• Hommage à Marina Vlady

     Hommage à Marina Vlady

    Au mois d’octobre 2015, dans le temple de la cinéphilie parisien, le cinéma Mac Mahon, un hommage en bonne et due forme a été rendu à la talentueuse actrice Marina Vlady. Au-delà de la reconnaissance de la qualité de sa filmographie, c’était la reconnaitre aussi comme un symbole, une image particulière de la femme. En effet, sa présence avait une charge érotique assez peu égalée en son temps, et sa jeunesse faisait admettre cette forte charge sexuelle qu’elle dégageait à chacune de ses apparitions. C’était évidemment avant la célébration de Brigitte Bardot dans Et Dieu créa la femme, et les films de la jeune Marina Vlady restaient tout de même assez sages. Encore que Marina Vlady qui a commencé sa carrière cinématographique en 1949, est tout à fait contemporaine de Brigitte Bardot qui, elle, tourne dès 1952 dans Manina, fille sans voile, un film de sauvageonne de Willy Rozier. Sans doute les films de sauvageonnes étaient-ils dans l’air du temps.

    Marina Vlady fut une grande vedette aussi bien France qu’en Italie dans les années cinquante-soixante. Elle forma aussi un couple très glamour pendant quelques années avec Robert Hossein avec qui elle tourna un grand nombre de films, dont deux adaptations de Frédéric Dard, Les salauds vont en enfer et Toi le venin. Elle a fait une très longue carrière, tournant avec des réalisateurs de renom un peu partout dans le monde, et elle avait aussi la réputation d’une femme engagée politiquement très à gauche, pendant un moment proche du parti communiste. Encore à la fin de l’année 2015, elle était signataire d’une pétition contre l’Etat d’urgence décrétée dans la foulée des attentats parisiens du 13 novembre. Il n’est pas question ici de résumer une telle carrière, je voudrais juste dire un mot sur la façon dont l’image de Marina Vlady s’est construite et ce qu’elle a pu représenter. Elle-même était largement consciente de ce phénomène qu’elle décrit fort joliment dans Le collectionneur de Venise, roman qu’elle a publié en 1996 chez Fayard et qui s’inspire sans doute d’une réalité qu’elle a vécue. Elle y raconte l’aventure d’un homme qui l’ayant vue sur un écran, en resta en état de choc pour toute sa vie, et même le temps passant, sa passion se transforma en un fétichisme morbide.

     Hommage à Marina Vlady 

    Penne nere de Oreste Biancoli, 1952 

    Remettons dans son époque cette curieuse destinée. L’importance de l’image que Marina Vlady a projetée dans le public tient évidemment à sa très grande beauté, mais aux personnages qu’elle a incarnés entre 1952 et 1958. Dans cette période très particulière de reconstruction et de modernisation à marche forcée de l’Europe, elle représente justement une forme de résistance à cette modernisation envahissante et destructrice. On pourrait d’ailleurs dire que c’est là le point de départ de la critique même du capitalisme qui suppose que le progrès technologique et la transformation du cadre de vie est sans fin. Or Marina Vlady justement est l’héroïne romantique presque par définition, elle la fille de la terre et de la mer, la femme saisie dans sa nature essentielle. Elle a également une voix très particulière qui ajoute à son charme naturel. Elle enregistrera d’ailleurs quelques chansons, avec ses sœurs, mais aussi avec son dernier mari. Ses origines slaves, russes, plus précisemment renforce cette image romantique. Dans de nombreux films elle incarne ainsi une jeune fille – en 192 elle a à peine 17 ans ! – simple, n’ayant guère d’autre ambition que de vivre une grande histoire d’amour. Elle est prresque toujours habillée simplement, voire avec des robes usées comme dans La sorcière par exemple. Dans Pene nere, film peu connu en France, elle est une paysanne qui subit les affres de la guerre et de la résistance italienne, contrariant son envie de fonder se marier et de fonder une famille. Genna est amoureuse de Pieri, qui est interprété par Marcello Mastroianni, et malgré les vicissitudes de la vie, tout finira par s’arranger[1]. Sans doute ce film eut du succès puisque Guiseppe de Santis n’hésdita pas à réunir le couple Marina Vlady-Marcello Mastroianni pour un autre film.

     Hommage à Marina Vlady 

    Giorni d’amore, de Guiseppe de Santis, 1954 

    Dans le très beau Jours d’amour, de Guiseppe de Santis, Marina Vlady est Angela, une jeune paysanne pauvre qui veut se marier avec Pasquale, incarné par Marcello Mastroianni. L’intrigue se noue autour du fait qu’ils n’ont pas d’argent pour se marier et donc qu’en commettant le péché de chair, Angela tombera enceinte et il faudra bien la marier à Pasquale. Là encore elle incarne la simplicité des choses de la vie. Elle dévoile ses aisselles qui ne sont même pas rasées ! Chose inimaginable dès le début des années soixante et encore plus aujourd’hui. C’est rétrospectivement une défense particulière d’une féminité sans artifice. Ici aussi l’ambition qu’elle a de se marier et de fonder un foyer sera contrariée par la pauvreté des deux amants et la rigidité des institutions. Bien que le ton soit celui d’une comédie, le contenu social est tout à fait évident. Certes on pourra toujours rétorquer que pour des jeunes paysans pauvres, Marcello Mastroianni et Marina Vlady sont bien trop beaux, mais après tout c’est une manière de célébrer la force et la vigueur d’une classe réputée inférieure.

