• I was a shoplifter, Charles Lamont, 1950

    I was a shoplifter, Charles Lamont, 1950

    Si dans les années quarante le film noir choisit ses héros dans la négativité, donc de les comprendre, sans forcément les approuver d’ailleurs, au début des années cinquante, le film noir regarde un peu plus du côté de la répression, et présente le crime comme quelque chose d’anormal. Soit un parasitisme qui dérange la société dans la recherche de son harmonie, soit une maladie. Ici il s’agit de vols dans les grands magasins. Il doit s’agir d’un problème qu’Hollywood découvre puisque la même année on tournera un film – différent dans son principe – mais qui traite de la même question. Charles Lamont n’est pas un réalisateur reconnu, prolifique. Il commencera sa longue carrière au beau temps du cinéma muet et il réalisera dans les années trente plus de 100 films. Eclectique, il a beaucoup tourné de niaiseries, notamment des films avec le duo Abbott et Costello. Cependant malgré ce profil d’homme à tout faire des studios, il ne faut pas croire que ce soit un nul. C’est d’abord un excellent technicien qui maitrise très bien la grammaire cinématographique, ses films avec Yvonne de Carlo en attestent, et bien entendu s’il a autant tourné, c’est qu’on lui fait confiance, qu’il est très rapide et sûr. C’est clairement un film de série B. Fait avec relativement peu de moyens, il dure à peine plus d’une heure. Le scénario est assez astucieux et dû à l’obscur Irwin Gielgud qui a surtout travaillé pour la télévision. Qui dit Série B, dit évidemment des moyens réduits. Mais comme c’est un film Universal, on verra que la distribution est très soignée. On y verra les débutants, Tony Curtis, en tant que pâle voyou, et Rock Hudson, celui-ci étant pratiquement réduit au rôle de figurant. Rapidement ils vont devenir de grandes vedettes. 

    I was a shoplifter, Charles Lamont, 1950 

    Faye Burton est arrêtée dans un grand magasin 

    Faye Burton est en train de voler dans un grand magasin, mais elle est repérée, à la fois par les inspecteurs et par un autre voleur, Jeff Andrews qui la prévient. Mais elle ne tient pas compte de ses avertissements et se fait arrêter. En même temps Jeff Andrews se fait prendre lui aussi. Celui-ci est connu des services de police, mais la direction du grand magasin est surprise de voir que Faye Burton est la fille d’un juge, issue d’une famille respectable, elle vole d’une manière maladive. La direction va donc la laisser partir sur une vague promesse qu’elle ne recommencera plus, mais en échange, on lui demande de signer une reconnaissance pour ce délit. Mais en réalité, Jeff Andrews n’est pas un voleur, c’est un policier qui veut essayer de démanteler un gang de voleurs à la tire. La police pensant que Faye va être contactée par le gang, la surveille. Et en effet, alors qu’elle travaille à la bibliothèque, une femme élégante entre en contact avec elle. Cette femme est Ina Perdu, elle possède un cabaret. Elle laisse entendre à Faye qu’elle a les moyens de récupérer ses aveux, mais que pour cela il faut qu’elle travaille pour le gang. Jeff Andrews va rencontrer Faye, il lui fait croire qu’il est sorti de prison grâce à une caution. Il l’accompagne donc au rendez-vous qu’Ina lui a donné. Il va se heurter cependant à Pepe un voyou qui a des vues sur Faye.  

    I was a shoplifter, Charles Lamont, 1950

    Les policiers vont tenter d’infiltrer le gang 

    Il se fait remarquer et tandis que la bande discute avec un des membres de la bande, il entre en relation avec Ina qui le trouve à son goût. Il fait mine de vouloir se faire embaucher pour travailler avec le gang. Ina délaye pour prendre des renseignements sur lui. Mais les renseignements sont bons, et Faye et Jeff intègrent la bande. Le policier lui révèle qu’il est sous couverture et qu’il veut qu’elle l’aide à démanteler le gang. Le gang met en place un vol de grande envergure sur San Diego. On donne des leçons complémentaires à Faye pour qu’elle puisse voler notamment des fourrures. La police cependant met le cabaret d’Ina sur écoutes. Le gang va dévaliser les grands magasins de San Diego. Mais un inspecteur infiltré au cœur de la police prévient le gang qui va prendre ses précautions pour tenter de fuir au Mexique. Ils savent maintenant que Jeff est un infiltré, et que Faye travaille avec lui. Ils vont donc kidnapper la jeune fille et tenter de passer au Mexique. La police les suit à la trace, à l’aide d’un hélicoptère, mais ils arrivent tout de meme à passer la frontière. Tandis que les policiers américains réclament la coopération de la police mexicaine, le gang vend aux enchères le produit de ses rapines à Tijuana. L’intervention conjointe des deux polices aboutit au démantèlement du gang et Faye et Jeff vont certainement pouvoir filer le parfait amour ! 

