière fait qu’elle est construite comme une mosaïque de quartiers ayant chacun une identité singulière, une couleur, une odeur bien à lui. L’étalement de la ville lui permet de conserver des formes archaïques, on n’ose pas dire villageoises, qui côtoient des extravagances modernistes dans les nouveaux quartiers. Je n’ai pas le temps de m’attarder sur cette question ici, mais un jour il faudra bien s’interroger sur la santé mentale des architectes-urbanistes qui produisent de telles horreurs, et sur celle aussi de leurs commanditaires, l’actuel maire de Marseille étant de ce point de vue certainement le pire que la ville ait connu.

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    L’abominable tour Zaha Hadid construite malencontreusement dans le quartier de la Joliette 

    Emmanuel Loi raconte ces fractures, ces oppositions, avec la violence qui va avec. Il donne, à travers sa propre expérience, le compte rendu d’une sorte de longue dérive paradoxale. Opposant ses différents emplois dans les structures socio-culturelles nombreuses de la ville, à ses rencontres qui les remettent en question. Car Marseille est une ville où pullulent les structures socio-culturelles, où chacun peut se revendiquer artiste et créateur. Il est d’ailleurs assez curieux que ces actions nombreuses et variées soient le plus souvent impulsées par des « intellectuels » qui ne connaissent pas grand-chose à la ville et qui en ont une vision très extérieure. Au passage il donne un portrait en creux de toute cette faune qui est à la fois drôle et déprimante.

    Le fait qu’Emmanuel Loi ait été impliqué dans ce genre d’activités scabreuses, lui amène quelques remords et c’est à travers ces remords qu’il perçoit la ville. C’est donc une approche très subjective de la ville. Et selon moi c’est ce qui est intéressant. Je n’ai aucunement le même point de vue qu’Emmanuel Loi, mais c’est parce que j’y suis né et j’y ait grandi pendant les années Defferre, à une époque où la ville semblait s’améliorer d’année en année. Loi, lui, n’est arrivé à Marseille que dans les années soixante-dix, au moment où la ville a commencé de décliner en se débarrassant peu à peu de ses activités portuaires et industrielles. Il venait d’Aix-en-Provence, ville bourgeoise et provinciale à cette époque, où il suivait avec peu d’assiduité des études de lettres, intéressé par les chemins chaotiques de la subversion. Car si l’approche de Loi est subjective, elle est aussi psychogéographique et inscrite dans l’histoire, la sienne, plus que celle de la ville.

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    La dernière horreur architecturale à Marseille qui défigure le Vieux Port  a coûté 45 millions d’euros ! 

    C’est cela qui fait tout l’intérêt de Marseille Amor. En mêlant son parcours personnel à la découverte de la ville, il en révèle les marges. C’est un parcours heurté, et même si j’en reconnaît la plupart des lieux visités dans leur intimité, ceux-ci m’apparaissent sous la plume de Loi différents, misérables ou poétiques, c’est selon l’humeur du lecteur aussi bien que celle de l’auteur. Cette vision éclatée et intense de Marseille s’accorde avec un style volontairement décousu, fait de petites notations éparses, sans exigences de continuité.

    Le livre est publié dans la collection Fiction & Cie qui a déjà à son actif le très bon livre d’Eric Hazan, L’invention de Paris.

     

    Gaston Defferre fut le maire de Marseille de 1953 à 1986, année de sa disparition. Emmanuel Loi a écrit aussi unn petit ouvrage sur lui.

    « Philippe Jaenada, Sulak, Julliard, 2013Bodyguard, Richard Fleischer, 1948 »
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