• François Thomazeau, Marseille brûle-t-il ?, Gaussen, 2021

     François Thomazeau, Marseille brûle-t-il ?, Gaussen, 2021

    Il y a trois ans François Thomazeau publiait Marseille confidential dont nous avions dit le plus grand bien pour cette capacité de mettre en scène une réalité brute, historique, et des éléments de fiction[1]. Si cet ouvrage nous avait beaucoup plu, c’est moins parce que son titre était décalé de James Ellroy que pour sa capacité de lire une réalité particulière à la ville de Marseille à travers ce mélange de fiction et de faits criminels bien réels, comme si cela permettait de mieux voir. Dans ce deuxième volet qui se passe entre l’incendie des Nouvelles Galerie et la Libération, on va trouver et retrouver des personnages qui ont bel et bien existé, comme les voyous Carbone, Spirito, les frères Guérini, Gaston Defferre, et puis des personnages inventés pour les besoins de la cause par exemple Buitton, le maire de la Ciotat Buitton, dont François Thomazeau a trouvé sans doute le nom chez Jules Romains qui s’était lui-même inspiré du vrai maire de La Ciotat, Fernand Bouisson qui fut président de la Chambre des députés, mais qui, contrairement à ce que dit le roman, s’il était bien un collabo et un ancien joueur de rugby, est mort dans son lit à l’âge de 85 ans. Jo Santucci semble décalqué de Jo Renucci. L’inspecteur Bory est un décalque de Pierre Bonny dont le nom reste attaché aux exactions de la Carlingue emmenée d’une main de fer par Henri Lafont. Mais Robert Blémant, sans doute le personnage clé du livre, a bel et bien existé et la plupart des faits que le roman lui rattachent sont réels. Comme dans le premier volet, c’est très solidement documenté 

    François Thomazeau, Marseille brûle-t-il ?, Gaussen, 2021

    Le Vieux Port dans les années trente 

    C’est un roman choral qui met en mouvement des figures disparates de Marseille durant une période très agitée et difficile. Mais il y a un fil conducteur qui reprend le thème de la magouille immobilière : raser les vieux quartiers après avoir acheté des immeubles est une possibilité d’enrichissement facile au nom de la nécessaire salubrité. Dans le premier volume Antoine Cardella était mort pour ça. Dans le second, Adèle, sa veuve, et quelques policiers intègres comme Théroz ou Grimal, vont tenter de remonter la piste des commanditaires de l’assassinat qui va se recouper avec les commanditaires de l’incendie des Nouvelles Galeries. Adèle travaille au Perroquet bleu, un des fiefs des Guérini, qui tenait à la fois du bordel, de l’hôtel et du restaurant. Bien qu’il se soit assagi, cet endroit existe toujours. Il a conservé cependant cette espèce de vitrail représentant un perroquet bleu que je lui ai toujours connu. En ce lieu, Adèle croisera des réfugiés qui tentent de s’extraire du piège marseillais pour rejoindre les Etats-Unis, dans une ambiance qui rappelle le roman d’Anne Seghers, Transit[2], ou encore le livre de Jean Malaquais, Planète sans visa[3]. Et bien sûr Marseille, années quarante de Mary Jay Gold[4]. Celle-ci est d’ailleurs présente dans Marseille brûle sous le nom de Mary Fitzgerald, l’amoureuse de Raoul Pixchotte, dans la réalité son amant était Raymond Couraud, un déserteur de la légion étrangère qui passa par l’Espagne pour rejoindre l’Angleterre.   