     Hommage à Marina Vlady 

    Les salauds vont en enfer, de Robert Hossein, 1955 

    L’aspect romantique de Marina Vlady va évoluer avec sa rencontre et son mariage avec Robert Hossein. Dans Les salauds vont en enfer, elle conserve toujours son allure de sauvageonne – telle Aphrodite, elle vient de la mer – mais s’y ajoute quelque chose de vénéneux cette fois, puisqu’elle se vengera d’une façon cruelle des hommes qui ont assassiné son compagnon. Elle est magnifiquement filmée par Robert Hossein, mais on remarque en premier lieu qu’Eva et son compagnon, un peintre qui recherche la simplicité de la nature, n’arrivent pas à concrétiser leur rêve qui se brise sur la nature très moderne d’une rivalité entre deux individus dont l’un est un espion et l’autre un agent secret qui cherche à l’éliminer – le nœud de l’intrigue est qu’on ne sait pas qui est le mouton. Les objets sont la marque de cette opposition, que ce soit les armes, ou la jeep qui caracole dans les dunes, ils s’opposent à la misérable petite cabane de bois et à l’immobilité de la nature. Marina est le lieu de cette contradiction.

     Hommage à Marina Vlady 

    La sorcière, d’André Michel, 1956 

    La sorcière est un film qui fit énormément pour la gloire de Marina Vlady dans les pays nordiques et plus particulièrement en Russie où elle est du reste encore très connue et admirée. C’est l’adaptation d’un roman d’Alexandre Kouprine, auteur très connu aussi pour son ouvrage La fosse aux filles. C’est avec ce film d’ailleurs que pour la première fois j’ai vu Marina Vlady sur un écran, je devais avoir 7 ans je crois. Là encore c’est l’opposition entre une nature difficile mais généreuse et l’artifice de la civilisation à travers une histoire d’amour entre un ingénieur français et une jeune sauvageonne Ina dont tout le monde a peur parce qu’elle est la petite fille d’une sorcière avec qui elle vit. Lui, Laurent, incarné par Maurice Ronet, est un ingénieur qui ne respecte pas la nature et qui vise par son travail à la transformer, c’est-à-dire à la soumettre aux désirs mercantiles d’investisseurs. Evidemment Ina incarne la pureté des sentiments face à la raison présentée par Laurent qui comprendra bien trop tard l’importance véritables des choses. Dans ce film, Marina marche pieds nus, elle incarne la force et le charme, mais aussi cette communion avec la nature et ses forces. Elle est au fond l’image du paradis perdu.

    Hommage à Marina Vlady

     Liberté surveillée, d’Henri Asnier, 1958 

    Avec Liberté surveillée, une coproduction de prestige franco-tchécoslovaque, Marina Vlady va retrouver un personnage tout aussi romantique mais moins tourmenté cependant. Elle est une nouvelle fois Eva. Mais quoi de plus étonnant qu’elle incarne la première femme ! Jeune étudiante au grand cœur, sportive qui plus est, elle va être la planche de salut pour Jean-Paul, un jeune délinquant – incarné par Robert Hossein – qui finira par retrouver le droit chemin par la force de l’amour. On note qu’ici aussi Eva est la fille d’une nature luxuriante et encore peu souillée par la modernisation latente. Les fêtes sont simples, comme les relations qui se nouent entre les jeunes gens. Jean-Paul à l’inverse vient de Paris, la grande ville qui produit toutes les tentations et dont les plaisirs éphémères entraînent les égarés sur la mauvaise pente. 

    Bien évidemment on ne peut réduire la carrière de Marina Vlady à ces quelques exemples. La liste est longue des très bons films auxquels elle a participé. Mais je crois que c’est à travers le genre de films dont on vient de parler qu’elle a fixé une  image lumineuse dans le public. L’hommage qui lui a été rendu au Mac Mahon a mis en avant d’autres films, l’inévitable Princesse de Clèves, la très belle adaptation de Crime et châtiment de Georges Lampin, ou encore Toi le venin. Si cela montre la diversité de la filmographie de Marina Vlady, cela n’enlève rien à ce que nous disons de ce moment particulier et mythique dans lequel s’est figée une image qui a fait d’elle une icône du cinéma français. 



    [1] Je passe sur imbécillité de la fin du scénario qui fait intervenir un miracle pour sauver la pauvre Genna. 

    « Trumbo, Jay Roach, 2015L’armée des ombres, Jean-Pierre Melville, 1969 »
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