• Flic Story, Jacques Deray, 1975

     Flic Story, Jacques Deray, 1975

    Au début des années soixante-dix, les ouvrages de Roger Borniche connaissaient un très grand succès public. Ils racontaient tout en les romançant évidemment, des affaires auxquelles il avait été mêlé de près ou de loin dans l’immédiat après-guerre. Il participa à l’arrestation de quelques bandits célèbres, notamment celles de René Girier, dit René-la-canne, et d’Emile Buisson. Le premier n’a eu droit qu’à un film médiocre tourné par Francis Girod en 1977 avec Gérard Depardieu et Michel Piccoli. René Girier était pourtant un personnage hors du commun qui méritait mieux. Le second a toujours eu une mauvaise réputation, celle d’un tueur sanguinaire et un peu déséquilibré qui finit d’ailleurs sur l’échafaud. Curieusement d’ailleurs les romans de Borniche en dehors des deux que je viens de citer n’attireront guère le cinéma. Ces ouvrages avaient le mérite de revenir sur une période légendaire du milieu, celle qui suivait la Libération. Ils détaillaient les difficultés du métier, les longues traques qui devaient aboutir à l’arrestation de ces gros gibiers. L’amour du détail replongeait ainsi le public dans une France en train de disparaitre sous les coups de boutoir de la modernisation accélérée qu’on a connu à la fin des années soixante. Le film de Jacques Deray va jouer pour partie sur la nostalgie. Flic story, le roman aurait été selon Borniche lui-même encouragé par Alain Delon. Et c’est d’ailleurs ce dernier qui va produire le film.  

    Flic Story, Jacques Deray, 1975

    Nous sommes en 1947. Emile Buisson vient de s’évader de l’asile de fous où il était enfermé. C’est Borniche et son équipe qui sont chargé de l’affaire par la Sureté, leur patron espérant qu’il fera ainsi la pige à la Préfecture de Police. Tandis que Borniche cherche à le coincer, Buisson s’en va faire des casses avec sa petite bande, rackettant au passage les bourgeois dans des restaurants de luxe. Borniche va avoir l’opportunité de pister Buisson grâce à Raymond un bistroquet qu’il a retourné pour en faire un indic. Buisson s’est en effet réfugié chez son frère dans un quartier populaire de paris, à Gambetta. Les hommes de Borniche sont à deux doigts d’arrêter Buisson et sa bande. Mais les choses se passent très mal et Buisson arrive à s’échapper une fois de plus, son complice René Bollec ayant aperçu les peu discrètes chaussettes à clous qui cernent l’immeuble. Buisson comprend qu’il a été trahi par Raymond et s’en va le descendre. Il peut continuer son parcours sanglant, attaquant une usine où il rafle la paye. Bientôt Borniche va être mis sur la piste de Mario. Il fait mettre le restaurant où il a ses habitudes sur écoutes. C’est ainsi qu’il apprend que Mario doit rencontrer Buisson. Mais Buisson a repéré les poulets et parvient encore à s’échapper. Cependant comme il croit que Mario l’a balancé, il va le descendre. La bande à Buisson doit monter un coup, une perception. C’est Paulo le Bombé qui est sensé faire les repérages. Mais Borniche le piste et va le faire chanter à cause de sa femme tuberculeuse qui a besoin de pénicilline à une époque où elle est rare et chère. Paulo le Bombé va donner la planque de Buisson. Celui-ci se cache dans une auberge en retrait. Borniche, sa femme et ses deux équipiers qui se font passer pour des touristes vont l’arrêter. C’est un peu dangereux parce que Buisson est armé d’une grenade. Mais ils y arrivent après que Borniche ait ceinturé Buisson. L’arrestation étant bouclée, Borniche devra interroger le gangster sur les faits qui lui sont reprochés et à cette occasion ils vont sympathiser. Ce qui n’empêchera pas Buisson d’être guillotiné en 1956. 

