• Gilbert Béna, Nous étions le milieu, La manufacture des livres, 2012

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    Gilbert Béna, dont le surnom et « Gibus », possède un passé de grand voyou assez copieux, même s’il est bien moins connu que d’autres figures du milieu parisien. La couverture du livre nous précise qu’il est né en 1939 et qu’il a fréquenté le bar le Laetizia, haut lieu du banditisme montmartrois. Si on devait le définir du point de vue de son métier, on dirait que c’est un spécialiste de l’ouverture de coffres-forts.

    La manufacture de livres s’est fait une réputation dans la publication des témoignages de voyous. Ce sont souvent des témoignages bruts qui donnent la vision personnelle d’une vie de truand. Ils souffrent parfois d’un manque de recul et ne racontent pas d’histoire à proprement parler. Ce n’est pas le cas ici. Bien sûr il y a des anecdotes très nombreuses, mais ce n’est ni une justification des choix de vie de Béna, ni un ouvrage de souvenirs. Il y a une vraie histoire : Béna et ses acolytes, dont l’un est le portrait craché de Jean Gabin auquel il s’identifie, rêvent de réaliser le casse du siècle. La bande va vivre dans cette obsession, préparant leur coup à travers mille difficultés. Cette affaire leur bouffera plus de deux ans de leur existence et les mènera en cabane. Mais entre temps, il faut bien vivre, ce qui veut dire que pour remonter de la monnaie, ils doivent se lancer dans des casses moins classieux, faire un peu dans les machines à sous. Surtout que les truands aiment dépenser sans compter. Ils bringuent à longueur de temps, ou encore ils laissent pas mal de leurs recettes sur les tapis verts ou sur les champs de course. Le monde de la nuit n’est pas une synécure, il faut de temps en temps se faire respecter, sortir les calibres ou faire exploser les boîtes de nuit d’un concurrent pau accomodant.

    Si l’intérêt de l’ouvrage repose d’abord sur le fait qu’il y a une vraie histoire, de vrais personnages, il réside aussi dans son écriture. C’est bien écrit et les dialogues sont très bons, ce qui n’est pas toujours le cas des productions de ce style. Bref un vrai roman noir avec la couleur de l’authenticité. On peut regretter quelques scènes répétitives – les casses des coffres des hypermarchés sont un peu toujours les mêmes, et les bévues de Jacky un peu trop prévisibles. Mais on ne lâche pas le bouquin avant de l’avoir fini.

    La publicité du livre le rattache à Simonin. Ce n’est pas tout à fait faux, sauf que ce n’est pas l’époque de Simonin, les mœurs ont déjà changées – les filles paraissent un peu plus libérées que dans les romans du créateur de la série du Grisbi. Et d’ailleurs la meilleure des preuves que l’époque de Simonin est bien révolue, c’est que le fameux casse du siècle va échouer pour des questions d’alarme électronique ! Béna a également le goût de la dérision, ce qui lui évite de prendre la pose. Son récit est émaillé de scènes franchement drôles et de portraits cocasses.

    Mais si le ton dominant est volontairement ironique, il y a aussi une touche de nostalgie. Béna présente le milieu parisien comme un monde qui est bien en train de mourir. Pigalle commence à faire la place à de nouveaux venus, des Arabes ou des Slaves qui n’ont plus les mêmes conventions sociales que les Corses. Et d’ailleurs, il suffit de circuler aujourd’hui dans le quartier, de la place Blanche à la rue Fontaine, pour se rendre compte que celui-ci est en train de se transformer en un vaste supermaché du sexe, cantonné dans le bas de gamme, comme si ce quartier avait rompu avec ses amarres populaires. Le grand poète André Breton qui a vécu jusqu’à la fin de ses jours rue Fontaine et qui aimait prendre l’apéritif place Clichy, ne s’y reconnaîtrait plus !

    « La chute d’un caïd, The rise and the fall of Legs Diamond, Budd Boetticher, 1960Hommage à Peter Lorre et Sydney Greenstreet »
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