• Il marchait dans la nuit, He walked by night, Alfred L. Werker, 1948

    Il marchait dans la nuit, He walked by night, Alfred L. Werker, 1948

    Du point de vue de l’histoire du développement du film noir, c’est un film d’une importance capitale. Ce film souvent attribué à Anthony Mann est signé Alfred L. Werker dont le nom est seulement associé à cet ouvrage. On a peu d’information sur qui a fait quoi sur ce film. Les uns disent que ce sont surtout les scènes dans les égouts qui auraient été filmées par Mann, les autres qu’il aurait quasiment tout fait. Il est vrai qu’à le revisionner, avec en tête la manière de filmer de Mann, cela est très crédible. Cependant on peut être troublé parce que Anthony Mann avait beaucoup travaillé avec le grand photographe John Alton, et qu’ici aussi on sent la patte de celui-ci. C’est clairement lui qui donne du style au film. Son apport est tellement décisif, qu’on pourrait presque dire que c’est un film de John Alton. Si on compare ce film avec les daubes qu’on nous présente aujourd’hui comme des chefs d’œuvre, produits à grands coups de millions et d’effets spéciaux, on comprend mieux ce qu’est le style au cinéma et pourquoi celui-ci se trouve dans une impasse. L’histoire est adaptée de loin d’un fait divers pourtant bien réel : un cambrioleur, Erwin Walker, tue plusieurs policiers, condamné à mort, il se suicide. Mais comme il s’est suicidé, il est considéré comme fou et sa peine est commuée en détention en perpétuité. Cependant, il sera libéré en 1974 et refera sa vie sous un autre nom, il décédera en 2008. Le film emprunte les types de cambriolages et les meurtres de policiers à la réalité, mais aussi le profil psychologique du tueur : c’est un électronicien brillant qui est passé par l’armée et qui a travaillé un temps pour la police sans en faire partie toutefois. Ce film inaugure une tendance nouvelle dans le film noir, faire d’un tueur psychopathe le personnage central, tout en le présentant comme un personnage normal. Le scénario est dû John C. Higgins qui travailla très fréquemment avec Anthony Mann sur la plupart de ses films noirs. En déplaçant le genre de film policier semi-documentaire, vers le tueur, et en délaissant quelque peu les policiers, He walked by night, va tracer le portrait d’un tueur solitaire qui, s’il est inspiré de Raven le héros de This gun for hire, va encore plus loin dans la description de la solitude vécue comme une maladie dont on ne sort pas.

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    Un homme qui tente de cambrioler un magasin est dérangé par la voiture d’un policier

    Un soir un individu en train de cambrioler un magasin est surpris par un policier qui rentre chez lui. Il s’éloigne tranquillement du magasin qu’il ciblait, mais il se heurte au zèle insistant du policier. Pour s’en débarrasser, il le tue. La police est en émoi, et se mobilise pour le coincer. Les témoins disent que le meurtrier avait une fine moustache. Mais celui-ci entendant cela à la radio, va raser la sienne. On organise des rafles qui ne donnent rien, et le chef de la police va charger Marty Brennan qui était un ami de l’homme assassine de l’enquête. Celle-ci s’avère très difficile. Le tueur pendant ce temps va porter un appareil électronique qu’il veut mettre en location chez un dénommé Reeves qui voudrait bien d’ailleurs l’embaucher, vu ses compétences. Mais Roy – c’est le nom sous lequel Reeves le connait – décline la proposition. La police continue à enquêter sans succès. Jusqu’au moment où un homme reconnait chez Reeves un de ses appareils qui lui ont été volé. Dès lors on a une piste. La police va tenter de piéger Roy qui en vérité se nomme Davis Morgan, en faisant pression sur Reeves. Mais le piège échoue et le collègue de Brennan est grièvement blessé. Davis est également blessé, il va se soigner lui-même en extrayant la balle. La police tente alors de construire un portrait-robot à partir des éléments que lui a fournis Reeves, mais aussi à partir d’autres témoins qui ont été victimes de cambriolages similaires. Brennan a alors l’idée de montrer ce portrait-robot aux postiers. L’un d’entre eux reconnait Davis Morgan. Brennan se déguise en livreur de lait et repère le tueur. Dès lors la police va le cerner, mais il va s’enfuir par les égouts dont il connait bien le labyrinthe. Il n’arrivera pas cependant à s’échapper et sera abattu par la police.