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    Faye est contactée par Ina Perdue 

    Le décor de cette histoire c’est le vol dans les grands magasins, la même année, on tourne Mary Ryan détective[1]. Et là encore ce sera une histoire de policier infiltré pour démanteler le gang. Si le vol dans les grands magasins devient un sujet pour le film noir, ce n’est pas parce que le vol est d’une importance capitale, mais parce que les grands magasins se sont développés à grande vitesse dans les années qui suivent directement la fin de la guerre. Le film démarre à la façon semi-documentaire pour nous alerter sur l’importance des vols. Mais évidemment il semble que le vol à la tire soir principalement le fait de voleurs isolés, kleptomanes sou non, plutôt que de gangs spécialisés. Le vol à la tire a toujours été considéré comme de la petite délinquance. Mais peu importe, le film va donc tenter de nous montrer les petites ficelles des voleurs, les fausses poches, les boites truquées, etc. mais ce cadre soigneusement élaboré repose aussi sur la mise en avant de la différence entre les voleurs de profession qui sont considérés comme mauvais et les voleurs compulsifs qui sont seulement des malades qu’il faut soigner. Ces derniers qui sont issus de bonnes familles méritent notre compassion, les autres non ! En vérité on aurait pu renverser le propos, les voleurs qui ont des excuses sont ceux qui sont pauvres et ont besoin de manger, les autres qui ne sont pas dans le besoin, n’ont pas d’excuse. 

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    Pepe essaie de draguer Faye 

    Laissons là cette approche en termes de morale. On s’y perdrait. Ces grands magasins qui attirent les voleurs sont le pur produit des grandes concentrations urbaines. Et bien entendu pour les Américains, la ville a toujours été le lieu de la perdition, ou à tout le moins celui de la tentation. On voit donc qu’en introduisant dans le récit une kleptomane qui n’arrive pas à combattre son vice, le film introduit une ambiguïté selon laquelle, les grands magasins sont victimes d’eux-mêmes. Cette ambigüité est renforcée d’ailleurs par la question des infiltrés. En effet, Jeff Andrews est un policier qui infiltre le gang. Mais de l’autre côté le gang a infiltré un gangster au sein de l’organisation de la surveillance des grands magasins ! Les deux cotés utilisent donc les mêmes techniques sournoises pour emporter la bataille, ils sont donc un peu pareil. Ce thème des infiltrés est vieux comme le cinéma. Mais cette double infiltration parait beaucoup plus rare. Elle a été réactivée récemment par le film d’Andrew Law et Alan Mak au début des années 2000 avec Infernal affairs, dont Martin Scorsese fit un remake qui obtint un beau succès[2]. Je crois que c’est avec I Was a Shoplifter que ce thème de la double infiltration apparait pour la première fois à l’écran. 

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    Ina est très attirée par Jeff 

    Tout cela est plongé dans une sorte de trio où Jeff Andrews doit choisir entre la sulfureuse et sexy Ina et la  nunuche Faye qui est seulement bonne pour fonder une famille et faire des enfants. A l’évidence Andrews fort de son costume de mauvais garçon est plus attiré par Ina que par Faye. Mais c’est cette dernière qu’il se doit de protéger. Dans ce trio assez compliqué, on remarque qu’Ina est très sensible aux charmes de Jeff, bien qu’elle s’en défende, et que c’est d’ailleurs cela qui lui fera perdre sa prudence légendaire et causera sa perte. Que Jeff finalement préfère Faye à Ina prouve seulement qu’en fait il a peur d’une femme trop sensuelle et manifestement portée sur le sexe, au point de séquestrer Andrews et le conserver pour un usage ultérieur ! On retrouve cette idée qui a fait le succès du film noir, que les criminels soit puni ou non, ils apparaissent toujours comme attirants, malins, plein d’imagination et de désir. Ajoutez à cela Herb Klaxon, qui trahit ses patrons parce qu’il est follement amoureux d’Ina, on retrouve le désir comme guide principal des actions humaines. 

