• Et tournent les chevaux de bois, Ride the pink horse, Robert Montgomery, 1947

    Et tournent les chevaux de bois, Ride the pink horse, Robert Montgomery, 1947 

    C’est ce qu’on pourrait appeler un classique du film noir. A la fois parce qu’il est tourné au moment de l’apogée du cycle, et parce qu’il est inspiré de l’ouvrage de la grande romancière Dorothy B. Hughes qu’on peut considérer comme un des piliers du roman noir américain. Tous ses romans n’ont pas été hélas traduits en français. C’est un auteur hélas un peu oublié qui a écrits un certain nombre de chef-d’œuvres, comme le très beau Tuer ma solitude. Mais par contre une partie d’entre eux a été brillamment portée à l’écran, par exemple In a lonely place réalisé par Nicholas Ray avec Humphrey Bogart, Fallen sparrow, réalisé par Richard Wallace avec le grand John Garfield. Le thème général de ses œuvres est le déséquilibre comportemental qu’entraîne une solitude insupportable.

      Et tournent les chevaux de bois, Ride the pink horse, Robert Montgomery, 1947

     Gagin est un vétéran de la Seconde Guerre mondiale qui arrive par le bus à San Pablo au Nouveau Mexique pour se venger d’un certain Frank Hugo qu’il considère comme le responsable de la mort de son copain Shorty. Mais Hugo n’est pas à son hôtel, il doit l’attendre. Il va chercher une chambre pour y passer la nuit. Mais plus rien n’étant disponible, c’est en effet la fiesta à San Pablo, il doit se résoudre à chercher à se loger dans le quartier mexicain. Guidé par la jeune Pila, il va atterrir dans une taverne pauvre et apparemment mal famée où il va rencontrer un certain Pancho, le patron d’un manège de chevaux de bois. Une amitié entre Pancho et Gagin va se nouer autour d’une beuverie mémorable. Cependant Gagin va reprendre l’idée de faire chanter Hugo, le gangster sourd, à qui il propose un chèque de 100 000 dollars contre 30 000 dollars. Ce chèque est en effet la preuve de la corruption d’Hugo. Et s’il tombait dans les mains du FBI, Hugo irait en prison pour longtemps. D’ailleurs Retz, l’agent du FBI, est aussi sur la piste d’Hugo et demande à Gagin de l’aider à la coincer. Mais Gagin n’a pas confiance et veut jouer sa carte en solo. C’est cependant un jeu dangereux où Gagin risque de laisser sa peau. Hugo n’est en effet pas trop décidé à se laisser faire et va tenter de le faire assassiner. Il devra la vie sauve aussi bien à Retz qu’à la protection paradoxale de la très jeune Pila qui semble amoureuse de lui.

     

    Et tournent les chevaux de bois, Ride the pink horse, Robert Montgomery, 1947

    A San Pablo Gagin se dirige vers le quartier mexicain 

    La grande réussite du film vient d’abord de cette capacité à restituer l’atmosphère rêveuse et cauchemardesque de Dorothy B. Hugues. Robert Montgomery joue sur les décalages non seulement entre les Américains et les Mexicains, séparés par un mur invisible, mais aussi entre les hommes adultes et les enfants. Lors de l’arrivée de Gagin à San Pablo, non seulement il va traverser des quartiers différents, passant de la richesse à la pauvreté, mais il va sortir du monde adulte pour se mêler aux enfants et aux adolescents qui l’accompagnent. Gagin est un homme un peu raide et compassé dans son costume bien repassé, mais il va se saoulé avec Pancho, le gros propriétaire du pauvre manège de chevaux de bois, sale et drôle qui l’héberge dans des conditions singulières. Egalement il sera très étonné de voir cette jeune Pila, à peine adolescente, le suivre de partout comme si elle s’était donnée pour mission de le protéger. Cependant le comportement de Pila est ambigu parce qu’elle vient aussi à la ville pour trouver un mari.

     Et tournent les chevaux de bois, Ride the pink horse, Robert Montgomery, 1947 

    A l’hôtel, il cherche à rencontrer Frank Hugo 

    Comme on doit s’y attendre dans ce genre de film, les caractères sont taillés à la serpe. Le débonnaire Pancho représente la générosité de ceux qui n’ont rien. Frank Hugo, le gangster handicapé, vit au contraire dans le luxe, mais sans pour autant pouvoir se fier à ceux qui le servent, d’ailleurs Marjorie conseillera Gagin en trahissant Hugo. Mais sa cupidité latente l’amènera aussi à vendre Gagin aux tueurs embusqués. Généralement ce sont les Mexicains qui représentent la vérité de la vie. Moins attachés aux conventions monétaires et aux aspects matériels, ils manifestent plus facilement leur générosité. Au fond, ils apparaissent plus libres que les Américains. Et on se demande si l’idée de vengeance de Gagin n’est pas un prétexte tout trouvé pour se suicider plutôt que d’accepter la vie comme elle vient. Il est tellement psychorigide qu’il ne sait pas se comporter avec la jeune Pila.