     Flic Story, Jacques Deray, 1975 

    Borniche propose à Raymond de devenir son indic 

    A partir de la traque d’un bandit qui a réellement existé et qui a défrayé la chronique par ses meurtres à répétition, le film se veut une sorte de semi-documentaire sur les difficultés de la traque. Le scénario a été travaillé par Jacques Deray et Alphonse Boudard à partir du bouquin de Borniche. Il est assez linéaire et respecte ce que l’on sait d’Emile Buisson. Bien sûr il donne la part belle à Borniche. Son rôle est sans doute exagéré. En vérité dans toutes ces affaires qu’il a racontées, il a été un flic parmi tant d’autres. Mais le cinéma est là aussi pour simplifier les choses. A travers cette histoire, l’ambition du film est de produire une reconstitution soignée d’une époque révolue dans le Paris de l’après-guerre. Le ton sera à la nostalgie, notamment avec la voix off de Delon qui commente l’affaire au début et à la fin. Les difficultés de la traque sont compensées par le plaisir de la traque, mais aussi par la rencontre entre deux hommes qui finiront par sympathiser. Les références habituelles des films sur le milieu sont évoquées, le fameux code de l’honneur que personne ne respecte, les tendances sanguinaires et suicidaires de Buisson. Borniche est un leader et il a parfois du mal à retenir la hargne de ses troupes, il s’affrontera avec l’inspecteur Darros qui est très brutal. C’est peut-être la partie la moins crédible du film, car à cette époque dès que les flics agrafaient un truand, ils commençaient d’abord par lui mettre la tête au carré, avant de lui poser des questions. C’était la technique habituelle, histoire d’assouplir le caractère du prévenu, surtout si celui-ci était connu comme un bandit dangereux et violent. Souvent présenté comme un affrontement entre deux hommes, le film est d’abord l’histoire de Borniche, et Buisson est seulement le gibier. Les deux rôles ne sont pas du tout équivalents. Du reste on ne s’attardera guère sur la vie intime des gangsters. Certes on comprend bien qu’ils vivent un peu en famille, comme un clan, mais ils n’ont pas une très grande profondeur de caractère. Ils sont les ennemis de la société, donc pas de notre monde. Le scénario a tenté aussi de développer des relations entre Borniche et sa fiancée Catherine, histoire d’humaniser le personnage de l’inspecteur. Ce n’est pas très convaincant, et en outre, le fait de la faire participer à l’arrestation de Buisson n’apparait pas très crédible. Ça l’est encore moins compte tenu de l’époque à laquelle se passe cette histoire.

     Flic Story, Jacques Deray, 1975 

    Borniche cherche sur le plan l’adresse du frère d’Emile 

    Une grande partie de l’intérêt du film repose sur la reconstitution d’une époque. C’est ce qui est toujours le plus difficile, ici c’est plutôt bien fait, quoique les costumes de Delon me semblent un peu trop de bonne facture. Un inspecteur de police ne gagnait pas lourd à cette époque, et surtout pas de quoi se payer des fringues de vedette de cinéma. Ça pose moins de problème pour les truands qui, du moment qu’ils volent, ont forcément les moyens de se payer de belles fringues. Mais pour le reste les costumes et les tissus, les objets ont un bon aspect de vérité. Les lieux de Paris et de la banlieue sont utilisés intelligemment pour donner un parfum d’époque. En même temps le film va loucher du côté de Melville, par exemple dans la manière dont s’agence la poursuite dans le métro, ou les scènes dans la banlieue déserte. On peut regretter que le braquage de l’usine ne soit pas un peu plus soigné. Il nous paraît un peu trop rapidement expédié. En règle générale le film avance sur un faux rythme, parfois les scènes d’action sont sabotées, parfois on s’attarde sur des détails très mineurs, comme par exemple cette histoire avortée entre Emile Buisson et la jeune Jocelyne. Certes cela permet de faire apparaître Buisson comme un impuissant, ou comme quelqu’un dont la folie est le résultat de son peu d’implication dans les choses du sexe. Seule la scène de l’arrestation de Buisson pendant qu’il mange échappe à cette critique.

