• Hangover Square, John Brahm, 1945

    Hangover Square, John Brahm, 1945

    Entre The lodger et Hangover square, John Brahm a participé à un autre film noir, Guest in the house. Mais on ne sait pas trop ce qu’il y a fait. En effet, bien que ce film porte sa signature, on signale que plusieurs autres metteurs en scène y ont participé, dont John Cromwell, Lewis Milestone et même André De Toth ! Hangover square tiré d’un roman de Patrick Hamilton. Ce dernier est peu connu en France. C’est un écrivain et un dramaturge anglais qui a eu énormément de succès. Salué par Graham Greene comme un grand écrivain, sa pièce The rope a été adaptée au cinéma par Hitchcock en 1948. Notez également que La corde a été jouée en français par Robert Hossein en 1954 au théâtre de la Renaissance. L’œuvre théâtrale d’Hamilton donnait d’ailleurs à penser à Frédéric Dard qu’il y avait en France la possibilité de développer un théâtre populaire sur la base d’un théâtre noir et policier, Hamilton était un peu son modèle. Hangover square est, à l’origine, un roman écrit en 1941, au moment des heures les plus sombres de l’histoire de l’Angleterre, il n’a été traduit en français qu’en 2005, aux éditions Rivages. Si ce film reprend une partie des recettes qui ont fait le succès de The lodger, il va pourtant s’en éloigner et introduire de nouvelles thématiques pour le film noir.  

    Hangover Square, John Brahm, 1945

    George Harvey Bone est un compositeur de musique classique qui peine à terminer un concerto pour piano et orchestre qui devrait lui assure une renommée internationale. Très lié avec le chef d’orchestre Sir Henry Chapman, il est aussi discrètement courtisé par la fille de celui-ci, Barbara. Mais George ne voit pas grand-chose, trop absorbé par sa musique. Son travail le rend un peu malade, ses nerfs sont à bout. Une nuit il assassine un vieil antiquaire, et met le feu à sa boutique. Mais il ne se rappellera de rien. George met Barbara au courant de ses périodes d’amnésie. Elle l’incite à aller voir le docteur Middleton qui travaille aussi pour Scotland Yard. Le sang sur son manteau, la blessure au front, tout indique que George est le criminel de Fulham street. Mais les analyses pratiquées par le docteur Middleton vont le disculper. Le docteur, voyant le trouble de George, lui demande de sortir, de rencontrer des gens et d’oublier un peu sa musique. C’est malheureusement ce qu’il va faire. Dans une sorte de cabaret, il rencontre Netta, une chanteuse un peu vulgaire qui exhibe ses charmes en chantant. Cupide et égoïste, elle va utiliser George pour qu’il lui écrive des chansons à succès. Pour cela elle va lui faire croire qu’elle l’aime. George se rend cependant compte qu’elle le prend pour un imbécile et décide de rompre. Sous l’impulsion de Barbara, il se remet à son concerto. Mais Netta le relance jusque chez lui, elle même piller une petite partie de son concerto. Elle lui laisse entendre qu’elle va l’épouser. En réalité, elle s’apprête à se marier avec Eddie Carstairs, producteur de revues. George va les surprendre tous les deux. Une violente dispute éclate. George s’en va. Mais dans un état second, il va revenir, tuer Netta, puis brûler son corps au sommet du bûcher de la Guy Fawkes Night, commémorée la nuit du 5 novembre. Il va cependant terminer son concerto, la police recherche Netta, et les soupçons vont être orientées par Eddie Carstairs vers lui. Scotland Yard débarque, avec le docteur Middleton. Mais les preuves sont absentes. L’obstination de Middleton cependant va payer. Finalement George va pouvoir donner son concerto, après avoir enfermé Middleton dans une cave. Il n’aura pas l’occasion de terminer la représentation. Middleton va revenir avec les hommes du Yard. Plutôt que de se livrer à la police, George va mettre le feu, et il terminera son concerto au milieu des flammes.