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    Les rafles ne donnent rien

    La réalisation est sans fioriture et c’est sa sécheresse qui va faire sortir le film d’une simple illustration selon lequel le crime ne paie pas. D’ailleurs, on ne s’attardera pas sur le profil psychologique du tueur. Certes on comprend entre les lignes qu’il a été frustré quelque part, peut-être traumatisé en tant qu’ancien soldat, déçu de ne pas avoir été embauché par la police. Mais on ne s’avancera pas dans ce sens. Le film est donc centré sur le comportement et que voit-on ? Une meute nombreuse et organisée qui traque un homme solitaire qui doit faire face en tant qu’individu à une collectivité qui lui en veut. Il y a donc un renversement qui fait qu’on passe de la nécessité d’éradiquer le crime – c’est le message officiel et apparent – à la lutte d’un homme pour sa survie. Le fait que le tueur soit un homme plutôt intelligent et non une brute épaisse renforce le deuxième message. C’est encore plus évident dans la scène où on voit des témoins s’efforcer d’aider la police. Nous sommes en effet en pleine chasse aux sorcières, en pleine psychose. Et les fameux témoins sont d’abord des délateurs avant que d’être des victimes. Reeves aussi est un délateur, et ce n’est pas pour rien si on a choisi un acteur à la face de rat pour l’incarner. Crane Wilbur qui est aussi crédité sur le scénario, écrira une autre histoire à la gloire de la délation, I was communist for the FBI . Film des plus étranges puisque les agents du FBI mentent, trichent, dissimulent ce qu’ils sont et ce qu’ils visent avec comme seule obsession de coincer des communistes.

    Il marchait dans la nuit, He walked by night, Alfred L. Werker, 1948

    Roy met en location des appareil électroniques chez Reeves

    Le portrait du tueur solitaire est le deuxième axe de travail. Il vit seul avec son chien, il n’a pas de vie sexuelle comme Raven dans This gun for hire , mais aussi comme Jeff Costello dans Le samouraï de Melville avec son bouvreuil qui l’alertera de la visite de la police comme le chien de Morgan l’alertera sur le fait que la maison est cernée. Comme dans This gun for hire, le tueur a un visage fin, un physique presqu’adolescent, ce qui sera le cas du héros de Melville dans Le samouraï. Melville qui connaissait par cœur tous les tics du film noir, mieux que quiconque, reprendra également la séquence du fauve blessé qui se soigne par lui-même. Ce tueur solitaire dont on ne connait jamais le but réel, vit à l’écart du monde réel, barricadé, cloitré derrière ses stores vénitiens, épiant tout mouvement extérieur qui pourrait lui être hostile. Vivant dans les redents de la société, il est près à s’en extraire lorsque le danger est trop grand en s’enfuyant comme un rat par les égouts de la ville, pataugeant dans les eaux usées qui circulent dans les sous-sols, mais que les habitants ordinaires de la ville ne voient jamais et ne connaissent pas vraiment. A travers la saga de Davis Morgan, c’est à une exploration de la ville cachée à laquelle nous sommes invités.

    Il marchait dans la nuit, He walked by night, Alfred L. Werker, 1948

    Marty Brennan tente de piéger Morgan

    La mise en scène est rapide et sobre. Le découpage serré se marie très bien avec le caractère très sombre du film. On retrouvera plusieurs fois des tics de John Alton, par exemple la scène d’ouverture qui voit Morgan s’éloigner du magasin qu’il tentait de cambrioler, est une copie de la scène où on voit les deux tueurs dans le film de Robert Siodmak, The killers s’avancer dans la petite ville. La scène également où les deux policiers font le tour de la maison pour surprendre Morgan semble sortir elle aussi de ce film. Le film adopte volontairement un aspect semi-documentaire, mettant en scène les petites mains qui travaillent pour la police, en passant des messages, en alertant les voitures de patrouille. La rafle est également bien organisée, avec ces personnes menottées qui sont débarquées sans ménagement au siège de la police et cet envahissement des bureaux de la criminelle par une foule déjetée et sans avenir, miséreuse et fourbe. On retrouve d’autres tics plus habituels des films noirs de cette époque, comme les stores vénitiens, les clairs obscurs, les éclairages latéraux. Mais le clou de la mise en scène est certainement la traque dans les égouts de Los Angeles. Tout y est, les ombres, les lumières portées par des lampes électriques qui avancent inexorablement pour capturer le tueur, mais qui s’éteint dans le dos des policiers, formant un nouveau danger. Il y a des ombres fuyantes, des sortes de tunnels et d’arcades qui aident le tueur à se dissimuler. On verra que Morgan est à deux doigts de s’en sortir, mais il n’arrive pas à soulever la plaque d’égout qui est coincée de manière involontaire par une voiture de la police. il y a une excellente utilisation des décors de Los Angeles. Au début du film on est prévenu. La ville a grandi trop vite et donc la police a bien du mal à entraver le développement de la délinquance dans une cité qui s’étale sur des kilomètres et qui est aussi très riche. La photo de John Alton fait merveille évidemment.