     Et tournent les chevaux de bois, Ride the pink horse, Robert Montgomery, 1947 

    Dans une taverne mexicaine, Gagin se saoule la gueule 

    Si la réalisation joue finement de ces oppositions de caractères, elle utilise aussi parfaitement les décors plus ou moins réels de la petite ville, et aussi de cette atmosphère de fête qui paraît la rendre folle. Robert Montgomery saisit parfaitement les mouvements de foule comme ceux à contre-courant de son héros obstiné jusqu’à risquer sa vie pour satisfaire sa colère. En tant que réalisateur Montgomery manifesta un vrai goût pour le noir, que ce soit ici avec Ride the pink horses ou que ce soit en adaptant Lady in the lake du grand Raymond Chandler. Il va donc saisir la lumière d’une façon singulière, magnifiant les ombres du quartier mexicain, éclairant les visages pour en faire ressortir les sentiments et les troubles. Il porte aussi une attention particulière aux visages des enfants mexicains qui représentent la vie et la joie.  

     Et tournent les chevaux de bois, Ride the pink horse, Robert Montgomery, 1947 

    La jeune Pila suit partout Gagin 

    C’est cependant un film à petit budget, sans grande vedette en dehors de Robert Montgomery. Cet acteur aujourd’hui oublié fut pourtant une immense vedette. Il a tourné pour Hitchcock et pour Ford, Ford qu’il remplacera au pied levé comme réalisateur sur They were expendables en 1945. Issu d’une famille très riche de l’Est, il n’était pas à un paradoxe près. En effet, après avoir connu des succès énormes dans des comédies légères, il se réorienta vers le film noir où il excella, travaillant avec des scénaristes et des acteurs qui seront blacklistés, tandis que lui témoignera auprès de l’HUAC. Ici il est excellent et domine le film de toute sa prestance[1]. Wanda Hendrix incarne la jeune Pila. Elle est remarquable d’enthousiasme maternel lorsqu’elle prend en charge Gagin pour le protégé quand il est grièvement blessé. C’est une très bonne actrice qui ne trouvera rapidement plus de rôle au cinéma et devra se contenter de travailler pour la télévision. Incidemment elle fut la femme d’Audy Murphy – cet acteur dont le titre de gloire était d’avoir été le soldat le plus décoré de la Seconde Guerre mondiale. Thomas Gomez est Pancho. C’était un acteur de théâtre, habitué aux seconds rôles dans des films noirs comme Force of Evil ou Key Largo. Son interprétation dans Ride the pink horses fera de lui le premier acteur hispano-américain à être nominé à l’Academy Award. Il a une présence très forte. Fred Clark est Hugo, le gangster au sonotone. Lui aussi a interprété des tas de seconds rôles dans des films noirs, on se souvient de lui dans Sunste boulevard ou dans White head. Sa silhouette nous est familière. Si Andrea King dans le rôle de Marjorie est très bien aussi, c’est Art Smith qui capte l’attention en interprétant le rusé agent du FBI.

     Et tournent les chevaux de bois, Ride the pink horse, Robert Montgomery, 1947 

    L’agent Bill Retz menace Frank Hugo 

    C’est un film constamment redécouvert et qui reste dans les mémoires. La raison en est sans doute que Robert Montgomery utilise au mieux la subjectivité du héros pour montrer à quel point il est perdu. Sans  Lady in the lake il remplaçait la première personne du singulier par une caméra subjective qui filmait l’histoire du point de vue du héros. Ici il mélange les dialogues en anglais et en mexicain – sans sous-titres dans la version anglaise du film pour renforcer ce climat de confusion mentale et de dépendance de Gagin à l’aide bienveillante des Mexicains. Il y avait à cette époque une sorte de redécouverte par les Américains des Mexicains, à la fois si proche et si lointain, exotiques et pourtant voisins, qui existaient déjà un peu comme un reproche de leur civilisation par trop matérialiste.

    Et tournent les chevaux de bois, Ride the pink horse, Robert Montgomery, 1947  

    Gagin est blessé 

    C’est un pur film noir, très original, qu’on peut voir et revoir avec toujours un grand plaisir. Don Siegel tournera un remake de ce film pour la télévision en 1964 sous le titre de The hanged man avec Edmond O’Brien et Robert Culp.  

     



    [1] Il était aussi le père d’Elizabeth Montgomery, la célébrissime actrice de la série télévisée Ma sorcière bien aimée. 

    « Les faucons de la nuit, Nighthawks, Bruce malmuth, 1981.Achtung ! Banditi, Carlo Lizzani, 1951 »
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