    François Thomazeau, Marseille brûle-t-il ?, Gaussen, 2021

    Le quartier réservé à Marseille 

    Mais le but de François Thomazeau n’est pas de faire un jeu de piste ou un roman à clés. Il est plutôt de montrer des symétries. D’abord celle entre les policiers et les voyous, chacun passant d’un bord à un autre en fonction des intérêts du moment, usant tour à tour de violences extravagantes comme Blémant par exemple. Mais la symétrie se trouve aussi entre les notables et les gangsters qui tous sont motivés par l’argent facile. Cependant la situation politique générale va emporter tout cela et on verra que le souci d’humanité a bien du mal à surnager. En même temps que le couple Mary-Raoul se disloque, c’est toute la société qui est secouée par la violence et cette violence accouchera, bien au-delà des intérêts pécuniers, d’une nouvelle société. Roman noir par excellence, les caractères sont presque tous frappés d’ambiguïté, même Simon Sabiani qui souffrira de la perte de son fils François, même Carbone, mourant bêtement dans un accident de train. L’ambigüité des frères Guérini est présentée par les deux frères, Mémé, plus patriote et engagé directement dans la Résistance et Antoine, plus réservé. Blémant est tout autant ambigu, et encore dans cette période particulière, il agit pour le bien public. Ce sera moins vrai après la guerre. Mais il use d’une violence qui ne l’effraie. Est-ce l’époque ? Son Caractère ? On n’a pas de réponse à cette question. Les personnages les moins ambigus, sont Raoul et Mary, ou encore cette crapule de président Buitton qui, aveuglé par l’appât du gain, n’est finalement pas très précautionneux. la symétrie est encore au rendez-vous avec cet effet de miroir entre la politique et le monde du grand banditisme, comme si celle-ci était la continuation de celui-là par d'autres moyens. 

     François Thomazeau, Marseille brûle-t-il ?, Gaussen, 2021

    Manifestation des Marseillais le 14 juillet 1942 

    Ce roman ce n’est pas seulement une leçon d’histoire, quoique cela pourrait tout aussi bien servir à des jeunes générations pour leur former le caractère. On y trouvera des passages remplis d’émotions, par exemple quand on aligne les corps brulés dans l’incendie des Nouvelles Galeries à la Brasserie du Chapitre et que les rescapés de l’incendie manifestent leur désarroi, ou encore dans la mise en scène de la manifestation du 14 juillet 1942 qui se terminera de manière sanglante. C’était un épisode qui m’avait été raconté par ma mère qui l’avait vécu et qui l’avait beaucoup marqué. Et puis bien sûr il y a la rafle dans les vieux quartiers que les Allemands dynamiteront, avec cette honte qui prendra Grimal, spectateur sans doute trop passif, aux tripes

    François Thomazeau, Marseille brûle-t-il ?, Gaussen, 2021 

    Janvier 1943, les Allemands rafleront 20 000 Marseillais dans les vieux quartiers, avec l’aide de l’armée et de la police française 

    C’est un ouvrage passionnant même pour ceux qui connaissent assez bien l’histoire de Marseille durant l’entre-deux-guerres. Nous souhaitons seulement que François Thomazeau ponde une suite parce que l’histoire du banditisme à Marseille après la Libération ce n’est pas triste non plus. Blémant sera assassiné en 1965, puis en 1967 c’est Antoine Guérini qui y passera, entre temps Marseille aura eu la visite intempestive de Pierre Loutrel, dit Pierrot-le-fou, et il y aura eu des morts avec le prolongement des luttes contre les communistes qui étaient, après la Libération, et le retour de Billoux, devenus très puissants, obligeant les socialistes de Gaston Defferre à s’allier avec la droite catholique qu’on appelait bêtement à l’époque le centre. La mort de Vincent Voulant, un ouvrier des Aciéries du Nord, attribuée aux frères Guérini, lors des manifestations de 1947 signera comme la défaite finalement des communistes dans la ville, le début de leur déclin et d’une normalisation longue et difficile, remise en permanence en question.



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/francois-thomazeau-marseille-confidential-plon-2018-a156445818

    [2] Ecrit sur le vif en 1941, il n’a été traduit de l’allemand que dans les années 80, Alinéa, 1987.

    [3] Le Pré aux Clercs, 1947.

    [4] Phoebus, 2004.

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