     Flic Story, Jacques Deray, 1975

    Emile plaisante mais fait peur à Paulo le bombé 

    La réalisation n’est pas mauvaise. Elle manque peut-être un peu de rythme et d’imagination, Jacques Deray n’a jamais été un très grand technicien, mais c’est ici un de ses meilleurs films avec La piscine. Il s’entendait bien avec Delon et l’a accompagné sur sept films, c’est même lui qui l’a le plus souvent dirigé. C’était un cinéaste dont l’essentiel de la carrière s’est fait dans le film policier, avec parfois quelques incursions vers le noir. Flic story montre assez bien ses qualités et ses limites. Les travellings sont discrets, et Deray n’abuse pas des changements d’angle intempestifs, ni de la grue. Mais elle fonctionne assez bien et s’appuie sur une bonne photographie de Jean-Jacques Tarbes qui a beaucoup travaillé avec Deray, sur La piscine, les deux Borsalino et qui avait aussi fait la photo de Deux hommes dans la ville. Il y a un bon travail sur les couleurs et donc la saisie des couleurs de l’automne et de l’hiver qui se marient avec le vert de l’imperméable de Borniche. La séquence du braquage du restaurant permet d’utiliser la profondeur de champ et de donner de la force à l’action. Les scènes d’action sont plutôt fonctionnelles, propres, mais sans génie à une ou deux exceptions près que j’ai déjà signalées. Les face à face, que ce soit Borniche avec Buisson, ou Borniche avec son frère sur un lit d’hôpital, sont proprement cadrés, avec des gros plans qui laissent beaucoup de marge à l’expression des acteurs. 

    Flic Story, Jacques Deray, 1975 

    Borniche vient examiner le cadavre de Mario 

    L’interprétation c’est d’abord Delon, il a produit le film et s’y retrouve naturellement au centre. Il est très bien dans ce genre de rôle et ne joue pas les mutiques. Il est même plutôt bavard, sortant un peu de ses rôles trop sombres de voyou perdu. C’est la deuxième fois qu’il incarnait un flic. Il est épaulé ici par Jean-Louis Trintignant dans le rôle du tueur psychopathe. A cette époque la carrière de Trintignant patine un petit peu, il a multiplié les expériences et depuis Le voyou qu’il a tourné avec Lelouch, il n’a plus connu le succès. C’est un acteur connu qui navigue entre des films d’auteur et des films où les vedettes sont nombreuses et l’histoire éclatée entre plusieurs personnages. Il est plutôt bien. Et c’est lui qui des deux personnages est le plus taiseux. Il arrive à imposer sa présence, malgré sa petite taille. Les seconds rôles sont occupés par des habitués de la filmographie polardière d’Alain Delon. Renato Salvatori, Paul Crauchet, Maurice Biraud, ou encore Marco Perrin. Il y a très peu de femmes. Claudine Auger interprète Catherine. C’est une actrice qui n’a jamais réussi à s’imposer, ancienne Miss France, ancienne James Bond Girl, elle n’a obtenu que des rôles de faire-valoir, Jacques Deray l’avait déjà dirigée dans un film assez mièvre, Un peu de soleil dans de l’eau froide, adapté de Françoise Sagan. Mais ici elle n’est pas mal, bien que son rôle soit assez peu étoffé. Maurice Barrier et André Pousse se font remarquer dans le bon sens du terme dans des interprétations solides de truands. Il faut donner une petite mention à Alphonse Boudard qui a écrit aussi les dialogues, il incarne un petit imprimeur qui donne dans les faux talbins. C’est un bon souvenir pour ceux qui, comme moi, ont aimé l’écrivain et ses créations langagières qui fut aussi un peu voyou avant de se ranger. 

    Flic Story, Jacques Deray, 1975 

    Un imprimeur de faux billets s’est fait coincer 

    Le film a très bien passé l’épreuve du temps, même si ce n’est pas un chef-d’œuvre, il n’est pas assez noir pour cela. Peut-être aurait-il fallu donner plus de poids au personnage de Buisson, renforcer son côté psychopathe, mais cela aurait eu pour conséquence d’affaiblir le personnage de Borniche qui devait rester le sujet du film, aussi bien dans l’esprit de l’écrivain que dans celui de Delon. Le succès public a été au rendez-vous, et la critique pourtant généralement peu amène vis-à-vis des films de Delon a été pour une fois relativement bienveillante, bluffée sans doute par une reconstitution satisfaisante. L’aspect nostalgique qui va très bien finalement à Alain Delon, lui donne une patine intéressante. C’est une sorte de Borsalino qui se prendrait un peu plus au sérieux en refusant le côté parodique. La musique de Claude Bolling sera d’ailleurs bien moins sautillante, tout en rendant un hommage appuyé à l’époque.  

    Flic Story, Jacques Deray, 1975

    Emile Buisson est arrêté 

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      Borniche passera de longs mois à interroger Buisson 

    Flic Story, Jacques Deray, 1975 

    Le vrai Borniche et le vrai Emile Buisson

    « Pris au piège, Cornered, Edward Dmytryk, 1945Laura, Otto Preminger, 1944 »
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