    Hangover Square, John Brahm, 1945  

    George met le feu à la boutique de l’antiquaire 

    Bien que cette histoire soit construite à partir d’emprunts évidents aussi bien au roman de Gaston Leroux, Le fantôme de l’opéra, publié en 1910, qu’au roman de Maurice Renard, Les mains d’Orlac, publié en 1920, elle n’en recèle pas moins une grande richesse thématique. Nous l’avons dit, l’équipe est pratiquement la même que celle de The lodger. Et pourtant, si l’ambiance est très semblable, The lodger est sous le signe de l’eau, la Tamise dans laquelle Slade finira, tandis que Hangover Square est sous le signe du feu. L’eau apaise, mais le feu détruit tout sur son passage. Bien évidemment on retrouve une mauvaise fille qui montre ses cuisses et ses dessous et qui suscite les mauvais instincts des criminels en puissance. Mais ici Netta est plus que mauvaise, manipulatrice, elle se sert de ses charmes pour obtenir ce qu’elle veut – dans l’ouvrage elle est carrément fasciste. On note que Netta est particulièrement vulgaire, et si on se dit qu’elle a bien mérité son sort lorsqu’elle se fait étrangler, on comprend aussi que George est attirée par elle parce qu’elle exhibe une sexualité décomplexée, comparativement à la trop sage Barbara à laquelle George ne s’intéresse pas vraiment. Il y a donc en filigrane, et quelles que soient les intentions du scénariste ou de John Brahm, un procès de la répression sexuelle qui régnait dans la société victorienne : ici tout est hypocrisie. L’autre thème important est celui de la perte de mémoire qui va devenir un thème important du film noir de la fin des années quarante : par exemple Somewhere in the Night de Mankiewicz en 1946, Spellbound d’Alfred Hitchcock qui date de 1945 ou même High wall de Curtis Bernhardt. C’est un thème très lié à la guerre – comme si on ne voulait ne plus voir – on le retrouvera encore dans Mr Arkadin de Welles en 1955. Or l’amnésie ouvre directement sur le thème du double – docteur Jekyll et mister Hyde – d’un côté il y a un compositeur de musique doux et raffiné, et de l’autre un tueur sans pitié. Il va y avoir aussi un discours sur la responsabilité individuelle des criminels. L’opposition des classes sociales à travers la musique est également intéressante, quoique moins originale. Les classes aisées dont George fait partie ne s’intéresse qu’à la grande musique, tandis que le bas peuple dont vient manifestement Netta est plus portée sur la chanson et les petites mélodies dépouillées d’artifice. Il faut voir l’ennui qui se lit sur la figure de Netta quand George lui propose d’assister à un concert classique. Et pourtant George est attiré par l’hédonisme de Netta ! Il existe encore un autre sous-thème, c’est celui qu’on a vu à propos des adaptations de The lodger, celui de la jalousie : le policier bien sous tous rapports envie quelque part le criminel ! En effet quelles peuvent être les véritables motivations du docteur Middleton qui veut à toute force que George soit coupable alors qu’il ne possède strictement aucun début d’élément de preuve ? 

    Hangover Square, John Brahm, 1945 

    George a une blessure à la tête 

    Il y a dans la mise en scène une grande maîtrise. Par exemple la manière dont la caméra suit dans le cabaret le rythme des chansons. Il est en effet assez rare que la musique dicte les images et leurs mouvements. Je crois que c’est ce que Brahm a tenté de faire ici et c’est tout à fait réussi. On retrouve ce principe vers la fin lorsque George se met au piano et que la caméra suit les réactions du public en fonction de la musique elle-même. Mais au-delà on va retrouver encore ses larges mouvements de grue qui permette de suivre le mouvement tout en saisissant la profondeur de champ. C’est évident dans la scène qui voit George tourner autour de Hangover square. Les scènes dialoguées sont peut-être moins originales, avec beaucoup de gros plans, champ-contre-champ. Le petit peuple de la nuit est joliment esquissé à travers la figure du veilleur de nuit qui travaille si on peut dire pendant que les autres s’amuse. C’est lui qui enterrera le malheureux chat de George qui s’est fait écrasé. Peut-être peut-on reprocher à ce film d’être hésitant entre film d’horreur et film noir. Mais on peut considérer qu’à l’inverse Hangover square montre la porosité entre les deux genres. 

    Hangover Square, John Brahm, 1945 

    La belle Netta enchante George en montrant ses dessous 

    L’interprétation est dominée par Laird Cregar pour qui le film est construit. C’était son dernier rôle. Il avait beaucoup maigri pour ce rôle, il était méconnaissable par rapport au Slade de The lodger. Il devait décéder juste à la fin du film, à seulement 31 ans. Il est excellent de bout en bout, peut-être moins impressionnant que dans le précédent film tourné avec Brahm. Mais il passe très bien de la situation de compositeur reconnu à celui d’amant tourmenté par la néfaste Netta. Plus encore que ses mimiques, ce qui est impressionnant, c’est la façon dont il joue de son corps pour montrer son désespoir, ou le retour de l’enthousiasme. George Sanders est très bien aussi dans le rôle un peu bref du docteur Middleton. Il a cette grâce et ce pétillement dans les prunelles qui donnent du volume à un rôle somme toute assez mince. Et puis il y a Linda Darnell qui interprète la sulfureuse Netta c’est-à-dire une roulure de première. Son physique un peu vulgaire est tout à fait adéquat. Le reste de la distribution est bien maîtrisé, mais c’est du tout-venant, ça meuble. 

    Hangover Square, John Brahm, 1945 

    Le veilleur de nuit a trouvé le chat de George mort 

    C’est à mon avis un film noir important par la richesse de sa thématique. John Brahm est à son apogée, sur le plan formel il y a des avancées capitales dans les mouvements de caméra, pour les jeux sur les ombres et les lumières, cela devient par contre assez courant vers cette époque. Le film a pris de l’importance au fil des décennies et on est toujours surpris de sa vivacité. Le clou restant évidemment la scène finale avec le concerto joué au milieu des flammes, comme métaphore de la guerre on ne peut faire beaucoup mieux. 

    Hangover Square, John Brahm, 1945 

    Le docteur Middleton tente de découvrir le secret de George 

    Hangover Square, John Brahm, 1945 

    Dans le salon en flammes, George continue à jouer son concerto

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