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    Jeff et Faye sont retenus prisonniers par le gang 

    Parmi les aspects remarquables de ce film, il y a l’obsession du Mexique. Si on se place du point de vue de la morale ordinaire, le Mexique est le lieu de refuge des criminels qui veulent disparaitre. Si au contraire on se range du côté de la logique du gang, on trouvera bienvenu cette possibilité d’échapper au contrôle social d’une société mortifère. Notez qu’à cette époque, le cinéma mexicain est florissant et attirant. Le Mexique va devenir un point d’interrogation aussi bien dans le film noir que dans le western. En 1952 Elia Kazan tournera Viva Zapata ! En 1947 Jacques Tourneur réalisera Out of the Past, chez d’œuvre du film noir dans lequel le Mexique jouera un rôle décisif. Comme si les Américains après avoir découvert l’Europe et le Pacifique dans les films de guerre, élargissaient leurs connaissances de leur voisin avec le film noir[3] ! 

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    Ina montre à Faye comment voler des fourrures 

    On l’a dit, le film disposait d’un budget assez faible, et il sera tourné essentiellement en studio, ce qui est plus économique à cette époque que de tourner dans des décors naturels. Les décors sont assez pauvres. Je ne crois même pas que la fin du film ait été tournée près de la frontière mexicaine. Les rares scènes d’extérieur sont cadrées d’une manière très serrée justement pour cette raison. On a tout de même fait un effort pour les scènes de poursuite vers le Mexique, avec des images d’hélicoptère. Mais pour le reste le rythme est très bon et la réalisation très fluide, bien aidée par une photographie très contrastée d’Irving Glassberg, un photographe qui travaillera surtout pour la télévision. Les scènes d’action sont bien rythmées, avec nervosité et sans faire trainer les choses. Le film étant court, il faut aller à l’essentiel. 

    I was a shoplifter, Charles Lamont, 1950 

    Les policiers ont installé des micros pour espionner le gang 

    L’interprétation est très satisfaisante. Scott Brady, abonné des films noirs de série B, est plutôt bien dans le rôle du policier à double face, Jeff Andrews, qui semble prendre au sérieux son rôle de voyou. Derrière, c’est Mona Freeman, c’est une excellente actrice, trop souvent abonnée comme ici aux rôles de gentille jeune fille. Elle incarne Faye Burton avec conviction, et parfois même avec une certaine rage. Mais c’est bien Andrea King dans le rôle de la sulfureuse Ina qui leur vole la vedette. Je l’ai déjà dit cette actrice n’a pas eu la carrière qu’elle méritait, cela est dû essentiellement au fait qu’elle ait été victime de la chasse aux sorcières. Mais elle a réussi tout de même à obtenir des rôles très intéressants, Ride the Pink Horses de Robert Montgomery, ou encore The Beast with the Five Fingers de Robert Florey. Les rôles féminins ne sont pas bâclés, loin de là, et les deux actrices incarnent finalement les deux cotés de la femme idéale ! 

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    Les policiers observent le déménagement du gang 

    Il y a aussi le toujours très bon Charles Drake dans le rôle de l’inspecteur des grands magasins qui tombe amoureux de la voleuse. Le reste ce sont des solides acteurs de soutien comme on dit, avec cette particularité qu’on trouve aussi Rock Hudson a ses tous débuts, et Tony Curtis qui à l’époque se faisait encore appeler Anthony Curtis. Il a tout à fait l’air d’une crapule de bas étage ! Il va très rapidement accéder aux premiers rôles, avec la grande carrière que l’on sait. 

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    Le gang embarque Faye 

    C’est un film très intéressant à plus d’un titre, sur le plan thématique, comme sur le plan esthétique. Bien entendu, ça n’est pas un chef-d’œuvre, mais il est intelligent et suffisamment bien fait pour qu’on passe un moment très agréable, ce qui n’est pas rien aujourd’hui vu la quantité de films médiocres que le cinéma contemporain nous propose. Il y a un coté canaille qui nous ravit tout à fait et qui nous fait nous sentir adultes ! Ce film qui n’a jamais été distribué en salles en France, est introuvable sur le marché du DVD ou du Blu ray. Mais on en trouve une copie très convenable en anglais non sous-titré, sur YouTube.  

    I was a shoplifter, Charles Lamont, 1950

    Ils ont passé la frontière du Mexique


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/abby-berlin-mary-ryan-detective-1950-a215615621

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/les-infiltres-the-departed-martin-scorsese-2006-a165079930

    [3] Luis I. Reyes, Made in Mexico : Hollywood South in the Border, Applause Books, 2018.

    « Les casseurs de gang, Busting, Peter Hyams, 1974L’impasse maudite, One Way Street, Hugo Fregonese, 1950 »
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