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    Le piège ne fonctionnera pas

    La distribution c’est d’abord Richard Basehart, c’est un excellent comédien qui, du fait de son physique fragile a eu bien du mal à avoir des premiers rôles. C’est le cœur du film. Il a ce côté froid et distant qui convient parfaitement au rôle, il a peur, mais il domine sa peur, il a mal aussi quand il extraie la balle qui l’a blessé, mais il domine sa douleur. Derrière lui, c’est Scott Brady dans le rôle du policier Brennan. Raide et borné, il est tout à fait à son affaire, mais enfin, il faut bien le dire, lui ou un autre, ça ne change pas grand-chose. J’aime bien Whit Bissel dans le rôle du visqueux Reeves, il s’est affublé d’une petite moustache de rat qui renforce sa veulerie, il est très bon. Le reste ce sont souvent des acteurs solides comme Roy Roberts dans le rôle du capitaine Breen, carré et têtu, il a le physique de l’emploi. Le film se caractérise par l’absence de rôles féminins importants. Mais ce n’est pas gênant car cela renforce la sécheresse du propos. C’est un petit budget, sans être un budget fauché, il dure tout de même une heure vingt.

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    Morgan se prépare à fuir

    Ce film a eu une filiation importante. D’abord il semble bien qu’il ait inspiré The third man de Carol Reed avec la poursuite dans les égouts de Vienne. Il y a ensuite Act of violence de Fred Zinneman . Mais il y a plus précisément Them ! de Gordon Douglas qui en 1954 conte une histoire de fourmis géantes qui se cachent dans les égouts de Los Angeles pour se reproduire et envahir la ville. Ce film a tellement fait école que des scènes entières de celui-ci ont été importées dans The big combo, le chef-d’œuvre de Joseph H. Lewis . Chez Eagle Lion films on ne se gênait pas. On dit également que ce film a inspiré la série télévisée à succès, Dragnet. Comme on le voit ce film se trouve à un carrefour et renouvelle le film noir en l’entraînant vers un univers plus dur et plus violent.

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    Dans les égouts de Los Angeles Morgan affronte la police

    Très longtemps on a vu ce film dans de très mauvaises copies, en salle comme en DVD. Il est maintenant dans le domaine public, et on le trouve maintenant depuis quelques années dans une copie DVD propre chez Wild side. Malheureusement il n’existe pas de version française en Blu ray. FixClassic l’a sorti aux Etats-Unis en anglais sans sous-titres en français. Il est vendu parfois avec les deux autres films noirs d’Anthony Mann, sous le titre de John Alton film noir collection. Ce qui est, ma foi, tout à fait justifié. J’ai vu ce film plusieurs fois, et il me semble que je redécouvre à chaque fois son importance. Donc laissez tomber les critiques qui le classent parmi les films noirs mineurs, ils ne sont pas dans le coup. Il va de soi qu’une édition Blu ray avec sous-titres français serait la bienvenue.

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    La bataille est rude

    « Armored car robbery, Richard Fleischer, 1950Des femmes disparaissent, Edouard Molinaro, 1959 »
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  • Commentaires

    1
    Thierry
    Samedi 21 Mars 2020 à 12:32

    Sauf erreur de ma part, il y a une coquille dans le premier paragraphe. Basée sur l'histoire vraie avec l'auteur des faits qui se suicide (sic!) et est donc considéré comme fou. Sa peine est commuée en détention à perpétuité et il sort en 1974. Bien à vous

     
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    2
    Thierry
    Samedi 21 Mars 2020 à 14:44

    Tout le plaisir est pour moi. Je viens régulièrement.:-)

     
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